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LA THÉORIE DE L'INTÉRÊT
ces entreprises ne rapporteront plus du tout d'intérêts. (Boehm-Bawerk considère comme tout à fait évident qu'un bien présent vaut mieux qu'un bien futur ; c'est même sur cette affirmation qu'il base toute la nouvelle théorie qu'on lui doit. Mais pourquoi cela lui semble-t-il évident ? Voici la singulière explication qu'il fournit lui-même : parce qu'il est possible d'acheter du vin, qui se bonifie dans le cellier, et que l'on pourra revendre plus cher I (Parmi toutes les marchandises, BoehmBawerk n'en a pas trouvé une seconde possédant cette singulière propriété.) Si le vin s'améliore de lui-même, et, paraît-il, sans travail ni frais d'aucune sorte, sans frais de magasinage par exemple, les autres marchandises, les pommes de terre, la farine, la poudre, la chaux, l'acide sulfurique, les peaux, le fer, la soie, la laine, les articles de mode gagneraient-ils aussi en vieillissant ? Leur qualité et leur prix augmenteraient-ils d'année en année ? Dans ce cas, voilà le problème social résolu à la perfection. Il suffira d'amasser assez de marchandises. L'abondance inépuisable de la production actuelle et notre armée de chômeurs s'y prêtent à souhait. Et le peuple tout entier pourra sans plus se déranger, vivre de ses rentes. Les réserves gagneront constamment en qualité et en prix puisque, économiquement, une différence de qualité équivaut à une différence de quantité. D'ailleurs, on ne voit pas pourquoi on ne tirerait pas la conclusion inverse : puisque tous les biens, à l'exception de la monnaie et du vin, se décomposent à la longue ! Or, dans le domaine de l'intérêt, Boehm-Bawerk fut jusqu'à sa mort (en 1914) le chercheur le plus en vue, et ses œuvres ont été traduites en plusieurs langues.) Les soucis de l'épargnant sortent quelque peu du cadre de cette étude élémentaire de l'intérêt ; mais leur analyse plus poussée éclairerait peut-être la doctrine. Supposons l'or éliminé de l'échange des marchandises. Quelqu'un veut épargner, se préparer pour la vieillesse un repos à l'abri des soucis. Immédiatement, un problème se pose : quelle forme va-t-il donner à ses économies ? Conserver par devers lui ses propres produits ou des produits étrangers, il ne peut y songer un instant. Un trésor de monnaie franche, il ne faut pas non plus y penser. Sa première idée sera de prêter sans intérêts à des patrons, des artisans, des paysans, des commerçants. Plus l'échéance sera longue, mieux cela vaudra. Il est vrai que notre épargnant court ainsi le risque de n'être jamais remboursé. Mais ce risque, il se le fera payer par un supplément : la prime de risque (voir Éléments de l'intérêt brut) ; d'ailleurs, aujourd'hui, dans les prêts de l'espèce, ce supplément ne manque jamais d'accompagner l'intérêt net. Si notre épargnant prétend éviter tout risque de ce genre, il placera ses économies dans la construction d'une maison de rapport. Les locataires lui payeront périodiquement l'amortissement. Actuellement, le loyer comprend également ces remboursements échelonnés des frais