332
LA THÉORIE DE L'INTÉRÊT
ne diffère en rien de la relation existant entre prêteurs sur gages (1) et emprunteurs : la chute de l'intérêt profite aux emprunteurs. Le patron n'achète pas le travail, ou le temps de travail, pas plus que la force du travail, parce qu'il ne revend pas non plus de la force de travail. Ce qu'il achète et ce qu'il vend, c'est le produit du travail ; et le prix qu'il le paie n'est pas basé sur ce qu'il faut pour élever, instruire et nourrir un ouvrier et les siens (le patron ne s'en soucie pas, on s'en rend compte suffisamment rien qu'à voir l'ouvrier), mais uniquement sur le prix que paie le consommateur. De ce prix, le patron soustrait l'intérêt de ses installations, le prix des matières premières, intérêt compris, et le salaire de son propre travail. L'intérêt correspond régulièrement à l'intérêt fondamental ; le salaire du patron est soumis, comme tous les salaires, à la loi de la concurrence ; quant aux matières premières, le patron en fait ce que tout marchand fait de sa marchandise. Le patron prête à l'ouvrier machines et matières premières, et retire l'intérêt y afférent de la production de l'ouvrier ; le reste est ce que l'on appelle le salaire, qui n'est au fond rien d'autre que le prix de la marchandise livrée par l'ouvrier. Les usines ne sont donc que des maisons de prêt. Entre le propriétaire d'une maison de prêt et Krupp, il y a une différence de grandeur mais non de qualité. La vraie nature de ces entreprises saute aux yeux dans le salaire à la pièce. En réalité, tout salaire est un salaire à la pièce, car le salaire s'établit pour chaque ouvrier, d'après les pièces que le patron en attend. Mais à côté du simple agrandissement de l'entreprise, qui augmente la demande d'ouvriers, il y a encore le perfectionnement des moyens de travail eux-mêmes, qui permet d'augmenter la production avec un nombre égal d'ouvriers. Par exemple, un paysan peut doubler le nombre de ses charrues, mais il devra dans ce cas, doubler le nombre de valets de ferme ; si par contre il achète une charrue à vapeur, il cultivera une surface double sans doubler le nombre de ses ouvriers. Ce perfectionnement des moyens de travail (à ne jamais confondre avec l'augmentation pure et simple du nombre des machines) est constamment recherché. Car pour les patrons, la seule chose qui compte, c'est le bénéfice net (2) ; et celui-ci sera d'autant plus grand que le maté(1) Comme le disait quelque part Eugen Dühring : le patron loue, pour ainsi dire, les établissements de production aux ouvriers moyennant une redevance. Dühring appelle cette redevance locative : « profit ». Marx l'appelle « plus-value »; nous l'appelons tout simplement : intérêt, intérêt du capital. (2) Le bénéfice net (le salaire du patron, le revenu du travail du patron, etc.), est ce qui reste après payement de tous les frais d'exploitation, intérêts compris, ce qui reste pour la direction de l'entreprise, à titre de profit. Il n'a rien de commun avec l'intérêt. Dans les sociétés par actions, ce sont les brevets d'invention ou les appointements t scandaleux » de certains ouvriers ou directeurs spécialement habiles ou irremplaçables, qui absorbent ce bénéfice net.