DOUANES, RENTE ET SALAIRES
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céréales), le fermier du sol franc le considère comme étant la rémunération de son travail. Cette rémunération est amoindrie par les droits de douane et par le fret. S'il perdait antérieurement 30% en raison du fret, ce taux pourra monter jusqu'à 50 ou 60% sous l'effet des tarifs douaniers. (Le fret depuis les ports d'Argentine jusqu'à Hambourg oscille autour de 15 marks la tonne. Ajoutons-y les frais de transport par chemin de fer depuis le lieu d'origine jusqu'au port : ils coûtent plusieurs fois le fret, 50 marks environ. Les droits d'entrée en Allemagne atteignent 55 marks les 1.000 kilos. Total 105 marks dans un prix d'environ 240 marks.) Les droits d'entrée ont donc pour effet direct de réduire le rapport du travail chez les cultivateurs du sol franc 1 et 2. Comme le salaire de l'ouvrier dans le pays protégé par les douanes dépend de ce rapport, il baisse ; quand ce ne serait qu'en restant nominalement fixe, en face de la hausse des prix. Les droits d'entrée mettent donc le propriétaire foncier à même d'exiger de plus hauts prix pour ses produits, sans devoir partager le surplus avec les salariés ni payer plus cher les produits industriels dont il a besoin. En effet, la baisse du rapport du travail chez les cultivateurs du sol franc 1 et 2 rend impossible l'augmentation de salaire chez les travailleurs de l'industrie ; elle empêche ceux-ci de se débarrasser de la charge douanière, attendu que leurs revendications salariales s'appuient uniquement sur le rapport du travail en sol franc. Pour les travailleurs de l'industrie, les charges douanières ne sont, donc pas plus transférables que pour les cultivateurs et pour les colons du sol franc 1 et 2. Aussi longtemps que les lentes réactions dont nous parlerons plus loin ne se feront pas sentir, les droits d'entrée seront un pur présent au rentier du sol. Et nous n'entendons pas ici par droits d'entrée ce que l'État encaisse à la frontière, mais ce qui se prélève sur tous les marchés du pays, à la faveur de la hausse imprimée par les droits protecteurs à toute la production indigène, ce qui se prélève au bénéfice du rentier, sur chaque consommateur, pour chaque jambon, chaque pain, chaque œuf, chaque pomme de terre. (Si le sol est affermé, le fermage sera majoré directement des droits de douane. Si le sol est vendu, les droits seront capitalisés, c'est-à-dire multipliés par 20 ou 25, et ajoutés au prix habituel des terrains.) La douane, disent les hommes politiques, c'est l'étranger qui la paie. C'est vrai. Parfaitement vrai. Le peu d'argent recueilli à la frontière par le trésor de l'État est payé sans aucun doute par les colons établis sur le sol franc à l'étranger (ce sont souvent des émigrés allemands) ; c'est une amputation au produit de leur travail. Mais espère-t-on sérieusement rendre la douane plus agréable aux travailleurs allemands en leur faisant remarquer que ce sont les colons du sol franc qui paient les droits que l'État encaisse à la frontière ? Belle consolation pour les travailleurs, dont le salaire dépend du revenu du travail chez le colon du sol franc. Belle affaire pour l'ouvrier, qui doit