Elles recouvrent le toit de la brasserie de l’Ancienne Douane, se superposent pour créer l’aqueduc de la fontaine de Janus près de l’Opéra. Les tuiles et briques de l’entreprise familiale Lanter sont les dernières d’Alsace à être moulées à la main, séchées puis cuites au four, selon des procédés vieux de plus de 100 ans. Un savoir-faire transmis de génération en génération, dernière résurgence d’une tradition locale engloutie par le monde industriel.
Rouge brique Par Tatiana Geiselmann Photos Simon Pagès
Quand on a demandé à Catherine Lanter si on pouvait venir faire un reportage au sein de sa tuilerie-briqueterie artisanale, elle a repoussé l’échéance de notre visite le plus tard possible, « pour être sûre que le four soit allumé ». Sauf que le jour J, en franchissant le portail d’entrée, il faut se rendre à l’évidence : aucune fumée ne sort de la haute cheminée de briques rouges, qui jouxte le bâtiment principal. « Elle est purement esthétique », nous rassure de suite la souriante sexagénaire. Du haut de ses 20 mètres, la robuste colonne d’argile est aussi symbolique, dernier vestige du florissant passé de fabrication de briques et de tuiles de Hochfelden. Dans cette partie de la plaine d’Alsace, le sol est riche en loess, une variété d’argile grasse, aux vertus perméables. « Contrairement à l’argile traditionnelle, le loess va emmagasiner l’humidité et la restituer, et donc assurer une très bonne régulation hygrométrique, détaille la dynamique Alsacienne. Idem pour la chaleur .» Une myriade de petites entreprises de confection de briques voit donc le jour à Hochfelden à la fin du xixe siècle, employant des centaines d’ouvriers, souvent payés à la pièce. Mais au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la plupart d’entre elles sont ruinées, rachetées pour des sommes dérisoires par de grosses sociétés industrielles. Seule la briqueterie Lanter résiste à cette mainmise des géants du secteur.
62 CONSTRUIRE | REPORTAGE
Des briques et des tuiles de père en fils Comme en atteste l’inscription en céramique blanche au sommet de la cheminée, l’entreprise familiale a été fondée en 1896 par l’arrière-arrière-grand-père de Bruno Lanter, le mari de Catherine. Transmise de père en fils, la briqueterie vivote pendant l’entre-deux-guerres, « plus pour maintenir le côté patrimonial qu’autre chose ». En 1949, Pierre Lanter, le père de Bruno, relance à grand-peine l’activité. Puis en 1961 arrive la commande miracle, celle qui va permettre à la briqueterie de renaître de ses cendres :
la ville de Strasbourg souhaite restaurer l’intégralité de la toiture de l’Ancienne Douane, ravagée par un orage de grêle. La famille Lanter ressort donc ses moules, ses planches, rallume son four et replonge ses doigts dans l’argile. Aujourd’hui encore, tuiles, briques et faîtières sont fabriquées à la main, avec les mêmes gestes qu’il y a 100 ans. La première étape, c’est l’extraction du loess, dans la carrière familiale, située 400 mètres plus loin. « Pour une année, on récupère environ 3 000 tonnes de terre, indique Catherine