Zut Hors-série — L'artisanat dans l'Eurométropole de Strasbourg et en Alsace #3

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HORS—SÉRIE

L’artisanat dans l’Eurométropole de Strasbourg et en Alsace

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Local, durable, désirable


! s t A e j M o r C p a Avec l du sens à vos donnez cma@cm-alsace.fr www.cm-alsace.fr


Prochaines parutions Zut / Journal Haguenau et alentours n°8 Zut Hors-série L’Industrie Magnifique Zut Strasbourg n°46 Zut Hors-série RCSA | « Une saison dans le vide »

zut-magazine.com


Ce hors-série du magazine ZUT est édité par chicmedias 37, rue du Fossé des Treize 67000 Strasbourg +33 (0)3 67 08 20 87 www.chicmedias.com S.à.R.L. au capital de 47 057 euros Numéro réalisé en partenariat avec l’Eurométropole de Strasbourg

Contributeurs Directeur de la publication Bruno Chibane Administration - Gestion Gwenaëlle Lecointe assistée par Solène Lauth Coordination de projet Caroline Gomes — En charge de l’artisanat et du développement local pour la Ville et l’Euro­métropole de Strasbourg Rédaction en chef Cécile Becker Direction artistique Hugues François / brokism Graphisme Séverine Voegeli

Rédaction Cécile Becker Valérie Bisson Lucie Chevron Myriam Commot-Delon Sylvia Dubost Déborah Liss Corinne Maix JiBé Mathieu Fabrice Voné

Tirage : 5000 exemplaires Dépôt légal : mai 2021 SIRET : 50916928000047 ISSN : 2261-7140 Imprimé sur papier écologique certifié PEFC

Impression Ott imprimeurs Parc d’activités « Les Pins » 67319 Wasselonne Cedex Diffusion Novéa 4, rue de Haguenau 67000 Strasbourg

Photographie Jésus s. Baptista Christoph de Barry Pascal Bastien Alexis Delon / Preview Estelle Hoffert Simon Pagès Dorian Rollin Christophe Urbain Illustration

Crédits couverture Composition, Still Life - Piédouche #1, Myriam Commot-Delon Photo Alexis Delon / Preview www.preview.fr Studio Photo / Preview 28, rue du Général de Gaulle 67205 Oberhausbergen www.preview.fr

Nadia Diz Grana Commercialisation et développement Léonor Anstett +33 (0)6 87 33 24 20 Sophie Beau +33 (0)7 50 01 66 69 Bruno Chibane +33 (0)6 08 07 99 45 Olivia Chansana +33 (0)6 23 75 04 06 Anne Walter +33 (0)6 65 30 27 34

www.zut-magazine.com

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Remerciements

Relecture Léonor Anstett Sylvia Dubost Fabrice Voné Stagiaire graphisme Camille Bourges

• Cécile Marter, chargée de la communication économique de l’Eurométropole de Strasbourg • Marc Hamm, chef de service par intérim et responsable qualité, sécurité, et environnement de l’Eurométrople de Strasbourg • Anne Bieber, cabinet du président de la Chambre de métiers d’Alsace • Camille Mehr et Samuel Gillet, Chambre de métiers d’Alsace • Nathalie de Riz, secrétaire générale de l’Union des corporations du Bas-Rhin.


LA RENCONTRE DE L’ART ET DE L’INDUSTRIE SUR LA PLACE PUBLIQUE

DU 03 AU 13

JUIN 2021

STRASBOURG

ŒUVRE_LE SERPENT, 2021 ARTISTE_BERTRAND GADENNE MÉCÈNE_ARTE PLACE_KLÉBER

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10  EDITO

38  Nourrir

67  Construire

12  L’ARTISANAT VU PAR

40-41 PORTRAITS

68  PORTRAITS

Des personnalités strasbourgeoises qui pensent ou soutiennent l’artisanat.

Michel-Jean Amiel, pâtissier. Nicolas Kretz, distillateur. Jacqueline Riedinger-Balzer, ­bouchère et traiteure.

Sylvain Louis, apprenti tailleur de pierre. Christine Kleinmann, cheffe d’entreprise.

42  DOSSIER

72  DOSSIER

Notre pain quotidien Commerce essentiel, la boulangerie est un secteur en pleine mutation. Avec Grégory Braun de chez Woerlé, Christophe Rostalski du Fournil Kristof et Maurizio de La Boul’ange.

La construction bois en forme olympique Au cœur des réflexions menées sur l’éco-responsabilité par le secteur du bâtiment, le bois tient une belle place. Avec Maisons booa, Atelier Ordinaire et Üte.

20  INTERVIEW Au plus près Sociologue et enseignante-chercheuse, Florence Cognie analyse la méta­ morphose de l’artisanat à l’épreuve d’un monde capitaliste.

26  FOCUS Covid : après toi le déluge ? Comment les artisans s’en sortent-ils en pleine crise sanitaire ? Jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre de métiers d’Alsace nous aide à y voir plus clair. Avec La Maison Luquet, l’Atelier La Colombe et Xavier Noël.

48  REPORTAGE C’est quoi cette bouteille de lait ? Akareva, atelier-pressoir, livre chez vous laits végétaux, jus de fruits et légumes pressés.

52  INTERVIEW La boîte à chocolats La chocolaterie Stoffel remet le savoir-faire au cœur de sa stratégie.

80  ENQUÊTE Rénover plutôt que construire Le secteur du bâtiment investit le champ de la rénovation ou de la réutilisation. Avec l’entre­ prise Brenner, KS Aménagement, Bolidum, l’association Les Bonnes Matières.

54  TENDANCE Les boxs Hopl’apéro box et Doni.alsace valorisent les produits locaux.

56  LA SÉLECTION DE LA RÉDACTION 58  L’ACTU DES ARTISANS 60  SÉRIE MEMORY Dialogue entre blé, bourgeons et derniers légumes d’hiver. 6

86 Focus Transition écologique et artisanat Révolutionner sa pratique pour la penser plus verte ? On se penche sur les tendances autour de la réparation et de la réutilisation. Avec Tadâm, Sandrine Knobloch, Camille RentonEpinette et Roses & Aléas.


la traversée de l’été #2 Programme estival itinérant 60 artistes 250 événements gratuits * 10 juillet | 28 août 2021 * lectures, ateliers, visites, spectacles…

03 88 24 88 00 | tns.fr | #LaTraverséeDeLÉtéDuTNS


93  Rendre service

123  Fabriquer

94  PORTRAITS

124  PORTRAITS

Jean-François Eckstein, réparateur de vélos. Charles Julien Nivert, cordonnier. Alain Ledoux, garagiste.

Juliette Vergne, designer textile Claire Muth, créatrice d’objets

128  REPORTAGE 100  PORTRAITS Le périmètre réconforté Le rayon du kilomètre imposé par les confinements a renforcé les liens avec artisans et commerçants. Avec Maïly Nguyen, esthéticiennemasseuse, Giuseppina Palamara, blanchisseuse et Bernard Deutsch, fleuriste.

Bags’ Groove La Reverdie, marque de maroquinerie qui éprouve l’éco-responsabilité jusqu’au bout.

130  DOSSIER Bulles de savons Les savons et les cosmétiques ont le vent en poupe. Avec Argasol, L’Esperluète et notre sélection.

104  DOSSIER Le numérique green, une utopie ? Les datas pèsent lourd sur l’écologie, autant que le matériel informatique accumulé. Avec Play2Code d’Alsace Digitale et Media Business Phone.

136  SHOPPING Ce qui nous plaît Sélection végétale d’objets sensitifs.

142  L’ACTU DES ARTISANS

110  TENDANCE La sélection de Gnooss Après des boutiques éphémères pour Noël, Caroline Boeglin lance son e-shop. Voici ses coups de cœur.

112  LA SÉLECTION DE LA RÉDACTION

144 Focus L’amour est dans le pré Le retour en grâce des campagnes confirmé par la crise sanitaire. Avec Vincent Desprez, maraîcher, Carole K., céramiste et Bertrand Magar, relieur.

150  DU GRAIN À MOUDRE 114 Focus Les traditions en question À l’heure où l’industrie s’empare de ses codes, quel rapports l’artisanat entretient-ils avec ses traditions ? Avec l’association IDeE, la poterie ErneweinHaas, Sonia Verguet, Harmonie Begon et Sébastien Gillmann. 8

Aller plus loin, avec des podcasts ou des bouquins.

152  SUR-MESURE Consommateurs et consommatrices racontent leur objet artisanal préféré.



Un Monde nouveau Par Cécile Becker

« Un monde nouveau, on en rêvait tous mais que savions-nous faire de nos mains ? Zéro. Attraper le bluetooth. Que savions-nous faire de nos mains ? Presque rien, presque rien. » Le refrain du titre phare de l’album Palais d’argile de Feu ! Chatterton résonne. Si Un Monde nouveau a semble-t-il été écrit avant la pandémie, il résonne fort avec nos questionnements. Ces quelques phrases portent en elles un condensé du premier confinement, que nous avons passé à tenter de cuisiner, bricoler, réaménager. En d’autres termes, à réinscrire le geste dans nos vies. Fabriquer, c’est s’ancrer physiquement quand le reste nous échappe. Paradoxalement, faire nousmêmes nous a rapproché des artisanes et artisans, productrices et producteurs, restauratrices et restaurateurs et ce, à plusieurs égards. Pâtisser des brioches tressées, cuisiner des gyozas, se remettre au tricot, essayer de réparer ce grille-pain ou ce vélo qui traînent depuis des lustres : nos liens ont été renforcés à ­l ’espace domestique, donc à la nourriture et aux objets qui nous entourent. Pour avoir tenté toutes sortes d’expériences (pour le meilleur et pour le pire…), on sait désormais le temps que cela prend, on sait aussi que le geste requiert des savoir-faire que nous n’avons (manifestement…) pas toutes et tous. Et puis, acheter un bouquet de fleurs pour égayer une table, une saucisse à griller, un plat sublime à déguster, un objet pour décorer, c’est aussi réenchanter le quotidien. Sans compter qu’avec le tarissement des échanges, un vide s’est créé. Coincés dans notre périmètre, nous n’avons ­jamais eu autant besoin de proximité. La crise sanitaire a ralenti le rythme et a également été un accélérateur : elle nous a donné envie de soutenir avec plus d’emphase encore les faiseuses et les faiseurs, impactés au premier chef par cette crise.

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Du côté de chez Zut, pendant plusieurs mois, nous avons pris notre mal en patience ne pouvant produire nos magazines phares et habituels. Cette crise a renforcé nos convictions : sans la culture, sans les commerces de proximité, nous ne sommes pas grand-chose. Ce grand vide et ce besoin de retrouver du sens à ce que nous faisons (parler de ce que les gens font…), n’a fait que confimer notre envie de produire un nouvel hors-série dédié à l’artisanat, un troisième numéro qui pour nous, trouve toute sa place au cœur des réflexions mises en exergue par le Covid. Et puis ce troisième ­numéro s’ouvre à toute l’Alsace et dépasse la seule Eurométropole de Strasbourg parce que, selon nous, la relation au terroir s’est épaissie : une fois le confinement levé, les citadines et citadins se sont très largement déplacés alentour pour se fournir en produits locaux, quand ils ne pensent pas tout bêtement à quitter la ville pour se rapprocher de la nature… Que ce soit pour interroger notre rapport au travail, à la main, au « faire », pour relocaliser la production, la consommation et le travail, pour des raisons écologiques ou philosophiques, que ce soit parce que la proximité dépasse la stricte notion de l’espace et s’applique aussi aux relations, l’artisanat est un point de convergences qui nous permet de penser le monde. Pour le construire, ce monde d’après, l’artisanat est un modèle : il est local, il est durable, et surtout désirable.



L’artisanat vu par

Elles et ils accompagnent, éprouvent, portent ou pensent l’artisanat. Florilège. Propos recueillis par Cécile Becker

L’artisanat, c’est quoi pour vous ? Un mélange d’art, de savoir-faire et de rêve. Votre objet artisanal fétiche Un « ferme ta gueule » [gri-gri de décoration proposé par le Musée Vodou. Une tête de canard fermée par un cadenas destiné à faire taire une ou des personnes, ndlr] Création : Sined Yorel / Moulage : JeanPierre Sittler / Fabrication : Association des Aveugles d’Alsace / Décoration : Geneviève Aïssi. Pensez-vous que nos rapports à l’artisanat ont changé ces derniers mois ? Les artisans se sont rendus indispensables et ont gagné en visibilité. Isabelle Lustig Directrice du CARSAT, caisse d’assurance retraite

Quels sont vos gestes « artisanat » au quotidien ? N’étant malheureusement pas artisan, mon métier de directeur d’école d’enseignement supérieur artistique ne sollicite pas directement de gestes du « métier ». Je suis cependant attaché, comme un artisan, à remettre sur le bureau plusieurs fois le travail, à réfléchir à ce que mes prédécesseurs ont pu imaginer dans le passé, à partager avec des pairs avant de prendre une décision importante et, bien sûr, considérer les bâtiments et les outils (instruments de musique, matériel de gravure, de photographie, de sculpture, etc.) que nous employons dans nos trois sites à Mulhouse et à Strasbourg comme des éléments essentiels de notre travail. Le mot de la fin ? Ralentir pour donner plus de sens à notre travail. David Cascaro Directeur de la HEAR, Haute école des arts du Rhin

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ZUT ARTISANAT  |  L’ ARTISANAT VU PAR

Quels sont vos gestes « artisanat » au quotidien ? Je cuisine quasiment tout avec des produits bruts, je trouve que cuisiner sa nourriture est très important. Même simple, il est préférable de se préparer un casse-croute à midi que de consommer un plat tout fait livré à la porte. Tout ce système est ridicule et dangereux. Savoir ce qu’on mange et prendre le temps de se préparer son repas est la base même du simple savoir vivre au monde. Au travail, étant peintre/photographe, je prends très au sérieux le rapport artisanal à mon « art ». Il est vital pour moi de comprendre par la main ce que j’essaye d’exprimer mentalement, je pense même que c’est la base de mon étude. Ayline Olukman Artiste peintre et photographe


Dans l’atelier de l’Œuvre Notre-Dame. Photo : Pascal Bastien 13


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Le paysan meunier Gregory Bapst (Ferme de la Bannau) et son blé. Photo : Christophe Urbain


« Se tourner vers un artisan est une manière de nous reconnecter au “faiseur ” de l’objet que nous utilisons parfois tous les jours. » Thierry Kuhn

Vos gestes « artisanat » au quotidien ? Gabrielle  Être en contact avec ­l’artisanat par le toucher, les matières, les formes, les couleurs… J’ai conscience du travail accompli, de la beauté des objets du quotidien ou décoratifs. Pensez-vous que nos rapports à l’artisanat ont changé ces derniers mois ? Marie-Thérèse  Il y a sans doute une prise de conscience de la nécessité de se tourner vers des produits plus locaux, plus écologiques et éthiques. Si vous deviez (encore) faire évoluer vos manières de consommer, jusqu’où iriez-vous idéalement ? Marie-Thérèse  Consommer uniquement des produits authentiques, biologiques et équitables réalisés dans le respect de l’environnement et de leurs créateurs. Éviter le plus possible le « made in China », être attentif à l’origine des produits et aux conditions de vie des ouvriers qui les fabriquent (notamment pour les vêtements). Le mot de la fin ? Gabrielle  Soyons artisans d’un autre monde, plus juste et plus durable. Gabrielle et Marie-Thérèse Bénévoles de la boutique Artisans du Monde

L’artisanat, c’est quoi pour vous ? C’est d’abord une question de langue : comment artisan et artiste se sont-ils distingués ? Et l’artisan et l’ouvrier ? Il y a là une histoire de la langue – des langues romanes en tout cas – qui mériterait un travail. C’est intriqué dans des processus 15

très importants de l’histoire des représentations, des distinctions sociales, techniques et économiques. Il y a un texte très célèbre d’Alain [philosophe, dans Système des beaux-arts, ndlr] dans lequel il écrit entre autres ceci : « Il reste à dire en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie. Et encore estil vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. » Se tourner vers une artisane ou un artisan, pourquoi ? Je le fais lorsque les conditions le rendent souhaitable et possible. Mais un plombier peut être plutôt ingénieur ou technicien, plutôt artisan, aimant la « belle ouvrage »… S’il en a le loisir ! Autrement, je pourrais faire des choix pour mes meubles, mes habits, que sais-je ? mais je n’en ai ni le temps ni les moyens. On ne se « tourne » pas comme ça vers un artisan ! C’est devenu souvent un luxe, ou une affaire de possibilités. Et ce qui complique tout est le fait que « artisan » ou « fabrication artisanale » est devenu un critère de qualité, voire de raffinement, ce qui n’est pas bon pour le mot car il risque de devenir comme « bio », une sorte de repère obligé… David Le Breton Sociologue

Se tourner vers une artisane ou un artisan, pourquoi ? Nous débordons d’objets dont nous ne connaissons plus la provenance et encore moins le travail, voire la souffrance, des personnes qui ont travaillé à la réalisation de ces objets du quotidien, quand ils ne sont pas réalisés par des machines. Se tourner vers une artisane ou un artisan est une manière de nous reconnecter au « faiseur » de l’objet que nous utilisons parfois tous les jours. Une manière de nous reconnecter les uns aux autres, nous en avons tant besoin actuellement. L’arti­sanat, c’est une passerelle entre les humains.


Quels sont vos gestes « artisanat » au quotidien ? Dans le travail, nous essayons de développer des activités de restauration d’objets de seconde vie, des activités qui demandent une intervention humaine de qualité. Valoriser les objets pour valoriser les hommes et les femmes. Dans ma vie personnelle, j’évite les objets industriels neufs, en achetant quasi exclusivement de l’artisanal et/ou du seconde main. De manière générale, j’essaye humblement d’être un artisan de justice sociale et écologique. Le monde de demain demande une vision du monde proche de celle que porte l’artisan sur l’œuvre qu’il a à réaliser. Thierry Kuhn Directeur d’Emmaüs Mundolsheim

L’artisanat, c’est quoi pour vous ? Un exercice professionnel fondé sur un ensemble de techniques du corps reliées à des outils. C’est une intelligence pratique diluée dans l’évidence des choses, même si parfois un faux mouvement, une mauvaise appréciation, peut survenir. Le corps n’est pas différent de la pensée, il est la personne même avec ses perceptions, ses émotions, sa connaissance du monde, son habileté acquise… S’il est un outil, le corps est surtout la personne. La pensée n’est pas hors du corps, elle est le corps. L’apprentissage informe le corps et donc le forme, le façonne en vue de la meilleure efficacité. Il inscrit une mémoire des gestes dans la chair même, pour transformer le plus possible la réflexion en réflexe. L’artisanat n’est pas seulement une technicité mais aussi bien entendu un art immergé dans la vie quotidienne, ce qui reste encore de la manufacture du monde (un monde fait à la main, à la mesure du corps).

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Nos rapports à l’artisanat ont-ils changé ces derniers mois ? Sans doute, on sait que le bricolage a pris une ampleur saisissante, de même que le jardinage. Le bricolage est la voie qui mène à un artisanat du quotidien et qui alimente aussi l’autonomie. Les magasins de bricolage sont pris d’assaut. Certes, le bricolage n’est pas encore tout à fait l’artisanat mais il en est la première étape, le retour à l’intelligence pratique, à la main, à l’intuition, à un art du quotidien pour ceux ou celles qui s’appliquent dans ces taches. Jean-Luc Nancy Philosophe

Nos rapports à l’artisanat ont-ils changé ces derniers mois ? Une partie de la population n’a pas attendu la crise actuelle pour se poser la question de la relocalisation, de l’impact environnemental et social de nos productions. La crise a accéléré cette tendance. On voit à travers l’organisation du Marché de Noël OFF depuis 2016 que l’artisanat local a le vent en poupe. On y accueille des visiteurs à la recherche de produits non formatés. Ces consommateurs sont vigilants aux matières premières utilisées, à la juste rémunération des producteurs et artisans, bref à l’impact social et environnemental de leurs achats. Pour aller plus loin ? Au-delà de la consommation bio, équitable, locale et seconde main quand c’est possible, je dirais qu’il faudrait consommer moins ! Au quotidien, on voit bien que c’est possible mais difficile dans une société consumériste où on est en permanence stimulé par la publicité. Le mot de la fin ? Small is beautiful! Agathe Guillet Chargée de mission à la CRESS, Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire

Pour les collectivités, la crise sanitaire est l’occasion de mettre d’autres systèmes en place. Comment voyez-vous cette crise sanitaire du point de vue de la production et de la consommation ? Jeanne Barseghian  À Strasbourg, on a pu constater des changements de modes de consommation dès le premier confinement. La contrainte du kilomètre a incité beaucoup d’habitantes et d’habitants à se tourner vers le local. Les maraîchers ont constaté un boom et un réel engouement, mais on a aussi pu observer un intérêt redoublé pour tout ce qui concerne la réparation ou la restauration. Ce changement va dans le sens de ce que souhaitent porter la Ville et l’Eurométropole : valoriser le circuit court, l’économie locale et durable. Il ne faut pas oublier que la crise a fragilisé un certain nombre de très petites structures, d’indépendantes et d’indépendants… Pia Imbs  Ce que je constate, c’est que les artisanes et artisans se sont réinventés, réorganisés et ont pu trouver des solutions et de nouveaux modes de contact pour répondre à la situation, que ce soit avec leurs fournisseurs ou leurs clients. Il nous a fallu être à l’écoute, à travers la Chambre de métiers d’Alsace (CMA) ou les corporations pour déterminer les aides les plus adéquates. Quelles sont-elles ? P.I.  Beecome par exemple, un dispositif que l’Eurométropole a lancé avec d’autres partenaires qui a été mis en place en 2020 (300 000 €) et a augmenté en 2021 (500 000 €) pour mettre en place un accompagnement à la digitalisation. Le numérique s’est imposé c’est une transformation profonde de notre société. Mais aussi l’aide aux loyers ou le Fonds Résistance abondé par l’Eurométropole, une aide de dernier recours pour maintenir le tissu économique. Comment imaginez-vous les rapports entre le centre-ville et les communes alentour ? P.I.  Il y a un énorme travail à faire sur les loyers, en dehors de l’urgence de la crise… J.B.  Oui, cette problématique touche les artisanes et artisans, les commerçantes et commerçants, les habitantes et habitants. De la même manière que nous avons mis en place un observatoire


Les outils de la tapissière Emmanuelle Feucht. Photo : Alexis Delon / Preview 17


Jeanne Barseghian

des loyers pour le logement, nous souhaitons développer un observatoire des loyers commerciaux et des outils juridiques qui nous permettent d’être informées en tant que collectivités le plus en amont possible de la vente d’un fonds de commerce. L’objectif est bien de travailler avec les bailleurs privés pour favoriser les installations de commerce et de service de proximité. Nous tendons vers une solidarité en intégrant les diversités de nos territoires : un artisan peut être intéressé par un local éloigné du centre-ville pour fabriquer, créer ou transformer et pourra bénéficier d’une vitrine en centre-ville. Là, nos territoires peuvent coopérer. Nous travaillons à des usages éphémères de locaux, des occupations temporaires qui pourront permettre ce genre d’opérations. P.I.  En plus de travailler à une coopération plus vaste avec d’autres collectivités. Nous avons mis en place un contrat avec le Pays des Vosges pour valoriser réciproquement nos économies, donc les artisans.

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Pia Imbs

Qu’est-ce que le Pacte pour une éco­ nomie locale et durable ? P.I.  Ce pacte met en évidence la ­nécessité de travailler à l’échelle locale. Les entreprises ne se connaissent pas assez. L’idée est de créer un réseau des entreprises locales, de les mettre en contact entre elles mais aussi avec des fournisseurs locaux (la plateforme Business sourcing mise en place par la CCI). Il est aussi question de déterminer de nouveaux objectifs communs. Des aides seront également mises en place dans le cadre de la rénovation énergétique. Cette crise a aussi prouvé que l’artisanat est porteur de valeurs plus humaines. En quoi est-il un modèle ? Peut-il être un moteur de changement ? J.B.  Cette crise sanitaire a révélé les fragilités de notre économie locale qui repose énormément sur le tourisme. On a constaté une sur-offre en matière de restauration et d’hôtellerie d’autant plus flagrante qu’il n’y avait plus de touristes. Dans cette économie locale que

nous voulons plus résiliente, l’artisanat – sous toutes ses formes – a vraiment un rôle central. Par essence, il est ancré sur le territoire et appelle d’autres usages et d’autres relations au territoire. Si on lui fait plus de place dans nos vies et dans nos villes, il nous rend moins dépendant. D’un point de vue écologique, l’artisanat est l’antithèse du tout jetable : on parle là d’objets uniques, de qualité, de savoir-faire, d’une logique durable très inspirante. Dans un moment où nous sommes en pleine quête de sens et de concret, l’artisanat incarne un modèle de production et de consommation remarquable, résolument et généreusement tourné vers l’autre. Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole



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Sociologue et enseignante-chercheuse, Florence Cognie travaille sur l’artisanat, les très petites entreprises et leurs transformations. Sa thèse, intitulée La Métamorphose de l’artisanat et soutenue en 2015, revient sur l’identité des artisanes et artisans et leur survie dans un environnement capitaliste. Pour elle, la proximité joue un rôle fondamental.

Au plus près Propos recueillis par Cécile Becker Illustration Nadia Diz Grana

Comment définiriez-vous l’artisanat ? Il y a une définition juridique – qui fait débat soit dit en passant –, mais je me reposerais sur le sens que les artisans donnent au mot « artisan ». C’est celui qui détient une petite entreprise, en proximité de ses clients et de son marché, il se définit par « le faire », qui n’est plus du tout le même qu’autrefois. Ils précisent souvent qu’ils ne sont pas des commerçants même si, au final, ils vendent leurs prestations ou productions. Les artisans se référent très souvent à la liberté pour notamment justifier leur choix d’installation. L’indépendance est selon eux ce qui permet d’exercer son métier librement. Cette autonomie, fondée sur leur connaissance du métier, l’art de faire, est la garantie de la qualité du travail. Néanmoins, autonomie et indépendance ne sont plus les mêmes qu’autrefois, et les artisans doivent faire des arbitrages, dans un environnement économique transformé, pour conserver ces valeurs. La dépendance au fournisseur, à la concession, à la franchise est jugée acceptable à partir du moment où l’artisan peut encore faire le choix de sa clientèle, maîtriser son process de production, réaliser une prestation dans les règles de l’art et rester maître du diagnostic, des

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prestations et des produits qu’il propose à ses clients. Les artisans refusent pour la plupart de s’inscrire dans des réseaux de sous-traitance, mais intègrent des réseaux informels avec d’autres ­artisans et soignent les relations avec les fournis­ seurs. Ce fonctionnement est identitaire : ils l’ont appris lors de leur formation, et lors de leurs expériences professionnelles. On découvre dans votre thèse que le regard sur l’artisanat n’a pas tant changé depuis les années 80. Dans les années 1980, l’artisanat est l’objet d’une attention particulière, d’une part parce qu’il est perçu comme une solution au chômage, d’autre part parce que les deux chocs pétroliers remettent en cause l’idée de croissance économique continue et mettent l’accent sur les limites des réserves naturelles. C’est à cette époque que, face à la montée du chômage et à l’externalisation de certains emplois, l’artisanat, et plus généralement les petites entreprises, deviennent pour les pouvoirs publics « des zones d’emploi à exploiter ». Les travaux des sociologues des années 80 sur l’artisanat s’attardaient sur les valeurs. Vous écrivez dans votre thèse que l’artisan est alors représenté comme un entrepreneur non capitaliste, pourquoi ? Il est un « complément mutuel » des entreprises capitalistes, car il exerce dans des secteurs non rentables, laissés vacants par la grande industrie ou la grande entreprise. Non maximisant, il ne s’inscrit pas dans une recherche d’accumulation continue du profit.


Comment et pourquoi l’artisanat a-t-il survécu dans un environnement capitaliste, alors même que les penseurs envisageaient sa disparition ? Dans les années 80, on pensait que la grande entreprise avait toutes les armes, qu’elle était plus capable de gérer les économies d’échelle, d’être ­mondialisée. Pour faire bref, la petite entreprise n’avait pas ces armes-là : elle ne pouvait pas dominer son marché, ni même d’en faire des analyses ou de générer de marges en misant sur les économies d’échelle. L’idée, c’était : qu’est-ce que l’artisan, avec sa petite camionnette, allait faire dans une économie mondialisée et avec des systèmes financiers qui se dérégulaient ? Mais l’artisanat a survécu en se métamorphosant. Certaines de ses caractéristiques jugées obsolètes,

« L’artisanat a survécu en se méta­morphosant car certaines de ses caractéristiques jugées obsolètes, archaïques ont été valorisées, notamment la proximité. » archaïques, ont été valorisées, notamment la proximité. L’artisan a toujours produit à la commande ou en petites séries. La co-production et la co-conception avec le client caractérisent son mode de production, et la proximité sociale, spatiale et temporelle que l’artisan entretient avec son client lui donnent un avantage. Sa relation au métier est associée au travail bien fait, à la qualité. Ces conditions de réalisation des produits et des services donnent des garanties d’authenticité et de service personnalisé. À la différence de ce que l’on peut voir dans les grandes entreprises, ces valeurs ne s’instrumentalisent pas dans des process complexes. Elles se fondent sur la confiance et les relations interpersonnelles. La survie de l’artisanat a aussi été conditionnée par l’apparition d’institutions de l’artisanat qui défendent ses intérêts.

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ZUT ARTISANAT | INTERVIEW

Dans les années 80, l’artisanat est valorisé, on pense au Small is beautiful de Schumacher qui date de 1978 et que vous citez dans votre thèse. Vous dites en revanche que la proximité était considérée comme archaïque, comment expliquez-vous que cette notion, qu’on peut considérer comme anti-capitaliste, soit aujourd’hui à ce point mise en valeur ? L’environnement économique, ­productif et managérial n’est plus le même que dans les années 70-80, et les évolutions de l’environnement social et culturel sont indissociables d’une nouvelle perception de la proximité. Pour parler rapidement, le développement de la pro­ximité devient aussi un impératif stratégique pour les grandes entreprises. Le capitalisme change de forme : la consommation de masse laisse place à l’économie de la variété et de la qualité. L’entreprise doit fournir des produits authentiques, ou tout au moins de plus en plus personnalisés, et s’efforce de réduire la distance sociale qui la sépare de son client pour mieux en saisir les demandes. Pour ce faire, elle développe un marketing et une communication personnalisés. Aujourd’hui, nous sommes dans une économie de la demande, les entreprises doivent tenir compte des attentes des clients qui veulent un produit différencié, de qualité, authentique, personnalisé, respectueux de l’environnement, une production à la commande, un service associé au produit et une exigence d’immédiateté. La proximité s’immisce aussi dans les nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines. Jusque dans les années 80, l’artisan avait l’exclusivité de ces pratiques, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Et puis, il y a autre chose qui renvoie à la perte de sens dans le travail. Alors, c’est une tarte à la crème, mais les artisans font rêver. Il y a un attrait pour le « faire » en ce moment : avoir un impact sur sa production, voir la réalité de son travail, notamment chez les jeunes. Mais ça ne reste qu’un attrait parce que, ce que j’ai étudié dans les chiffres, c’est que la majorité des artisans installés sont des artisans qui ont suivi une formation. Ce n’est pas encore, contrairement à ce qu’on croit, une terre de reconversion pour des gens qui n’auraient rien à voir avec l’artisanat. Il y a des reconvertis, mais ce n’est pas une vague de fond.


« Aujourd’hui, nous sommes dans une économie de la demande, les entreprises doivent tenir compte des attentes des clients qui se caractérisent par un produit différencié, de qualité, authentique, personnalisé… »

Quelles sont les grandes lignes de la transformation de l’artisanat dont vous parlez ? Ce n’est pas une vraie transformation, c’est pour cette raison que je parle de « métamorphose ». Les artisans ne sont plus les mêmes que ceux des années 7080, mais leurs profils ne se confondent pas avec ceux des entrepreneurs en général. Les artisans sont aujourd’hui les petits patrons les plus nombreux. Leur nombre a sensiblement diminué, mais ils sont majoritairement devenus de petits employeurs, avec un apprenti, parfois un ou plusieurs salariés. Leur survie dépend d’une densité suffisante de consommateurs particuliers, leur trajectoire suit donc les migrations sur le territoire français. Cela inscrit l’artisanat dans une relation particulière au territoire. Ils sont aussi implantés dans les zones rurales et n’ont pas tous migré vers les villes. L’artisan, dans les années 80, se caractérisait par des origines sociales – plus fréquemment issu des classes populaires ou « héritier » –, un parcours et une formation spécifiques. Ces caractéristiques sociales sont toujours distinctives mais elles ne sont plus tout à fait les mêmes qu’hier. Elles s’inscrivent dans les transformations de la société, tout en permettant à l’artisanat d’y tenir une place toujours singulière. On a assisté à la chute des « héritiers », des transmissions

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familiales du métier ou de l’entreprise. C’est une des transformations majeures à laquelle l’artisanat a été confronté. Cette chute a posé la question de la ­survie de l’artisanat, car le capital se transmettait de génération en génération, tout comme les savoir-faire et les compétences entre­preneuriales. Cela veut aussi dire, j’imagine, qu’une partie de la transmission ne se fait plus, que certains gestes et techniques pourraient se perdre ? Les artisans le craignent. L’acquisition du geste est une chose à laquelle ils accordent le plus d’importance. Dans la pâtisserie, par exemple, un apprenti rentre et doit savoir faire certains entremets, idem dans la coiffure. En effet, certains gestes auraient pu se perdre, mais la proximité entre entreprises et organismes de formation a permis à la transmission de perdurer, notamment à travers l’apprentissage ou les stages. La maîtrise du geste est encore une des dimensions des compétences acquises lors de la formation et du parcours en entreprise. Le plus étonnant, c’est que les cadres reconvertis ou diplômés de l’université non héritiers que nous avons rencontrés sont passés par une formation au métier, accélérée ou non. C’est quelque chose qui reste ancré.

Quelle est selon vous le rapport au travail qu’entretiennent les artisanes et artisans ? Ces nouveaux profils auraient dû con­ duire à une rupture, d’un côté des entre­ prises dirigées par des gens de métiers et de l’autre, celles dirigées par des mana­gers investisseurs. Pourtant, l’arrivée de ces nouveaux profils n’a pas remis en cause la relation au métier et à l’entreprise qu’entretient l’artisan. Ils se dirigent vers l’artisanat parce qu’il représente à leurs yeux la valorisation du « faire ». Comme tous les artisans, ces nouveaux arrivants mobilisent le modèle de la vocation pour justifier leur choix d’installation. Leur choix n’est pas motivé par une opportunité sur un marché et le développement de l’entreprise. La vocation, c’est aussi le travail qui prend le pas sur la vie privée, ce qu’on pourrait reprocher au capitalisme… C’est un des problèmes qu’ils n’ont pas totalement résolu. Même si les sphères privées et professionnelles se sont scindées – l’atelier se trouve moins souvent dans l’espace familial – la séparation n’est pas totale. Dans certains métiers, comme la coiffure ou la rénovation dans le bâtiment, la relation client est fondée sur l’intimité : on touche le corps du client, on entre dans sa maison, et donc, dans sa vie privée, ce qui induit une relation de proximité.


Cette relation très personnalisée est un avantage pour l’artisanat mais peut générer du stress et rend l’organisation du travail complexe. Une fois que le client a été en lien avec l’artisan, il a du mal à accepter les rotations de salariés par exemple. Socialement et écologiquement, il me semble que les artisanes et artisans ont aussi une carte à jouer… L’entreprise doit aujourd’hui être socialement responsable. Entretenant une relation de proximité avec ses clients et ses salariés, l’artisan est contraint à une certaine forme de responsabilité sociale. On sait qu’il pratique traditionnellement une gestion économe des ressources, marquée par la prudence en matière de dépenses car il porte le risque sur ses biens personnels. Cette gestion, considérée comme peu adaptée au développement économique dans les années 70-80, est reconnue aujourd’hui comme efficace. De plus, la redistribution d’une partie de ses revenus sur son territoire, à travers les salaires de ses ouvriers ou employés, font de lui un acteur socialement responsable. Que peut-on dire, statutairement, de l’accès à l’auto-entreprise pour les artisanes et artisans qui y ont de plus en plus recours ? Qu’est-ce que cela change ? Quand j’ai étudié les statistiques de l’URSSAF il y a 3 ans, l’auto-entrepre-­ ­nariat restait encore un revenu complémentaire au salariat, c’était plus rarement le moyen de tester son projet pour ensuite passer à un statut qui permette un chiffre d’affaires plus conséquent. Il aurait pu permettre d’externaliser certaines des activités et certains des salariés mais je ne suis pas certaine que ce soit le cas. Lors du l’instauration de ce statut, les artisans se sont mobilisés pour défendre leur cause, le considérant comme une concurrence déloyale. Mais surtout, selon eux, il « déqualifiait » le statut d’artisan et leur faisant courir le risque de diluer leur identité, en quelque sorte le risque de perdre la relation au métier. Les artisanes et artisans disent-ils se construire aujourd’hui encore contre le capitalisme ? Ils ne disent pas se construire contre le capitalisme mais étant donné que leur

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« La redistribution d’une partie de ses revenus sur son territoire, à travers les salaires de ses ouvriers ou employés, font de l’artisan un acteur socialement responsable. »

motivation n’est pas de conquérir des marchés ou de transformer leur entreprise en PME ou grande entreprise, ils mobilisent le modèle de la vocation. L’artisanat et ses valeurs pourrait-il devenir la norme ? Je ne crois pas. Ce n’est pas faisable. Ces modes de production, tout simplement, ne pourraient pas servir le monde entier. Rationaliser la production alimentaire permet de nourrir les masses... Pensez-vous que la crise sanitaire va renforcer les valeurs que porte l’artisanat ? J’aurais dit oui au début, dans le cadre du premier confinement. Maintenant, je ne sais pas. Les boulangeries et services de proximité ont globalement fonctionné, mais ce n’est pas le cas de tous les secteurs de l’artisanat. Je crois que ces effets n’ont été que temporaires. Ce qui est clair, c’est qu’il y a une tendance vers l’économie circulaire, le circuit court et l’écologie, mais cela ne concerne qu’une partie de la population. Tout le monde n’y est pas sensible, tout le monde ne peut pas se le permettre…


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COVID : APRÈS TOI LE DÉLUGE ? Par JiBé Mathieu

Dans le monde du « faire » comme ailleurs, la crise sanitaire a jeté son voile, opaque et paralysant, sur tout un pan de l’économie : celui des artisans et des manufactures, des artistes et des indépendants. Leur agilité et la foi qu’ils mettent dans leur travail les aident à bâtir des arches. Dans l’espoir qu’elles les préservent du déluge annoncé.

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Le temps est comme suspendu. L’outil et le geste stoppés en pleine course. « L’élan créatif est anesthésié », témoigne cet artiste. S’il est prématuré de chroniquer une hécatombe, tant les aides institutionnelles et l’appui conjugué des Chambres consulaires maintiennent l’essentiel des entreprises et ateliers sous perfusion, ce qui domine, c’est plutôt le calme plat. Avec son corollaire : la peur de rester planté là. « On a face à nous des gens déboussolés », relate Annick Sittler, chargée de mission à 60 000 Rebonds, une association qui vise à accompagner les entrepreneurs post-faillite et encourage leur reconstruction. Un fait, néanmoins, est avéré : la pandémie a causé l’annulation de nombreux salons qui, au-delà d’une vitrine, sont aussi et avant tout un moyen pour l’artisanat de se vendre, de tisser des réseaux et de rencontrer son public. Si la troisième édition de l’expo-vente Haut la Main, organisée par la frémaa (Fédération des métiers d’art d’Alsace) a finalement eu lieu à Obernai en septembre 2020, entre deux confinements, elle fait figure d’exception. La plupart des expositions publiques ont en effet été sacrifiées sur l’autel de l’urgence sanitaire, à l’instar de Oz, le Noël des métiers d’art, et surtout de Résonance(s), salon phare en France,

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rencontre annuelle et incontournable pour les créateurs et amateurs d’objets singuliers faits main. L’Institut National des Métiers d’Art (INMA) a lancé au mois de mars 2020 un travail d’enquête, en partenariat avec le Pôle Métiers d’Art de la Région Grand Est pour faire le point sur les difficultés des professionnels d’un secteur très protéiforme, composé aussi bien de manufactures, de grandes entreprises que de professionnels libéraux, d’artistes-auteurs, voire de fonctionnaires (en charge de la conservation, de l’enrichissement et de la mise en valeur du patrimoine national, notamment). Il en ressort que le secteur enregistre une perte de 50% de son chiffre d’affaires annuel. Pas étonnant, dans la mesure où ce sont les activités de vente et à destination du public qui souffrent le plus. À telle enseigne que la majorité des répondants anticipe encore des perturbations très significatives de leur activité au premier semestre 2021. On ne déplore pas, pour l’instant, de faillites massives, bien que la situation soit plus tendue pour les micro-entreprises. Du côté de 60 000 Rebonds : « Voilà plus de six mois que l’on se prépare à un tsunami. » Au point que les entreprises maintenues en vie à coup de reports de charges ou de fonds de solidarité sont

parfois qualifiées de « zombies ». En attendant la catastrophe et parce qu’ils ne veulent en rester là, beaucoup d’artisans, de créateurs, d’entrepreneurs cherchent à rompre la paralysie. Pour retrouver le lien qui les unit à leurs acheteurs. Au point parfois de se réinventer. « Les entreprises artisanales sont plus petites, donc plus agiles, martèle fréquemment Jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre de métiers d’Alsace. Elles peuvent plus aisément changer de rythme de travail, voire d’organisation. » Certaines ont fait un « bon de modernité » en créant des sites Internet ou en communiquant massivement sur les réseaux sociaux. Les projetant de fait dans l’artisanat 2.0. Une volonté confirmée par l’enquête de l’INMA. Les professionnels estiment en effet que les efforts doivent se concentrer sur les gains de visibilité, la meilleure valorisation de leurs métiers et le développement des solutions de commercialisation mieux adaptées à leur type d’activité. 41% d’entre eux espèrent très concrètement des aides au développement des outils numériques – ce que proposent les Chambres de métiers par l’intermédiaire du Plan de relance et de l’initiative France Num mais aussi le dispositif Beecome (voir page 16). Internet, nouvelle arche de Noé ? La réponse est plus nuancée. Notamment lorsque l’on se réfère aux piètres résultats d’un salon comme Résonance(s), dont l’édition virtuelle n’a, en 2020, engrangé que 30 000€ après avoir pour la première fois dépassé le million en 2019. Pour de nombreux créateurs, qu’ils soient artistes ou artisans, rien ne remplace la relation directe avec l’acheteur, qui seule permet de prendre conscience d’une pièce, de son volume et de sa matière. Bien sûr, les réseaux sociaux ont clairement permis à certains de limiter la casse. Voire d’afficher de réelles réussites grâce, notamment, au click & collect. Même si rares sont ceux qui par ce biais affichent un chiffre d’affaires équivalent à celui d’une période normale. L’essentiel, de toute manière, est ailleurs. Dans le besoin de lien, comme le soulignait cette restauratrice dont les plats à emporter, confectionnés par son époux, rencontrent pourtant un franc succès : « Nous ne sommes pas des traiteurs. Le coup de feu, le contact avec le client, cela nous manque ! »


La Chambre de ­métiers d’Alsace Jean-Luc Hoffmann président Propos recueillis par Cécile Becker Photo Simon Pagès

En 121 ans d’existence, la Chambre de métiers d’Alsace en aura vu… mais la crise sanitaire, personne n’aurait pu l’anticiper, et surtout pas Jean-Luc Hoffmann qui, en plein marasme et de façon inattendue, en a pris la présidence. Ce boucher-charcutier originaire de Haguenau, bien conscient des réalités de terrain, fait de la formation et de l’avenir ses chevaux de bataille. Qu’avez-vous mis en place à la Chambre de métiers d’Alsace pour accompagner les artisanes et artisans durant cette période ? Notre ligne d’écoute téléphonique a surtout fonctionné quand les artisans

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étaient à l’arrêt. Nous avons des agents qui vont aujourd’hui sur le terrain pour écouter les entreprises en difficulté. Depuis plus d’un an, les Chambres consulaires ont prouvé leur pertinence, notamment en permettant aux entreprises d’accéder à toutes les aides possibles, financières ou judiciaires. On est en quelque sorte le dernier kilomètre de l’État, puisqu’on met en œuvre le Plan de relance auprès des artisans. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’un artisan n’embauche jamais de personnel en se disant : « Si ça ne va pas, je licencie. » Un artisan est très lié à ses collaborateurs, donc ces moments de crise sont véritablement des crève-cœurs. Depuis un an, nous faisons aussi des remontées de terrain vers la Préfecture et l’État pour mettre en avant les manquements de certains dispositifs. Quels sont ces manquements ? Le secteur de l’événementiel souffre : du traiteur au photographe en passant par le fleuriste, ces métiers sont en souffrance. Bien sûr, tout ce qui est lié au


tourisme : les potiers, les métiers d’arts qui n’ont pu tenir salon depuis plus d’un an. Aujourd’hui, il y a un problème de disparités d’aide : les salons de thé, malgré une perte d’activité, ne bénéficient pas des aides octroyées aux restaurants. Si certaines entreprises s’en sortent mieux que d’autres – il faut le dire – je considère que la perfusion de l’État, on ne pourra pas l’enlever d’un coup, sans parler des caisses de l’État qui se vident et, de fait, des dommages collatéraux que nos artisans subiront. Il y aura sans doute un fort rebond dans l’économie, et là aussi, il faudra être présent. Et les prêts garantis par l’État qu’il va falloir rembourser… Une partie des entreprises qui ont contracté ces prêts ne les ont pas utilisés. Si l’État a permis de les rééchelonner, il faut espérer que l’économie reprenne l’an prochain. Car ils sont souvent corrélés à d’autres prêts d’investissement qui permettent aux entreprises d’évoluer. À un moment, il va y avoir un problème… Quelles sont vos priorités ? Accompagner les entreprises artisanales vers une sortie de crise fin d’année ou début 2022. Ce fameux monde d’après, on y arrive. Ce monde sera certainement plus respectueux de l’environnement, on y emmènera les entreprises artisanales, de la même façon que le reste de la société. Pour que les entreprises intègrent totalement cette question, il faudra du temps. En tant que responsable de nos deux CFA [Centre de formation Bernard Stalter – récemment renommé en hommage au précédent président de la CMA décédé – à Eschau et Centre de Formation d’Apprentis de l’Artisanat à Mulhouse, ndlr], c’est une vraie richesse de devoir s’occuper de l’avenir de nos jeunes, donc de l’avenir de nos métiers. Pour moi, ce volet formation et transmission, c’est le plus important. Entre la Collectivité européenne ­d’Alsace naissante, la régionalisation des Chambres de métiers, les particularités alsaciennes [droit local, existence des corporations, entreprises artisanales dont l’effectif peut dépasser les dix salariés, contrairement au reste de la France, ndlr], la loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel qui dégage la Région de ses précédents financements et responsabilise les entreprises… il y a de nombreux

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chantiers. Sans parler de la nécessité d’intégrer de nouveaux métiers à nos centres de formation, par exemple la réparation de vélos qui a repris du poil de la bête. Il faut que nous nous appuyions sur les évolutions de la société. Des diagnostics numériques gratuits existent. Cette aide est particulièrement intéressante car on parle de plus en plus de la nécessité pour les artisanes et artisans de se rendre visibles et de conserver le lien à leur clientèle à travers site Internet, click & collect, livraison à domicile, paiement en ligne, réseaux sociaux… De ce côté, la crise a donné aux entre­ prises artisanales un coup d’accélérateur qu’on n’aurait peut-être pas ­réalisé en 5 ou 10 ans. Mais il faut toujours les aider à ­maîtriser ces outils. Dans un premier temps, on offre un diagnostic numérique, puis nos agents vont faire du sur-mesure et déployer un plan d’action : comment se développer sur Internet ? Par quel biais ? La plupart des artisans sont dans des petites et moyennes structures, de 5 à 20 salariés, et leur rôle, c’est de connaître parfaitement leur métier, d’être DRH, gestionnaire, vendeur, acheteur, communicant… Les casquettes sont multiples et, quelque part, on demande à l’artisan de savoir tout faire. Je pense qu’il y a des domaines où on peut être moins efficace. Il ne faut pas hésiter à faire appel à des gens compétents ou à la formation, d’ailleurs nous en proposons un certain nombre, que ce soit sur la réponse aux appels d’offres ou la question de la communication. La crise a renforcé nos désirs de proximité, une valeur intrinsèque de l’artisanat… Je ne suis pas le seul à avoir dit que le monde d’après serait différent, mais après avoir dit ça, il faut agir. J’ai envie d’inscrire les artisans alsaciens dans la proximité avec la création d’une marque qui va lier des artisans respectueux d’un cahier des charges, en phase avec la proximité – fournisseurs, clients mais aussi l’emploi. L’idée étant de mettre en lien les artisans vertueux avec les clients qui veulent acheter de façon vertueuse. C’est quoi, un artisan vertueux ? Un artisan qui respecte et rémunère

convenablement ses salariés, qui respecte l’environnement, qui effectue ses achats au plus proche – je suis conscient que certains matériaux ne sont pas disponibles localement –, qui a recours à la formation. Il faut remettre l’humain au cœur de l’entreprise, c’est la plus grande valeur ajoutée. De ce point de vue-là, l’entreprise artisanale se démarque des géants. L’artisanat en Alsace, c’est 40 000 entreprises, 160 000 personnes en lien avec l’artisanat, 10% de la population environ et plus de 20% de la population active, alors n’y aurait-il pas un cercle vertueux à créer qui puisse infuser plus globalement ? Avez-vous encore le temps de travailler à la boucherie ? J’y suis présent deux heures par jour, mais la présidence de la Chambre de métiers, c’est un job à plein temps. Je ne mets pas en avant mon métier mais tous les métiers. Aujourd’hui, je suis couvreur, zingueur, fleuriste… tout sauf boucher-charcutier. [Rires] Mais je constate que quelque chose nous réunit nous tous : la passion, le goût du travail bien fait et l’honnêteté. On ne pense pas au business plan – au contraire de la nouvelle génération ou des entreprises classiques –, gagner de l’argent c’est pour nous la résultante d’un beau produit et de la satisfaction du client. cm-alsace.fr


Une machine de guerre face à la crise La Maison Luquet Par JiBé Mathieu Photo Dorian Rollin

Pour Soumia et son mari Simon à Mun­ ster, la crise et le premier confinement ont boosté leur activité. « On a eu un bon de 30% quasiment dès les premiers jours. » Dans l’esprit du couple, la raison est évidente : « Les gens ont compris qu’ils allaient rester enfermés chez eux. Puisque cela s’est accompagné du beau temps, c’était parti sur des activités d’entretien de la maison et de jardinage. » L’argument est solide. Et pas vraiment nouveau. Mais de là à supputer une transhumance massive vers son forgeron, il y a tout de même un pas, non ? « On accompagne un phénomène qui ne date pas de la crise : les gens cherchent de l’autonomie dans leur consommation. Ils cherchent aussi à comprendre le monde qui les entoure, à ne pas céder à la facilité en se ruant sur le tout fait. » Une aspiration pleinement intégrée par les créateurs du collectif Wecandoo rassemblant dans toute la France des artisans de tous les métiers qui ouvrent leurs portes au public. Pas uniquement dans l’idée de faire visiter leur atelier et présenter leur savoir-faire, mais bien pour initier les

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novices curieux et faire participer les gens à l’élaboration d’un produit, qu’il s’agisse d’un sac en cuir, une belle céramique, un parfum ou bien encore… une hache, justement avec Simon ! Au total, quarante-cinq ateliers sont proposés dans et autour de Strasbourg et plusieurs centaines dans toute la France. L’expérience utilisateur. Si le mot est très en vogue sur Internet, Soumia, qui a connu une première vie dans la gestion de projet dans le monde des startups à Strasbourg, en est convaincue : cela correspond aussi à une tendance lourde du monde de demain. « S’immerger chez l’artisan pour comprendre par les yeux et les mains comment l’objet qu’ils manipulent est fait. » « Après sa licence d’arts pla, Simon a appris le métier durant deux ans chez un forgeron, grâce à un dispositif de la ­frémaa. Puis il a travaillé à l’Ecomusée d’Alsace. C’est là que son modèle économique a pris corps, affirme son épouse au parler franc. Jusque-là, cela s’était résumé à un fantasme, celui de forger des outils et des bijoux vikings comme la plupart des forgerons qui arrivent sur le marché. Là-bas, il s’est rendu compte de l’utilité de travailler main dans la main avec celui qui utilisera l’outil, puisqu’il réparait ceux des agriculteurs et des autres artisans de l’Ecomusée. » Aujourd’hui, dans sa forge de 25 m2 Simon restaure bel et bien des outils et en fabrique d’autres. De ceux qui n’existent plus guère dans les rayons de bricolage, mais dont l’utilité n’avait pas échappé aux anciens. Car Simon aime le sur-mesure… « Comme chez Louis Vuitton », s’amuse Soumia, qu’il soit destiné au particulier à la recherche d’un outil ergonomique ou à des labels, à l’instar des Charpentiers sans frontières avec lesquels la Maison Luquet collabore à la restauration de Notre-Dame de Paris. Mais qu’on ne s’y méprenne pas. Si l’idée de favoriser une économie circulaire, une certaine idée de la décroissance, fait bien partie de leur ADN, le couple de taillandiers ne s’inscrit pas pour autant dans la mouvance anthroposophique. « Nous avons un banquier qui nous attend chaque matin. On ne peut pas troquer notre savoir-faire contre des pots de miel ! », décrète Soumia. « Dans la vielle culture artisanale, l’artisan avait l’expertise, c’est précisément ce que les gens attendaient de lui.

Aujourd’hui, dans leur esprit, le forgeron fait de la lumière et du feu dans une sorte d’animation événementielle. Pour le réindexer dans l’économie actuelle, il faut être sensible à la demande du client, savoir ce qui se trame dehors, mais aussi s’inscrire dans l’air du temps. » Surtout s’agissant des outils de communication, dans laquelle Soumia est passée experte. Quitte à bousculer, parfois. « Nous nous sommes mis à dos énormément de forgerons parce que nous manipulons les outils modernes. Pour eux, des projets comme Wecandoo reviennent à brader leur savoir-faire. À en ôter l’authenticité. Mais quelle authenticité y a-t-il à exercer un métier que l’on oublie, un métier que l’on regarde s’éteindre, sans réagir ? » Montée en 2018, sur la base d’une opération de crowdfunding au succès phénoménal, la forge de la Maison Luquet rayonne aujourd’hui depuis Munster. Au point qu’il existe un objet forgé de leurs mains sur chaque continent. « Il y a 48h encore, on me commandait une hache aux États-Unis. » À ce jour, leur plus beau coup est sans doute ce deal avec Ubisoft, l’un des champions mondiaux du jeu en ligne, éditeur d’Assassin’s Creed. « Pour la sortie du jeu, ils nous ont commandé quarante haches uniques destinées à des press kit ultra VIP pour des YouTubeurs et des influenceurs. » À moins que leur percée la plus notable soit à chercher du côté des enjeux sociétaux, relève brusquement Soumia. « Peu de forgerons masculins toléraient ma présence. De leur point de vue, j’étais juste là pour développer la communication de Simon. Du coup, il m’apprend à forger. Je suis son frappeur. » Une amie qui travaille le cuir lui confectionne un tablier de forgeron bleu. Un autre ami photographe publie des photos sur Facebook. « Il y a eu une réaction immédiate. Cette publication a suscité plus de likes encore que la hache d’Assasin’s Creed. » Comme quoi, l’authenticité… lamaisonluquet.eu


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Adopte un costume ! Atelier La Colombe Rita Tataï  1

Par JiBé Mathieu Photo Simon Pagès

40 ans que Rita Tataï œuvre dans le costume depuis sa boutique-atelier à la configuration improbable. Elle emploie sept personnes et travaille aussi bien pour des particuliers que pour des compagnies théâtrales, des cinémas ou des parcs d’attraction, à l’instar d’Europa Park, sa plus belle commande. L’Atelier de la Colombe a réalisé les costumes de la nouvelle parade, en 2019. En plein dans l’événementiel. Mais la crise a mis ce bourdonnement festif au point mort. « On travaille avec des personnes considérées comme moins essentielles. Même les particuliers sont priés de ne plus s’amuser en reportant leur mariage ou leur anniversaire… », argumente, un peu amère, Aurélie, qui travaille au développement de l’entreprise depuis trois ans. 2020 a été une année particulièrement frustrante. « Les locations ont été annulées les unes après les autres pendant le carnaval, puis est survenu le confinement. » Si le déconfinement n’a pas permis de relancer l’activité, la suite n’aura été qu’une longue et morne plaine. « Halloween, Noël, tout était au point mort ! » D’où cette idée de procéder au déstockage de plus de 1 000 pièces. « C’était vital, notre seule rentrée d’argent. Nos costumes retrouvent une nouvelle famille, cela nous a permis de respirer. » Pour s’y retrouver parmi le labyrinthe de penderies et de portants qui tapissent les lieux, mieux vaut être accompagné d’un bon guide. « Cela a suscité beaucoup de rires et d’émotion de tout inventorier, de tout étiqueter… » Des costumes de femmes et d’hommes, quelques-uns pour enfants, dont les prix se sont échelonnés de 25 à 250€. « Cela ne représente parfois qu’un dixième de la valeur du produit », poursuit notre interlocutrice. Un silence. Suivi d’un soupir, puis d’une bouffée d’optimisme. L’opération a été un succès, un tiers des costumes ayant trouvé preneurs. « Nous sommes contents d’avoir eu autant d’adoptants. Certains acquéreurs nous donnent même des nouvelles de nos costumes ! », s’enthousiasme

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Rita Tataï. De quoi mettre un peu de baume au cœur de la couturière, dont les échéances sont sans cesse repoussées. Si cette campagne « d’adoption » aura fait de la place sur les portants, elle aura aussi stimulé la créativité. « Nous essayons de repenser l’atelier d’après-Covid en montant en gamme. Dans notre domaine, on ne peut pas se réinventer dans le numérique ! » atelierlacolombe.fr gehts-in.com

Une arche contre la solitude La CabAnne des Créateurs  2+3

Par JiBé Mathieu Photos Simon Pagès

Il y a cinq ans, Anne Klarer montait dans l’ancienne gare de marchandise de Bischheim (aujourd’hui située sur la commune voisine de Schiltigheim) un tiers-lieu d’un nouveau genre : 400m2 où accueillir celles et ceux qui créent de leurs mains. Tout est parti d’un besoin. Le sien. Après une formation en fonderie d’art, la jeune femme cherchait un lieu à mutualiser. Elle constate alors que ce concept n’existe pas dès lors que le travail requiert du matériel plus lourd ou bruyant ; l’idée naissait de créer un espace dédié à la bricole. La CabAnne met à disposition en le louant au mois tout le nécessaire pour « créer, fabriquer, coller ou rénover », qu’il s’agisse d’une perceuse ou d’une ponceuse, d’un four à céramique ou d’une imprimante 3D. Avant que la crise ne fige les énergies, vous pouviez trouver ici en journée graphiste et illustrateur, webdesigner et céramiste, couturière et réparateur de vélo.

Bien sûr, la crise a mis à mal bon nombre de ces modèles économiques fragiles. Et si la CabAnne a stoppé ses ateliers, goûters, formations et séminaires d’entreprises et déjà hébergé jusqu’à sept artisans, « là, on est plutôt sur quatre ou cinq », reconnaît sa fondatrice. Fin octobre, la CabAnne a été labellisée « Fabrique de Territoire ». Grâce à ce dispositif, Anne voit s’ouvrir de nouvelles portes : « L’idée est de créer une formation longue d’éco-conception numérique afin d’amener les jeunes décrocheurs ou les personnes en reconversion à l’utilisation des outils numériques. » Une aide aussi dispensée à des seniors, pour l’heure mise en sommeil par la crise. Alors qu’elle désespérait de voir ses projets freinés par le Covid, Anne obtient l’autorisation par la Préfecture d’ouvrir gratuitement aux publics fragiles début janvier. Plutôt que d’axer son programme sur les jeunes décrocheurs, elle décide alors d’éviter le décrochage aux étudiants, eux-mêmes marginalisés par la déferlante sanitaire. « Même des médecins m’ont appelée pour me dire qu’ils avaient des jeunes en détresse et que cette aide pouvait réinsuffler de l’énergie… » Des échanges naissent forcément entre étudiants et artisans, notamment durant la pause déjeuner, « comme au bon vieux temps » et malgré le strict respect des gestes barrières. « Ces rencontres redonnent espoir. » la-cabanne-des-createurs.com


Vente en ligne oui, mais après ? Xavier Noël Par JiBé Mathieu Photo Simon Pagès

Xavier Noël ne passe plus autant de temps qu’avant dans son atelier. « Avec cette crise, c’est compliqué de se remettre au travail, assure l’artiste de 37 ans. Cela fait une dizaine d’années que je suis artisan. Janvier est toujours une période un peu creuse, mais là, nous sommes en février et je n’ai toujours pas retrouvé le moteur. » Passé du métier d’art à la création artistique, Xavier Noël s’est formé via la restauration de cadres chez un Meilleur Ouvrier de France. Après des débuts en enseignement à la fac d’art plastiques, le fait d’avoir constamment le nez dans les bouquins l’assèche. « J’aime avoir les mains dans la matière, c’est pour cela que je suis devenu artisan. » Chez son maître aussi, le doute s’installe très vite. Sans réseau ni débouchés pour se tailler une place dans le milieu fermé de la restauration classique, Xavier Noël assure que « la création artistique s’est imposée ». Après avoir ouvert son atelier en 2012, le jeune homme commence à travailler autour du masque deux ans plus tard. « Mon inspiration est très large. On parle de masques traditionnels, pas nécessairement africains, d’ailleurs. Mais je ne fais pas de pastiche et je suis très attentif à la notion d’appropriation culturelle. En réalité, je m’inspire beaucoup de la pop culture (ayant grandi dans les années 1980-1990), une source à laquelle j’ajoute des techniques d’ornementation du XVIIIe siècle. » Si au fil du temps, Xavier Noël a su se constituer une clientèle de particuliers, il travaille aussi avec les centres d’Art.

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Ainsi, en 2018, l’artiste élabore une grande installation baptisée Solstice à l’abbaye royale de Fontevraud, « un dragon de 45 mètres de long ». À partir de mars 2020, il voit les événements sur lesquels il est attendu annulés. « J’ai eu le sentiment de me faire licencier cinq fois ! » S’ensuit une situation économique désastreuse, malgré les aides. « J’ai perdu 78% de mon chiffre d’affaires durant cette période. » À tel point que lorsque survient une nouvelle annulation pour une expo d’envergure prévue à la villa Noailles à Hyères, Xavier Noël se décide à franchir le pas et à vendre en ligne, alors qu’il s’y était toujours refusé. « J’ai demandé conseil à une amie dont la boutique en ligne fonctionnait bien et je me suis lancé. Les outils de e-commerce à notre disposition sur Internet sont très efficaces. Il m’a fallu à peine trois heures pour monter la boutique et organiser une vente éphémère de mes petites pièces. » Une promotion via Instagram et c’est l’effervescence. « En un quart d’heure, j’avais vendu dix pièces. Certaines commandes venaient de Hong-Kong, de Californie ou du Canada. En 24 heures, tout était parti !, se souvient-il avec surprise. Cela m’a convaincu de reproduire ce type d’événement une à deux fois par an. Le fait de concentrer cette activité sur un laps de temps assez court me permet de m’organiser. » Emballer, expédier, suivre les colis requiert en effet une mobilisation de tous les instants. De quoi insuffler à l’atelier de l’artiste une bouffée d’oxygène. « Dans la création, trouver l’inspiration est déjà en soi quelque chose de difficile. Cette crise a un effet anesthésiant. » Pour couronner le tout, Xavier Noël s’est vu notifier l’obligation de quitter son atelier pour la rentrée 2021, le bailleur de son local ayant décidé d’en changer la destination. Un mal pour un bien ? À condition de trouver un nouveau lieu approprié. Et que cette crise desserre enfin son étau. atelierxaviernoel.fr


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LE GAVEUR DU KOCHERSBERG F E R M E NON N EN M AC H E R Produits du Terroir & Foie Gras d’Alsace

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Nourrir


Michel-Jean Amiel PÂTISSIER

Par Lucie Chevron / Photos Jésus s. Baptista

Une rencontre, parfois, suffit à chambouler toute une vie. Pour le pâtissier de formation Michel-Jean Amiel, c’est celle de sa femme Caroline, qui deviendra son épouse. Franco-libanaise, elle lui fait découvrir les arômes gourmands de son pays natal. Après de nombreux séjours dans tout le Moyen-Orient, où il transmet les bases de la pâtisserie française et découvre de nombreuses saveurs, le couple rentre définitivement en France. En 2003, la pâtisserie Amande & Can­ nelle ouvre le rideau, portée par une devise : « l’art d’être différent .» Et pour cause, c’est dans le mariage entre Orient et Occident et la rencontre entre tradition et innovation que le pâtissier excelle

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depuis maintenant 18 ans. Délicatement disposées dans les vitrines, les cornes de gazelle et makrout croisent les tartes au citron et Paris-Brest. Créateur sans limite, Michel-Jean Amiel conçoit aussi ses propres recettes, mariant avec finesse au sein d’un même gâteau deux univers et leurs saveurs rarement confrontées. Son best-­seller du moment ? Le Beyrouth, un entremets enivrant et parfumé composé d’un « fond sablé, d’une confiture de framboise, d’un biscuit à la pistache, d’un flan à base de fleur d’oranger, d’eau de rose et de meské, une résine d’arbre cultivée sur l’île de Chios ». Chez Amande & Cannelle, « tout est fait maison et avec des produits nobles. C’est la matière

première qui donnera un gâteau de qualité. » Quand il n’achète pas local, il se procure des épices exotiques tout droit importées de leurs pays d’origines. Dans sa cuisine, Michel-Jean abaisse la pâte, cuit à la nappe ou fonce ses tartes avec toujours la même envie, celle de « faire voyager le client vers des arômes inconnus ou pour lui rappeler des saveurs d’antan, celles de sa jeunesse. Chaque pâtisserie raconte une histoire. » Quelle soit curieuse ou plutôt classique, la clientèle en tout cas, est fidèle. Et désormais, chocolats et produits salés sont aussi de la partie. Amande & Cannelle 8, rue du Travail à Strasbourg amandecannelle.fr


Jacqueline Riedinger-Balzer BOUCHÈRE ET TRAITEURE Par Déborah Liss / Photos Pascal Bastien

« On peut vraiment avoir une belle carrière dans l’artisanat », estime Jacqueline Riedinger-Balzer en pensant à l’un de ses fils qui l’a rejointe « sur le tard », à 30 ans. Une manière aussi de convaincre celle qu’elle était à la fin des années 70 : ne voulant pas faire le même métier que ses parents, fondateurs des boucheries Riedinger à Vendenheim puis à Mundolsheim, elle avait entamé des études de droit. Finalement, en rencontrant son mari Charles, boucher, elle s’est dit qu’il serait plus pratique de travailler ensemble. Alors, elle rejoint toute la bande en 1982. « Il a fallu trouver ma place et faire mes preuves. » Elle se retrousse les manches et choisit de se distinguer en prenant également

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la casquette de traiteure. En 1996, elle prend la direction de l’entreprise, marchant en quelque sorte dans les pas de ses aînées : « Ma grand-mère tenait déjà les rênes de l’entreprise, et ma mère les cordons de la bourse. Mon père a fini par reconnaître que j’avais des talents de dirigeante. » Elle consacre la décennie suivante à faire grandir sa marque, en ouvrant une troisième boutique à La Wantzenau et en rénovant les autres. En parallèle, elle s’engage pour la défense de sa profession en entrant à la Corporation des Bouchers. Depuis 2020, elle est Présidente de la Confédération internationale. Une façon de « sortir un peu de chez soi ». La pandémie ayant mis fin aux voyages, elle apprécie le

fait d’avoir dû « revenir aux sources » et d’être ainsi plus proche de ses équipes. Et de ses fils, Samuel et Simon, ses futurs successeurs. Elle sait qu’ils feront honneur à ses principes : favoriser le circuit court, produire de la charcuterie plus saine… Mais aussi échanger avec les clients, les écouter, bref, coller aux évolutions de la société. Par exemple en conseillant de manger moins de viande, mais de qualité. Pour Jacqueline, être artisan, c’est s’adapter. Boucherie-Charcuterie-Traiteur Riedinger-Balzer 5, rue du Général Leclerc / Vendenheim 2, rue de la Gare / Mundolsheim 24a, rue du Gén. Leclerc / La Wantzenau riedinger-balzer.fr


Nicolas Kretz DISTILLATEUR

Par Déborah Liss / Photos Jésus s. Baptista

C’est autour d’un dîner (arrosé ?) et inspirés par l’essor des distilleries indépendantes aux États-Unis que Nicolas Kretz et trois amis ont eu l’idée de ­lancer une distillerie urbaine à Strasbourg. Passion­nés de spiritueux, ils ont voulu créer les leurs : ce sera de la vodka, deux gins et un « esprit de malt » (un whisky sans l’appellation officielle). Installés au Neuhof, Nicolas, Arnaud, Chloé et Julien se partagent les tâches de leur jeune entreprise lancée fin 2019, tout en ayant gardé un travail à côté. Nicolas est intérimaire, ce qui le rend plus flexible. C’est lui qui met les mains dans le cambouis, ou plutôt dans l’alambic. Si, plus jeune, il aidait ses grands-parents à faire de l’eau de vie de mirabelle, il a voulu se

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former aux spiritueux à Cognac. Une à deux fois par mois, il distille un alcool à 96 degrés, où ont macéré des aromates pendant 24 heures (du genièvre pour le gin, puis, à loisir, du tilleul, de la sauge, de la coriandre…). 4 jours de ce travail donnent 700 bouteilles… que la fine équipe n’a aucun mal à écouler, ­malgré une première année mouvementée : « On travaille surtout avec les cavistes et les épiceries fines, et les clients peuvent passer commande directement sur Inter­ net », indique Nicolas. Ceux-ci ne se sont pas fait prier, surtout à l’approche de Noël, pour rafler les 350 bouteilles d’esprit de malt. Un engouement bienvenu pour ce projet unique, 100% bio, fait dans la joie et le respect des circuits

courts : « On travaille principalement avec Les Jardins de la Montagne verte pour les aromates. On y trouve même des géraniums rosat [qui donne ce goût unique à leur gin « Rosa », ndlr] et de la lavande », se réjouit Chloé. « Bendorf nous fournit en moût et on a développé l’esprit de malt avec eux. » À l’avenir, ils espèrent étendre leur gamme : « On aimerait bien ne faire que ça et intégrer une nouvelle personne », sourit Nicolas. C’est tout le mal(t) qu’on leur souhaite. La Distillerie de Strasbourg distillerie-strasbourg.com


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DOSSIER

Notre pain quotidien Par Cécile Becker

Photo Pascal Bastien

Considéré dès le début de la crise Covid comme un commerce essentiel, la boulangerie alimente quotidiennement notre besoin de liens. Mais, économiquement, la situation semble être plus contrastée que prévu. En parallèle, le secteur subit de profondes mutations avec l’explosion du bio et la déferlante de pains aux levains naturels qui remet en question jusqu’à son rythme.

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Photo Jésus s. Baptista

marquer sa différence. Chez Woerlé, nous proposons par exemple de la viennoiserie végane, et ça fonctionne bien. On fait aussi la différence sur la variété des pains, les farines, l’utilisation de levain. Chaque boulangerie, chaque levain a sa signature, comme ici. C’est aussi avancer avec le terroir et le local : le pain de Strasbourg n’est pas le même que celui de Montpellier, et être transparent sur l’origine de nos produits. Le snacking reprend clairement du poil de la bête ces dernières années.

Grégory Braun Gérant de Woerlé et membre de la Fédération des Boulangers du Bas-Rhin La boulangerie a-t-elle tiré son épingle du jeu au cœur de la crise, économique parlant ? Pas tant que ça. En fait, celles qui s’en sont le mieux tiré sont les boulangeries en cœur de village. En ville, il y a aussi de nombreux supermarchés : autant de possibilités d’aller acheter son pain ailleurs. D’autant que les boulangeries de centreville tirent une partie de leur chiffre d’affaires des produits de snacking (salades, sandwichs, etc.) et de pâtisserie. En revanche, ce qu’on note, c’est que beaucoup de clients sont venus chercher en boulangerie les interactions sociales. Ça a clairement renforcé nos liens avec la clientèle.

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Comment expliquer l’explosion du bio, du levain naturel, des produits sans gluten et vegan ? On ne peut pas ignorer l’arrivée de la grande distribution sur le marché du pain de proximité, des enseignes qui proposent du pain chaud à toute heure ou les hypermarchés qui embauchent des boulangers et se réclament de l’artisanat. Il y a eu une perte de part de marché, donc certainement une remise en question. Là où les boulangeries artisanales se démarquent, c’est la qualité, la traçabilité du produit, l’écoute des besoins des consommateurs – la proximité est une force que ces enseignes n’ont pas. Comment répondre à la grande distribution ? Si je prends l’exemple de la viennoiserie, le surgelé est très présent, que ce soit en boulangeries artisanales ou dans la grande distribution. C’est typiquement l’endroit où chaque boulanger peut

Les pains spéciaux ne sont-ils pas en train de grignoter notre baguette nationale  ? C’est sûr qu’il y a une demande forte de pains spéciaux. Mais la baguette reste un produit phare, culturellement [elle est candidate pour entrer au patrimoine immatériel de l’Unesco, ndlr] et un symbole. Woerlé est une boulangerie centenaire. À votre arrivée, comment avez-vous fait bouger les lignes ? L’important, c’est surtout de bien s’entourer. Trouver les compétences aujourd’hui n’est pas aisé. Lancer la viennoiserie faite maison, il fallait le faire et le faire bien, nous sommes montés en gamme en termes de pâtisseries, en phase avec les saisons et en proposant aussi du vegan. Faire bouger les lignes, c’est juste replacer le client au centre, ce que la boulangerie devrait toujours avoir à l’esprit. L’important, c’est que ça plaise, il ne faut pas l’oublier. 10, rue de la Division Leclerc à Strasbourg boulangeriewoerle.com


DOSSIER

La boutique du Fournil Kristof 2, ruelle des Pelletiers Strasbourg Aux marchés de la Marne, Neudorf, Krutenau, Broglie et Robertsau

Photos Pascal Bastien

Sélection d’épiceries et boutiques bio en Alsace à retrouver sur fournil-kristof.com

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Fournil Kristof Il est loin, le temps où Christophe Rostalski débarquait sur le marché de la Marne deux parasols et trois tables sous le bras pour vendre sa production de pains au levain. C’était en 2013. « Quand je suis arrivé sur le marché, il n’y avait pas d’artisan boulanger bio. J’ai repris l’emplacement d’un boulanger qui, en 2014, cherchait à revendre son fournil dans lequel nous sommes installés aujourd’hui, à Mundolsheim. C’était clean et bien situé. » Rapidement, il ne peut plus assurer le rythme des marchés seul. Il embauche des boulangers et vendeurs jusqu’à trouver son rythme de croisière entre les marchés strasbourgeois et les livraisons d’épiceries, fermes et supermarchés bio. Ses choix ? Façonner de gros pains au levain naturel, les vendre au poids – à l’époque, c’était surprenant – et préférer les marchés. « Le marché, c’est aller vers les gens, c’est la plus ancienne méthode de vente, la plus écologique aussi. C’est l’humain et la diversité. » C’est aussi comme ça qu’il a appris. Après un parcours ahurissant – il a bossé dans le bâtiment, a été accompagnateur de randonnées à cheval, moniteur, livreur, charbonnier, cuistot –, il trouve son bonheur dans la boulangerie après une semaine en immersion dans

le sud. Il passe par Turlupain dans les Vosges puis revient dans le sud où le boulanger lui propose de développer la partie « marché ». Il intègre la fameuse École internationale de boulangerie, une référence dans le milieu du bio et du levain qui accompagne également ses élèves dans la structuration de leur projet – ce qui reste extrêmement rare dans les formations artisanales. Si le levain l’intéresse, c’est avant tout parce qu’il est exigeant : « Et sauvage. De la farine, de l’eau et ça marche. La fermentation est plus longue, et plus elle est longue, plus les arômes se développent. Il demande de travailler avec des farines de qualité, ce qui replace le travail dans une éthique par rapport à la filière paysanne. Et puis je voulais façonner à la main. » Grand bien lui fasse, parce que c’est le toucher qui détermine le tout. Les boulangers s’adaptent à son taux d’humidification, son élasticité, et même son repos. Comme le pain au levain a besoin de se reposer « une nuit, c’est mieux », pour que la croûte et la mie échangent encore leurs saveurs après cuisson, les boulangers Kristof ne travaillent pas de nuit. À partir de minuit, les livraisons commencent. Aux revendeurs, aux marchés toujours et à la boutique depuis peu, où Christophe Rostalski tente de nouvelles expériences en proposant des fromages de qualité et bientôt, une belle carte de snacking…


Photo Christophe Urbain

La Boul’ange La Boul’ange, on en est vite tombé amoureux. Comme Maurizio, le boulanger et co-fondateur, tombé corps et âmes dans le levain. Il ne peut d’ailleurs s’empêcher de nous faire un petit cours : « Le levain se nourrit du gluten et de l’acide phytique et transforme le tout en vitamines. Le pain est donc plus riche et nourrissant et ça le replace aussi comme un aliment alors qu’il est longtemps resté un accompagnement. Le levain, c’est aussi un savoir-faire qui s’est perdu, la transmission ne s’est pas faite. » La faute à l’industrialisation et à l’impatience : il faut tout, tout de suite, et que les produis se ressemblent. Tout l’inverse du levain qui demande du temps et qui porte en lui le terroir, le savoir et la patte du boulanger. Quand il n’est pas 45

prêt, il n’est pas prêt, c’est comme ça. Il demande de changer son rythme de vie. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la plupart des boulangers-patrons, fervents défenseurs du levain, sont passés par une reconversion : c’est le cas de Maurizio, ancien comptable, et aussi de Christophe Rostalski (Kristof ), auprès duquel notre boul’ange gardien a parfait sa formation débutée à l’École internationale. Comme si mettre les mains dans le levain permettait de retrouver le temps et le sens. Le lien quoi. Et comme ailleurs, le levain dicte tout. C’est d’ailleurs presque un travail de chimiste. À La Boul’ange, tout le travail est organisé autour de lui. Le repos et le rafraîchi du levain, les 24 heures de pousse de la pâte, ça demande de la place et tout un agenda de production. Alors ici, on a fait le choix judicieux de proposer, en plus d’une gamme permanente, un pain spécial par jour – dont du pain sans farine de blé – et une sélection de dessert et pâtisseries de saison. Celles et ceux qui ont croqué leurs beignets savent de quoi on parle :

tout est finement travaillé et équilibré. Leur sandwich focaccia, leur stolle, leur pain à l’épeautre, au blé khorasan, leur croissant… Tout est bio et sourcé au poil avec un penchant gourmand. Alors c’est sûr, le fonctionnement peut surprendre mais paraît aussi beaucoup plus raisonné, respectueux de la matière première et du travail du boulanger. Un autre rapport au pain, un autre rapport au temps, « une autre philosophie de vie, plus humaine », défend Maurizio. Et cette vision, précise et implacable, sa femme Liliane, souvent en boutique, la porte haut et fort et avec une fierté sans pareille. « Revenir aux choses essentielles. » E basta. 4, rue de la Brigade Alsace-Lorraine à Strasbourg 03 88 35 59 89


DOSSIER

La boulangerie JK. Photo : Estelle Hoffert

+ de boulangeries

Maison Hirose. Photo : DR

Turlupain | Orbey + Saales La boulangerie est une référence, et, à notre connaissance, pionnière dans la région. Depuis 1993, elle pratique le bio et le levain, et cuit ses merveilles au four à bois. Superbe. Notre préféré ? La boule aux graines. turlupain.com Biocoop Coquelicot | Strasbourg Quand même, la Biocoop Coquelicot a eu le nez creux en proposant les pains de tous les meilleurs boulangers de la région, Turlupain et Maison Hirose notamment. biocoop.coquelicot.bio Maison Hirose | Colmar + Sélestat Une boulangerie pâtisserie francojaponaise issue d’une rencontre entre deux amis : Naoto Hirose et Paul Petersen. On raisonne ici en termes de création et de rigueur. Le pain est bio et façonné à la main. hirose.fr

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Pain noir plain blanc | Schiltigheim + marchés et magasins bio à Strasbourg L’un des fondateurs a été formé chez Kristof, et comme chez Kristof, leurs pains sont au levain, vendus au poids, en grande partie sur les marchés. Ils sont délicieux même si le meilleur, le Sechskornbrot est infiniment difficile à prononcer. painnoir-painblanc.f La boulangerie JK | Val-de-Moder Jérémy Kraemer l’a voulu, retourner au pain d’antan. Bingo. Des farines françaises, of course, du levain naturel bien sûr, des pains 100% petit épeautre, du khorasan, un joli Tour de mains (seigle, blé, épeautre et une pluie de graines) – et bien plus encore. Pour les allergiques et autres intolérants, Jérémy travaille toute une gamme de produits à base de farines sans gluten ajouté. Le + ? Sa carte sucrée/salée vaut absolument le détour. 09 87 41 77 58


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Et également sur les marchés de Brumath, Reichshoffen, Niederbronn et Les Jardins du Rottweg


C’est quoi cette bouteille de lait ? Par Valérie Bisson Photos Christophe Urbain

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Akareva, c’est un atelier-pressoir né en pleine crise sanitaire et créé par Matthieu Gru, entrepreneur doublé d’une conscience écolo. Le principe ? Des laits végétaux, jus de fruits et légumes pressés le jour même et une sélection de précieuses huiles françaises. Le tout livré à domicile. Récit d’une ascension.


Des jus et laits végétaux livrés chez vous, chaque jour ? La vision nous rappelle, au choix, les séries américaines ou kes habitudes d’antan. Un circuit ultra court, des déchets minimes – les bouteilles en verre sont consignées –, des déplacements en vélo-cargo ? Tout ça en même temps. ­Akareva a tout d’un projet ­d’avenir. Et ça, Matthieu Gru le pressentait. Fils d’agriculteur, ancien kayakiste de haut niveau, globe-trotter et touche-à-tout mais surtout fervent défenseur de la cause planétaire, c’est en 2015 que Matthieu pose ses valises à Strasbourg et commence sa vie de créateur d’entreprise. Une première aventure le conduit dans la pépinière d’entreprises de Hautepierre, où la cohabitation avec des start-ups technologiques lui est bénéfique. Il revend sa première création en 2018, un tapis de course en bois fonctionnant sans électricité. Temps de pause pour Matthieu qui avoue s’être pris les réalités de chef d’entreprise de plein fouet. Après un séjour de quelques mois en Asie, le génie de l’innovation le saisit à nouveau. Il se penche sur le sujet des jus

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industriels, de l’effet de la culture des matières premières jusqu’à l’impact des emballages. Matthieu teste, va visiter des usines, imagine… La prise de conscience s’est faite progressivement : « Il y a quelques années, j’étais loin d’être un exemple écologique mais quand j’ai commencé à développer mon tapis de course sans moteur, je voulais montrer qu’on n’avait pas besoin d’électricité pour ­courir, que ce genre de non-sens est néfaste pour la planète sur le long terme. Je suis aussi fils d’agriculteur, j’ai grandi à la campagne au milieu des champs, je sais à quel point les paysans travaillent dur pour un ­revenu souvent inférieur au Smic, le bio peut ­aider à valoriser leur travail. Nous devons revoir notre budget alimentation et notre vision des prix afin de créer un modèle de consommation plus respectueux et durable. Je m’intéresse beaucoup aux évolutions de la société et j’ai compris que le recyclage est une impasse. L’écart ne fait qu’augmenter entre le nombre de déchets que nous produisons et ceux que nous ­arrivons à recycler. » En d’autres termes : le bac jaune ne suffit pas.

Et ce n’est pas tout. Matthieu se rend compte que quasiment tous les laits végétaux et les jus sont industriels, 100% pasteurisés, les micronutriments ont disparu et les emballages génèrent une pollution monstrueuse. Il teste alors des recettes de laits végétaux et de jus de fruits et légumes chez lui, il y prend goût, ses amis aussi. Fin 2020, Matthieu se lance dans la phase de développement, il choisit minutieusement ses fournisseurs, développe le concept, soigne la communication, achète un pressoir en inox pressant à froid afin de conserver toutes les qualités nutritives de ses fruits et légumes, des noisettes, des amandes, de l’avoine et du chanvre. Il migre Plaine des Bouchers pour structurer sa boîte, les commandes, elles, affluent et se maintiennent, malgré les confinements et couvre-feux successifs. Un procédé au poil Pour élaborer ses jus saisonniers, il se fournit exclusivement auprès de producteurs de fruits et légumes locaux. Pour les laits végétaux, c’est la meilleure


solution qui s’impose ; l’avoine provient du sud de la France (la transformation en flocons n’existe pas en Alsace) et les amandes d’un producteur situé près de Valence, en Espagne. Le chanvre (considéré comme un “super-aliment”) est quant à lui 100% alsacien et son lait, très doux et crémeux, rencontre un beau succès sans dépasser, bien sûr, le lait d’amande, indétrônable. Deux nouvelles formules viennent tout juste de voir le jour : un chai latte inspiré de l’alimentation ayurvédique et un lait de noisettes torréfiées, aux arômes plus corsés. Les laits sont sucrés au miel toutes fleurs bio 100% Alsace. Les jus déclinés en trois ou quatre façons découlent des saisons et les huiles provenant de producteurs français, sont pressées à froid – l’huile de chanvre est made in chez nous. Là aussi la qualité est optimale. Le projet de Matthieu est pensé sur une amélioration constante et pérenne, œuvrant chaque jour à créer un nouveau modèle de consommation plus durable, à construire un avenir meilleur pour notre santé et celle de la planète. La distribution est aujourd’hui en pleine progression, grâce, notamment, au bouche-à-oreille, et le nombre de commandes a doublé depuis janvier. Elle touche essentiellement des particuliers mais aussi quelques entreprises. L’équipe se structure et se renforce avec, déjà, des postes dans la communication, la recherche et le développement, la préparation et la livraison qui couvre des créneaux ultra-larges du lundi au samedi de 12h à 22h. Tous les jours, c’est la même routine : les commandes passées jusqu’à 21h la veille sont préparées, pressées, embouteillées, siglées et prêtes à partir. Pas de stock, pas de gaspillage alimentaire, très peu de pollution : qui dit mieux ? e-shop : akareva.com

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ZUT ARTISANAT  |  NOURRIR | Reportage

« Je m’intéresse beaucoup aux évolutions de la société et j’ai compris que le recyclage est une impasse. L’écart ne fait que d’augmenter entre le nombre de déchets que nous produisons et ceux que nous arrivons à recycler. »


MADE IN ALSACE !

BIEN PLUS QU'UN MARCHAND DE THÉ BIO ET ÉQUITABLE UNE PME FAMILIALE, ARTISANALE ET INDÉPENDANTE DEPUIS 1994 Précurseurs du thé bio et équitable en France, Les Jardins de Gaïa ont depuis préservé leurs valeurs initiales et étendu leur savoir-faire au-delà des frontières de l’Alsace où sont situés leurs locaux. Distribués en France et à l’international, le marchand de thé se démarque par sa créativité, ses engagements forts auprès des producteurs et pour la préservation de la biodiversité.

UN SAVOIR-FAIRE UNIQUE DU JARDIN DE THÉ À LA TASSE Fortement attachés à la qualité des thés, tisanes et épices qu'ils mettent sur le marché, Les Jardins de Gaïa connaissent parfaitement le terrain et suivent de près les producteurs chez qui ils se fournissent. Cela leur permet de développer des thés uniques et pour certains exclusifs. Du thé, conditionné à la main, aux arômes 100% bio en passant par les aromates (fruits, fleurs, épices), chaque ingrédient est considéré individuellement pour ses qualités organoleptiques. Pour Les Jardins de Gaïa, un arôme n'a pas pour vocation de cacher le goût du thé, mais au contraire de le révéler.

UNE PASSION QUI SE PARTAGE ET SE TRANSMET Dans la Maison de thé à Wittisheim, entourée d'une bambouseraie et de 6 jardins zen, ou à l'École de thé, la passion de ce produit noble se transmet et se partage sur place ou en ligne. Botanique, histoire, techniques d'infusions et de dégustations… vous saurez tout sur cette boisson millénaire, née voilà plus de 5000 ans en Chine ! 6, rue de l'écluse - FR67820 Wittisheim - Tél. +33 (0)3 90 56 20 20 -


Propos recueillis par Corinne Maix

En Alsace, tout le monde connaît les chocolats Stoffel. Entre tradition et modernité, la chocolaterie familiale, qui a aujourd’hui la taille d’une PME, sait se réinventer, en remettant au cœur de sa stratégie le savoir-faire de ses artisans chocolatiers. Entretien en deux temps.

Photo : Nis & For

La boîte à chocolats


Déguster Géraldine Gony Maître chocolatière Vous exercez ce métier depuis 35 ans. Quelles sont les qualités nécessaires ? On vient à ce métier pour la passion du chocolat et la créativité. La formation classique, c’est un CAP de confiseur chocolatier, puis un brevet de technicien et un brevet de maîtrise. Mais, tout au long de sa carrière, on apprend de nouvelles techniques, parce que les tendances et les produits changent. Ma dernière formation bean to bar permet littéralement de fabriquer son chocolat depuis les fèves de cacao. C’est un savoir-faire supplémentaire par rapport à l’artisan chocolatier qui fond et travaille du chocolat, fabriqué par un autre. J’aime ce métier exigeant qui demande beaucoup de minutie, de patience et de goût. Comment naissent les nouvelles idées et les nouvelles recettes ? Le monde du chocolat se renouvelle tout le temps. Une idée peut naître au restaurant en découvrant un mariage de saveurs, lors d’un voyage ou suite à une rencontre. Elle peut aussi être inspirée par de nouvelles matières, un jeu sur les textures et les dernières tendances. Actuellement, on désucre, pour mieux se faire plaisir. À partir d’une idée ou d’un croquis, la création s’élabore en laboratoire, après de multiples essais… Chez Stoffel, nous avons la chance d’être une brigade de dix chocolatiers, ça permet les échanges ! À Noël, nous avons lancé un chocolat au lait vegan, avec du chocolat de Madagascar à 46% et du lait d’amande, qui apporte une note ­grillée. Nous venons de sortir une guimauve à l’hibiscus, légère et aérienne, sans colorant ni arôme artificiel. Dommage que nous ayons du mal à recruter des jeunes chocolatiers, car c’est un métier mixte, où on ne s’ennuie jamais.

Du croquis préparatoire à la vente d’une nouveauté, quelles sont les étapes ? La production reste très manuelle. Les chocolats sont fondus, assemblés, mélangés, puis on coule et on étale les masses. Pour réaliser des bonbons, le chocolat est découpé avec une guitare. C’est seulement ensuite qu’une enrobeuse dépose un rideau de chocolat sur la bouchée. Il est alors décoré à la main, puis mis en ballotins. Pour réaliser nos moulages décorés, comme à Pâques ou à Noël, les chocolatiers réalisent les collages avec une grande minutie ; il faut avoir le sens du beau !

Vendre Martine Stoffel Directrice générale Comment votre chocolaterie a-t-elle traversé cette crise inédite ? Après la sidération, nous avons voulu tirer quelque chose de positif de cette situation. Le premier confinement nous a donné l’opportunité de prendre du recul, dans une période de Pâques, où habituellement nous travaillons à plein régime. Nous avons avancé sur nos projets digitaux et l’essor des commandes en ligne a fait naître une grande solidarité. Tous les salariés ont continué à travailler, sans chômage partiel. Les livraisons à domicile en Alsace et le drive ont mobilisé une énergie incroyable et l’apprentissage de nouveaux métiers. Comme nous travaillons aussi pour des chocolatiers et à l’export, il a fallu s’organiser pour assumer toutes les commandes. Nos clients aussi ont fait preuve d’une grande solidarité, quand ils ont « adopté » nos lapins de Pâques au mois de juin ! Nous avons de la chance, car notre longévité a créé un attachement à la marque Stoffel.

Quelles sont les recettes de cette histoire qui dure depuis près de 60 ans ? Peut-être d’abord une clientèle diversifiée : la clientèle de proximité qui vient acheter dans nos boutiques, la clientèle touristique de la Chocolaterie du ­V ignoble à Ribeauvillé, les clients de toute la France – et parfois de l’autre bout du monde – qui commandent en ligne, les associations et les revendeurs professionnels qui n’ont pas les ressources pour fabriquer leurs propres chocolats. Nos points de vente nous fournissent les meilleures études consommateurs. Ils nous permettent de tester nos nouveautés, et elles sont nombreuses, grâce à notre brigade de maîtres chocolatiers. Quand on travaille une matière première du bout du monde et à grande échelle, peut-on être une entreprise responsable ? La chocolaterie Stoffel a pris depuis longtemps un virage équitable et éco­ responsable. Notamment dans le choix de chocolat équitable avec l’association Equaterra, qui aide les petits producteurs. Ou à travers les actions que nous menons en faveur des planteurs de cacao camerounais depuis plus de 15 ans, ou dans une autre structure en Amérique Centrale. En tant qu’entreprise familiale, nous avons une démarche très volontaire, mais discrète, et sommes vigilants aux gestes écoresponsables du quotidien : nous nous approvisionnons majoritairement en produits bio et en énergie verte, gérons nos déchets, travaillons sur des emballages éco-sourcés… Mais surtout, nous nous inscrivons comme un acteur économique local : en privilégiant au maximum les fournisseurs régionaux – pour la crème, le sucre, les liqueurs ou les cerises au kirsch… – aussi bien que pour des prestations informatiques ou logistiques. C’est aussi le rôle d’une PME, bien ancrée dans son territoire et en phase avec son époque. Chocolaterie Daniel Stoffel 50, route de Bitche à Haguenau Route de Guémar à Ribeauvillé daniel-stoffel.fr

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Les boxs

On s’y abonne ou on la commande à l’occasion : ces dernières années, la box se recentre sur les produits locaux et artisanaux. On en passe deux sur le grill.

Par Cécile Becker

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Doni.alsace 1 doni.alsace C’est qui ?  Des producteurs et des créateurs qui se sont rassemblés, en réaction à la crise : le caviste Au fil du vin libre, le cuistot Olivier Meyer de Kuirado, les cafés Mokxa, la brasserie Bendorf, etc. C’est quoi ?  Une box thématique qui sort pour les grandes occasions, dernièrement pour la Saint-Valentin. Elle mêle des mets, du vin, des produits artisanaux et même culturels (livres et playlists). À récupérer chez une sélection de producteurs ou en livraison. Les produits  Les chocolats de la chocolaterie du Pré, les vins sélectionnés par Au fil du vin libre, les produits cosmétiques L’Esperluète, les préparations apéro de Kuirado, les bières Bendorf, les livres de la librairie Le Tigre… La prochaine  Il faudra attendre fin 2021, et les fêtes de fin d’année.

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On aime  L’exigence du choix des produits (qui se répercute sur le prix : 65 €). L’offre complète et l’attention portée à la culture. La charte graphique. Le fait que le projet soit porté par les producteurs eux-mêmes.

Hopl’apero box 2 hoplapero.com C’est qui ?  Thomas Gineste et Lucie Piat, respectivement 26 et 23 ans. Deux « immigrés » alsaciens tombés amoureux de la région qui se sont mis en tête de « faire découvrir la gastronomie et la culture » d’ici. Ils ont crée leur société fin 2020 mais l’idée date d’avant la crise sanitaire. C’est quoi ?  Une box mensuelle, trimestrielle ou semestrielle à laquelle on peut s’abonner, dédiée à l’apéro mais pas que. Certaines sont thématiques par exemple, celle de Pâques. On y retrouve entre 5 et 10 produits d’épicerie et d’artisanat, un carnet qui raconte les producteurs

sélectionnés, et parfois, un conte ou une légende du coin. On peut aussi commander les boxs et les produits à l’unité. Les produits  Thomas et Lucie ont ­sourcé une trentaine de producteurs et chaque mois, ils changent. Chaque échange les amène à en découvrir de nouveaux. En vrac : les brasseries Perle et Uberach, les foies gras du Ried, la Cave du Roi Dagobert, le Domaine des Terres rouges, les torchons de Jeannala & Seppala… Les prochaines box  Celles de mai et de juin mêlent apéro, repas et dessert en mode pique-nique, celle de juillet proposera des produits végétariens. On aime  La sincérité avec laquelle est porté ce projet. Le fait que de nombreuses commandes partent vers d’autres régions et pays. Le prix raisonnable : 44,99 € pour un abonnement mensuel.


Photos © Vincent Muller | Uni-Bo Photography

L A PA S S I O N D E S PA I N S D ' É P I C E S

14 rue des Dentelles & 17 rue des Moulins Strasbourg • Petite France Tous les jours du lundi au dimanche | Tél. +33 (0)3 88 32 33 34

D

epuis son atelier rue des Dentelles au cœur

Au 17 rue des Moulins, cette boutique n’est autre qu’un

de la Petite France, Mireille Oster créatrice de

ancien moulin à épices (Würtzmühle), où nous retrouvons

pain d’épices puise à la fois dans la tradition

Mireille qui convie ses hôtes autour d'ateliers de

alsacienne et dans ses voyages autour du monde. Ses

« Découverte des Épices ». Un voyage sensoriel qui traverse

délicieuses recettes accompagnent à merveille les délices

les continents et raconte l’histoire plurimillénaire de ces

d’un goûter ou le raffinement d’un repas de fête.

épices précieuses aux multiples vertus.

BOUTIQUE EN LIGNE

WWW.MIREILLEOSTER.COM


La sélection de la rédaction

Passion gâteaux

1000 et 1 kouglofs

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Ça y est, Coolglof, le livre tant attendu de la designer strasbourgeoise Sonia Verguet, arrive le 9 juin dans toutes les bonnes librairies. Il donne envie de croquer dans toutes sortes de kouglof, même les plus farfelus, et surtout d’ouvrir les horizons de cet emblème alsacien en le cuisinant autrement. Et en se posant quelques questions autour des traditions (voir page 114). On est absolument fans. (C.B.) soniaverguet.com instagram.com/cool.glof/

ZUT ARTISANAT  |  NOURRIR  |  La sélection de la rédaction

Il y a le tout préparé, et le tout préparé avec soin. Tout un cake, c’est la jeune marque strasbourgeoise imaginée par Camille, qui propose des préparations prêtes-à-pâtisser pour réaliser des cakes aux jolies associations. Thé-matchachocolat blanc, Banana bread-chocolat, et ou encore le classique mais néanmoins délicieux citron-pavot. À base de farines alsaciennes et artisanales semi-complètes (Moulin de Hurtigheim), sans sucre raffiné (sucre de canne complet du Moulin des Moines), sans additifs, bref de produits glanés au plus proche auprès de producteurs responsables. Une alternative pour toutes les flemmardes et flemmards du fouet. Comptez 9,90€ pour un sachet. Également dispo sur Marmelade. (C.B.) toutuncake.fr


Atelier-Pressoir Strasbourg

Ice T Photo : Abdesslam Mirdass

Comme un clin d’œil à la culture, Les Jardins de Gaïa (Wittisheim) ouvrent leur collection Déjan’thés et sortent deux nouvelles références : Come on Baby, une recette de thé blanc (cultivé par un nouveau producteur vietnamien que la maison voulait soutenir) très fleuri, des notes de vanille et de fleurs ­d’oranger. Et Light My Fire, un thé noir d’Inde du sud plus ardent et son côté épicé et gourmand. Et puis, pour saupoudrer vos marinades et autres délices d’été, zieutez du côté de la gamme My French Rubs, les épices sélectionnés et assemblés par Les Jardins de Gaïa. (C.B.) Disponible à la boutique 6, rue de l’Écluse à Wittisheim et dans la plupart des épiceries bio jardinsdegaia.com

Entre deux tranches Note pour plus tard : ne jamais appeler Natacha Bieber avant midi. Surtout lorsqu’on est en télétravail, et quelque peu éloigné de sa boucherie ouverte il y a deux ans au centre-ville de Strasbourg, et qu’on devine le crépitement des saucisses, merguez et autres brochettes maison. Preuve d’une activité soutenue, l’artisane-bouchère, lauréate du prix Odyssée 2018 décerné par la Chambre de métiers d’Alsace, étoffe actuellement son équipe. Tout en continuant à se « différencier » au niveau des produits qu’on trouve habituellement en Alsace comme de la viande maturée cinq à huit semaines en provenance de la maison Vérot, du pastrami et de la cecina. À table ! (F.V.) Natacha Bieber – boucherie 17, rue de la Croix à Strasbourg

Nos laits et jus sont pressés le jour même, livrés chez vous en bouteille consignée. Bien-faits pour vous et la planète.

akareva.com 57


L’actu des artisans

Un numéro pour les entreprises en difficulté Si la crise sanitaire a bousculé notre quotidien en favorisant notamment la proximité et les circuits courts, tous les artisans ne sont pas logés à la même enseigne. La Chambre de Commerce et d’Industrie Alsace Eurométropole a mis en place une cellule d’accueil et d’orientation pour les chefs d’entreprise confrontés à des difficultés au 03 88 75 25 23, idem du côté de la Chambre de métiers d’Alsace, qui saura aiguiller les artisans vers les aides et services à contacter : 03 88 19 79 00. (F.V.) cm-alsace.fr alsace-eurometropole.cci.fr

La cave du Roi Dagobert étoffe sa gamme Trebogad Des notes de fraises des bois et de mûres sauvages ? Pas de doute, on est à Traenheim, et plus ­particulièrement à la Cave du Roi Dagobert qui vient d’étoffer Trebogad, sa gamme bio, d’un crémant rosé bru issu de raisins de pinot noir. La subtilité des arômes est renforcée par des bulles fines et légères. Pour les Strasbourgeois, l’ensemble de la gamme se trouve à la Nouvelle Douane. (F.V.) cave-dagobert.com

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ZUT ARTISANAT  |  L’ACTU DES ARTISANS

Les vins libres en fête à la mijuillet De la mise en bouteille à l’embou­teillage… Annulé l’été dernier, le ­salon des vins libres se déroulera les 17 et 18 juillet à Mittelbergheim. Plus de 40 vignerons de toute la France mais aussi d’Italie proposeront des dégustations. Quasiment au même dates, les 18 et 19 juillet, l’association des vins libres d’Alsace proposera la 3e édition D’Summer Fascht au parc du Natala à Colmar. (F.V.) salon- vins-libres.fr instagram.com/avla6768/

Des aides pour les apprentis Certaines entreprises en difficulté ne peuvent pas (ou difficilement) assumer le coût des apprentis. Les organisations professionnelles comme l’U2P se sont mobilisées pour obtenir des aides à l’embauche. Résultat : le plan 1 jeune 1 solution c’est 9 milliards d’euros débloqués pour relancer l’apprentissage. En complément, ­l’Eurométropole a créé le Fonds d’aide aux jeunes pour accompagner les jeunes dans le démarrage de leur contrat d’apprentissage ou de professionnalisation. 150 000 € d’aides pour les années 2020 et 2021. (C.B.) strasbourg.eu

Pour les enfants malades Colorée et engagée. La fleuriste strasbourgeoise Caroline Eckendoerffer s’est vue remettre, début mars, le trophée Marlène Schaeffer, décerné par la Chambre de métiers d’Alsace, qui récompense une femme au service de l’artisanat. La responsable d’Au Nom de la Rose se démarquait déjà par les pétales multicolores qui jonchent le trottoir de sa petite boutique de la rue du 22-Novembre. Mieux encore, elle reverse une partie de son chiffre d’affaires à l’association ARAME, qui œuvre pour améliorer le quotidien des enfants souffrant de cancers à l’hôpital de Hautepierre. (F.V.) facebook.com/aunomdelarose. strasbourg/

Une biennale à Strasbourg pour La créativité Fin septembre, Strasbourg accueillera la Biennale de la créativité. « Un événement qui serait tout à la fois une vitrine de solutions, un espace de réflexion et un laboratoire d’expérimentation », d’après les organisateurs qui rassemblent un groupement de partenaires porté par l’association Accro. Rendez-vous est pris pour les 23, 24 et 25 septembre, ne serait-­ce qu’au nom du tous ensemble. (F.V.) creaccro.euw


46 rue des Hallebardes 67000 Strasbourg | 03 88 32 43 05 | www.eric-humbert.com Sur rendez-vous mercredi et vendredi


Memory Réalisation Myriam Commot-Delon Photographies Alexis Delon / Preview

Dialogue printanier entre du blé, des bourgeons et les derniers légumes de l’hiver.

Des natures mortes axées sur la beauté des imperfections d’un monde végétal. À déguster, à contempler et à jouer, pour célébrer le caractère impermanent et transitoire des choses.

Farine biologique 7 Céréales et Graines Moulin de Hurtigheim R. Becker et Fils. moulin-hurtigheim.fr

Des usages ——— Avec son bon mix de graines de lin brun et jaune, de millet, sésame, pavot et tournesol, cette farine apportera un côté brut et savoureux à un tarte rustique toppée d’herbes et de fleurs pour apéroter arty.

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Courge Shiatsu, L’Îlot de la Meinau. lilotdelameinau.fr

Une recette ——— Rôtie au four, en gros quartiers nappés d’huile d’olive. À servir avec du pesto à la fleur d’ail des ours de la Ferme de ­Truttenhausen (le samedi aux marchés de la Marne et des producteurs, rue de la Douane). fermedetruttenhausen.com

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Radis noirs, violets et blancs, navets jaunes et blancs, Coopérative Hop’la à Oberhausbergen. hopla-ferme.fr

Une recette —————— En pickles express, pour azimuter un houmous ou une salade. Dans un bocal, les recouvrir d’un mélange bouillant composé d’un volume de sucre, de trois volumes d’eau et de deux volumes de vinaigre Mielex bio. europlabo.com

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Fleurs de magnolia, La Serre, Schiltigheim. la-serre.net

Des usages ————— En beignets tempura ou tout simplement nature pour parsemer une salade. On peut également utiliser les boutons en macération dans du vinaigre, com­ me les câpres.

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Céléri-rave bio, Le Jardin de Marthe à Strasbourg lejardindemarthe.fr

Une recette ——— En taboulé, rapé en grosse semoule, puis assaisonné d’une vinaigrette huile d’olive et citron, d’un bouquet de coriandre, du vert de quelques oignons nouveaux émincés et de noix de cajou torréfiées. L’idée zéro déchet ——— utiliser sa peau pour parfumer un bouillon ou pocher un poisson.

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Radicelles de poireaux, La Coccinelle d’Alsace lacoccinelledalsace.fr Le mardi et le samedi aux marchés de la Marne et Neudorf, autres ­marchés indiqués sur leur site

L’idée zéro déchet ——— En version lacto-­fermentées avec gingembre et aneth ou farinés et frits dans de l’huile d’arachide après un passage d’une dizaine de minutes dans de l’eau vinaigrée.

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Construire


Sylvain Louis

APPRENTI TAILLEUR DE PIERRE Par Lucie Chevron / Photos Jésus s. Baptista

Du haut de ses vingt ans, Sylvain Louis, apprenti à la Fondation de l’Œuvre NotreDame, apprend à restaurer un édifice majestueux. Entre ses mains, la maquette d’une partie d’un escalier de la Cathédrale strasbourgeoise, sa s­ ixième pièce d’entraînement. Situés place du château, les ateliers où il s’active regorgent de fragments du monument, certains datant parfois du début du XVIe siècle. Bientôt, il pourra œuvrer sur l’un d’eux. Au cours de sa dernière année de collège, il visite un lycée professionnel où il découvre le métier. En rentrant chez lui, le soir, la décision est prise : il sera tailleur de pierre. Après l’obtention d’un baccalauréat professionnel et d’un CAP, il intègre les ateliers de la Fondation dans le cadre d’un brevet professionnel. Ici,

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ZUT ARTISANAT | CONSTRUIRE | Portraits

il sculpte avec dextérité la matière, outils entre les mains. Plus qu’un métier, une passion. Ce qu’il aime plus que tout, c’est « voir la pierre se transformer sous [ses] yeux, au fur et à mesure qu’[il] la travaille ». C’est aussi « laisser [sa] trace sur un édifice exceptionnel ». Bûcher à la broche, dégrossir au peigne, charrier à la charrue, ciseler aux ciseaux, sont autant d’étapes qui demandent une minutie et une exigence de haute voltige. Et c’est avec « de l’or entre les mains », pour reprendre les termes employés par son maître d’apprentissage, Boris Debourbe, que ce surdoué s’acharne au travail. Rêvant d’intégrer la Fondation après ses études, il continue son apprentissage. La transmission de ce savoir-faire ancestral

est d’ailleurs l’un des ­aspects les plus qualitatifs de sa formation. « J’essaie toujours de ne pas lui prendre les outils des mains. C’est par la pratique, en observant et en recopiant par mimétisme, qu’il peut véritablement progresser », précise son mentor. « Être historien rien qu’en observant la pierre », tel est ce qui, chaque jour, anime le jeune apprenti. Car au sein des ateliers, pas question d’être anachronique. Seuls les outils et techniques utilisés à l’époque de la construction de chaque morceau sont admissibles. Un bien bel et gratifiant artisanat. Atelier de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame 3, place du Château à Strasbourg oeuvre-notre-dame.org


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Christine Kleinmann CHEFFE D’ENTREPRISE Par Lucie Chevron / Photos Pascal Bastien

Charles Kleinmann fonde Kleinmann Peinture en 1938, une entreprise spécialisée dans l’embellissement intérieur comme extérieur. Trois générations se sont relayées à sa tête, la quatrième étant déjà prête à prendre la relève. Christine Kleinmann en est fière, son fils, Julien, titré Meilleur Apprenti de France en 2013, succèdera un jour à son père. Après une carrière dans la banque, au Conseil de l’Europe puis à la Cour euro­ péenne des Droits de l’Homme, elle rejoint l’entreprise familiale en 2001. « À l’époque, je ne connaissais rien au domaine du bâtiment. C’était un vrai challenge, une aventure pour mon mari comme pour moi. » Depuis, elle gère l’aspect social, financier et la formation, dans la lignée des valeurs qu’ils proclament depuis

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ZUT ARTISANAT | CONSTRUIRE | Portraits

toujours : « Une bonne qualité de travail, le respect, la satisfaction du client et du travail bien fait » et prône « l’excellence et le haut de gamme ». Bien que s’étant développée avec les années, l’entreprise Kleinmann a su conserver ce qui fait son essence : l’esprit de famille. « On organise des fêtes de Noël, des soirées pétanque en été, on soutient nos employés lorsqu’ils sont en difficulté. On a un devoir envers nos 43 salariés. C’est le côté social que j’adore. » Ce qui l’anime et lui tient également à cœur ? La formation. Depuis toujours, ils forment de jeunes passionnés à cet artisanat. « C’est extraordinaire de voir le parcours de ces jeunes, de les voir évoluer. Ils sont véritablement motivés par ce métier à la fois technique et d’art. »

De la soi à la nacre en passant par le bambou ou l’abaca, les revêtements se jouent des matières, des jeux de lumière et des volumes. Entre brutalité du béton et vivacité des couleurs, sobriété et originalité, le catalogue ne s’essouffle pas. Kleinmann Peinture 7, rue des Gravières à Brumath kleinmann-peinture.fr


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DOSSIER

La construction bois en forme olympique Par Fabrice Voné

La construction à ossature bois est en plein boom. La future réglementation environnementale et la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont boosté la commande publique. De quoi mettre en lumière l’historique savoir-faire alsacien, malgré un contexte de plus en plus tendu en raison de la hausse du coût des matières premières.

Une maison à Gérardmer signée Atelier Ordinaire. Photo : Jonathan Mauloubier 72


Peut-on prédire un destin olympique à la construction bois ? En décrochant l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 à Paris, la France a envoyé un signal fort à cette filière en lui proposant une formidable vitrine à l’image du village des athlètes, qui s’étalera sur 260 000 m2 et sera réalisé à 50% en bois dont la moitié d’origine française. Une partie de ce vaste chantier est assurée par l’entreprise Mathis, basée à Muttersholtz, et qui finalise ­actuellement l’imposante charpente du Grand Palais éphémère à l’ombre de la Tour Eiffel. Autre fleuron alsacien du secteur, la société Schilliger Bois. Une scierie implantée à Vogelsheim, spéciali­ sée dans la production de bois massif, lamellé-colle et lamellé-croisé et qui se démarque par la production de panneaux de haute technicité. À Urmatt, le groupe Siat, dont l’expertise s’articule autour du bois de construction, du bois d’aménagement et de l’énergie durable à travers la production d’électricité et de granulés de chauffage, est également leader européen dans son secteur. Soit trois sagas familiales, parmi d’autres, qui perdurent depuis le XIXe siècle et témoignent d’un savoir-faire dont l’écorce n’est pas près de se fendre au pied des Vosges. « La construction bois est très utilisée dans le bassin germanique, c’est ainsi que l’Alsace s’est développée, grâce à son domaine de forêts très denses en sapins », rappelle Laurent Braun. Le président de la Chambre syndicale des industries du bois confirme l’embellie du moment et prévoit « des courbes de croissance à deux chiffres » pour les années à venir. Selon lui, outre « les gros qui tirent tous les autres vers le haut », le développement de la filière repose aussi sur son organisation. À savoir la Fibois Alsace. L’interprofession créée en 1995 rassemble aussi bien les sylviculteurs, les charpentiers, les scieurs que les transporteurs et les facteurs d’orgues. Cette entité a favorisé l’émergence de l’Îlot bois derrière la clinique Rhéna à Strasbourg où la tour Sensations, conçue par Bouygues Immobilier et Eiffage en 2019, est toujours la plus haute de France avec ces 146 logements et commerces répartis en trois immeubles de huit à onze étages.

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Mais la construction bois ne se limite pas aux ouvrages pharaoniques. Loin de là. Le phénomène des tiny houses, importé des États-Unis il y a une dizaine d’années, fait de plus en plus d’émules. L’attrait pour ces petites maisons nomades et écologiques, montées sur roulettes à la manière d’une caravane, a été accentué par la pandémie de Covid-19. Le rêve d’être libre d’habiter là où l’on veut, avec le strict minimum, a tendance à supplanter les façons traditionnelles, et de plus en plus onéreuses, d’accéder à la propriété. Pour autant, peu franchissent le pas en France, où la législation est encore floue sur ce type d’habitat qui dépend davantage du Code de la route que de celui de la construction. À l’inverse, l’engouement est réel pour les maisons individuelles à ossature bois, qui représentent aujourd’hui 11,3% du marché et jouissent de performances environnementales de premier ordre à l’aube de la RE 2020, future réglementation environnementale. Mais la frénésie pour ce matériau renouvelable, réputé pour être un puits de carbone, rencontre aujourd’hui ses premières limites. En raison de bisbilles commerciales avec le Canada, les États-Unis ont jeté leur dévolu sur le marché européen. Entraînant une vertigineuse hausse des coûts des matières premières qui impactent directement la filière locale, obligée de repenser son modèle. Le revers de la médaille, en quelque sorte.

Maisons booa, un jour, une maison La raillerie reste sans doute le meilleur point de départ à toute success story. Il y a dix ans, Bertrand Burger présentait le premier modèle d’exposition d’une maison booa, déjà bien identifiable par son ossature bois, ses performances énergétiques, sa luminosité et son style résolument contemporain avec son toit plat, sans omettre des possibilités de sur-mesure selon les desiderata des clients. « À l’époque, en Alsace, on nous disait qu’on n’en vendrait jamais », se souvient le président du groupe Burger & Cie, en esquissant un sourire dans son bureau au siège de Lièpvre, chaleureusement boisé et décoré d’originaux de Keith Haring et de Christophe Meyer. En 2011, l’entreprise familiale, fondée en 1847 dans la vallée de Sainte-Marieaux-Mines à partir de l’acquisition d’un moulin transformé en scierie mécanique, cherche à se diversifier. Et à prendre quelques distances avec les enseignes de bricolage de la grande distribution pour lesquelles elle fournit divers produits pour l’aménagement intérieur et extérieur, comme des balustrades ou ­encore des terrasses. « Il y avait une grande concentration dans ce secteur et nous avions de moins en moins de clients. Cela devenait dangereux pour la pérennité de l’entreprise », poursuit le frère du musicien Rodolphe Burger. La décision est prise de travailler en B to C, c’est-à-dire en direction du particulier, en lui proposant des maisons à ossature bois. Voilà pour l’idée, reste à affiner le concept. Éric Sembach s’en charge. Le publicitaire strasbourgeois trouve le nom de booa associé à un logo où quatre ronds laissent suggérer les anneaux olympiques. La médaille ne se fait guère attendre. « On a eu un développement beaucoup plus important que tout ce qu’on pouvait espérer ou même imaginer », relate Bertrand Burger.


DOSSIER

L’atelier de Maisons booa à Châtenois où les éléments des futures maisons sont préparés. Photos  : Christoph de Barry

« Comme un Lego® » Dix ans plus tard, une maison sort chaque jour du site de Châtenois. À savoir un bâtiment tout en longueur avec vue sur les majestueuses forêts du Val d’Argent. Les portes s’ouvrent sur le bureau d’études qui dessine à 100% les demeures finalisées dans l’atelier situé au bout d’un couloir. « C’est comme un Lego® », prévient Jeremy Kirscher, qui guide la visite d’un lieu « dimensionné pour fabriquer 1 000 maisons à l’année ». Une grosse agrafeuse commence à découper sur une façade l’espace dévolu aux fenêtres avant que des ouvriers n’apposent manuellement les matières isolantes. Quelques mètres plus loin, d’autres réalisent le bardage. Une équipe s’attaque aux menuiseries et aux finitions. En utilisant la plupart du temps des termes introuvables dans les dictionnaires, comme le fait de « knapper » des murs. Verbe plus ou moins barbare qui désigne leur assemblage final au

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moment de la pose de la maison qui, généralement, se fait aussi en une journée. Cette dernière étape relève pratiquement de l’événementiel. Il n’est ainsi pas rare que booa convie, via ses réseaux sociaux, la population à assister à ces chantiers éphémères mais non moins spectaculaires. Pour l’heure, la société dispose d’un show-room grandeur nature et à ciel ouvert à Logelbach, entre Colmar et Wintzenheim. Un lotissement composé de 35 maisons hétéroclites, c’est-à-dire pour toutes les bourses, bâties sur les décombres de l’usine Velcorex. Cet assemblage compose un quartier à part entière auquel est récemment venu se joindre une boulangerie. D’autres ébauches s’apprêtent à sortir de l’usine de Châtenois pour des lotissements à Burnhaupt-leHaut et à Mollkirch. Stratégie de marque L’entreprise s’est orientée vers une stratégie de marque à partir de ses savoir-faire

et de ses capacités de production. Forte de près de 250 salariés, elle vise les 100 millions de chiffre d’affaires cette année pour l’ensemble du groupe Burger & Cie. Un tiers de cette manne devrait provenir de la construction de maisons individuelles à ossature bois qui n’ont absolument pas été impactées par la pandémie. Bien au contraire. « Il n’y a pas de grandes marques nationales dans la construction de maisons, c’est assez surprenant », constate Bertrand Burger. Il raisonne sur le long terme. Tout en songeant à Lou et Paul, ses deux enfants en train de reprendre le flambeau. Outre son style joliment épuré qui fait office de signature, booa se positionne également sur « la garantie de qualité ». Car, mine de rien, leurs maisons semblent avoir esquissé une tendance lourde en Alsace et au-delà, au gré des réglementations environnementales. « Des constructeurs se sont mis à faire des copies plus ou moins réussies. Aujourd’hui, on voit plein


La pose d’une maison booa. Photo : Franck Paubel

de cubes de la sorte », indique le dirigeant qui ne conçoit pas de se limiter aux maisons individuelles. Le manque d’espace en milieu urbain et les problématiques environnementales modifient sensiblement la donne. Comme à Hambourg où les élus écologistes ont décidé de rejeter tout nouveau permis de construire pour les maisons individuelles. L’initiative des politiques de la cité hanséatique ferat-elle des émules de ce côté-ci du Rhin ? À voir. Des modules et de la hauteur En attendant, booa envisage de prendre de la hauteur. « Notre objectif est de nous diversifier aussi bien sur du tertiaire que des immeubles collectifs », révèle Bertrand Burger. Un premier ensemble de plus de 1 500 m2 sur trois étages, accueillant un cabinet d’experts-comptables, devrait bientôt voir le jour dans les environs de Colmar. Sur la base d’un nouveau modèle constructif, plutôt révolutionnaire,

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et qui bénéficie du soutien de la Région Grand Est. Jusqu’à présent, booa se « contentait » d’assembler des murs entre eux. La prochaine étape concernera des modules entiers. « Pour demain, on veut aller plus loin. C’est-à-dire intégrer le second œuvre en usine puisqu’on a une vraie maîtrise de la qualité », détaille Bertrand Burger. Bonus non négligeable, cela atténuerait les contraintes inhérentes aux chantiers d’aujourd’hui. Pour réaliser un immeuble collectif traditionnel, les travaux s’échelonnent habituellement sur un an et demi. « On peut le faire sur un mois et demi voire deux mois, assure le boss de booa. Avec beaucoup moins de nuisances pour des constructions à économie circulaire. » Autre avantage, ces pièces de puzzle en 3D peuvent être ensuite réaménagées ou démontées en un tour de grue. Promesse d’un avenir radieux ? Pas complètement puisque booa, comme la

majorité des acteurs de la construction bois en Alsace, se trouve aujourd’hui confronté à la hausse des prix des matières premières. Du fait d’un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande, mais aussi en raison de la razzia opérée par les États-Unis qui s’approvisionnent massivement en Europe. Ainsi, l’entreprise du Centre-Alsace réfléchit à utiliser du hêtre à la place du sapin et de l’épicéa. Quitte à aller se fournir plus loin, jusqu’en Scandinavie ou en Sibérie. D’une vallée à une autre en quelque sorte. booa.fr


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Le bois est partout et les lignes sont épurées : intérieur de la maison de Gérardmer imaginée par 76 Atelier Ordinaire. Photo : Jonathan Mauloubier


Thomas Walter et Angèle Maillard, Atelier Ordinaire. Photos : Jonathan Mauloubier

Atelier Ordinaire, home sweet dogme On a d’abord écouté Thomas Walter. Ne serait-ce que via ses projets musicaux à foison : T., Herzfeld Orchestra, Loyola puis Thomas Joseph – ses deux prénoms – dont le dernier album Effortless est sorti en 2019. « Manifeste minimaliste et sensible », lit-on sur le site du label strasbourgeois Herzfeld. La formule pourrait convenir à Atelier Ordinaire, studio d’architecture créé en 2014 auquel contribue Angèle Maillard depuis 2019. « Les règles d’Atelier Ordinaire sont simples : analyser les informations sur le terrain et être dans l’acceptation totale du sol et de l’environnement. Proscrire les matériaux pétrochimiques et travailler essentiellement avec le bois, utiliser des pieux de fondation pour impacter à minima le terrain, assurer l’isolation avec de la fibre de bois et de la ouate de cellulose biosourcées et recyclables, minimiser le chauffage à l’utilisation d’un poêle à bois,

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cadrer par de grandes ouvertures à châssis fixes des tableaux végétaux, dépressurisant l’espace et offrant une fenêtre vers l’imaginaire », précise Thomas Walter. Né d’un père menuisier établi à Goetzenbruck, diplômé de l’école d’architecture de Strasbourg en 2008, il fait ses gammes à Bâle auprès de JeanFrédéric Lüscher, participant à la transformation de la villa Pierre de Meuron. Aujourd’hui encore, il revendique cet « héritage suisse », alliant la rigueur au dogme. « Mettre une ampoule, ce n’est pas gratuit. » Le tout au bénéfice de l’épure propre aux réalisations d’Atelier Ordinaire en CLT (bois lamellé-croisé qui se présente sous la forme de panneaux massifs) qui leur permet d’aller à l’essentiel. Avant de rejoindre pleinement Atelier ordinaire en 2019, Angèle a œuvré sous le nom de By Spielplatz. En parallèle d’un travail photographique et de set design pour différentes marques et magazines, Angèle et Thomas ont imaginé objets, tables et tabourets. Pensés avant tout pour leurs deux enfants, ils les ont

fabriqués en petites séries et sur commande depuis la menuiserie familiale des Vosges, puis envoyés au Japon, aux États-Unis et à travers toute l’Europe. La styliste et photographe Aurélie Lécuyer tombe sous le charme. Au point de leur commander une maison près de Nantes. Avec ses façades recouvertes d’un bardage de bois brûlé, au milieu d’un décor naturel de pins maritimes, la demeure ne passe pas inaperçue sur la toile. Notamment sur Instagram, où Atelier Ordinaire draine 23,2 K d’abonnés. « Construire une maison met beaucoup de choses en jeu. On se retrouve investis dans la vie d’un couple ou d’une famille », souligne Angèle. « Chaque projet est différent, dans le format et le lieu, indique Thomas. Comme si on fabriquait un grand meuble dans lequel on va pouvoir vivre. » Quoi de plus ordinaire ? Si ce n’est que le magazine anglais Wallpaper a ­s électionné Atelier ordinaire comme l’une des 20 agences internationales émergentes en 2020. Instagram : @atelierordinaire


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Üte, des cabanes à l’âge de la raison Construire une cabane a toujours été un rêve d’enfant. Ce mythe intemporel est en train de s’inscrire dans le paysage alsacien avec Üte (Hütte, « cabane », en alsacien) qui réunit trois entités locales : la scierie Soller, l’atelier d’architecture Lien d’horizon et l’agence de Jean-Christophe Brua, architecte du patrimoine. Ensemble, ils remportent l’appel à projet « Nano-Habitat et architecture en bois local » initié en 2019 par le Parc naturel régional des Vosges du Nord. Il s’agissait alors d’imaginer une simple cabane de 5m2, comme celles qui vont très prochainement jalonner le GR 53, entre Wissembourg et le Col du Donon, et qui feront office d’abri pour les randonneurs tout en leur offrant des vues d’exception. « Puis on a tâté le marché, trouvant un réel intérêt pour des produits avec une démarche éthique et plus structurés en terme d’habitat », révèle Pierre Marc en charge du développement commercial d’Üte. Trois autres modèles de 12, 20 et 40m2, tous produits en Alsace, sont proposés avec possibilité d’assembler les différents modules entre eux. Le tout avec une majorité de bois alsaciens comme le sapin et le pin Douglas mais aussi du hêtre, du châtaignier et du pin sylvestre.

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La philosophie d’Üte se rapproche de celle des tiny houses, ces micro-maisons roulantes posées sur remorques censées réduire l’emprise au sol. « Mais on part du principe que tout le monde ne souhaite pas avoir de mobilité dans son habitat. » Ce qui permet à Üte de voir plus haut avec des volumes pouvant aller jusqu’à 6 m sous leur toit pointu. « Cette belle hauteur est connectée avec la nature par le biais d’une immense baie vitrée qui permet de respirer et de ne pas se sentir à l’étroit. » Le module de 40m2 est vendu à partir de 47 300 €. De quoi envisager une enveloppe plus importante en terme de foncier par rapport au coût des constructions traditionnelles. Cette année, douze maisons vont être produites. Les cadences devraient ensuite doubler mais guère plus. « L’objectif n’est pas le nombre produit mais de pouvoir garantir le même degré de qualité sur chaque module, comme pour un projet d’architecte », explique Pierre Marc. Si Üte est soucieuse de l’environnement, elle se préoccupe aussi de ses hommes. Pour ne pas dénaturer « le savoir-faire, la maîtrise et la fierté » des artisans associés à ce projet finalement pas tant dénué d’envergure. ute-nanohabitat.fr


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Sur le chantier de rénovation de la maison de Cyril et Zoé, l’entreprise Brenner œuvre sur la structure et la charpente. 80

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Rénover plutôt que construire Par Corinne Maix Photos Christoph de Barry

Le marché de la rénovation a fait mieux que résister à la crise. Il s’envole. Porté par de nouvelles aspirations pour nos lieux de vie, par des enjeux écologiques et par quelques aides. Comment les artisans ont-ils repensé leurs métiers pour inventer la seconde vie d’un logement ?

La grande tendance de l’immobilier Rénover plutôt que construire. Une tendance qui semble avoir le vent en poupe sur le territoire strasbourgeois et qui résulte de multiples facteurs. Le coût et la rareté du foncier d’abord, qui poussent les accédants à la propriété à chercher des biens à rénover, pour ne pas trop s’éloigner de l’Eurométropole de Strasbourg. « Le poids du foncier est noyé dans le budget global quand on achète de l’ancien, explique Lionel Streicher, gérant de KS Aménagement. Quand on cherche un terrain à construire, le seul budget foncier peut être dissuasif ! » S’ajoute à cela une politique d’urbanisme qui lutte contre l’étalement urbain, encourage la protection de l’environnement et milite contre l’artificialisation des sols. Puis une crise sanitaire qui a eu pour incidence, en 2020, de diviser par près de deux les chantiers de construction neuve… Autant de marqueurs d’un contexte qui porte la rénovation à son plus haut niveau. Au-delà de ces caractéristiques, propres aux grandes agglomérations, il faut ­aussi compter avec une petite révolution socio­logique qui pousse les nouveaux accédants à une réflexion écologique quand il s’agit de bâtir leur nid. Ce n’est pas l’étude de l’Ademe, publiée en mai 2020 1, qui les contredira, tant ses chiffres ont fait l’effet d’une bombe : la construction d’une maison neuve individuelle 81

consomme 40 fois plus de matériaux que sa rénovation. Le chiffre atteint même 80 quand on parle de construire un bâtiment de logements collectifs. Un choix pour le moins vorace. « Depuis un ou deux ans, et depuis le Covid, beaucoup ont pris conscience de la nécessité d’une transition écologique en matière de bâti. La demande est portée par les particuliers, mais artisans et fabricants suivent. Nous sommes au début de préoccupations qui vont prendre de l’ampleur ! », analyse Lionel Streicher. « Et puis, il faut aussi compter avec une autre tendance de fond : aujourd’hui, tout le monde veut personnaliser son logement. Ce qui est plus facile en le rénovant qu’en construisant du neuf, toujours assez formaté. » Penser global En 2020, le marché de la construction neuve accuse une forte baisse, avec 22 000 logements de moins dans le Grand Est (-40%). « L’activité a été portée par la rénovation. Dans le Bas-Rhin, les travaux liés à l’éco-prêt à taux zéro [destiné à financer des travaux de rénovation énergétiques, ndlr] enregistrent une hausse de 40% en un an. On attend aussi beaucoup de l’extension du dispositif MaPrimRénov’, étendue à de nouveaux propriétaires et aux bailleurs, depuis le début de l’année », souligne Jean-Luc Wiedemann, président de la Fédération Française du Bâtiment 67. À l’échelle nationale, avec plus de 20 millions de logements à rénover d’ici 2050, le marché potentiel s’élève à 14 milliards d’euros de travaux par an. Une manne qui demande aux entreprises de travaux et aux artisans d’adapter leur offre aux clients et d’aborder les chantiers autrement. « Les travaux sont plus complexes et requièrent une approche globale pour intégrer la dimension transversale de la performance énergétique des bâtiments. Aujourd’hui, en rénovation, on peut améliorer l’isolation de l’enveloppe, l’efficacité énergétique des équipements techniques, utiliser des énergies renouvelables… Tous les métiers sont concernés et la FFB propose de nombreuses formations à ses adhérents pour répondre aux mémoires techniques, être vigilants sur le choix des matériaux ou se qualifier RGE. » La qualification Reconnu Garant pour l’Environnement oblige au respect d’une charte de qualité. C’est un passage obligé pour bénéficier d’aides pour financer les travaux engagés.


Détails du chantier de rénovation entrepris par l’entreprise Brenner.

Consommer local La question de la rénovation est sur toutes les bouches. Dans le cadre du plan climat, l’Eurométropole de Strasbourg à un objectif de 8 000 rénovations de logements par an, avec un budget de 50 millions d’euros inscrit sur la durée du mandat. L’Ademe a récemment étudié 2 les conditions techniques d’une rénovation de maison individuelle au niveau ­Bâtiment Basse Consommation (BBC). Pour les maisons d’avant 1982, un parcours de rénovation performante comprend néces­ sairement six postes de travaux : isolation des murs, de la toiture, du plancher bas, remplacement des menuiseries extérieures, systèmes de ventilation, de chauffage et eau chaude sanitaire. Elle souligne que la réalisation de travaux de rénovation énergétique, non coordonnés ou partiels, peut conduire à des impasses techniques incompatibles avec une rénovation performante. Pour Maurice Karotsch, président de la CAPEB 67, « les artisans ont su s’adapter à ces nouvelles exigences grâce au label Ecoartisan, car les cahiers des charges sont de plus en plus techniques et fondés des diagnostics précis ». Pour ce syndicat, qui fédère les entreprises artisanales du bâtiment, la

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rénovation représente un marché en plein développement. « Axer toute la politique immobilière sur du neuf, c’est une autre époque ! Les artisans ont une carte à jouer sur les chantiers de particuliers, car ils sont soucieux des mêmes résultats : mieux vivre, mieux habiter, rénover en étant plus respectueux de l’environnement. Faire appel à un artisan, c’est faire le choix de la proximité, de la flexibilité, d’une entreprise à taille humaine, d’un conseil et d’un contact client très différents. En Alsace, le tissu artisanal est aussi dense en ville qu’à la campagne, cela profite au dynamisme local. » 1) Ademe magazine – Mai 2020 – Faits et chiffres 2) Ademe magazine – Janvier 2021 – La rénovation performante par étape


Deux appartements rénovés par KS Aménagement. Photos : Stéphane Spach

Points de vue Lionel Streicher Gérant de KS Aménagement, filiale de KS Groupe spécialisée dans les ­travaux de réno­vation et ­d’amé­nagement « Notre équipe compte des compagnons plâtriers, peintres, menuisiers, mais ­aussi des artisans partenaires. Aujourd’hui, la grande majorité des ventes s’accompagnent de travaux d’amélioration du logement et les propriétaires y consacrent, dès le départ, un budget et un délai ! Beaucoup ont pris conscience qu’il n’est plus nécessaire de construire pour avoir un bien qui leur ressemble. On réinvente l’espace pour s’adapter au mode de vie de la famille, on apporte des performances énergétiques, de la domotique, du confort, tout en gardant le charme et la personnalité de l’ancien. Parfois, le budget global est plus élevé que pour du neuf, mais les matériaux sont plus pérennes et la valorisation du bâti bien meilleure ! Depuis un an ou deux, les clients nous interrogent sur l’origine des matériaux, ils

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veulent du local, a minima du ­français. Plus question de construire une terrasse en bois exotique ; aujourd’hui elles sont en chêne ou en hêtre. Petit à petit, toute la chaîne s’organise, des fabricants aux artisans, et la demande accélère cette petite révolution. Sur le volet de la transition énergétique, en dix ans, l’approche globale du traitement du bâtiment a permis de gros progrès. Hélas, les aides d’État comportent trop de contraintes, des seuils de déclenchement trop modestes et surtout les règles du jeu changent tous les ans. Ces effets d’annonce créent de la déception et masquent la réalité d’un État qui se désengage, alors que la dynamique est là. Les clients n’attendent pas que l’État se substitue à leur portefeuille, mais sont très sensibles à un soutien. » ks-amenagement.fr

Noël Bolidum Chauffagiste à Wissembourg « L’entreprise travaille essentiellement sur des chantiers de rénovation, initiés par des particuliers. La plupart espère de réelles

économies d’énergie, plus de confort et un retour sur investissement raisonnable. C’est tout à fait possible en rénovation, parce que nous travaillons sur la base de diagnostics précis et que les technologies ne cessent d’évoluer. Dès les années 80, j’ai pris le parti d’abandonner les énergies fossiles. Aujourd’hui, les pompes à chaleur sont à modulation de puissance, le photovoltaïque a de bien meilleurs rendements, les équipements sont connectés et capables de stocker l’énergie quand elle est disponible, pour la redistribuer au bon moment. L’installateur peut assurer la maintenance à distance et le client suivre ses consommations pour mieux les piloter… Cette course à la performance énergétique a fait grandement évoluer notre métier. Il faut cumuler des compétences de chauffagiste, d’électricien et de frigoriste. J’ai formé mes cinq salariés en interne, en suivant de nombreuses formations fabricants, en passant les habilitations… Il faut près de cinq ans pour être totalement opérationnel. J’essaie de travailler avec les corporations et les écoles pour faire évoluer les formations vers nos besoins réels. » bolidum.fr


Coups de pouce pour rénover • MaPrimRénov’, aide de l’État pour la rénovation énergétique, a été renforcée dans le cadre du Plan de relance de l’économie. Critères d’éligibilité et simulateur d’aides. maprimerenov.gouv.fr • Le réseau FAIRE donne des conseils gratuits, neutres et adaptés à chacun pour ses travaux de rénovation. faire.gouv.fr • L’aide Habiter Mieux de l’Eurométropole de Strasbourg, pour l’amélioration de l’habitat ancien privé. strasbourg.eu • L’aide Rénov’ Habitat 67 du Département, pour améliorer le confort énergétique. basrhin.fr • L’aide Climaxion, portée par l’Ademe et la Région Grand Est, pour les projets de transition énergétique. climaxion.fr • L’aide du CAUE (Conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement), pour la sauve­garde du patrimoine alsacien. caue67.com

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Les Bonnes Matières 90% des déchets du bâtiment provien­ nent des chantiers de démolition et de réhabilitation. Pour traiter ces déchets qui ont un impact direct sur la qualité des sols, de l’air et de l’eau, l’association BoMa a décidé, en 2019, de passer à l’action. Elle propose ses services d’ingénierie pour trouver des solutions de valorisation et de réemploi de ces matériaux. À partir d’un diagnostic sur chantier, elle repère les céramiques, les fenêtres, les portes, les radiateurs, les luminaires… qui peuvent être sauvés de la benne. Puis elle fournit au démolisseur les consignes de tri et les entreprises de collecte qui pourront débarrasser leur chantier à moindre coût et moindre impact environnemental. Elle réalise aussi des opérations de collecte plus ponctuelles, pour sauver des matériaux qui passeront directement d’un chantier à un autre. Pour aller au bout de sa démarche d’économie circulaire, BoMa a ouvert en janvier un magasin de vente pour les particuliers. On y trouve des matériaux de réemploi, mais aussi des fins de stock de produits neufs, issus de fournisseurs locaux, qui se préparent à l’obligation de ne plus détruire leurs invendus. ­C arrelage, papiers peints, peintures, sanitaires… Seuls les prix sont cassés, avec des étiquettes qui ne dépassent pas 25 à 30 % du prix initial. boma.alsace

Second life L’entreprise Brenner de Hochfelden rénove des maisons alsaciennes depuis 40 ans. Pour nous initier à ce savoir-faire unique, Stéphane Duchossois, son nouveau patron, nous donne rendez-vous à Melsheim, à quelques kilomètres de là. Cyril et sa compagne Zoé, 27 ans, sont les jeunes commanditaires de ce chantier de rénovation. Dès la première visite, ils sont tombés amoureux de cette ancienne ferme, composée d’une maison et d’une grange à colombages. « La vigne qui court sur la maison, la cour où l’on se sent comme dans un cocon et les deux corps de bâtiments, nous ont séduits, autant que l’histoire de cette ferme, où s’étaient accumulés des morceaux de patrimoine alsacien. Ayant vécu dans une ferme, je savais où je mettais les pieds », explique Cyril. Zoé, elle, a tout de suite vu le produit fini. « Nos amis nous ont traités de fous, alors qu’on est juste motivés par l’idée d’une maison qui nous ressemble ! » Après trois mois de vidage des lieux et de déconstruction, qu’ils ont assumés eux-mêmes – à grands renforts de bonnes volontés – pour économiser leur budget, ils sont rejoints par l’équipe Brenner vient d’investir la cour pour mener de front deux chantiers : conforter la structure en bois de la grange mise à nue et refaire une nouvelle charpente sur la partie habitation. L’entreprise artisanale ne travaille qu’avec des bois et des tuiles de réemploi, issus de la déconstruction de maisons alsaciennes. Dans son atelier de menuiserie, les poutres sont déclouées, brossées puis stockées, jusqu’au jour où elles trouveront le chantier idéal. « La sélection des bois fait partie de notre savoir-faire. Nous sommes les seuls à gérer toute la chaîne,


L’équipe Brenner sur le chanter de Cyril et Zoé. Photo : Christophe de Barry

pour un résultat vraiment authentique », explique Stéphane. Pour Steeve Faller, son chef d’équipe, « il faut compter dix ans pour connaître pleinement ce métier. Savoir écouter le bois, respecter les codes de chaque maison, aussi bien pour l’aspect du colombage que pour le respect d’une harmonie d’ensemble ». Pour rénover la maison à leurs goûts, Cyril et Zoé ont pris le parti de mettre en valeur tout ce qu’ils pouvaient conserver. Pour Stéphane, qui a construit luimême sa maison alsacienne durant cinq ans (avec l’aide de l’entreprise Brenner, dont il fût d’abord client), « il faut s’adapter aux attentes des clients, qui veulent décloisonner l’espace pour gagner en luminosité, apporter de l’isolation par l’intérieur. Avec un peu d’ouverture d’esprit et de savoir-faire, on peut obtenir quelque chose de très confortable à l’intérieur, sans dénaturer l’aspect traditionnel de l’extérieur. » Ce chantier prévoit d’ailleurs la rénovation de la toiture avec des tuiles biberschwanz (tuile alsacienne) et la taille d’un nouveau colombage pour habiller le dernier étage de la maison. Côté grange, Zoé rêve d’un espace de stockage, de shooting photo et de préparation de commandes pour son activité de prêt-à-porter. Après avoir redressé et conforté la structure du colombage,

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l’équipe remplace actuellement les solives (qui reposent sur les colombages) et pose des chevrons neufs pour accueillir la nouvelle toiture. À l’étage, tout l’espace a été dégagé pour obtenir un bel espace cathédrale. Un nouvel escalier, taillé sur-mesure, permettra l’accès à l’étage par l’extérieur, apportant un cachet supplémentaire à cette ancienne grange. Dans les 150 m2 de la partie habitation, les murs seront isolés par l’intérieur avec de la laine de bois, un poêle et une chaudière à granules de bois viendront réchauffer l’atmosphère. Seules concessions à la modernité, de larges baies vitrées percées côté cour et une installation domotique, dissimulée dans les nouvelles cloisons. « On apprécie de travailler avec un artisan, qui n’est pas juste là pour faire un devis. Ils savent exactement quels styles de rambardes, de poteaux ou de colombages choisir pour notre projet. Ils sont très pédagogues et nous incluent pleinement aux travaux. » Après une reconversion professionnelle et deux ans de chantier, Stéphane est bien placé pour parler de la complexité de ces gestes qui se transmettent d’homme à homme. « On utilise des procédés qu’on n’apprend plus à l’école ! Rien n’est industrialisé, tout se fait à la main. La rénovation d’une maison à colombages passe

par un gros travail préparatoire en ­atelier. Après déconstruction et rénovation, chaque façade de colombages est d’abord montée à plat, au sol. Puis les pièces sont numérotées selon une méthode ancestrale. Bien souvent, après un mois de travail en atelier, quatre jours suffisent pour assembler les façades sur place, telles un jeu de construction. » Il peut même arriver que l’on déplace une maison, comme ils l’ont fait l’an dernier, 15 kilomètres plus loin. Un déracinement qui ne risque pas de tenter les nouveaux propriétaires de Melsheim, séduits par l’environnement rural de leur village d’adoption. « Les voisins voient notre projet d’un très bon œil. Ils sont curieux du résultat et heureux de voir cette ancienne ferme reprendre vie, sans perdre son authenticité. Nous espérons emménager au début de l’automne, après moins d’un an de travaux. Avec un investissement de 360 000 €, nous aurons 300 m2, façonnés à notre image. » Un lieu pour vivre, pour travailler, pour agrandir la famille et entretenir sa passion de la restauration de véhicules anciens. Qui a dit qu’il fallait être fou pour se lancer ? Brenner Tradition, rénovation et création de maison à colombages brenner.fr


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TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET ARTISANAT Par Déborah Liss

Experts du fait-main, de la lenteur et parfois de la pièce unique, la plupart des artisanes et artisans exerce déjà à sa manière une activité écolo. Certains d’entre eux allant même plus loin en pratiquant la réparation, l’upcycling. Le chemin est long pour réduire ses déchets et se fournir en matières premières moins polluantes, mais la dynamique est bien en marche.

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« On retrouve les artisans à tous les niveaux de la transition écologique : mobilité, rénovation, zéro déchet ou encore végétalisation », détaille MarieChristelle Haubensack, responsable du Pôle Territoires de la Chambre de métiers d’Alsace (CMA). La question d’un artisanat durable traverse toutes les professions, du bâtiment au travail du bois, en passant par les fleuristes et les pros de la couture. C’est que chaque étape de la production a un impact sur l’environnement : les matières premières, l’outillage, l’énergie utilisée, les déchets produits… « Les artisans sont poussés par les consommateurs, mais aussi par la volonté de faire des économies d’énergie », explique Lucile Geyl-Hutschka, chargée du développement durable à la CMA. « Sans oublier les cas où ils n’ont plus le choix, renchérit Marie-Christelle. Le cadre réglementaire et la commande publique tendent vers la notion de développement durable, ainsi que des politiques, comme la zone à faible émission dans l’Eurométropole. » Mais même les artisans les plus motivés peuvent se perdre dans les nouvelles normes ou les techniques plus écologiques, et manquent de temps pour entamer cette transition. Se faire aider Alors, la CMA répond à toutes les questions et propose aussi des diagnostics d’entreprise, dans le cadre du « Pass Durable » de la CRMA Grand Est, un

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dispositif d’accompagnement gratuit, rendu possible par les 15 millions d’euros du plan de relance du gouvernement pour 2021. « On rencontre les chefs d’entreprise, on fait un état des lieux sur la consommation d’énergie, d’eau, la matière, les déchets. Avec l’accompagnement “TPE/PME gagnantes sur tous les coûts”, on fait des préconisations et on est à leurs côtés pendant une année, à l’issue de laquelle on fait un bilan », explique Lucile Geyl-Hutschka. Benjamin Pastwa, de la brasserie Bendorf, a ainsi pu investir dans une cuve de récupération des eaux, et Bernard Schmidt de l’entreprise Microjet, spécialisée dans la découpe au jet d’eau, a pu installer des panneaux photovoltaïques pour sa consommation d’électricité. C’est la même démarche qui anime le label éco-défi, que la CRMA Grand Est vient de lancer en Alsace : il distingue des chefs d’entreprise qui se sont engagés à mettre en place plusieurs actions respectueuses de l’environnement. « Ainsi, les consommateurs peuvent faire le choix d’artisans qui ont entamé leur virage écologique », explique Lucile Geyl-Hutschka. Le label Répar’acteurs, lui, valorise les petites entreprises qui ont choisi la réparation, comme la bijouterie Greulich à Strasbourg, qui transforme les bijoux des clients depuis 1948. Une quinzaine de Répar’Acteurs sont recensés dans l’Eurométropole. Par ailleurs, la CMA propose des webinaires (Les jeudis du développement durable), conseille sur des points réglementaires et fournit une liste de prestataires plus respectueux de l’environnement. Le cas des néo-artisans Car il est difficile d’entamer ce virage tout seul, pointe Marie- Christelle Haubensack : « Il n’est pas toujours possible pour tout le monde de s’approvisionner localement, par exemple pour les fleuristes ou les professionnels du bâtiment, soulève-t-elle. « Mais les choses s’améliorent quand même », nuance Arnaud Trollé, directeur de l’organisme de formation Savoir-Faire & Découverte. Avec le think-tank La Fabrique écologique, il a étudié le phénomène des néo-artisans, d’anciens salariés ou entrepreneurs devenus artisans. Ces reconvertis entraînent une dynamique vertueuse sur les territoires : « Par exemple, grâce à l’explosion des brasseries artisanales (de 200 en 2009 à 1600 en 2019), on observe des

installations de malteries locales. Avant, les brasseurs devaient se fournir à l’étranger. » D’après son étude, les néo-artisans ont tendance à vouloir mettre en cohérence leur activité et leurs convictions : « Entre les matières premières locales, les livraisons groupées, la vente en vrac et les énergies vertes, c’est toute la conception du projet qui contribue à une économie artisanale plus résiliente », explique Arnaud Trollé. Dans son organisme de formation orienté sur les activités écolo, les demandes ont doublé en quelques années. Elles viennent en majorité de femmes mais aussi de gens de tout âge, « qui cherchent un métier-passion ». Quand la sobriété pousse à la créativité C’est ce qui a animé la reconversion de Laurie Boulard, créatrice de Limyla, une marque strasbourgeoise de luminaires en papier. Cette ancienne professeure d’anglais « admirative du travail fait main » a toujours aimé bricoler. En 2016, elle se professionnalise pour « être en cohérence avec [s]es valeurs » : « Je voulais pouvoir communiquer sur mes créations avec les clients. C’est dans l’air du temps de se renseigner sur ce qu’on consomme. » Ainsi, elle travaille avec « le papier le plus éthique possible », fabriqué à Strasbourg par l’entreprise Lana, ou recycle du papier trouvé dans les brocantes, notamment des cartes géographiques, sa passion du moment. Cette démarche de sobriété n’est pour elle pas contraignante : « Les idées viennent de la matière, ça permet d’aller vers la surprise. Et ça crée des modèles uniques ! » Elle constate que « le gros vivier d’artisans strasbourgeois » est plutôt dans la même démarche, notamment celles et ceux de la boutique du Générateur, rue SainteMadeleine. Mais elle estime qu’il faudrait un système de soutien plus élaboré pour valoriser une économie circulaire à l’échelle micro-locale : « Par exemple, je donne mes chutes de papier à une autre créatrice. Il faudrait une charte pour valoriser ces échanges, et pourquoi pas une plateforme pour mettre en lien les créateurs, comme les groupes Facebook de partage entre particuliers ! » Chambre de Métiers d’Alsace : cm-alsace.fr Savoir-Faire & Découverte : lesavoirfaire.fr Limyla : etsy.com/fr/shop/Limyla


Tendance réparation La réparation et le recyclage n’ont pas toujours eu le vent en poupe. Qui ramène encore sa semelle cassée chez le cordonnier ou prend le temps de démonter son petit électroménager ? Pourtant, aujourd’hui, les repair cafés fleurissent, profitant d’une conscience accrue de la nécessité de réduire ses déchets (pour 50% des Français, selon une étude YouGov sur le zéro déchet publiée en mars 2020). Surtout, on veut davantage réparer soi-même, s’essayer à être artisan ou mécano d’un jour, le tout, au sein d’un collectif. Par exemple en réparant son vélo avec un expert. À Strasbourg, l’association Bretz’selle a vu le jour à la fin des années 2000. Elle propose des ateliers d’auto-réparation avec l’aide de bénévoles (et quelques salariés). L’association Vélostation propose

Dans l’atelier de Bretz’selle où l’on répare son vélo soimême en apprenant la mécanique. Photo : Simon Pagès

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la même chose depuis 1996 à Neudorf et à Montagne Verte. À Schiltigheim, la toute jeune “Schilcyclette” offre un atelier, du matériel et des conseils tous les vendredis de 18h à 20h dans la Cour Elmia à Schiltigheim. Ce partage d’expertise, c’est aussi l’idée des accorderies. À Strasbourg, c’est d’abord une association, Zamma d’acc, qui porte dès 2013 l’idée d’échanger des services et savoirs entre particuliers. Puis, l’association s’est fondue dans le réseau des accorderies de France, qui aiment se désigner comme des « banques de temps » : une heure consacrée à un autre membre donne la possibilité de bénéficier d’une heure à son tour. Si certaines demandes consistent à un coup de main pour garder ses enfants, le système permet aussi à certains de réparer des mobylettes des années 70 ou de poncer une bibliothèque, grâce au savoir précieux d’un autre camarade. Ainsi, la réparation devient utile, mais surtout créatrice de lien social, voire « un

Une des créations de Sandrine Knobloch (Art et Carton). Photo : Simon Pagès


formidable outil de lutte contre la précarité tout comme pour le développement du pouvoir d’agir », indiquait Myriam Niss, membre de l’Accorderie, dans les pages des DNA en décembre 2020. Le pouvoir d’agir C’est ce que remarque Delphine, chargée de projet et animatrice de l’association Tadâm, qui organise des ateliers pour promouvoir « l’éco-couture ». Si l’association souhaite sensibiliser sur le recyclage textile, les ateliers sont aussi des lieux de vivre-ensemble et de transmission. Surtout auprès des enfants. Tadâm mène des séances en classe pour les initier à la couture, leur faire connaître les matières… Les adultes, eux, se retrouvent lors d’ateliers de sept à huit personnes et peuvent venir avec les pièces qu’ils souhaitent réparer ou customiser. « Ou utiliser les tissus proposés par l’association, récupérés chez nos grands-mères ou d’anciennes couturières », indique Delphine. « Nos participantes viennent dans une optique de recyclage, puis elles découvrent des astuces. Elles acceptent de se laisser porter par le tissu, de renoncer à un motif particulier qu’elles avaient en tête, et découvrent ce qu’on peut faire avec de la récup’. Nous avions par exemple utilisé des collants pour remplacer les élastiques de masques. » Delphine assure qu’il y a une conscientisation grandissante des bienfaits de l’éco-création : « Depuis la création de l’association il y a 10 ans, nous avons moins besoin d’argumenter sur le recyclage, la récup… Et les participantes prennent vraiment conscience de la valeur du produit. » À l’image de l’upcycling (lire notre hors-­ série précédent), c’est donc le fait même d’avoir réparé, customisé, qui ajoute de la valeur à l’objet. C’est l’idée de la tendance visible mending, ou « réparation visible », qui est apparue ces derniers mois sur les réseaux sociaux. Le hashtag donne à voir de multiples jeans, chemises et pulls, dont les « cicatrices » sont bien visibles, faites de couleurs vives ou de motifs (fleurs, toiles d’araignée, étoiles…). Les bricoleurs du textile deviennent alors véritables artistes… Panser ses blessures ? On trouve aussi sous ce hashtag des tasses et autres objets en céramique réparés de manière visible… C’est la méthode du kintsugi, qui fait de la mise

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en valeur des brèches sa philosophie. Cet art japonais consiste à rassembler les morceaux d’une porcelaine ou céramique cassée grâce à de la peinture d’or et à lui redonner ainsi sa forme initiale… mais embellie. Si cette technique permet de prolonger la vie des objets, elle s’inscrit dans un acte presque thérapeutique, plus personnel et introspectif. Chaque pièce demande un mois de travail, du nettoyage au lissage, avant de panser les plaies. C’est un art volontairement lent, qui favorise la pleine conscience, d’après Céline Santini, autrice du livre Kintsugi, l’art de la résilience. Finalement, quels que soient les objets qui demandent une seconde vie, il y a forcément une technique ou un collectif qui vous attendent pour vous aider à la concrétiser !

L’arbre et la manière Peu de gens le savent : on peut fabriquer à peu près tout et n’importe quoi à partir du carton. Dans le Bas-Rhin, deux artisanes fabriquent de la décoration et des meubles en carton 100% recyclé. Sandrine Knobloch, basée à Eschau, est intarissable sur les avantages d’une matière première injustement considérée comme moins noble : « C’est léger, écologique, isolant et hyper solide. Je fais des lits, des tabourets qui supportent plus de 200 kilos. Les meubles résistent aux secousses sismiques, et tiennent dans la durée pendant des dizaines d’années. » En plus du mobilier, Sandrine fait des bateaux, des accessoires pour pièces de théâtre et des activités de team building, des sculptures, des petits luminaires… Elle a décidé de se lancer il y a une quinzaine d’années, après avoir donné naissance à sa première fille. Elle-même a grandi avec un père bricoleur, entourée d’outils et de pinceaux. « Du coup, j’étais bricoleuse, et c’était naturel pour moi de fabriquer avec des matières qu’on trouvait dans la nature », raconte-t-elle. Elle narre aussi des parents « hyper écolos », attentifs à leur consommation d’eau et adeptes du compost. Après dix ans de travail en entreprise dans le secteur commercial/marketing, il est devenu « évident » pour elle de trouver une activité dans la même veine, et qui était aussi « originale ».


Pour trouver sa matière première, elle écume les entreprises du coin et recycle aussi des boîtes d’œufs, du carton de calendrier… L’essentiel, c’est de ne pas chercher trop loin. Le local, elle y tient : ses peintures aussi sont fabriquées dans la région, et elle a obtenu le label Marque Alsace. Si elle n’a pas réussi à réaliser son souhait de replanter des arbres dans la forêt d’Eschau, elle soutient maintenant l’association Reforest’action et la Ligue de protection des oiseaux. Un engouement grandissant On retrouve la même démarche du côté de Camille Renton-Epinette, qui « baignait dans l’écologie et la récup’ depuis l’enfance ». La créatrice de la jeune entreprise Ma maison est en carton s’est lancée fin 2019, après s’être fait la main en amateure pendant huit ans. La jeune femme a toujours été « crafty », de ses propres mots, et tient cette fibre artistique de son grand-père, dont les tableaux ornent les murs de son appartement. C’est quand elle a emménagé dans son premier logement, vide, qu’elle a commencé à fabriquer ses meubles en utilisant du carton issu de la cartonnerie où elle travaillait. Depuis, elle ne travaille qu’avec des cartons recyclés, récupérés dans des boutiques strasbourgeoises, souvent des magasins de vélos. Elle s’y rend d’ailleurs avec son vélo électrique et sa remorque, achetés grâce à un crowdfunding, preuve que le grand public adhère à ce qu’elle fait. Sa sensibilité écolo la pousse à acheter ses colles et vernis (à base d’eau) chez Erika, entreprise familiale dans la vallée de la Bruche. Pour elle, la création va de pair avec le respect de l’environnement, le circuit court et le temps long. « Toutes mes créations sont faites sur-mesure, après une demande de particuliers ou de professionnels », précise-t-elle. Dans la pièce de son appartement qui lui sert d’atelier, elle s’applique à bâtir les commodes, armoires, meubles TV ou même bibliothèques qui habilleront l’intérieur de ses clients, qui apprécient le modèle unique. De là à tourner progressivement le dos à la production industrielle ? « En tout cas, de plus en plus d’entreprises et de particuliers viennent me voir, ce qui est peut-être un indicateur », suppose Sandrine. « C’était moins facile pour moi au début, les gens ne comprenaient pas l’intérêt, raconte-t-elle. J’étais peut-être

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un peu en avance. Mais maintenant, les artisans font attention à ces questions, et de grandes entreprises se lancent sur le créneau du carton, ce qui normalise ce matériau écolo. » Du neuf avec du vieux Pourtant, il est encore dur de sensibiliser le secteur de la fabrication sur les déchets qu’il produit. Élodie Contino en sait quelque chose. La jeune femme était chargée de développement commercial pour des marques de vêtements et de mobilier quand elle a pris conscience de la production astronomique de déchets de production qui filaient directement à la poubelle. Après s’être entendue dire qu’on ne « pouvait pas faire autrement dans la production industrielle », elle a décidé de créer sa propre entreprise, qui favorise l’artisanat et les circuits courts. Ainsi naît le concept de Roses & Aléas au printemps 2020 : de beaux objets neufs pour décorer et meubler son chez-soi, faits exclusivement de chutes industrielles. Le rembourrage des coussins tout ronds ? Il s’agit de fils de chaussettes Labonal. Les bougeoirs ? Ils sont faits des bouts de poutres créés par l’activité de charpentiers de la région. « Ma démarche est d’assurer le circuit le plus court possible », explique Élodie. Elle identifie les déchets industriels et les livre à un artisan ou acteur local (un ébéniste par exemple, comme Sébastien Kuhn de l’atelier Jon Wood, un fabricant textile des Vosges ou encore l’ESAT du Neuhof…) pour ensuite arriver au produit fini. « J’ai conscience depuis toute petite que chaque action a un impact, indique-t-elle. Et maintenant que je suis enceinte, je ne veux pas laisser l’addition à mes enfants. » De la création à la sensibilisation Armée de ses convictions, Élodie Contino négocie auprès des entreprises pour les débarrasser de leurs rebuts industriels, en leur expliquant qu’elles feront des économies (les entreprises doivent s’acquitter d’une participation financière à la gestion de leurs déchets). En revanche, les artisans avec qui elle travaille ne sont « pas du tout surpris par la démarche », et sont la plupart du temps « dans une dynamique similaire de réduire leurs coûts ». Les clients, eux, sont d’abord séduits par le produit : « L’idée est vraiment de faire du beau,

toujours du beau. Que les gens trouvent nos objets jolis. » Puis, « on leur raconte l’histoire des objets, et ils adhèrent à la démarche », assure Élodie, qui précise que Roses & Aléas propose quatre collections par an sur sa boutique en ligne et principalement en pré-­commande. « Ça permet de centraliser la production, détaille-t-elle. L’artisan peut tout lancer d’un coup, et cela utilise beaucoup moins d’énergie. » C’est là la particularité du travail de ces créatrices « écolo-friendly » : la nécessité d’informer et de sensibiliser tous les acteurs. Sandrine Knobloch aime ce volet transmission : elle intervient très régulièrement dans les écoles et propose des activités pour les anniversaires. « Les enfants sont très réceptifs, assure-t-elle. Surtout les tout petits. Ils ne remettent pas en question le matériau, ils s’en emparent, et ça les marque sur la durée. Finalement, nos grands-parents rapiéçaient, réutilisaient… C’est la société de consommation qui a perverti nos usages. Maintenant, il faut qu’on y revienne. C’est pour ça qu’aller dans les écoles, c’est indispensable. » Elle a confiance en ces nouvelles générations de bricoleurs sensibles à l’environnement : « Les mentalités changent. On ne reviendra pas en arrière. »

Maquettes en 3D des bancs «Ernest» (blanc) et «Maurice» (kaki). Les portes d’un établissement médico-social récupérées auprès de l’association BoMa (voir page 84) ont servi à créer les assises. Du tissu revalorisé a été utilisé pour les dossiers. 1+2

Les patères «Alexter» en chêne massif d’une forêt vosgienne. 3


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Jean-François Eckstein RÉPARATEUR DE VÉLOS Par Cécile Becker / Photos Jésus s. Baptista

Ici, on se demande si le vélo ne pourrait pas avoir une odeur. Des accessoires et autres souvenirs posés là, ça transpire la passion et c’est sans doute ce qui fait que le badaud à la monture mal roulée y trouve son compte. « J’avais envie de revenir aux origines : l’établi, les vélos aux murs pour le côté sentimental, les choses que les clients m’ont laissées aussi », précise Jean-François Eckstein, le maître de ce bazar tout à fait organisé. Le vélo, quand il a commencé, c’était pas vraiment sa tasse de thé. Ce qui l’a fait vriller, c’est justement l’histoire des montures. Dans les années 90, un CAP Cycles et motocycles en poche, il fait le tour des marchands de l’Est. À l’époque, il fait plutôt dans la pétrolette, et avoir eu les mains dans le moteur, ça lui a 94

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sacrément servi : « Le vélo, c’est de la mécanique. Tous les modèles qui sortent des grosses chaînes de fabri­cation sont blindés d’électroniques et de composants mal fichus. » Beaucoup de réparateurs peinent à dégoter la panne sur les anciens vélos. Lui, en plus de collectionner les objets, accumule d’anciennes documentations mécaniques. Et il ne refuse ­jamais une réparation, même complexe. « J’ai toujours eu besoin de challenge. » Pour aller plus loin, il s’est formé à la fabrication de cadre dont un très bel exemple trône au sous-sol  : un cadre micro-gommé, dont la peinture bleue titille les traces de rouille. Rutilant ! Mais, par humilité, Jef (pour les intimes) ne propose pas encore de fabrication sur-mesure. Avec

la restauration, les menues réparations, la location, il a déjà beaucoup à faire. Et puis les choses, il veut bien les faire. Le lien avec le client, c’est fondamental, il l’a appris auprès de son maître d’apprentissage – anciennement Cycles Jacht à Neudorf, boutique qu’il avait reprise à son nom avant de débarquer à la Kru­tenau en 2018. La suite ? Une personne devrait le rejoindre bientôt, formée sur le tard. Parce que même si la culture vélo explose et que le Covid n’a fait que renforcer le phénomène, les centres de formation ont un train de retard. À suivre… L’Increvable 3, place de Zurich à Strasbourg lincrevable-cycles.fr


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Charles Julien Nivert CORDONNIER

Par Lucie Chevron / Photos Jésus s. Baptista

Les baskets, Charles Julien Nivert aka Niv’Air en a fait son cœur de métier. Avant, il était banquier patrimonial. Aujourd’hui, c’est à sa passion de toujours qu’il consacre ses journées. Petit, déjà, il déclarait à sa mère : « Tu verras maman, quand je serai grand et riche, tu auras des chaussures avec des bijoux dessus. » Quelques décennies plus tard, c’est une paire de Stan Smith avec empiècements dorés qu’il lui offrira. Né avec un pied bot, son projet premier est d’intégrer un CAP podo-­orthèse afin de « créer un design sympa pour des chaussures orthopédiques ». Les aléas de la vie l’empêcheront de suivre ce chemin, mais ce projet continue encore d’animer son esprit rêveur et créatif. Fan des baskets des années 90, 96

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il restaure sa première paire en 2015, comme pour lui donner « la seconde vie qu’elle mérite ». Au fil de longues heures de travail, et non sans peine, ce prodige autodidacte apprend le savoir-­ faire de la confection sur-­m esure en démontant et remontant les sneakers de sa propre collection. C’est sous le nom Make Your Grail que ce « cordonnier 2.0 », travailleur du cuir et amoureux des couleurs, fabrique, rénove et customise des baskets en tout genre. Ses favorites ? Les Air Jordan 3, dont il a revêtu sa plus belle création pour l’occasion. Bien plus qu’un accessoire de mode, pour lui chaque chaussure cache en elle une histoire : « Dis-moi comment tu te chausses, je te dirai qui tu es », s’amuse-t-il.

Après l’apprentissage du savoir-faire, la transmission. Rêvant depuis toujours d’enseigner, il a souhaité partager ses compétences. Du dessin en trois dimensions au semelage en passant par le patronage et le montage, passer le flambeau l’anime au quotidien. Il propose ainsi des formations « Sneaker School », où les « élèves » viennent avec leur paire de baskets et apprennent toutes les étapes de fabrication et de modification. « C’est le truc ultime du collectionneur, avoir sa paire faite soimême : choisir les matériaux, la forme, le design, etc », et créer son propre graal de la basket… makeyourgrail.com


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Alain Ledoux GARAGISTE

Par Lucie Chevron / Photos Jésus s. Baptista

Petit garçon, Alain Ledoux observait son père s’activer sur les voitures. Depuis 1930, les murs du 107, route de Lyon à Illkirch abritent le garage Ledoux. En 1984, alors qu’il fait son service militaire, le jeune homme perd son père. Fils unique, il a tout juste 22 ans lorsqu’il reprend l’affaire familiale créée par son grand-père. « J’ai toujours trempé dedans, dit-il. La technique est quelque chose qui me passionne depuis enfant. À l’époque, je me disais que je reprendrai le commerce dans ma trentaine. En attendant, je voulais tracer mon propre chemin dans l’aéronautique, mais la vie en a décidé autrement. » Par souci de légitimité auprès de ceux qui devinrent brusquement ses employés, il passe une maîtrise en mécanique automobile. 98

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Presque 40 ans plus tard, ce passionné continue de ressusciter les voitures de ses clients. Trois générations se sont donc succédées en ce lieu, avec toujours le même désir : offrir un service de grande qualité. Ce qui l’anime notamment : le contact et la satisfaction du client. Artisan aux multiples casquettes, Alain Ledoux est autant technicien que commercial, manager et formateur. Carrosserie, peinture, mécanique, électronique, ce garagiste de père en fils se caractérise techniquement par sa poly­valence et sa curiosité. S’adapter à l’urgence des nouvelles technologies et aux enjeux environnementaux, à « l’évolution » pour reprendre ses mots, rien ne semble lui faire peur. Au contraire, sa soif d’apprendre est insatiable.

Une autre de ses motivations : transmettre son savoir-faire artisanal. « Ce sont plus de 300 apprentis que nous avons dû former avec mon père et mon grand-père », confie-t-il. Alors, il le sait, l’entreprise sortira probablement de la famille avec lui. Mais c’est paisiblement qu’il le prend, avec au coin de la tête, l’idée de chercher un successeur aussi habité que lui pour reprendre le flambeau. Car, « tant que l’affaire continue à vivre, c’est le plus important ». Garage Ledoux 107, route de Lyon Illkirch-Graffenstaden 03 88 66 06 55


Boulangerie et pâtisserie Woerlé

10, rue de la Division Leclerc | Strasbourg 03 88 15 19 30 | boulangeriewoerle.com


Le périmètre réconforté

Photo : Pascal Bastien

Par Fabrice Voné

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Les restrictions de déplacement liées aux différents confinements ont chamboulé nos habitudes. En ville, le périmètre autorisé a ainsi renforcé la notion de proximité. En consommant local, on a aussi retissé des liens parfois oubliés avec les artisanes et artisans. Exemples à Strasbourg chez une esthéticienne-masseuse, une blanchisseuse et un fleuriste.

Non essentiel, juste primordial Maïli Nguyen esthéticiennemasseuse Le massage dans la peau. « J’ai longtemps cru que les enfants devaient masser leurs grands-parents. » Maïli Nguyen a cinq ans lorsque sa grand-mère lui ordonne chaque soir ce rituel ancré dans la culture vietnamienne. « C’est elle qui m’a transmis tout ça », poursuit la jeune femme, qui a longtemps exercé en tant qu’esthéticienne dans la mode à Paris. Jusqu’en 2014 où elle arrive à Strasbourg. En Alsace, la détente lui semble alors se résumer aux plaisirs des winstubs. Davantage en tout cas que

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dans la relaxation qu’elle prodigue. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, son salon d’esthétique et de bien-être se trouve à la Fabrik. Un chouette lieu à Neudorf qu’elle partage depuis un an avec Grégory Alcudia, coiffeur, et Stéphane Linder, restaurateur d’art. À la différence notable que la loge qu’elle occupe à l’étage ne peut plus accueillir de clientèle durant les confinements. Contrairement aux salons de coiffure, les établissements du secteur esthétique ne font toujours pas partie des commerces dits essentiels. Depuis l’apparition de la pandémie de Covid-19 et des principes de distanciation, la notion de bien-être semble pourtant primordiale. Lorsqu’elle est en droit exercer, Maïli reçoit pas mal d’adolescents et de jeunes adultes en souffrance du manque de contact, dans tous les sens du terme. « Beaucoup me disent qu’ils n’arrivent plus à parler et qu’ils ont mal à leur corps car ils sont à la

maison et n’ont plus d’interactions avec leurs amis », explique-t-elle. Avant cela, il lui faut interpréter le corps de l’autre, trouver la pression à utiliser, le rythme du massage ainsi que l’huile adaptée aux types de peau. Le télé-travail charrie également de nouveaux maux. « Je trouve que les gens travaillent de plus en plus. Ils ne font plus de pauses, sacrifient des repas. Du coup, je pense qu’ils dépriment car ils ont l’impression de ne faire que ça », souligne la jeune femme. Qui cite l’exemple d’un de ses voisins qu’elle « oblige à prendre une heure de temps à autre, sinon il fait des journées de fous ». Comme une ode salutaire à la déconnexion et une reconnexion hautement recommandée avec son propre corps. La Fabrik 4, rue d’Eschau à Strasbourg la-fabrik.art


Photo : Pascal Bastien

Pressing tout-terrain Giuseppina Palamara blanchisseuse Dans le quartier de Neudorf, au-bas de l’immeuble Balzac où se trouve le pressing du même nom, tout le monde ou presque l’appelle Josy. Il s’agit du diminutif de Giuseppina Palamara, trouvé au fil du temps par ses plus fidèles clientes dont Fabienne qui lui a même écrit un poème. Celui-ci est affiché en bonne place dans le magasin qu’elle a repris en 2007. Originaire de San Remo, Giuseppina a retrouvé à Strasbourg un cadre bien connu puisqu’elle avait jusquelà toujours œuvré dans la blanchisserie familiale dans le nord-ouest de l’Italie. Passé la porte de l’établissement, on subodore le travail bien fait. Déjà par son atmosphère dénuée d’odeurs pouvant

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s’apparenter à du perchloréthylène, un solvant utilisé pour détacher et dégraisser les tissus. « Je fais attention à tout ça. Je n’ai pas de presse et j’effectue tout le repassage à la main », indique Giuseppina, également concernée par le recyclage et les questions environnementales. Son adage tient en quelques mots : « Si ce n’est pas propre, ce n’est pas un pressing. » L’absence d’engins dernier cri, d’ordinateur et de Wi-Fi garantit le charme désuet d’un lieu d’où aucun pli ne dépasse. Pas même les 100 à 150 colis qu’elle reçoit chaque jour et qui se retrouvent soigneusement rangés derrière le comptoir puisque son pressing fait office de point-relais. Une activité qui draine de plus en plus de monde à la faveur des achats sur internet en constante hausse depuis la pandémie. Parmi ce flux, nombreux sont ceux qui reviennent ensuite avec une chemise, une veste ou une couette sous le bras. L’opportunité de

déconnecter du monde 2.0 avec lequel notre souriante commerçante entend garder un maximum de distances. « Je suis quelqu’un à l’ancienne qui préfère le contact avec les gens », poursuit cette disciple du « travail manuel et minutieux ». Elle se démarque encore avec sa gentillesse. « Avec le Covid-19, je pense qu’il faut être de plus en plus attentionné, estime-telle. Il y a beaucoup de personnes âgées qui viennent et qui n’ont personne à qui parler. J’essaye de les aider. » En effectuant notamment des livraisons en-­dehors des horaires d’ouverture. Et en rendant à la proximité toute sa splendeur. Pressing Balzac 54, rue de Ribeauvillé à Strasbourg 03 88 84 13 96


Photo : Christoph de Barry

Le printemps retrouvé Bernard Deutsch fleuriste La rencontre se déroule en début d’après-­ midi à Ostwald, dans l’atelier de Bernard Deutsch. Dans un entrepôt situé au milieu d’une cour, Alexandra et Sophie, ses deux apprenties aidées d’une stagiaire, sont affairées à préparer des compositions et arrangements en vue de Pâques. En cette veille de Vendredi saint, un parfum d’excitation se mêle aux senteurs des tulipes, des renoncules, des hortensias et autres fleurs fraîches de saison ramenées le matin même du marché de gros de Karlsruhe. « C’est presque un petit Noël », s’illumine Bernard Deutsch. Mais avant tout un printemps retrouvé

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pour l’artisan-fleuriste, âgé de 59 ans, dont le secteur d’activité a récemment été considéré comme essentiel par le gouvernement. L’an passé, Pâques s’était passé au balcon en raison du premier confinement. Un crève-cœur pour ce fils d’horticulteur ayant grandi à Illkirch. « On a eu énormément de preuves de soutien, plein ­d’appels de solidarité de la part de gens nous ­demandant comment ils pouvaient nous faire travailler. » Amputée d’une saison, l’année 2020 s’était achevée avec la perte d’un quart du chiffre d’affaires. « Depuis qu’on a pu redémarrer, on bosse à fond. Comme toute la profession. On est comme un médicament. En ville, les gens sont enfermés. Ils ont besoin d’avoir un bouquet de fleurs chez eux. » À Strasbourg, dans sa petite boutique de la rue Gutenberg ou sur le marché des Grandes Arcades, la relation avec les clients, considérés « comme une seconde famille », ne s’est

jamais fanée. « On est encore ce petit commerce où les gens ont l’occasion de parler, de se vider un peu. On les écoute et on ­essaye de leur amener de la joie », poursuit-il. Son champ d’action s’est élargi ces dernières années. À Noël, on lui doit la somptueuse couronne de l’Avent de 160 kilos qui orne la nef de la cathédrale. Il intervient aussi pour des décorations de vitrines comme celle de Mireille Oster, chez des particuliers en aménageant des terrasses et en installant des systèmes d’arrosage automatiques. « C’est un ­métier passionnant, ça bouge tout le temps, souligne Bernard Deutsch. Il ne faut pas le faire pour l’argent, c’est tellement rémunérateur autrement. » Le bouquet final. 20, rue Gutenberg à Strasbourg bernarddeutsch.com


DOSSIER

Le numérique green, une utopie ? Par Valérie Bisson

Si on a pris l’habitude de l’écologie, il est un domaine qui a envahi notre quotidien depuis 20 ans où la prise de conscience n’a pas encore été fertilisée : les outils numériques. Pourtant les solutions existent...

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Nos décisions et nos réflexes de consommation créent une empreinte écologique indéniable. Malgré une utilisation omniprésente, l’univers du numérique et des nouvelles technologies, demeure opaque. De l’objet à son usage, notre utilisation d’outils connectés produit des quantités de données, la data, nouveau carburant de l’économie face auxquels nos choix d’utilisateurs ont un réel impact. Sans parler des déchets générés par les ordinateurs, téléphones, tablettes, composants… Le numérique représente aujourd’hui plus de 4 milliards d’utilisateurs dans le monde et 4% de production des gaz à effets de serre mais il n’existe peu ou pas de réglementations autour de ses conséquences climatiques, d’autant qu’elles dépassent nos frontières. La pollution numérique se divise en deux pôles, celui de la fabrication-destruction et celui de l’utilisation. Quand la fabrication d’un seul ordinateur utilise 240 kg d’énergies fossiles, 22 kg de produits chimiques et 1,5 tonne d’eau, une seule recherche sur Google émet 10g de Co2, soit 10 kg par an et par individu, l’envoi de 20 mails par jour pendant 1 an pollue autant que parcourir 1 000 km en voiture… La proximité de l’hébergement des données est un double enjeu ; plus le data center sera éloigné, plus le clic sera pollueur. À Strasbourg, Mathieu Haller, fournisseur d’accès et hébergeur, dirigeant de la société Diatem, alerte depuis des années sur ces questions de proximité. « Nos entreprises locales savent à la fois héberger et fournir le service associé, c’est une valeur ajoutée et c’est cela qui importe. » Pensée avec le souci constant d’un maillage fin et territorialisé, son

entreprise bénéficie d’une présence dans deux data centers implantés sur le Grand Est. Il soulève également les problèmes éthiques des choix d’hébergement confiés à des entreprises anglo-saxonnes. « Le pouvoir des géants du numérique ne cesse de s’étendre sur nos vies et nos démocraties. Non contents d’exploiter nos données privées en permanence, ils contribuent paradoxalement et sur le long terme à la disparition de pans entiers de notre économie digitale. Il existe pourtant d’autres solutions collaboratives et de proximité, respectueuses de la planète et de nos libertés. Les outils existent, à nous de nous en emparer pour construire le numérique de demain. » Penser le numérique localement consiste aussi à mettre en place un circuit court intellectuel et éthique. Il précise : « Il ne faut surtout pas penser que ce qui a l’air gratuit l’est ; c’est un leurre absolu. Il existe aujourd’hui un tas de messageries indépendantes, de moteurs de recherches et d’outils open source qui redonnent de l’autonomie au consommateur, à lui de s’en emparer ». À Strasbourg, plusieurs hébergeurs, fournisseurs d’accès et de solutions numériques existent et sont au service d’organisations locales, c’est le cas entre autres de SdV pour Arte ou de Agora Calycé pour Alsace Biovalley. Paradoxalement, l’accélération et l’intensification des usages permises par les géants du numérique ne mène pas nécessairement à davantage de légèreté : « Au travail, ces usages provoquent aussi de la surcharge informationnelle et l’invasion de la vie personnelle des salariés. Ce technostress est totalement contre-­ productif », explique Jean-François Stich, enseignant-chercheur à l’ICN Business

School. « C’est l’expérience d’utilisation qui nourrit nos réflexes d’instantanéité et de vitesse », renchérit Mathieu Haller. Les chiffres de la destruction des déchets d’équipements électroniques ne sont guère meilleurs, avec 50 millions de tonnes par an dans le monde, chaque français en génère 21,3 kilos. Adrien Montagut, co-fondateur de Commown, une coopérative d’intérêt collectif pour soutenir et développer l’électronique responsable, implantée dans la pépinière d’entreprise de Hautepierre depuis 2018, insiste sur la nécessité de résister à la consommation effrénée ainsi qu’à la puissance des lobbies. « C’est une guerre de tous les instants, faire durer les appareils et limiter l’extraction des matériaux est au cœur de notre projet. L’idée de Commown a germé dès 2016 afin de soutenir Fairphone, un modèle d’économie d’usage où le client est propriétaire d’un service et plus d’un produit. Les enjeux environnementaux et économiques sont centraux, nous proposons une réponse à une dissonance quotidienne d’obsolescence et d’ultra capitalisme. L‘atelier de Strasbourg loue et gère les appareils, elle reconditionne et redistribue les composants pour alimenter un système vertueux. » Face à une vague inexorable, il considère que la seule façon d’agir est de faire sens et de réutiliser l’existant. La location attire l’attention des consommateurs et questionne leurs désirs de possession voués au cycle infernal de la fabrication-destruction. Plusieurs entreprises ont opté pour les solutions Commown, c’est le cas du réseau de crèches Krysalis, de l’atelier Reeb, de la Ferme de la Coccinelle, d’Auportunes, de Weekend & Kid ou encore, de La cuisine de demain… Mathieu Haller conclut en revenant à l’origine d’Internet : « Le projet initial a été perdu de vue, c’était un système vertueux de mise en relation et de partage d’information qui ne devait en aucun cas être centralisé, on assiste aujourd’hui à l’effet inverse. » En matière de numérique, les résistances individuelles demeurent marginalisées et taxées de refus du progrès, seule une prise de conscience collective permettra d’enclencher des résultats vertueux pour nos sociétés de demain. diatem.net commown.coop

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DOSSIER

L’éducation informatique Play2Code Python, Java, CSS, Php, Mysql, Angular, React, Vue.js… bienvenus dans la tour de Babel du futur. Pour comprendre le monde de demain et interagir avec lui, une seule solution : en maîtriser les codes et les outils. Dans une société qui se virtualise de plus en plus, accompagner le public sur les voies de l’autonomie, c’est le pari relevé par la communauté Avenir Numérique Alsace d’Alsace Digitale par le biais de ses ateliers Play2Code menés depuis 2011. Les ateliers d’apprentissage à la programmation et au développement informatique à destination des enfants et adolescents ont notamment pour but de leur donner accès à la compréhension d’outils qu’ils utilisent au quotidien. C’est une des portes vers le développement d’un esprit critique et averti sur son environnement. Encore très peu implantés dans le système scolaire, si ce n’est par l’omniprésence d’un système d’exploitation que l’on ne présente plus, les ateliers de codage et l’apprentissage des langages informatiques éveillent une réflexion de proximité versus une consommation aveugle. Ces

ateliers abordent aussi les notions de données, de cybersécurité, de business model des applications et de neurosciences. Catherine Mosser, la coordinatrice en charge du développement, insiste sur l’importance d’entrer en contact avec ces outils dès le plus jeune âge : « Scratch, par exemple, est un logiciel libre conçu pour initier les élèves dès l’âge de 8 ans à des concepts fondamentaux en mathématiques et en informatique. Ce langage informatique repose sur une approche ludique de l’algorithmique destiné à aider à créer, à raisonner et à coopérer. Comprendre ces enjeux est un véritable atout pour nos intelligences de demain. » Lors des ateliers, les jeunes élèves créent des jeux vidéo mais aussi des animations qu’ils peuvent ensuite parfaire une fois rentrés chez eux. « Ils comprennent ainsi mieux ce qui est mis à leur disposition à longueur de journée, cela éveille leur esprit d’analyse critique. » Play2Code permet de développer des compétences en informatique, d’être créatif et de travailler de façon autonome. Pour les plus âgés les ateliers Coding Club mensuels du mercredi sont co-­ organisés avec Epitech, l’école référente. Chaque élève avance à son rythme à partir de tutoriels sur-mesure. Des stages de 2 à 3 jours pendant les vacances scolaires ou des ateliers ponctuels dans les médiathèques, les centres socio-­culturels et les établissements scolaires sont également organisés et sont entièrement gratuits afin de permettre à n’importe quelle personne intéressée d’y participer. Cette approche marginale a besoin de l’investissement collectif, Catherine Mosser précise : « Le matériel informatique est fourni par nos partenaires mais aujourd’hui les demandes affluent et Play2Code se mobilise pour acquérir de nouveaux supports afin que stages et ateliers gagnent en diversité et en qualité notamment en matière d’initiation à la programmation et au développement. Nous avons également créé au sein d’Alsace Digitale une bidouillothèque, un centre de ressources partagé où l’on peut emprunter du matériel comme dans une bibliothèque. Nous sommes toujours à la recherche de donateurs pour continuer cette aventure. » play2code.eu

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Pour aller plus loin yunohost.org  Un système d’exploitation proche de la FFDN (Fédération des fournisseurs d’accès internet associatifs) – une partie des contributeurs ont créé la Brique internet. Il simplifie l’administration d’un serveur (auto-­ hébergement) et est construit comme un logiciel libre (gestion interface et noms de domaine, serveur mail, messagerie instantanée…) labriqueinter.net Une brique à brancher à sa box qui diffuse son propre réseau WiFi (et donc nettoie le vôtre) via un VPN pour protéger son accès à Internet + solutions d’auto-hébergement via YunoHost. Pensée par l’association LDN (Lorraine Data Network) reflexlibre.net Toujours de l’auto-hébergement : stockage de données, synchronisation, chat, site web, et une brouette d’appli­ cations compatibles fondé par Valentin Grimaud, Strasbourgeois, membre de la communauté YunoHost. Fédération alsace.netlib.re avec les associations Hackstub, qui souhaite sensibiliser le public à la culture informatique libre, Flammekueche Connection (tux.u-strasbg.fr), groupe d’utilisa­ teurs de logiciels libres dans la région, ou encore Desclicks (desclicks.net), association d’informatique solidaire qui permet d’acheter un ordinateur revalorisé, assure des opérations de maintenance et programme des formations. arn-fai.net Alsace Réseau Neutre propose des ateliers, notamment dernièrement pour se « libérer du pistage » et des solutions informatiques à gogo.

création de maroquinerie matières premières d'exception, fabrication artisanale, économie locale et circuits courts 22b rue de l’hôpital - 67150 Erstein

la-reverdie.com | @la.reverdie.maroquinerie

Art & culture Espace de fabrication Médiation numérique

TIERS-LIEUX CRÉATIF

LABÉLLISÉ FABRIQUE DE TERRITOIRE Entreprise Économique Sociale et Solidaire

1 rue Place de la Gare 67300 Schiltigheim 03.88.81.14.83

Pour en savoir plus sur nos activités, rendez vous sur notre site

www.la-cabanne-des-createurs.com suivez-nous


DOSSIER

Photos Jésus s. Baptista

La réparation Media Business Phone Fondée en 2010 par Nasser Moudnid, Media Business Phone a pignon sur rue depuis une dizaine d’années et se distingue par son savoir-faire et sa proximité avec le client. Nasser Moudnib propose des solutions de réparation de smartphones uniques sur le marché florissant du dépannage et n’a pas attendu la mode de la durabilité pour penser un service qui lui est vite apparu comme une évidence : « En 2011, lorsque le boum du déblocage de téléphones en ligne est arrivé en même temps que Free sur le marché de la téléphonie, j’avais déjà repris un magasin à mon nom, j’y ai ajouté l’activité de rachat d’appareils cassés, puis j’ai monté l’atelier de reconditionnement. J’ai ensuite investi dans l’achat de machines. J’ai vite vu le besoin de réparation émerger. » Quand on sait que 90% de l’énergie consommée par un smartphone l’est lors de sa fabrication, l’envie de le faire durer

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un peu est arrivée vite. Autodidacte, Nasser a su percevoir les besoins de ses clients qui l’ont pour ainsi dire poussé plus loin dans son approche du métier : « Ma clientèle est locale et se développe en réseau, par la confiance, la mise en relation, la proximité. Dans ma démarche globale de solutions et grâce au lien tissé, j’ai pu construire une autre offre, c’est ce qui me distingue des grosses sociétés. Aujourd’hui, beaucoup de boutiques proposent des solutions de réparation, c’est bien pour le consommateur, mais pas toujours fiable. » Passé par le secteur de l’électronique, Nasser s’est rendu compte qu’aucune entreprise ne s’était avancée pour assumer ce rôle de réparateur dans sa région. Résultat : il a développé toute une palette de services. Media Business Phone est par exemple la seul à Strasbourg à renouveler et remplacer le verre du téléphone par un écran compatible. Tout est fait sur place – dans un atelier flambant neuf – et adapté aux besoins des clients. L’artisanat quoi. 8, rue du Héron à Schiltigheim media-business-phone.com

Mais aussi… Gcliké Informatique Situé avenue de la Forêt Noire, un prestataire qui propose des réparations et du conseil en installations. gclicke.com Dépannage Informatique Robertsau Du dépannage informatique, de l’optimisation et de la récupération de données. depannage-pc-strasbourg.eu iTruck De la réparation informatique sur roues. Lauréat Tango & Scan. itruck.fr



Des news de Gnooss 1

Vous connaissez les pop-up stores Gnooss 100% made in Alsace ? Les confinements ont été l’occasion de penser et développer la boutique en ligne dont Caroline Boeglin rêvait : un e-shop qui réunit créatrices, créateurs, artisanes et artisans sélectionnés avec amour. L’ADN de la maison est bien là : de la conception du site, aux relations avec les créateurs – dont on retrouve de douces présentations vidéo – en passant par l’envoi des commandes ; tout est cousu main. À venir ? Un corner dédié à la déco et au mobilier, un coin brocante et sans doute quelques incursions hors Alsace. Et comme tout part des rencontres, Caroline nous présente ses coups de cœur.  Trophées Zoorigami par Régine Seyfried « Les trophées d’animaux ont la cote ! Notre coup de cœur se porte sur la famille des Zoorigami signés par Régine Seyfried. Cette passionnée d’upcycling collectionne des tissus récupérés au gré de ses voyages et explorations. Elle imagine des trophées en papier qu’elle personnalise avec ses tissus encollés. On adore sa sélection de motifs qui apportent une touche subtile d’exotisme à notre déco. Un ours, un perroquet, un rhinocéros en trophée et un chien à poser sont disponibles à l’adoption dans notre boutique en ligne. Colorés et très légers, ces Zoorigami sont aussi très résistants, ce sont des pièces originales et uniques. » 1

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Bougies cactus par La Curieuse Fabrique « J’ai un faible pour les bougies déco et nous proposons une sélection super originale sur le site. Toutes nos bougies sont fabriquées à la main à Strasbourg dans l’atelier de La Curieuse Fabrique ! Sa collection cactus est un régal ! Plus vrais que nature, ils apportent une touche déco mexicaine à notre intérieur. Nathalie Flesch, la créatrice, pense le design, les moules et sélectionne une cire végétale non nocive. Pour sa collection cactus, elle utilise de petits pots en terre cuite que l’on peut réutiliser une fois la bougie consumée. Génial pour les boutures ou de petites plantes grasses. Mais encore faut-il encore avoir le courage de les allumer ! » 2

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Coussins mots alsaciens par Gotfertomi « Nos coussins mots alsaciens sont fabriqués à Strasbourg par la tapissière Marie Froehlicher. Elle a créé sa marque de déco textile Gotfertomi il y a un an. Ils se déclinent en velours ou en tissus traditionnels kelsch et sont pimpés d’un mot alsacien en broderie bouclette. On a tout de suite craqué pour cette gamme de coussins qui ne se prend pas au sérieux ! Une façon décalée d’affirmer son attachement à la région. On adore ces coussins pour donner une touche d’humour et de second degré à nos intérieurs. En prime, les tissus sont de grande qualité, les coussins sont moelleux et déhoussables. Et la collection n’a pas fini de grandir. » 3

boutique.gnooss.com

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TRADITION Une fabrication artisanale à base de levain naturel valorisé par des farines riches.

QUALITÉ Des matières premières de grande qualité, 100 % biologiques et naturelles.

PASSION Des produits de saison travaillés avec passion et créativité.

LA BOUTIQUE 2 RUELLE DES PELLETIERS 67000 STRASBOURG 06 74 42 40 19

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BOULANGERIE VIENNOISERIE SNACKING


La sélection de la rédaction

Les pizze al taglio de Il Francese Photo  : Jésus s. Baptista

Les chocolats Le Lautrec sont dispos chez Marmelade

Photo : Alexis Delon / Preview

Délivrez-vous !

La crème de la crème

Ac’tifs !

Vive les petits, vive l’éthique ! Kooglof, c’est une alternative aux plateformes de livraison à vélo qui, confinement et couvre-feu obligent, sont partout… L’entreprise appartient à ses salariés (coopérative) qui sont donc parties prenantes de toutes les décisions – donc forcément mieux traités et mieux payés. Un autre rapport au travail et une éthique qui séduisent de plus en plus de restaurants et commerces partenaires. En vrac : Il Francese, Un Cantalou, Les Poutinistes, Le Petit Faubourg et Pour de Bon, mais aussi Club Croquette (pour nos amies les bêtes) ou encore la Brasserie Bendorf. Bientôt de la livraison de fleurs (et autres besoins ponctuels) et une extension de zone de livraison tant attendue. (C.B.) kooglof.fr

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Marmelade propose du service qui dépote avec la possibilité de commander des paniers à l’unité (primeurs, fruits, légumes, autres produits alimentaires), de s’y abonner et d’ajouter encore plus de produits d’ici. Le tout livré chez vous, le plus souvent à vélo. Côté alimentaire, on note les présences d’Akareva, de la ferme Obrecht, des Jardins de la Montagne Verte notamment, et côté artisanat, Claire Muth et ses oiseaux de papier, ou les cosmétiques de la Savonnerie du Cèdre. L’entreprise file à toute allure vers un très beau succès. (C.B.) marmelade.alsace

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Octop’us, c’est une ONG strasbourgeois qui lutte contre le plastique et œuvre pour des océans et mers clean. Comment ? En menant des actions de sensibilisation, en ramassant des déchets (notamment au Port du Rhin, tout un symbole !) et globalement en participant à tout un tas d’actions vertes. La dernière ? Collecter des cheveux par l’intermédiaire de l’association Coiffeurs Justes à laquelle les coiffeuses et coiffeurs peuvent adhérer pour recevoir des sacs à remplir. Les cheveux qui servent à dépolluer les océans et mers touchés par les marées noires. 1 kg absorbe jusqu’à 8 kgs d’hydrocarbures. Et oui ! (C.B.) octopus-ntw.com


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FOCUS

LES TRADITIONS EN QUESTION Par Cécile Becker Photos Christophe Urbain

Régulièrement mis en danger par l’industrie s’emparant de ses codes, par la globalisation et le tourisme l’enfermant parfois dans des pratiques ; l’artisanat se remet en question. Pour tirer son épingle du jeu, il prône un retour aux origines et lorgne parfois du côté du design.

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« Fait maison », « produit artisanal », « de tradition »… Les mentions faisant référence à l’artisanat assaisonnent allègrement les discours marketing des grands groupes, comme ceux des jeunes marques branchées qui se lancent – la crise sanitaire ayant renforcé ce phénomène. Si le discours traduit un retour à l’authenticité et un besoin de valeurs chevillées à l’humain (la proximité, la rencontre, l’échange), il est parfois trompeur. Jean-Louis Ernewein-Haas, potier à Soufflenheim, sorte de gardien de la mémoire artisanale du village, décrit un changement de paradigme : « Dans les années 70, tout le monde voulait ­acheter du moderne et l’industrie s’est fait sa place. C’était le règne du formica. Tout d’un coup, les gens s’étonnaient qu’on fasse encore du traditionnel… Aujourd’hui, c’est l’inverse, même les industriels disent faire de l’artisanat. Forcément, les gens se méfient. On trouve du Soufflenheim à la Farfouille, ça me révolte ! » Intarissable, il a décidé de remettre « l’argile au milieu du village » en revenant à l’histoire et aux vertus de cette matière. L’argile de Soufflenheim, plus robuste, et aussi plus poreuse, a une vraie incidence sur le goût et la texture des mets cuisinés ; bref, elle incarne le terroir. « Dans le village, on trouve des poteries qui utilisent l’argile de Limoges, ce n’est pas du tout la même qualité. On se plaint que des artisans mettent la clé sous la porte, mais il faut aussi regarder les manières de faire. Ici trois potiers ont fermé, ils utilisaient… de l’argile de Limoges. » De quoi déplacer le débat et pourquoi pas vers la transparence : c’est en révélant ses secrets de fabrication et en invitant les visiteurs en coulisses qu’il élève les consciences. « Je garde juste notre patrimoine en vie, je dis les choses parce qu’elles sont justes. Ça, c’est de la culture. » Et mine de rien, ça marche : depuis 1168, la poterie familiale – le fils, Jonathan, est déjà inscrit dans la lignée – n’a pas bougé, ni dérogé à sa

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r­ éputation. La qualité, ça ne se discute pas, ça se voit. Mais ce dont on peut discuter, c’est peut-être la perte d’une culture de l’objet : le temps où chaque maison alsacienne avait son baeckeoffe, où l’on se passait son moule à kouglof de génération en génération, où l’on s’offrait de la poterie pour les grandes occasions, est révolu. L’objet est tombé en désuétude, entraînant avec lui tout un pan de l’économie locale. De fait, le tourisme a pris le relai enfermant le milieu dans des pratiques difficilement changeables : tant au niveau de la forme que des motifs ou des couleurs, les poteries n’ont (presque) pas évolué. En d’autres termes, la globalisation a entraîné une uniformisation des goûts et des couleurs. Et ça, Jean-Louis le reconnaît : « C’est compliqué parce que les gens sont compliqués. 99% des clients qui passent ici veulent acheter de la ­poterie et du décor traditionnels. » Grégoire Ruault, designer et président d’IDeE, association qui s’emploie depuis 14 ans à dresser des ponts entre l’artisanat et le design, abonde : « À Soufflenheim, vous avez des cars entiers de touristes qui débarquent pour le folklore, ce n’est pas facile de faire bouger les lignes. » Mais certains artisans acceptent. Le kouglof, c’est cool « La preuve par le faire » (le credo de l’association) avec IDeE, justement, dont le premier workshop sur le (mini) moule à kouglof a fait date : 10 versions ont été imaginées par des designers, une commande a été passée aux potiers qui ont été rémunérés en amont (ce qui aurait été impossible sans une subvention de la Région et vient interroger ce modèle de collaboration hors financement des institutions ou commande publique). Ils espéraient en vendre 300, 10 000 ont été écoulés rien que la première année. Même Pierre Hermé en a acheté. Sonia Verguet, membre de l’association et

designer, très intéressée elle aussi par ces questions (et qui nous a inspiré cet article) nous confiait il y a quelques mois : « Il faut questionner les usages. Si on mettait autre chose que le kouglof dans ce moule, peut-être que les clients en rachèteraient et auraient plusieurs modèles chez eux ? » Alors elle s’est amusée et sort ce printemps Coolglof, un livre comme un manifeste pour démystifier et réhabiliter cet emblème alsacien. On y croise des kouglofs complètement azimutés et colorés, des kouglofs sushi ou houmous. Car le design « permet de faire évoluer beaucoup de questions, explique Grégoire Ruault. On n’est pas seulement sur la forme, mais sur l’esthétique, l’ergonomie, l’usage, l’économie, l’éthique et l’émotion – proposer des objets qui correspondent à notre temps. » Tout en précisant que « les traditions façonnent et nous permettent de comprendre d’où l’on vient. C’est le partage, c’est ce qui lie les Hommes ». IDeE a réitéré ces expériences, bien évidemment transposables à d’autres univers que la poterie : la bougie ou la boulangerie-­pâtisserie par exemple. Pour Noël dernier, cinq designers se sont associés à des artisans pour créer Br’ideele, une série de bredele se jouant des formes classiques, dont certains ont été commercialisés. Une approche qui prouve que le design n’existe pas sans l’artisanat. L’artisanat, lui, peut exister sans le design, l’artisan étant aussi créateur. Et c’est là toute la difficulté qu’Harmonie Begon, designer passionnée par les sciences sociales, a mis en lumière dans son mémoire de fin d’études explorant les rapports entre les deux disciplines. Le design arrive bien trop souvent dans une démarche descendante, « sans prendre en compte l’artisan ». Le tableau est d’ailleurs familier : une marque d’aménagement intérieur commande des tapis tissés par des femmes marocaines, se targue d’avoir contribué à l’économie locale, estampille sa production “artisanale” et le tour est joué, le consommateur ayant en plus la sensation d’avoir fait une bonne action. Oui mais. « Cette vision segmente les choses : le designer pense et l’artisan fait. Son savoir-faire est exploité et son nom, souvent, n’est pas cité. Le designer arrive et repart, imagine un objet en petite série qui ne sera pas ou peu vendu, ou alors à un prix injuste ne tenant pas compte des contraintes de coûts et de production. »


Pour une éthique de la collaboration À ce prix-là, justement, qu’est-ce que les artisans auraient à retirer d’une collaboration avec un designer ? Pas grandchose. Dans les écoles de design où elle intervient, Harmonie tente de démonter la posture démiurgique que peut adopter le design. Elle a imaginé et éprouvé toute une éthique de la collaboration en se basant notamment sur une expérience vécue avec Assia Yazghi, potière du village de Timiel, dans une région rurale du nord du Maroc. « C’est sur le terrain qu’on a co-construit. Tout part des interactions sociales – ce que le design permet, d’ailleurs – et ça a fait émerger beaucoup de problématiques : la condition de ces femmes potières qui, pour certaines, se font exploiter, sont très isolées, le manque de ressources et, en l’occurrence, d’électricité… Un objet ne sort pas de rien, il y a tout un contexte historique et social qu’on ne peut pas ignorer. » Elle développe une méthode de travail principalement basée sur l’humain, n’arrive jamais avec un projet préconçu et passe par une période de recherche, ­d’observation et de stage, les mains dans la matière, pour mieux comprendre. Une manière de montrer patte blanche mais aussi de nourrir sa réflexion sur l’objet en tant que tel, qui, profondément lié à l’endroit où il a été fabriqué, vient servir sa vision de designer. En plus de ce travail déjà riche, elle valorise les artisanes et artisans et leur renvoie l’ascenseur, notamment en termes de communication. Son souci de la collaboration bien faite a même parfois tendance à déborder sur sa propre pratique. S’investir autant demande du temps, beaucoup de temps. Comme si on en revenait à l’essentiel et au geste même de l’artisan qui prend le temps. Comme si, dans la tradition, il y avait peut-être autre chose que le savoir-faire à puiser. Une véritable philosophie… Association IDeE : designers.alsace Sonia Verguet : soniaverguet.com

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En immersion Harmonie Begon et la poterie Ernewein-Haas Un peu moins de 5 000 habitants et peutêtre autant de symboles et décorations potières ornant les rues, les vitrines et enseignes. Traverser Soufflenheim nous donne une drôle d’impression : la tradition est devenue une attraction entièrement tournée vers le tourisme. Quelque part entre un bonhomme en pots de terre cuite et un sapin en ferraille orné de plats typiques, le sens s’est perdu. Pour le retrouver, il nous aura fallu être invités par Harmonie Begon dans l’atelier de la famille Ernewein-Haas, et que Jean-Louis, le père, nous déroule l’histoire de l’argile de Soufflenheim et son utilisation, notre regard attiré par les gestes consciencieux de Jonathan œuvrant discrètement au tour. Derrière l’attraction, il y a le travail bien fait, il y a des savoirs se passant de génération en génération, avec lesquels on ne devrait peut-être pas badiner. Alors quand des designers et les belles intentions arrivent, pardon, mais Jean-Louis et Jonathan ne s’en laissent pas conter. La création, ils ont les pattes dedans depuis belle lurette et ils n’ont pas eu besoin de designers pour inventer leur pot « poulet à bière » dont ils ont déposé le brevet. Et les pots, cassés ceux-là, Harmonie Begon en a essuyé : « La première fois que je suis arrivée ici, raconte-t-elle. Jean-Louis m’a envoyé paître en me disant que lui aussi était designer... » Intimidée, elle leur a expliqué sa démarche : se documenter, s’immerger, regarder, son envie de

« valoriser celles et ceux qui font, concrètement ». Les trois premières semaines, elle les a passées à être ouvrière et à découvrir toute l’histoire de la maison entreposée là, sur les étagères. « Il a fallu que je lui apprenne, nous raconte de son côté Jean-Louis. Et notamment la partie décor : on prend les objets et on les décore un à un, à la poire. » Cette attention, objet par objet, a mis la puce à l’oreille d’Harmonie. Leur première collaboration prendra forme sur La Dînée, un événement organisé par Accélérateur de particules. Durant une de ces soirées, Harmonie cuisine et sert son menu dans les poteries réalisées avec Jean-Louis et Jonathan. « C’était un travail en petite série, je me suis dit que si déjà on manipulait une à une les pièces, on pourrait proposer des anses et une décoration différentes sur chacune. » Elle découvre aussi que l’argile de Soufflenheim prend une teinte jaune après la cuisson et décide de ne pas tout « engober » (l’engobe est un revêtement) pour retrouver la couleur d’origine. Au cours de ses recherches, elle constate aussi que les motifs de la poterie alsacienne ont été métamorphosés par le folklore. En fait, au départ, ils étaient réalisés au doigt : pas de cigognes, pas de fleurs, pas de fioritures. Ses réflexions, elle les partage, et ils ont travaillé, ensemble. « Harmonie, elle a des idées, elle est perspicace. J’ai vu l’engagement qu’elle avait à défendre notre maison… Trouver des gens comme ça, c’est rare. Elle s’est proposée de travailler avec nous, on fait ce qu’il faut pour elle aussi. C’est donnant-donnant, nous confie JeanLouis, qui a pu être surpris par les propositions de la designer. Elle change de déco mais aussi de système, ça m’a apporté de nouvelles idées. »


Un pichet parlant. Photo : Harmonie Begon

Dans l’atelier de la poterie Ernewein-Haas.

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Harmonie Begon, Jean-Louis et Jonathan Ernewein-Haas.

En découvrant sur une brocante de vieux pichets ornés d’expressions alsaciennes un peu lourdingues, elle échange avec Jean-Louis, et paf : les pichets parlants étaient nés. Aux formes gourmandes et aux couleurs sobres, les pichets et leurs phrases débordent de malice. 20 pièces ont été produites ; toutes vendues. Puis vient une période de doutes avant qu’elle ne réalise qu’elle n’a jamais été aussi accomplie que lors de son travail à la poterie. Elle monte un dossier Tango & Scan (dispositif lancé par l’Eurométrople de Strasbourg et porté par Accro) pour valoriser leur collaboration : 15 000 € pour aller plus loin. « Parce qu’il faut aussi parler de viabilité économique. » Pour elle, c’est important de prouver que les collaborations peuvent aussi déboucher sur des succès commerciaux (aussi étonnant que cela puisse paraître, les designers et artisans ne travaillent pas que pour la beauté du geste…) Ils planchent sur une collection d’objets et, en parallèle, elle cherche des points de

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vente en cohérence avec leur démarche. Les concept-stores : non ­merci. Elle souhaite célébrer l’artisanat populaire et la simplicité. Leurs créations trouveront leur place à la Droguerie du Cygne, au musée Alsacien, à la Nouvelle Douane et, durant les confinements, au restaurant Au pont Corbeau, à la ferme l’Îlot de la Meinau, au café Omnino, ou encore dans la boutique du parc naturel régional des Vosges du Nord : proches des gens. Désormais sûre d’elle, elle a créé À demain Maurice, une entreprise de design qui se met au service des artisanes et artisans et « qui considère les pratiques locales comme les modèles d’un futur désirable ». « À demain », parce que c’est sûr, elle reviendra. Classe. Poterie Ernewein-Haas : alsace-poterie.fr harmoniebegon.com ademainmaurice.fr


Tout pour le goût Sébastien Gillmann pâtissier On entre ici comme dans un nougat. Obnubilés par la brioche feuilletée, on n’avait pas remarqué l’analogie de ce décor terrazzo avec cette confiserie. On peut aussi ignorer que la boutique, qui a changé de nom (de Gillmann à Sébastien) et fait valser son décor boisé, est restée dans la famille. Et oublier que s’il y a bien un métier où les traditions et recettes pèsent lourd (et au gramme près), c’est la pâtisserie. Ajoutez à cela l’héritage familial et vous obtenez un mille-feuilles de contraintes avec lesquelles Sébastien Gillmann a dû composer. Si aujourd’hui le pâtissier du quai des Bateliers tartine nos aspirations culinaires les plus pointues, tout n’a pas toujours été si simple. À l’époque de la

La feuille d’automne / Sébastien Gillmann

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pâtisserie de ses parents, Sébastien était déjà là à « équeuter les fraises » et franchement, regarder son père enchaîner les horaires éprouvants, ça lui a un peu coupé l’envie. Mais voilà, il a réfléchi, et le choix s’est imposé. Un CAP, une mention complémentaire, un Brevet technique des métiers et un Brevet de maîtrise plus tard, il sort major de promo et, comme la tradition le veut, est invité à prendre la direction du Pôle pâtisserie du CFA. Déjà « monomaniaque », il passe son temps à se documenter : bouquins, émissions, Internet, réseaux sociaux, presse. Une addiction qui va l’amener à confronter deux visions : « En France, on est peu sclérosé par un certain classicisme, mais il y a des personnes qui n’ont pas de bagages techniques, qui ont des visions et des idées et ça marche ! La tradition amène de très belles choses, mais je voulais que ça vive. » Guider la nouvelle génération vers d’autres possibles l’enchante : « La transmission, j’adorais ça.


J’ai pensé que je pourrais tout exploser : dépasser la pratique et la théorie, parler de comment on tient une boutique, de communication, oublier cette vision très verticale du management qui est souvent synonyme de violences. J’y suis allé comme un sauvage. » Résultat : il est invité à passer son chemin par le CFA. « Une claque » qu’il semble encore digérer aujourd’hui mais qui lui a aussi appris à prendre son mal en patience. Et ce n’est pas fini… Il cherche alors un travail et patine. Ici, on le refuse parce qu’on craint qu’il ne vienne en espion pour tirer vers le haut la pâtisserie familiale, làbas parce qu’il est “trop” compétent. Des poids plein les bottes, il se résout : « Je me suis dit, ici c’est mort. J’ai envoyé des CV jusqu’en Égypte. Mais ma femme kiné a installé son cabinet, on est resté. Mes parents cherchaient à vendre… » La logique a fait le reste. Quelques « années de pénitence » plus tard, Sébastien a bien compris la leçon et s’entoure désormais de personnalités qui partagent avec lui une exigence et une vision, et d’une certaine façon, le libèrent. Il raconte que la rencontre avec les designers V8 – ce sont eux qui, avec l’Atelier Poste 4, ont commis ce décor léché et cette charte graphique minimaliste – a été déterminante. « Début 2016, je me suis bien rendu compte que le lieu n’allait pas. Je voulais me démarquer de mes parents et faire autrement. V8 et

Poste 4 sont allés dans les moindres détails : rien que le nom a suscité 6 mois de discussion. Ils ont tout calculé, recalculé, essayé, tout a été discuté. » Entre-temps, la Ville annonce la piétonnisation des quais. Une chance : « Je n’imaginais pas que ça allait être aussi bien. Avant, nous n’étions pas visibles et puis, il y a eu le marché de Noël, et une file interminable devant la boutique. On n’avait jamais vu ça. » La première année, le chiffre d’affaires est multiplié par quatre. Mais il faut le dire, la qualité de ses pâtisseries y est pour beaucoup. Il y a ce je-ne-saisquoi, un jeu sur les textures, un assaisonnement, une association étonnante, des goûts qui pètent… Oui la tarte au citron ou l’éclair sont bien là, mais il y a autre chose. « Le plaisir. C’est ça mon moteur, en plus de vouloir aller au bout. Il faut se dépasser. Le retour des gens, c’est essentiel. » L’escargot est cuit sur du beurre et de la cassonade pour un effet caramélisé, le marbré enrobé d’un glaçage pour éviter le côté trop sec. C’est généreux et ça change tout. Et surtout, il ne s’interdit pas de bousculer ses recettes d’années en années (l’antithèse de la rigueur de la pâtisserie) parce qu’il cherche toujours le meilleur produit, la meilleure manière de faire, la machine adaptée pour obtenir ce qu’il souhaite. Il désucre, mais trouve d’autres trucs pour apporter le plaisir. Sa manière d’envisager le travail est aussi plus saine : « Quand c’est une passion, ce n’est jamais pénible. Par contre, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’organiser pour travailler différemment : s’aérer, se ressourcer, se marrer, c’est important. » Ah, dernier truc : goûtez sa focaccia élaborée en complicité avec le restaurant 1741 voisin : du délire. Sébastien 20, quai des Bateliers à Strasbourg patisserie-sebastien.com

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Juliette Vergne DESIGNER TEXTILE Par Corinne Maix / Photos Dorian Rollin

Après sa formation à la Haute école des Arts du Rhin de Mulh­o use, achevée en 2012, Juliette est tombée amoureuse de la ville pour son passé textile bien vivace, ses ateliers d’artiste et sa nature toute proche. Motoco – une ruche remplie ­d’artistes, d’artisanes et d’artisans d’art –, ancienne filature réhabilitée dans une démarche post-industrielle, au cœur du site de la filature DMC, a encore ajouté des paillettes dans ses yeux. Une étagère digne d’une herboristerie trône à l’entrée de son antre, mêlant bocaux et sacs en papier soigneusement fermés et étiquetés : garance, racine de rhubarbe, écorce de grenade, cochenille, indigo… composent sa palette de teintures végétales. Étonnant contraste entre les créations de ­Juliette, 124

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tout en poésie, en finesse et en volutes de soie, et l’imposante batterie de marmites qui composent sa cuisine de « chimiste » éprise de teintures naturelles. Juliette résume ainsi son art : dessiner, teindre, imprimer. Quelques poignées de plantes brutes, portées lentement à ébullition, lui offrent un jus coloré. Généralement, elle profite du temps de décoction pour mordancer le coupon de soie, de lin ou de chanvre qu’elle souhaite teinter selon des recettes ancestrales, qui connaissent aujourd’hui une seconde vie. L’étoffe ainsi préparée (grâce à la pierre d’alun, un mordant naturel) est plongée dans son bain de teinture et brassée à la main pour répartir la couleur. Vive les gros gants en caoutchouc pour protéger ses mains de

la chaleur et de la couleur ! De ses premières collections, très graphiques, à ses nouvelles créations, inspirées de son herbier personnel, le style de Juliette a évolué vers la recherche de toujours plus de naturel. Feuilles de corydale ramassée dans le parc de Motoco, de figuier ou de ginkgo glanées ici et là lui fournissent de délicats motifs d’impression. Circuit court toujours, elle imprime sur place en sérigraphie, à partir de pigments artisanaux. Et déploie librement ses motifs sur ses coupons ocre, jaune, vert, rouge… Autour du cou, dans la main ou à la maison, ces beaux objets textiles ont le caractère unique du 100% fait main. juliettevergne.com


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Claire Muth

CRÉATRICE D’OBJETS Par Valérie Bisson / Photos Jésus s. Baptista

Formée aux arts appliqués et à la communication visuelle, Claire Muth fabrique, à la main, des oiseaux en papier découpé. Elle vient d’inaugurer cuicui, un e-shop dédié à la vente de ses délicats oiseaux colorés, assemblés avec de la colle, beaucoup de patience et une touche de fantaisie. C’est suite à la commande d’une amie que Claire réalise son premier oiseau ; sa fête a pour thème l’ambiance tropicale et la perruche s’impose. Pour ce coup d’essai, Claire utilise les seules puissances du crayon, papier, ciseau et colle. C’est un succès. Petit à petit, les commandes arrivent et sa technique évolue : une plume de logiciel 3D, une brindille de machine à découper, le nid est prêt. En développant son savoir-­faire, elle continue à honorer 126

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son goût pour les objets fabriqués à la main et sa fascination pour le passage du plat au volume. Le papier en est le matériau idéal, accessible et offrant une palette de couleurs et de possibilités riches et variées. Les magnifiques illustrations du peintre et naturaliste Audubon, ses dessins stylisés et la richesse des planches lui procurent une base de travail tout en nuances. À la croisée de plusieurs idées, l’attrait pour la nature, l’éveil de la curiosité et la sensibilisation à l’immense diversité des espèces d’oiseaux, les motifs de l’artiste se répondent. De son grand père ébéniste qui lui montre la délicatesse du travail de la main, de la précision, de la finition, Claire garde l’amour de la construction des objets

auquel elle ajoute un regard pygmalion. Elle s’impose la contrainte de fabriquer ses oiseaux à l’échelle, et les petites étiquettes explicatives sont autant de notices ornithologiques revisitées pour les chardonnerets, haras ou autres loriots d’Europe… Certains oiseaux sont montés sur socle, et Claire réfléchit à l’intégration de leurs chants afin de les rendre plus vivants. Présenté chez Tchungle, son travail ex­plore ces temps-ci de nouvelles idées, notam­ ment des cartes pop-up. Une ima­gination en plein envol. cuicui.shop


Tchungle jardinerie

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Photo : Guillaume Devos

La première jardinerie urbaine au cœur de Strasbourg

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Bags’groove Par Cécile Becker Photo Christophe Urbain

Des parures de bureau, des porte-cartes, des ceintures et vide-poches et bientôt, bien plus encore… Quatre ans qu’est née La Reverdie, marque de maroquinerie montée par Pierre Roux après un passage du côté de la photo et de la céramique. Quatre ans qu’il porte un soin particulier à ses fonctionnements : choix des matières premières, fabrication, diffusion. Parce que tout a un sens. 128


La reverdie. « Une pièce qui célèbre le retour de la belle saison, décrit Wikipédia. Un genre poétique » suspendu au printemps. « Le renouveau », ajoute Pierre Roux, l’artisan et le fondateur de cet atelier de maroquinerie. « Une marque », assume-t-il. La Reverdie, comme une ritournelle aussi  : ces gestes qu’on répète continuellement, avec soin et sensibilité. On pense à l’artisanat bien sûr et la musique tournant discrètement au fond de l’atelier et dont une icône, Miles Davis, trône sur les murs en hauteur, le doigt sur la bouche comme pour nous demander de nous taire. Derrière une discrète porte de garage, tout ici enjoint à la concentration et a minutieusement été aménagé, par étape. Et la fabrication, le travail du cuir à proprement parler, en compte treize. Mais avant que la magie sur la matière n’opère, il y a toute la partie que l’on ne voit pas : celle de l’élaboration du modèle et du prototype. À l’image d’un designer et d’un styliste à la fois, Pierre Roux dessine d’abord l’objet, ensuite il faudra éprouver les formes et les plis, tester et refaire, invariablement : « On ne se rend pas compte, mais une pièce de maroquinerie, c’est assez complexe et il y a beaucoup de contraintes », explique

Pierre. Notamment celle de la matière première, le cuir, matière noble donc onéreuse qu’il faut manipuler avec parcimonie. Réfléchir et tendre vers l’économie de gestes, respecter la matière, infiniment. Hors de questions de multiplier les prototypes. Il n’y en a d’ailleurs que très peu dans l’atelier : quelques sacs qui présagent d’une belle collection à venir inspirée par les tote bags. Pareil pour les chutes : « Ça n’existe pas, c’est un discours ». Il les transforme en porteclés, en bracelets ou en passants pour les ceintures. Alors quand la manipulation de la matière arrive, autant dire que tout est réglé comme du papier à musique. La découpe à l’emporte-pièces (fabriqué sur-mesure en Normandie) d’abord. Pour un porte-cartes, l’avant et le dos, puis la refendeuse, une vieille et belle « locomotive » datant des années 70 – parce que ses machines, Pierre Roux les sélectionne avec soin et les bichonne, et il fait bien parce qu’être maroquinier c’est aussi être capable de mettre les mains dans le cambouis pour dépanner les caprices. On désépaissit, puis on biseaute avant de presser le cuir à chaud et de lui donner son logo ou ses initiales, une personnalisation régulièrement demandée par les clients. On encolle, on renforce

(« tous les objets que je fais sont doublés et renforcés »), puis vient le travail d’assemblage, de couture, et de peaufinage. Tout se joue dans la finition : les fils de couture apparents, le martelage pour dresser le cuir après le passage de l’aiguille de la machine à coudre, le filetage ou la teinture de la tranche. Précis et minutieux. So what ? Jusqu’ici, rien ne change du travail typique du maroquinier. Mais on vous l’a dit : le renouveau. Et à La Reverdie, il passe par une conscience écologique qui n’a rien à voir avec le greenwashing observé chez les jeunes marques qui usent jusqu’à la moelle du tampon « éco-­responsable ». Pierre Roux va loin. C’est-à-dire que le sourcing des matières premières lui a pris un an : « Les tanneries travaillent sur des volumes plus industriels, moi qui suis artisan, n’ai pas les mêmes façons de faire, je dois négocier en permanence. » En Alsace, deux tanneries tiennent bon : Haas et Degermann (rachetées par Chanel), une chance pour Pierre Roux qui ne tarit pas d’éloges sur leurs cuirs d’exception. Mais il a souhaité aller plus loin en se tournant aussi vers le végétal. Vers des cuirs tannés à la rhubarbe ou à l’extrait de feuille d’olivier et des matières dites véganes : du cuir de raisin, d’ananas et de pomme qu’il trouve en Allemagne ou dans le sud de la France. « Ce n’est pas qu’une logique écologique, c’est aussi qualitatif, ces matières sont belles et même plus solides. » Pareil pour les boucles de ceinture qu’il préfère acheter en France plutôt que de se tourner vers la Chine où d’autres marques moins regardantes et plus luxueuses continuent de se fournir tout en pratiquant des prix exorbitants. Le renouveau se joue aussi du côté de sa pratique, qui, si elle est artisanale, se rapproche du design par la production : de très petites séries – un principe ­hérité de son passé de céramiste (L’Objet tourné) –, qu’il vend sur son site ou en boutiques sélectionnées pour leur exigence et avec qui il traite directement. Son empreinte est totale et son engagement, entier. Parce que c’est ça aussi qui lui tenait à cœur : que ses gestes et que ses choix aient du sens. Et si c’était ça, le renouveau ? la-reverdie.com

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Bulles de savons Par Sylvia Dubost

À l’heure où les savonneries artisanales se multiplient et les ventes de savon explosent (plébiscité pour son côté zéro déchet, il s’est récemment hissé sur le podium des meilleurs alliés contre les virus), l’Alsace n’échappe pas au phénomène. La savonnerie Argasol fait figure de pionnière et s’inscrit dans la proximité et l’authenticité, L’Esperluète associe élégance, raffinement et cosmétiques, et d’autres maisons viennent grossir les rangs. Tour d’horizons.

À la savonnerie Argasol à Sainte-Marie-aux-Mines. Photo : Dorian Rollin 130


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Les défricheurs La savonnerie Argasol

du savon liquide en flacon-pompe plastique, les savonnettes sont une relique de grand-mère. Mais il y a quand même une petite demande, une infime brèche dans laquelle s’engouffre Cathy, directrice commerciale. « On en a vendu au marché de Noël de Colmar en 2007, et on a tout de suite fidélisé une clientèle. » Une petite clientèle, qu’il faut élargir. « J’ai fait beaucoup de sas de supermarché, se souvient Cathy, c’était vraiment la galère… » Elle écume aussi les foires et les salons, où il lui faut se battre pour avoir une place. Un premier magasin bio – Univers bio à Ingersheim – leur fait confiance. La marque obtient le label Nature et progrès, le plus ancien et le plus exigeant, qui garantit la qualité des ingrédients, leur cycle de culture, le processus de fabrication comme les conditions de travail. « On a travaillé dur pour l’obtenir… » Les ingrédients sont tous suivis, évidemment, « et le côté humain, c’est important », insiste Lahcène.

« Au départ, on était des hurluberlus, maintenant on est des notables. » En une seule formule bien troussée, Cathy Mendez résume à la fois le parcours de la savonnerie et l’histoire récente du produit. Avec Lahcène Renanne, lorsqu’ils se lancent dans la production en 2006, ils sont aux avant-postes de la tendance écolo-bio-circuits courts. Comme souvent, il s’agit de combler un vide, d’inventer le produit dont on a besoin et qui pourtant n’existe pas. Lahcène est asthmatique, sa maladie provoque de l’eczéma. Les médecins lui recommandent de se laver avec des savons de pharmacie, « qui ne moussent pas du tout… Je voulais un savon doux et agréable avec seulement quelques ingrédients ». Chimiste de formation, avec pour débouché probable l’industrie textile de la vallée de SainteMarie-aux-Mines, puis soudeur et inventeur, récipiendaire de plusieurs prix au concours Lépine, il revient à ses savoirs initiaux et se met à fabriquer son propre savon. À l’époque, les savonniers artisanaux se comptent sur les doigts d’une main. Lui se forme à la technique et aux matières premières un peu partout dans le monde, entre Maroc et Canada. « On sait tout faire quand on veut. » C’est parfois vrai. En même temps, fabriquer du savon n’est pas réellement compliqué. Les vendre, c’est une autre histoire. « Au début, on nous prenait pour des fous, ça ne se vendait pas du tout. » À l’époque

En 2016, la savonnerie descend de la montagne pour s’installer dans le village de Sainte-Marie, dans une ancienne église désacralisée où les vitraux baignent l’espace unique d’une lumière chaude et presque irréelle. Aujourd’hui, Argasol emploie entre 17 et 18 personnes, administration comprise, qui fabriquent, conditionnent et commercialisent désormais 22 sortes de savons, contre une dizaine au départ. Deux savonniers, celui du matin (5h-12h) et celui de l’après-midi (12h-19h), fabriquent quotidiennement 300 pièces. « Chacun suit la fabrication de son savon jusqu’au bout », ça c’est le principe, et le processus a gagné en efficacité au fil des années. « Avant on était à trois et on n’en faisait pas la moitié. » Au fil des années, Argasol a ajouté à sa gamme huiles, dentifrice en poudre, shampooings solides, savon à barbe et même le nettoyant multi-usages Qilav’tout, fabriqué à partir des chutes de savon. Des produits aujourd’hui largement distribués, dans de petites boutiques bio comme en supermarché, dans toute la France et à l’étranger. Du haut du balcon, où repose encore l’harmonium utilisé pour la messe, on observe le ballet des employés : à gauche la fabrication du savon et le séchage des grandes « barres » en attente de découpe, à droite le conditionnement. Au fond, la boutique où l’on trouve toute la gamme, et aussi, depuis le premier confinement,


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Les beurres de savons doivent durcir 24h avant d’être découpés. Photo : Dorian Rollin

origines. Lahcène y tient : « On continuera à évoluer, mais on veut garder le côté humain. On embauchera, on ne veut pas de machines. » Le prix du savon témoigne

des pochons à savon et un semainier beauté : des lingettes démaquillantes fabriquées elle aussi localement. « Cela permet aussi la continuité au niveau du savoir-faire textile, précise Cathy Mendez, et de faire travailler les gens. C’est vraiment complémentaire avec ce qu’on fait. » Le mobilier, des tables de travail aux étagères de stockage en passant par les petits présentoirs destinés aux boutiques, est entièrement fait maison, dans un petit atelier menuiserie « qui permet aussi de créer de l’emploi ». Ici, malgré le développement, on tient à préserver les valeurs et la simplicité des

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lui aussi de cette volonté : 4,20€ les 140g. « On veut que le bio soit accessible à tout le monde, revendique Cathy Mendez, et proposer un produit qui ait un bon rapport qualité-prix. On veut garder le côté simple et authentique. » Et de rappeler que « certaines personnes âgées font encore la conversion en francs… » Un positionnement qui s’est avéré fructueux. Dans l’allée centrale, des palettes attendent le service de livraison. Sur les étiquettes, on lit Spar de Quiberon, Carrefour bio, l’adresse de La cabane à vrac à Woerth et des lieux mystérieux à Taïwan. « La France a une belle image par rapport à l’artisanat, confirme Cathy Mendez, c’est un gage de qualité. En Asie, nos produits sont précieux. » Au Japon, on apprécie par exemple le côté simple, « pas trop parfumé » des savons. En France aussi, la clientèle a évolué depuis la création de la marque. Si tous les âges sont concernés, Cathy et Lahcène notent un rajeunissement, et une autre attitude. « Des gens qui lisent les compositions, il y en a de plus en plus », sans compter ceux qui utilisent des applis comme

Yuka. « Le savon a été remis au goût du jour aujourd’hui car il comporte moins d’ingrédients, moins d’emballage, et est plus économique. Tout cela va dans le bon sens. On accueille ici des groupes pour des visites, qui sont de plus en plus attentifs et réceptifs à notre travail. » Et Cathy de poser le constat : « On a évolué avec les changements d’habitude. » Leur petite entreprise a fait des émules, Lahcène a aidé plusieurs savonniers à s’installer : « Certains clients le sont devenus à cause de nous. » Aujourd’hui, les savonneries artisanales sont légion, mais toutes ne perdurent pas. « Fabriquer, c’est une chose, vendre c’en est une autre », répètet-il. Pas si hurluberlus que ça, Cathy et Lahcène, plutôt une solide combinaison de flair, de ­ténacité et de sens des affaires. Avec, fruit du hasard ou vision, une sacrée adéquation avec l’époque. « On a un savonnier dans l’équipe qui a 20 ans, conclut Lahcène. Il y a dix ans, c’était impossible. » 41, rue d’Untergrombach à Sainte-Marie-aux-Mines Visites libres du lundi au vendredi de 8h à 12h et de 14h à 16h30 argasol.fr


Plus un savon sèche, plus il durera longtemps. 133 Photo : Dorian Rollin


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La fonceuse L’Esperluète

Photos : Alexis Delon

Souvent galvaudé, le qualificatif de tornade est pourtant celui qui décrit le mieux Maud Siegel. « Quand j’ai un truc en tête, je suis un bulldozer. » Il semblerait. Le savon et les cosmétiques, c’est son truc depuis 20 ans, après quelques hésitations au démarrage et des cahots sur la route. Après un bac scientifique, Maud veut faire un BEP diététique pour travailler avec de jeunes filles anorexiques, puis se lance dans la psychologie clinique, qu’elle abandonne en cours de route pour se lancer dans la communication visuelle. Elle y œuvrera en freelance pendant plusieurs années, comme en témoigne le design graphique de ses packagings, qu’elle a évidemment signé. À la base de son parcours dans l’artisanat, il y a, comme souvent, un problème

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de peau. Sa maman naturopathe lui parle d’huiles, et elle commence à bricoler ses cosmétiques, longtemps avant la tendance. Sur un forum, elle lit que le savon à froid est idéal pour les peaux acnéiques. Son compagnon de l’époque la défie, elle s’équipe en une semaine pour en fabriquer à la maison. « J’ai fait mon premier savon avec de l’huile essentielle d’orange et de la poudre de cacao pour faire un marbrage, que je déteste aujourd’hui. Moi qui étais toujours devant l’ordi, c’était une vraie révélation ! » Elle se forme d’abord pour le plaisir, puis de manière pro, lance sa première savonnerie en 2010, se sépare de son associé, et est contactée par une entreprise qui lui passe une grosse commande. Maud crée sa boîte, investit dans un labo. Finalement la commande tombe à l’eau, mais l’Esperluète est née de cet aléa, en même temps (enfin presque) que sa fille. C’était il y a cinq ans, et aujourd’hui, sa marque est en plein développement, « malgré le covid », boostée par ses atouts : packagings élégants, odeurs raffinées et boutiques revendeuses soigneusement sélectionnées. Mais la maman solo conserve une activité salariée, un mi-temps comme directrice marketing dans l’immobilier d’entreprise. Cela ne l’empêche pas d’étoffer une gamme déjà bien complète (des baumes à lèvres jusqu’aux sérums) et même de lancer une 2e marque, Oop, à prix plus modique et destinée aux pharmacies. L’Esperluète, elle, conserve son côté exclusif, auquel elle tient. « J’ai dit non à Naturalia, je sais qu’ils vont finir par serrer les prix. Et ce serait un couteau dans le dos des petites structures qui m’ont fait démarrer. » Ce qu’elle veut développer maintenant, ce sont des actions solidaires (comme les dons de savon à l’association Strasbourg Action Solidarité) ou écologiques, notamment dans les pays de ses fournisseurs. Aider les autres, c’est quand même une constante dans son parcours. Et la RSE, « un pilier important ». Elle tient à nous le rappeler. Même si la situation est encore un peu fragile et qu’il va falloir patienter pour certains projets, la formation à la fabrication de savon à Madagascar, d’où proviennent quand même les matières premières… Mais comme elle l’a décidé, elle y arrivera… lesperluete.com


Le savon selon Argasol

La sélection Zut

Pour faire du savon, c’est presque simple : il faut de l’huile, de l’eau et de la soude qui va transformer la matière. Le principe de la saponification à froid, c’est qu’on chauffe très peu les ingrédients pour qu’ils conservent leurs qualités, un peu comme en cuisine. Ici, on utilise de l’huile d’olive, d’argan ou de coco, laquelle est « désolidifiée » à 30°C, puis refroidie afin d’atteindre la même température que le combo eau + soude. On mélange, on mixe moins d’une minute (« beaucoup mélangent plus longtemps mais cela chauffe les ingrédients »), on coule dans les moules et on laisse reposer une journée. Après la découpe, le savon repose encore. Le truc bon à savoir pour la maison : plus on conserve le savon, plus il se déshydrate, et plus il dure longtemps au moment de l’utilisation.

— Le Chat dans l’armoire Qui ? La marque aux belles bougies se recentre désormais sur le savon et les cosmétiques haut de gamme. Quoi ? On retient le savon au sel de Méditerranée, riche en minéraux. Disponible notamment chez Curieux ? Store et Curieuse ! à Strasbourg. lechatdanslarmoire.com

Les savons Le Chat dans l’Armoire. Photo : Lucile Bohlinger/Spirit Capture 135

— Savonnerie du Cèdre Qui ? Une entreprise familiale fondée à Kilstett par un frère et une sœur. Quoi ? On retient le shampoing solide au rhassoul, élu produit bio de l’année 2020 par le site Bio à la une. savonnerieducedre.com (e-shop) — Les Prairies du Hang Qui ? La Ferme du nouveau chemin à Bourg Bruche, qui fait aussi auberge et chambre d’hôtes. Quoi ? Des produits particulièrement doux à base de lait de juments élevées à la ferme. Disponible à La Nouvelle Douane à Strasbourg.

— Savonnerie Scala Qui ? Une savonnerie créée en 2014 à Colmar par un ancien cuisinier, Marc Glasser. Quoi ? 11 savons, des produits pour la maison et pour les animaux, comme le savon Wouaf wouaf. savonnerie-scala.com (e-shop) — Chanvréel Qui ? Des aliments et cosmétiques à base de chanvre alsacien, plante aux mille vertus écologiques et agronomiques. Quoi ? On aime le baume multi-­u sages riche en oméga 3 et 6, émollient et raffermissant. chanvreel.fr — Fun Ethic Quoi ? Des gammes pour ados, jeunes femmes et femmes, avec eau micellaire, crème visage, huile de soin et déodorant. funethic.bio


Ce qui nous plaît Par Myriam Commot-Delon

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On n’a jamais autant eu envie d’être entouré de nature et d’objets sensitifs qui nous font vibrer.


Assemblages Fondé en 2018 à Mulhouse par Trystan Zigmann et Thomas Roger après leur diplôme à la HEAR, le studio La Double Clique bouscule les codes et réinvente une nouvelle manière de travailler. Dans leur atelier à Motoco, les étagères sont peuplées de vases et de sculptures réalisés en impression 3D avec des matériaux composites d’origines végétales. Une famille d’objets qui ne cesse de grandir, fonctionnant en symbiose et suscitant l’intérêt croissant de galeries et de concept-stores français et étrangers. Des néo-céramiques à l’esthétique industrielle et primitive où hybridation et équilibre de formes font connexion, scellant leur goût commun pour la matière et les nouvelles technologies. DUAL N°6_3 (page de gauche) — Vase en collaboration avec Matthieu Binet. Jesmonite, poudre d’argile, poudre terre cuite, pigments naturels. 200 x 125 x 200 mm, 230€ ladoubleclique-store.com

Photo : Alexis Delon / Studio Preview

Glam vert De la Colombie à l’atelier du joaillier Eric Humbert, il n’y a qu’un fil, vert et hypnotique : celui de la précieuse émeraude. Et lorsque sa taille XXL s’escorte de diamants, l’effet est aussi cinglant que symbolique. On dit oui à cette bague d’exception réalisée de mains de maître. Et compte tenu du contexte actuel, on dit oui aux bijoux pleins de sens et de panache. Eric Humbert 46, rue des Hallebardes à Strasbourg eric-humbert.com

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Sous les pavés…

Convergence

La mission (réussie) de Jennifer et Sté­ phane ? Avoir sauvé, pendant le confinement, bon nombre de Strasbourgeois en manque d’oxygène avec leur concept de jardinerie urbaine… Bien que la pandémie n’était pas prévue dans leur business plan ! Outre l’excellent casting de plantes et cactées, on rêve de collectionner leurs terrariums faits maison, véritables habitats miniatures pour contemplatifs qui raviront également toutes celles et ceux n’ayant pas la main verte. On y déniche aussi les excellentes semences bios Alsagarden et les créations d’une dizaine d’artisans et créateurs locaux.

L’alliance verte et design de la saison ? Celle de l’iconique système USM (page de droite) avec la belle simplicité d’un pot d’horticulture. En souhaitant faire entrer la nature au sein de nos espaces de travail, les espaces publics et nos maisons, le fabricant suisse a fait le choix de lui adjoindre de nouvelles plaques perforées pour accueillir des pots en terre cuite de fabrication allemande et disponibles en deux teintes (terracotta et basalt). À combiner à la nouvelle fonctionnalité USM Haller E pour offrir aux plantes un éclairage constant et adapté à leurs besoins, ainsi qu’au kit d’arrosage avec indicateur de niveau d’eau. De quoi se reconnecter à la nature tout en nourrissant sa passion pour le beau design.

Tchungle 20, rue de la Division Leclerc à Strasbourg tchungle.com

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decoburo-store.com usm.com


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Faire un carton Au sein des collections internationales représentées par l’enseigne de luminaires Salustra, les luminaires Allyn du studio Graypants (page de gauche) projettent un rayonnement particulier. Éco-responsables et recyclables, ces cocons minimalistes en carton naturel et blanc s’inspirent des galets ramassés sur les plages et sont entièrement réalisés par des travailleurs de programmes d’assistance sociale en Hollande. Quand l’idée créative est au service des personnes, l’objet design prend une tout autre dimension. Salustra 91, route des Romains à Strasbourg salustra.fr

Donner à voir

On peut aussi voir un peu plus loin que le bout de son nez. Chez Les Lunettes de Gisèle, Marie et son père Frédéric prônent un savoir-faire français lunetier dont on ne peut que s’enorgueillir. Et si on oubliait un instant les marques qui externalisent leur production en Asie ? Petite revue des irréductibles indépendants qu’ils revendiquent corps et âme : Lafont et Anne & Valentin (adultes et enfants), les Bretons Naoned, Pierre Eyewear, Edwarson mais également Harry Lary’s, Thierry Lasry et François Pinton avec ses montures iconiques. Leur label le plus local ? Les lunettes en bois de la manufacture vosgienne In’Bô, qui utilise des techniques d’upcycling ou de marqueterie pour sa gamme premium. Les Lunettes de Gisèle 24, rue Brûlée à Strasbourg leslunettesdegisele.fr

Quand l’idée créative est au service des personnes, l’objet design prend une tout autre dimension. 141


L’actu des artisans

Des artisans d’art en vitrine

Des taxis solidaires

Privés des traditionnels et touristiques marchés, de Noël et de Pâques pour la plupart d’entre eux, les artisans d’art ont l’occasion de rebondir dans les vitrines. À l’initiative de la Région Grand Est, l’opération J’expose un artisan d’art a été mise en place en juin 2020, histoire de leur permettre « d’exposer et de vendre en-dehors des événements spécialisés ». Pour savoir qui participe à cette généreuse opération, il suffit de se rendre sur le site de la Chambre de métiers ­d’Alsace qui propose une carte interactive. (F.V.) cm-alsace.f

À l’image d’autres collègues de la région, les 210 taxis eurométropolitains de Taxi 13 aimeraient proposer leur véhicule pour conduire les femmes victimes de violences lors de situations de détresse et les personnes âgées pour se faire vacciner. D’une part, pour sauver leur activité, mais aussi participer à l’élan de solidarité que cette crise sanitaire a stimulé. (C.B.) taxi13.fr

La Malle en coin récompensée

Le Racing soutient l’artisanat

Un savoir-faire reconnu pour un métier quasiment disparu. La Malle en coin a obtenu, fin janvier, le prestigieux label d’Entreprise du patrimoine vivant (EPV) décerné par le ministère de l’Économie et des Finances. Une marque de reconnaissance qui distingue les entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence. « C’est comme un restaurant qui aurait reçu sa troisième étoile », apprécie Jean-Philippe Rolland, fabricant et restaurateur de bagages anciens dans son atelier à Haguenau. L’obtention du label EPV, qui offre un cadre fiscal avantageux, s’accompagne d’actions de promotion sur le territoire national mais aussi à l’étranger pour ses 1 400 lauréats recensés parmi lesquels on retrouve Chanel, Hermès, ou encore la marqueterie d’art Spindler à Boersch. La majorité de ces pièces d’exception, datant du XVIIe siècle pour les plus anciennes, sont exposées au Musée du Bagage, située dans l’ancien bâtiment de la Banque de France à Haguenau. (F.V.) la-malle-en-coin.com

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Dimitri Liénard fleuriste, Ludovic Ajorque pâtissier, Adrien Thomasson prothésiste dentaire, Lebo Mothiba ébéniste et Marion Wahl, la gardienne du RCSA féminin, bouchère... Courant mars, certains éléments du Racing ont troqué le maillot pour le tablier en mettant la main à la pâte pour promouvoir l’artisanat et le savoir-faire du Centre de formation des apprentis à Eschau. « Quand je fais un bouquet, je n’ai pas 25 000 personnes qui se lèvent. Mais si je vois déjà un sourire, je me dis que j’ai assuré ! », expliquait Chloé à Dimitri Liénard, selon des propos rapportés par les Dernières Nouvelles d’Alsace. « C’est l’occasion d’intéresser des jeunes passionnés de ballon rond à un métier artisanal, renchérissait le président Jean-Luc Hoffmann. Dans notre région, le Racing est très important, l’artisanat l’est aussi ! » (F.V.) eschau-formation.alsace

L’actu de la frémaa Une trentaine de professionnels passionnés font (re)découvrir au public des techniques ancestrales, telles que la dorure, la lutherie, l’enluminure, la restauration de tableaux ou la facture d’instruments. Le fil rouge de cette édition du festival Au cœur des métiers d’art est la pierre, à travers des démonstrations, conférences, ateliers pédagogiques et animations. Du 25 au 27 juin au Parc Richmond à Andlau. Le dernier quart de l’année sera quant à lui dédié aux expositions Trésor[s] : du 9 au 13 septembre à la galerie Aedaen à Strasbourg, et du 25 au 29 novembre à la Villa Tschaen à Colmar. (C.B.) fremaa.com


La mode fait son festival L’Union des artisans de la Mode du Bas-Rhin organise une édition virtuelle de son festival et met l’accent sur les métiers de la mode et en l’occurrence des savoir-faire des artisans couturiers, tailleurs-retoucheurs, cordonniers, bottiers, bijoutiers, coiffeurs et métiers de l’esthétique. Des défilés digitaux (on nous promet des innovations !) seront par ailleurs proposés par thématique (vêtements, bijoux, coiffure). Objectif : début juin ! (C.B.) Facebook : L’Union des artisans de la Mode

Un nouvel espace Depuis l’automne dernier, Chantal Delar­ chand a aménagé une galerie au bas de l’immeuble du 22, rue de la Grossau à Neudorf. Un chouette espace qui fonctionne les week-ends au gré de ses coups de cœur. Les 21, 22, 23 et 24 mai (si la situation sanitaire le permet), elle projette de rassembler divers créateurs ayant pour inspiration la cathédrale de Strasbourg. Parmi eux, la céramiste Sonia Oudry, le menuisier Jean-Luc Sifferlin, la créatrice de bijoux Alice Ducotey et le pâtissier-chocolatier Julien Kautzmann proposeront leurs créations. (F.V.) facebook.com/boutiquele22/

Qualité Transparence Passion

Pour passer au numérique La crise sanitaire a été un révélateur et un accélérateur du besoin de passer au numérique pour un certain nombre d’artisanes et d’artisans. Beecome, dispositif lancé par l’Eurométropole en partenariat avec la Chambre de métiers ­d’Alsace, la Chambre de Commerce et ­d’Industrie Alsace-Eurométropole, la Chambre régionale de ­l’Économie sociale et solidaire et Alsace Destination Tourisme, est reconduit cette année. Il s’agit d’un audit d’accompagnement (diagnostic, recommandations, voire financements en fonction des projets présentés) pour les structures de l’Eurométropole de moins de 50 salariés. 230 entreprises ont été accompagnées en 2020, l’ambition est de passer à 300 cette année. (C.B.) strasbourg.eu

Vite dit La Corporation des électriciens du BasRhin fête ses 100 ans cette année ! (C.B.) corpo-elec-67.com

Natacha Bieber Artisane Bouchère Affineuse 17 rue de La Croix | Strasbourg

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www.natacha-bieber.fr |


FOCUS

L’AMOUR EST DANS LE PRÉ Par Cécile Becker

Celles et ceux qui désirent se rapprocher de la nature sont partout dans les médias. Et les produits du terroir, dans toutes les cuisines et émissions. Assiste-t-on à un retour en grâce des campagnes ?

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« Tout plaquer pour élever des chèvres dans le Larzac », il y a encore dix ans, ça nous paraissait loufoque : qu’est-ce que ces hurluberlus en sarouels allaient bien pouvoir faire à la lisière d’un monde qui, lui, continuait à tourner et à tourner fort ? En 2021, l’expression revêt une tout autre signification. C’est attirant. Désirable. Une enquête Ifop publiée en 2019 faisait le point : un urbain sur deux souhaite quitter la ville, deux sur trois chez les moins de 35 ans. 100 000 citadins par an franchissent le pas – ceux qu’on appelle désormais les néo-ruraux. Depuis le mois d’avril, un magazine, Néoruro, leur est même entièrement dédié. 81% des Français érigent la vie à la campagne comme idéale... La crise sanitaire n’était pas encore passée par là, renforçant les relations conflictuelles entretenues avec la ville : les nuisances, le rythme haletant, le lien social s’effritant… Le regard sur le monde rural s’est métamorphosé, rendant du même coup ses lettres de noblesses au travail de la terre et aux agricultrices et agriculteurs trop longtemps méprisés. Depuis, les discours écologistes ont été diffusés à plus grande échelle. Et puis, Karine Le Marchand est passée par là. Son émission, L’amour est dans le pré, a presque glamourisé la campagne. Tant mieux si la prise de conscience s’opère. Elle s’observe d’autant plus dans nos manières de consommer. La crise sanitaire a semble-t-il renforcé nos désirs de donner du sens à nos achats et a rapproché les campagnes des villes. Les produits fermiers sont partout, même dans les grandes enseignes. L’avènement du bio, des circuits courts, des supermarchés de producteurs annonce un retour en grâce des campagnes. Audrey Nonnenmacher, agricultrice à Woellenheim (Le Gaveur du Kochersberg) élue à la Chambre d’Agriculture et vice-présidente du réseau Bienvenue à la Ferme le confirme : « Il y a eu un énorme boom lors du premier confinement avec une clientèle qu’on n’avait jamais vue à la ferme du fait de la fermeture des marchés. » Après des hauts et des bas, et parfois, le sentiment d’avoir été la cinquième roue du carrosse, les ventes se stabilisent : « En ce début d’année, on est sur un rythme plus soutenu que les années précédentes », constate Audrey Nonnenmacher. Pour elle, le fait que les consommateurs se soient déplacés à la ferme a tout changé. C’est d’ailleurs pour

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cette raison que le réseau Bienvenue à la Ferme a été créé : rassembler les agriculteurs et producteurs qui travaillent de manière responsable et proposent leurs produits en vente directe. Cette marque de la Chambre d’agriculture rassemble désormais 230 adhérents en Alsace. La crise a été l’ocassion d’enfoncer le clou côté communication (création d’une page Facebook notamment) : « Tout le monde parle des circuits courts, constate Jean-Louis Parthonneau, conseiller circuits courts à la Chambre d’agriculture et en charge de l’animation du réseau. Mais nous, nous cherchons à montrer les producteurs qui sont derrière les produits. » Révéler l’humain et relocaliser. Et ça marche. Sa collègue, Aude Forget, responsable d’équipe circuits courts confirme  : « Il y a eu une prise de conscience, les achats à la ferme se sont développés. Et quand on regarde les quelques enquêtes qui existent, c’est le fait de voir le producteur que les gens cherchent. La question de la souveraineté alimentaire est très vite apparue. » Passer le pas Mais de là à partir vivre à la campagne, voire à travailler les mains dans la terre, il y a un pas. L’antenne régionale de l’association Terre de liens qui accompagne les néo-paysans, mais aussi les agriculteurs cherchant à revendre ou louer leur terre, rachète également à travers La Foncière (un fonds alimenté par les actions de personnes morales ou physiques) des fermes pour y ­installer de nouveaux locataires. Le but étant de préserver les terres agricoles et de développer l’agriculture biologique et paysanne. Alors que l’association craignait une baisse drastique de l’achat d’actions (tout un chacun peut investir à partir de 104€ et décider quelle ferme il soutiendra) du fait de la crise, 2020 a été une année record. La preuve que la campagne attire, de plus en plus. Côté néo-paysans, c’est une autre paire de manches. Pauline Thomann, chargée de mission à Terre de liens, raconte : « Chaque année en Alsace, on a à peu près le même chiffre : entre 40 et 60 personnes nous contactent pour trouver des terres. Entre deux et quatre s’installent réellement. Il y a trois typologies. D’abord, les curieux, qui viennent simplement à nos réunions d’informations. Ensuite, les rêveurs : celles et ceux qui ont vu un

documentaire, veulent aller faire du woofing mais ne dépassent pas la vision carte postale. Enfin, les explorateurs qui vont réfléchir très sérieusement après une phase de formation et enchaîner les stages. Ce qu’il faut savoir c’est que trouver une terre prend entre trois et cinq ans, ça peut être décourageant. » D’autant qu’en Alsace, le prix du foncier peut être astronomique. « Entre les survivalistes qui viennent nous voir pour trouver une autonomie alimentaire, les projets collectifs mêlant un graphiste, une thérapeute et un maraîcher par exemple ou les jeunes parents diplômés qui rêvent d’une autre vie », les profils sont variés mais la viabilité économique des projets et la transmission des savoir-faire ne sont malheureusement pas les critères premiers. Terre de liens s’emploie donc aussi à sensibiliser sur ces questions. Pour Pauline Thomann, la transmission des fermes sur le territoire est une des plus grosses problématiques : « Ça fait 10 ans qu’on alerte sur la question. Avec la moitié des agriculteurs qui ont plus de 50 ans, la question devient urgente. Ce qu’on souhaite, c’est qu’une ferme perdure et que les terres continuent à nous nourrir. » On se lance quand ? alsace.chambre-agriculture.fr terredeliens.org


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Vincent Desprez maraîcher Photos Pascal Bastien

Mi-mars. Les fameuses giboulées après des journées chaudes et ensoleillées, on ne s’y attendait pas, nous, pauvres urbains. Vincent Desprez, évidemment, n’est pas choqué. Bien équipé, il nous fait visiter une partie de ses parcelles : un peu plus de 50 ares, 100% bio. Tout au bout des parcelles aménagées façon JeanMartin Fortier (l’agriculteur-enseignant québécois propose un modèle de polyculture basé sur des jardins thématiques – verdures et racines par exemple – ­divisés par planches et par culture en rotation), une caravane s’est mise sur son 31. Vincent l’a réaménagée pour accueillir ce jour-là des poules qui lui permettront de gérer ses déchets organiques et de vendre des œufs. En attendant, on traverse huit jardins découvrant radis et carottes sous leur voile de forçage, un petit tunnel maraîcher improvisé. Même s’il a été formé au Lycée agricole ­d’Obernai et que l’association Terre de liens a pris la suite pour le mettre en contact avec d’autres professionnels et se créer un réseau, ce reconverti de l’industrie pharmaceutique ne cesse jamais de découvrir. « J’ai compris qu’il n’y avait pas de recettes, ni de vérités absolues, quand je fais un choix, il aura une conséquence. Par exemple, si je paille pour garder l’humidité de la terre, j’aurai plus de rongeurs qui peuvent faire beaucoup de dégâts, donc il faut installer des filets. Comme je suis seul, je bâche un certain nombre de mes sols pour éviter de biner. » D’un tempérament prudent, Vincent n’entend pas brûler les étapes, parce que son but, c’est d’être viable. « Dès les premiers jours de la formation, on nous a dit : “Vous êtes là parce que vous voulez retrouver le lien à la nature, mettre les mains dans la terre ? C’est bien, mais la finalité ce n’est pas de produire, c’est de vendre”. » On ne vit pas que d’amour et d’eau fraîche. Alors tout ce qui peut lui assurer une production, et donc des revenus, il le fait, jusqu’au moment où il aura maîtrisé la technique et pourra pousser le bouchon. Rétroplanning, schémas pour ses jardins et planches, un itinéraire de culture « le

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plus préventif possible » ; il anticipe tout. Cette tendance à prévoir au plus juste, il l’a sans doute héritée de son passé en laboratoire pharmaceutique dont il s’est détaché pour plusieurs raisons. « Je ne m’y retrouvais plus, il fallait que je fasse autre chose, et plutôt que de produire des médicaments pour les gens qui tombent malades, j’ai voulu produire pour qu’ils ne tombent pas malades. » En 2007, cet originaire de la Sarthe tombé amoureux de l’Alsace, décide de s’acheter une maison à Bischoffsheim. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais il veut avoir « son bout de terrain », son potager, son verger. Il développe toute une réflexion sur la relocalisation du travail et de la production : « Je ne comprends pas pourquoi certains font le choix d’habiter à 40 bornes de leur boulot, ou de faire appel à des artisans qui ne sont pas proches de chez eux. À nous de changer notre consommation pour éviter les coûts de transport. Être militant, ça passe d’abord par ça. »

Le changement Trouver son chemin lui aura pris presque 8 ans et un passage par la Ferme Durr. « À 40 ans, c’était le moment ou jamais pour bouger. » Il négocie une rupture conventionnelle et trouve les financements pour se former au Lycée agricole. Il en sort en juin 2018 sans terrain pour se lancer. C’est alors qu’un petit maraîcher du coin lui propose de reprendre ses parcelles. « Elles étaient petites, je savais que ce serait compliqué en termes de viabilité. J’avais mon allocation chômage mais je me suis dit : “Dans quoi je m’engage là ?” » Des nuits sans sommeil, il en a eues : le chômage, d’accord, mais il s’agit d’assurer son avenir. Mi-2019, son projet était sur les rails. Pour diversifier ses ventes, il fait le choix des magasins bio et de la vente directe. Un choix qui s’avérera judicieux alors que la crise sanitaire avance au galop : « Pendant le premier confinement, j’ai eu 5 clients sur ma première vente, 30 pour la deuxième. Pour moi, c’était un nouveau métier, je n’étais pas prêt. » Mais il s’adapte. Aujourd’hui, la vente directe représente 60% de son chiffre d’affaires, une belle performance qui lui assure un peu de sérénité. L’échéance de la fin de ses droits au chômage en tête (en décembre 2021), il développe. Il vient de louer 1 hectare supplémentaire, en pleine conversion

bio. Mais il y tient : « Je ne veux pas utiliser de machines. Faire petit mais bien faire. » Et surtout faire, c’est comme ça qu’on apprend. « Être salarié, c’est être une roue de l’engrenage. Là, je suis tout seul au sourcing, à la production, à la maintenance, à la préparation de commandes. J’ai tout à faire. » Mais pour rien au monde, il ne regrette son choix : « Je n’ai pas l’impression de déconnecter, la pression est là, mais je n’ai pas non plus l’impression de travailler. Ce que je fais, j’aime le faire. » Voilà. Les Jardins du Bischenberg Magasin de vente directe 12, route d’Obernai à Bischoffsheim 06 14 60 26 42


Carole K. céramiste Les bols, cache-pots, chopes et coupelles de Carole K. sont comme ses bébés. Elle met beaucoup dans ses créations à la fois poétiques et ludiques. Il y a dans ses ­objets de l’intimité et de l’engagement. Et lorsqu’on la rencontre, on se demande comment il pourrait en être autrement. Chaque chose qu’elle entreprend, elle le fait à fond. Comme cette maison qu’elle et son compagnon rénovent à Pfettisheim – l’ancien restaurant L’Oncle Georges. Ce jour-là, il nous faut nous projeter un peu pour imaginer le lieu d’habitation et l’atelier de Carole, un peu plus avancé. Tout a été désossé pour retrouver l’origine : « Dans la charpente, on a retrouvé une carte postale datant de 1901. » Lire dans le bois, les murs et la pierre pour revenir aux origines de cette maison alsacienne, ils y tiennent dur comme fer. Ils font beaucoup eux-mêmes – sauf le gros œuvre – entourés de leur famille : le père aide à la rénovation, le parrain est électricien. C’est précieux. Carole cherche à comprendre et maîtrise, elle peut vous parler de la charpente comme de l’isolation thermique. Et elle partait de loin. Il y a deux ans, le couple commence ses recherches : « Avoir un bout de jardin, c’est le grand truc à Strasbourg et c’est un peu la cata : on se retrouve avec de petits espaces et des bouts de jardin de 3m2. » Ils élargissent leur périmètre de recherche, Carole décidant d’implanter aussi son lieu de travail. Jusqu’à présent, elle travaillait à Schiltigheim : « C’est aussi un argument financier : 600€ de budget en moins à investir dans l’achat, ce n’est pas rien. Et c’est une autre qualité de vie. » Ils tombent sur cet espace : une maison biscornue au charme fou, une grange, un jardin. « On est tombé amoureux tout de suite. Les défauts, même si quatre architectes nous ont déconseillé d’acheter, ont vite été balayés. » Le 4 août 2020, ils signent en plein Covid et la réalité la rattrape. « Bien sûr que je flippe, je suis consciente que je casse tout ce que j’ai construit avant. » Ses fonctionnements, sa clientèle. Tout sera à reconstruire. Comme la maison. Mais ce qui la tient, c’est l’accueil : « Les gens

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d’ici me demandent : c’est vous qui allez ouvrir un atelier de poterie ? Ça rassure. Et puis, je sais qu’il va falloir que j’aille plus à la rencontre des gens : organiser des ateliers, des événements, multiplier les solutions de ventes : mon e-shop, les marchés de Noël, les boutiques en centre-ville comme le Générateur à Strasbourg où je suis. J’espère que les gens me suivront. » Inch’allah. carolekceramique.com

Bertrand Magar relieur Bertrand, il les aime les Vosges. Et comment ! Ce sont elles qui l’ont fait revenir en Alsace après son CAP reliure à Nantes et installer son atelier à Strasbourg en 1984. Ce sont elles à nouveau qui l’ont attiré sur les hauteurs de Bourg-Bruche dix ans plus tard pour y vivre et y travailler. 1994. Bien avant l’exode urbain dont tout le monde parle. « J’aimais bien Strasbourg, il y a beaucoup à faire. Mon atelier, relativement petit, était installé dans un immeuble bourgeois, dès que j’achetais une machine, c’était un psychodrame. Et puis les habitants avaient un peu de mal avec le fait que des clients entrent et sortent… Ici, c’est la liberté. Entre midi et deux, je me balade en forêt. » Ça fait envie, n’est-ce pas ? Un peu comme son atelier enrobé de baies vitrées ouvrant sur la verdure et les montagnes. Mais Bertrand et sa femme ont dû faire preuve de persévérance, notamment parce que cette maison-atelier, ils l’ont rénovée seuls – le point commun de toutes celles et ceux que nous avons interrogés. La liberté a un prix, celui de la débrouille. « Les gens d’ici pensaient qu’on ne passerait pas l’hiver, on a montré patte blanche, en souriant, en disant bonjour ; c’est aussi simple que ça. » Son travail de relieur a été impacté, mais pas tant que ça « De toute façon, les

professionnels avec lesquels je travaille, ce n’est pas la peine qu’ils se déplacent : ils demandent des devis et on fonctionne en livraison. Sinon, c’est moi qui me déplace, chaque semaine, je fais la navette en ville : j’ai réussi à les dresser les clients », répond-il, malicieux. Ce qui a changé, c’est le livre : « Ce n’est plus la référence, c’est une référence. » Il le savait et avait anticipé. De peur de se retrouver à ne travailler qu’avec des bibliothèques ou à restaurer des livres de prestige, il s’était diversifié et tourné vers les agences de communication ou les entreprises. Cartonnage d’objets, impression à chaud, dorure à la presse, fabrication d’étuis, de classeurs ou de carnets, papiers marbrés ; finalement Bertrand Magar sort du carcan dans lequel beaucoup d’artisans relieurs se sont enfermés. La reliure, c’est aussi autre chose que les livres. Mais pour pouvoir tout faire, il faut avoir les machines, qu’il collectionne justement. Un peu trop. « C’est sûr que c’est une passion qui pèse lourd ! » De fait, quoi qu’il fasse, Bertrand se sent un peu à l’étroit. Une chance qu’il puisse se ressourcer au grand air quotidiennement. reliure-magar.com


Carole K. dans sa maison-atelier en chantier à Pfettisheim. Photo : Christophe Urbain

Adossé à sa maison de Bourg-Bruche, l’atelier de Bertrand Magar est ouvert sur la nature. Photo : Dorian Rollin

Ici, c’est la liberté. Entre midi et deux, je me balade en forêt. Bertrand Magar Relieur

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Du grain à moudre

Quelques lectures pour aller plus loin. Où il est beaucoup question de reconversion, de néo-artisans, de valeurs éthiques et écologiques, de rapport au travail et au monde, de quête existentielle. Un argumentaire pour changer de vie ?

Par Sylvia Dubost

L’entrée en matière

Le récit

Comme une bonne intro dans une dissertation, cette note rédigée par le think tank La Fabrique écologique pose parfaitement les enjeux du sujet. Plutôt destinée à celles et ceux qui veulent se lancer dans une reconversion et celles et ceux qui les accompagnent, elle revient sur les chiffres, les motivations, les aspects économiques, écologiques, sociétaux de ces reconversions professionnelles, et rappelle quelques bases. « Le mouvement lui-même s’inscrit dans la continuité du courant de pensée américain Arts and Crafts qui pose la réhabilitation du travail artisanal comme un nouveau modèle pour la société, mettant en œuvre une intelligence pratique (la « mètis » grecque) capable de redonner du sens à l’organisation sociale du travail, qui ne cesse d’en perdre. Ce constat a été porté à la connaissance d’un large public et à une échelle internationale au travers des récents ouvrages de Richard Sennett (Ce que sait la main, 2008), de Matthew B. Crawford (Éloge du carburateur, 2010) et plus récemment encore par Arthur Lochmann (La Vie solide : La charpente comme éthique du faire, 2019) qui ont tous rencontré un réel succès d’édition. »

Cité dans la note ci-dessus, ce récit est un peu l’alter ego français d’Éloge du carburateur. Étudiant en philo et en droit, Arthur Lochmann choisit un CAP charpentier non par désir, mais pour gagner sa vie. Son nouveau métier finit par prendre une place qu’il n’attendait pas, et lui ouvre une manière inédite d’aborder et de comprendre le monde. « En développant un rapport productif à la matière, en apprenant à inscrire mes actions dans la durée, en adoptant l’éthique artisanale du bien faire, j’ai trouvé des clés pour m’orienter dans notre époque frénétique. Au fil des ans et des chantiers, j’ai acquis cette conviction : l’apprentissage et la pratique d’un artisanat sont un ensemble d’expériences, de méthodes et de valeurs adaptées aux défis individuels et collectifs de la modernité. »

Développer les métiers de l’artisanat local et écologique, La Fabrique écologique. Disponible sur lafabriqueecologique.fr

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ZUT ARTISANAT  |  Du grain à moudre

Arthur Lochmann, La vie solide. La charpente comme éthique du faire Éd. Payot, 2019

La mise en perspective La comparaison entre le mouvement actuel et celui des années 70 est inévitable. Et la lecture de cet ouvrage publié en 1977 la rend encore plus pertinente, tant les parcours et les motivations sont

similaires, mus par « une certaine idée du loisir et labeur, cette volonté d’une existence moins dévorée, de rythmes plus paisibles, mieux accordés au jour, à la nuit, aux saisons. » Pierre Barnley et Paule Paillet débarrassent cet exode urbain du folklore dont il se pare et du mépris qui l’accompagne. « Dès que l’on amorce le dialogue avec tous ces gens, jeunes pour la plupart, qui délibérément ont rompu les amarres qui les enchaînaient à un travail, un style de vie, un habitat de grande ville, reviennent avec insistance, formulés ou implicites, les thèmes de rapports neufs à redécouvrir, à réinventer, entre l’homme et la nature, l’homme et l’outil, l’homme et la matière qu’il travaille, la quête d’une identité perdue… » Pierre Barnley et Paule Paillet, Les néo-artisans, Éd. Stock, 1977 Disponible en PDF sur Place des libraires

L’indispensable Difficile de ne pas citer cet ouvrage qu’on peut qualifier de culte, en tout cas de classique sur le sujet. Économiste et anthropologue David Graeber, anarchiste et figure du mouvement Occupy Wall Street en 2008 (quand on avait le droit de se rassembler dans l’espace public…) observe ici les boulots à la con auquel nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à être réduits, et auquel les


« néo-artisans » se refusent. Des boulots non seulement aliénants et inégalitaires (comme de tout temps), mais désormais aussi inefficaces. Graeber, décédé en septembre 2020, les définit ainsi : « Un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est tellement inutile, superflu ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat de faire croire qu’il n’en est rien. » Et de préciser : « Ces métiers très divers ont en commun d’être de plus en plus pollués par tout un tas de tâches administratives imposées par leurs hiérarchies et qui les détournent de leur fonction première… » Ça vous parle ? David Graeber, Bullshit jobs, Éd. Les liens qui libèrent, 2018

Le volet urbain Journaliste sur slate.fr, spécialisé dans les modes de vie et les valeurs des classes supérieures urbaines, Jean-Laurent Cassely s’est justement intéressé à ces jeunes (sur)diplômés qui fuient leur bullshit job. Et plus précisément à ceux qui aspirent à un retour au concret tout en restant en ville, créant une nouvelle catégorie sociale. Il explore notamment l’aspect économique, et les compare volontiers avec des startuppers, explorant un nouveau marché et de nouvelles aspirations des consommateurs. On écoutera aussi son interview dans l’émission Culture Monde de France Culture. « Les individus amorcent une réécriture des codes de la réussite sociale et de l’épanouissement au travail. Il y a un désenchantement de l’imaginaire du cadre supérieur conquérant des années 90. » – Jean-Laurent Cassely, La révolte des premiers de la classe, Éd. Arkhé, 2017 – Des bullshit jobs au néo-artisanat : une génération en quête de sens, émission Culture Monde de Florian Delorme, 06.09.2017

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Le pas de côté On avait adoré Éloge du carburateur, ode à l’intelligence que requiert l’activité manuelle mêlant anecdotes et réflexions philosophiques, historiques et économiques. Le philosophe-mécanicien déplace ici la focale et se penche sur notre rapport au monde, qui a sans doute provoqué sa reconversion et tant d’autres. Notre société occidentale se caractérise pour lui par une crise de l’attention accompagnée d’une perte de contact avec ce qui nous entoure. Sur le même mode que pour son livre précédent, Crawford observe avec beaucoup de hauteur de vue notre vie désincarnée où se creuse le fossé entre l’esprit et la chair, et où les « domaines de compétences pratiques fonctionnent comme des points d’ancrage de notre rapport au réel ». Autrement dit, l’attention est un muscle, l’activité manuelle sa gymnastique. Matthew Crawford, Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver, Éd. La Découverte, 2016

L’inattendu Le philosophe pose ici les hackers en pionniers d’un nouveau rapport au travail. Hacker, c’est pirater, c’est-à-dire prendre une autre voie, détourner, en l’occurrence adapter et transformer son outil et sa méthode de travail, en redevenir le maître pour échapper à l’aliénation. Himanen développe ici une théorie intéressante. La démarche s’inscrit à l’encontre de l’éthique protestante du travail, telle que définie par Max Weber, très prégnante dans le monde anglo-saxon (et aussi alsacien), où le travail est une fin en soi. Pour lui, le hacker est au contraire prêt à s’investir s’il y trouve un intérêt, si cela le passionne et s’il peut exercer sa créativité. Comme les artisanes et artisans, en somme. Pekka Himanen, L’éthique Hacker et l’esprit à l’ère de l’information, Éd. Exils, 2001


Sur-mesure Par JiBé Mathieu

Qu’est-ce qui anime les clientes et clients lorsqu’elles et ils se tournent vers l’artisanat ? Rencontre avec celles et ceux qui achètent, consciencieusement.

Baptiste et Maïlys 1

Mauricette* 2

Amélie 3

*Le prénom a été modifié pour ménager la surprise au fiancé.

Elle et il ont choisi : la bijouterie Flore et Zephyr, à Strasbourg Maïlys et Baptiste ont 32 ans et vont se marier au domaine Achillée à Scherwiller. Une proximité assumée, même recherchée par les futurs époux. « Nous sommes très attachés à tout ce qui est local, notamment au niveau alimentaire », raconte Baptiste. Mais pas seulement. Alors lorsque Maïlys rencontre Amaury Noirel, fondateur de la bijouterie Flore et Zephyr, le courant passe. « Leur démarche éco-responsable nous a beaucoup parlé. Ce sont des gens de notre âge, ce qui a créé des accointances. Ils sortent du côté désuet, parfois cheap du local. Ce sont des entrepreneurs accessibles, qui ont les pieds sur terre et s’inscrivent dans une démarche de long terme. » Du coup, paf ! Bague de fiançailles, collier et des alliances en cours de finalisation. « En plus, ils sont compétitifs niveau prix, ce qui n’est pas négligeable », reconnaît Baptiste. « Même si dans ces moments-là, on ne compte pas… Enfin, un peu quand même ! » flore-et-zephyr.com

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ZUT ARTISANAT | Sur-mesure

Elle a choisi : l’atelier de création de robes de mariées Elisa Ness, à Colmar « N’ayant aucune visibilité quant à l’organisation de notre mariage, j’ai eu l’agréable surprise de trouver une robe de mariée chez la créatrice Elisa Ness. Je passe régulièrement devant sa vitrine et j’ai toujours eu les yeux qui pétillent en voyant ses robes ! J’ai choisi une tenue qui sort de l’ordinaire. Je ne recherchais pas l’effet volumineux mais plutôt raffiné, une robe élégante, tout en finesse ! J’apprécie la broderie et le travail d’experte de madame Usta. Je suis émerveillée par la délicatesse de ses créations et son œil avisé qui sait mettre en valeur ses futures mariées ! » elisa-ness.fr

Elle a choisi : Emmanuelle Feucht d’Atelier Intérieur, tapissière à Strasbourg « Longtemps, mon univers s’est réduit à ma valise. Lorsque je suis venue m’installer en Alsace, j’ai récupéré des meubles à droite à gauche. J’ai eu envie de faire appel à un tapissier pour donner une cohérence à trois fauteuils et suis tombée sur Babel Brune, une créatrice de tissu pour laquelle j’ai eu un coup de cœur. Lorsque j’ai découvert Atelier Intérieur, j’ai contacté Emmanuelle sans hésiter. Je n’aurais pas poursuivi le projet si je n’étais pas tombée sur une tapissière sympa acceptant d’entrer dans ma démarche. Emmanuelle s’est rapprochée de Babel Brune, ce que j’ai apprécié. Lorsqu’elle m’a ramené le premier fauteuil, un club, j’ai trouvé cela très émouvant. Nous avons poursuivi avec les deux autres, pour créer un fil conducteur. Bien sûr, leur côté fonctionnel est important. J’aurais été déçue s’ils avaient été inconfortables. Mais j’avoue que je fais attention lorsque des amis s’y installent un verre à la main ! » atelierinterieur.fr


3

1

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Photo : Dorian Rollin

Photos : Jésus s. Baptista


Photos : Jésus s. Baptista

Michèle et Philippe Elle et il ont choisi : Denis Spiehlmann, métallier d’art à Niedermodern et Mylène Billand, vitrailliste à Wimmenau Rénovant depuis cinq ans leur maison des années 50 à Strasbourg, le couple cherchait une porte coulissante pour sa cuisine. « Nous ne trouvions rien dans les magasins standards… » Lors d’une journée ateliers ouverts, ils tombent sur Denis Spiehlmann et Mylène Billand, qui collaborent fréquemment. « Nous avons vraiment craqué sur leurs travaux qui se mariaient bien. » Les artisans se déplacent à leur domicile, Mylène interroge le couple sur ses goûts, passe au crible sa déco et propose une série de croquis. « Nous nous sommes rendus dans son atelier pour choisir le verre. Là, Mylène nous a montré différentes couleurs et textures. » Michèle et son époux le reconnaissent, des artisans, ils en ont rencontré de très bons au cours de leurs cinq années de travaux : « Mais on est là

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ZUT ARTISANAT | Sur-mesure

dans quelque chose de beaucoup plus personnel. » Un travail aux frontières de l’art qui les a séduit. Au point qu’ils ont décidé de poursuivre la collaboration. « À Mylène, nous avons confié la porte d’entrée de la maison et à Denis, une pergola sur la cour extérieure. Ce sont des gens que l’on a plaisir à faire travailler. » Denis Spiehlmann : nolimiteselsass.fr Mylène Billand : mylenebilland.wixsite. com/stainedglass


Les Maîtres Chocolatiers Daniel Stoffel allient savoir-faire artisanal & minutie du geste pour vous offrir une expérience gustative unique.

Photo non contractuelle, suggestion de présentation - Crédit photo : Nis & For

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LES SAVOIR-FAIRE DE LA FONDATION DE L’ŒUVRE NOTRE-DAME

EN SAVOIR PLUS

Welcome Byzance • Crédits photo : J. Dorkel, S. Woolf / Strasbourg Eurometropole

Patrimoine culturel et immatériel de l’Unesco


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Focus

13min
pages 144-149

DU GRAIN À MOUDRE

5min
pages 150-151

L’ACTU DES ARTISANS

4min
pages 142-143

DOSSIER

10min
pages 130-135

REPORTAGE

4min
pages 128-129

PORTRAITS

3min
pages 124-127

LA SÉLECTION

1min
pages 112-113

Focus

15min
pages 114-123

TENDANCE

2min
pages 110-111

DOSSIER

10min
pages 104-109

PORTRAITS

5min
pages 100-103

PORTRAITS

5min
pages 94-99

Focus

14min
pages 86-93

ENQUÊTE

13min
pages 80-85

DOSSIER

13min
pages 72-79

PORTRAITS

3min
pages 68-71

L’ACTU DES ARTISANS

2min
pages 58-59

SÉRIE MEMORY

2min
pages 60-67

LA SÉLECTION

2min
pages 56-57

TENDANCE

2min
pages 54-55

PORTRAITS

1min
pages 40-41

INTERVIEW

4min
pages 52-53

FOCUS

24min
pages 26-39

REPORTAGE

4min
pages 48-51

INTERVIEW

11min
pages 20-25

DOSSIER

8min
pages 42-47

L’ARTISANAT VU PAR

11min
pages 12-19

EDITO

2min
pages 10-11
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