Tête de gondole d’un collectif de photographes qui expose à L’Aubette pour Électricité de Strasbourg, Frantisek Zvardon raconte sa curieuse expérience du confinement. Par Pierre Cribeillet Photo Frantisek Zvardon
Saint François de Guadeloupe Les Énergies entre Ciel et Terre ÉLECTRICITÉ DE STRASBOURG Salle de L’Aubette
ESTELLE HOFFERT MARTIN ITTY PATRICK STRAJNIC STÉPHANE SPACH FRANTISEK ZVARDON
Où étiez-vous il y a un an, lors du premier confinement ? Certainement pas avec le photographe Frantisek Zvardon, il s’en serait souvenu. « J’étais envoyé dans les îles autour de la Guadeloupe avant que tout se ferme et, au final, j’en suis resté prisonnier. Parti pour un mois, j’y suis resté trois mois parce que je n’avais pas d’avion », retrace ce fils adoptif de l’Alsace, sa « patrie » d’élection après un exil politique de Tchécoslovaquie en 1985. « Dans la jungle, j’ai trouvé un petit chalet isolé. J’ai fait mes photos, je me suis baladé dans les parcs avec des volcans, etc. Les plages connues en Guadeloupe, avec des milliers de gens sur le sable, étaient vides pour la première fois depuis longtemps. J’ai fait des photos relativement uniques, sans personne. » À mesure que cette solitude involontaire s’approfondit, un certain malaise s’installe. « Marcher tout seul, croiser de temps en temps un chien errant. J’ai même ressenti de l’angoisse à un moment donné. Mais où est le monde ? Il n’y a personne ? Estce qu’ils sont vivants ? Suis-je tout seul ? Je me demandais si je n’étais pas dans un film futuriste avec une maladie qui arrive et dont je suis le seul survivant. Ce n’était pas vraiment un plaisir photographique non plus. Je crois que voir de la vie autour de nous, ça nous fait vivre aussi. » « L’industrie, c’est magique » La robinsonnade prend quelquefois un virage burlesque lorsque Zvardon énumère les quelques rencontres qui lui remontèrent le moral. « Les oiseaux s’étaient habitués au silence depuis quelques semaines. Peut-être qu’ils venaient pour grignoter des chips que les touristes laissent, je ne sais pas, mais j’ai des photos où ils s’asseyent sur ma tête, sur mes appareils. J’étais comme un Saint François avec les oiseaux autour de moi.
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J’avais l’impression qu’ils cherchaient eux aussi la présence, ça leur faisait plaisir de voir enfin quelqu’un. Drôle d’ambiance. J’étais même content quand je me faisais contrôler par les gendarmes. Enfin quelque chose de vivant ! » Il passera le confinement suivant en Scandinavie, avant de repartir en Laponie en début d’année, infatigable voyageur qui toujours revient vers sa douce Alsace. Exposé à l’Aubette en compagnie de quatre confrères, Frantisek Zvardon a profité de la collaboration avec Électricité de Strasbourg pour renouer avec la photographie industrielle. « Ces paysages industriels sont inconnus, ils sont un mystère pour nous. Par exemple à Schirmeck, je suis rentré à l’intérieur voir la turbine toute neuve, toute belle, qui est le cœur que l’eau va faire tourner. C’était une sorte de cave dans le noir, je suis descendu, j’avais un mètre dans l’eau, des lampes accrochées sur la tête et des trépieds, les reflets étaient magnifiques. Je voulais rentrer dans l’invisible et donner l’image de cette beauté. » En 2015, il avait d’ailleurs présenté au festival Musica un film de 52 minutes, Inferno, dans lequel ses images tirées du quotidien d’industries lourdes en Europe étaient accompagnées par l’Orchestre symphonique de la Radio de Baden-Baden/ Fribourg. « L’industrie, c’est magique. Cette bataille de l’homme et de la nature pour en obtenir de l’énergie, tout en la polluant le moins possible, c’est un spectacle extraordinaire et un challenge très contemporain. » Et la bonne direction pour espérer qu’un jour les oiseaux alsaciens se posent eux aussi sur les flâneurs de la Grande île.