Cerveau & Psycho 154 - mai 2023

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JUSQU’OÙ SE COMPARER ?

Comment s’évaluer sans (trop) en sou rir

TDAH EST-IL RELIÉ AUX TROUBLES ANXIEUX ? L 13252 - 154 - F: 7,00 € - RD
POURQUOI LES CLOWNS
FONT PARFOIS PEUR COUPLE COMMENT NOTRE CERVEAU CRÉE LA FIDÉLITÉ MENTALISME PEUT-ON DÉTECTER
SIGNES DU MENSONGE ? COMPLEXE CORPOREL QUAND ON NE SUPPORTE PLUS SON PHYSIQUE
LE
COULROPHOBIE
NOUS
LES
N°154 Mai 2023 Cerveau & Psycho Cerveau & Psycho JUSQU’OÙ SE COMPARER ? Comment s’évaluer sans (trop) en sou rir N° 154 Mai 2023 DOM : 8,50  € –BEL./LUX. : 8,50  € –CH 12,00 FS –CAN. : 12,99 CA$ –TOM : 1 100 XPF

BRAINCAST La

voix des neurones en partenariat avec l’Institut

du Cerveau

Disponible sur www.cerveauetpsycho.fr/sr/braincast/ ainsi que sur toutes les plateformes de podcast

Braincast est le rendez-vous des amateurs des sciences du cerveau et de leurs derniers dĂ©veloppements, qui transforment notre sociĂ©tĂ© et expliquent d’une façon nouvelle nos comportements, nos pensĂ©es, nos Ă©motions, nos dĂ©sirs


Ce podcast emmĂšnera l’auditeur dans une conversation avec un chercheur qui a marquĂ© sa discipline, pour revenir sur sa vie, son parcours, ce qui l’a passionnĂ© dans le monde des neurosciences.

Ce moment privilĂ©giĂ©, axĂ© sur l’homme ou sur la femme dans leur dimension humaine et sur les fondements de la recherche en neurosciences, va ouvrir pour l’auditeur des fenĂȘtres sur le fonctionnement de son propre cerveau.

N°

NOS CONTRIBUTEURS

ÉDITORIAL

p. 12-14

Diane Purper-Ouakil

Professeuse des universitĂ©s et praticienne hospitaliĂšre de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, au Centre hospitalier universitaire de Montpellier, elle s’intĂ©resse notamment aux troubles neurodĂ©veloppementaux, comme le TDAH et l’autisme.

SÉBASTIEN BOHLER

RĂ©dacteur en chef

Sylvie Thirion

MaĂźtresse de confĂ©rences en physiologie et en neurosciences Ă  Aix-Marseille UniversitĂ©, elle s’intĂ©resse Ă  la façon dont le cerveau construit le lien amoureux.

Moi, ça me console

L’autre jour, j’ai appris que Bernard Arnault, le patron de LVMH, Ă©tait l’homme le plus riche du monde. Apparemment, Elon Musk n’a pas apprĂ©ciĂ©. Il n’a plus que 171 milliards.

Mathieu Cassotti

Professeur de psychologie du dĂ©veloppement Ă  l’universitĂ© Paris-CitĂ©, chercheur au Laboratoire de psychologie du dĂ©veloppement et de l’éducation de l’enfant (LapsydĂ©), il mĂšne des recherches sur le rĂŽle des Ă©motions dans la prise de dĂ©cision et la crĂ©ativitĂ©.

Cela vous fait sourire ? Moi, ça me console. Je ne suis pas le seul Ă  me comparer. MĂȘme un multimilliardaire, qui n’aura pas assez de 1 000 existences pour dĂ©penser le quart de sa fortune, peut se sentir frustrĂ© de voir son petit copain le coiffer au poteau du Nasdaq.

Je conseille donc Ă  Elon Musk la lecture de ce numĂ©ro, oĂč il pourra apprendre Ă  se comparer intelligemment. Par exemple, Ă  Jeff Bezos, qui n’a plus que 111 milliards aprĂšs son coĂ»teux divorce. Ha ! Ha ! On rigole, moins hein ?

La comparaison descendante, nous apprend le dossier central de ce numĂ©ro, n’est que la plus grossiĂšre des stratĂ©gies pour se rassurer quand l’estime de soi bat de l’aile. Les autres sont plus subtiles et plus Ă©panouissantes, je vous laisse les dĂ©couvrir.

p.

Vincent Trybou

Psychologue clinicien et psychothĂ©rapeute au Centre des troubles anxieux et de l’humeur (CTAH), Ă  Paris, il assiste notamment les personnes sou rant d’un sentiment d’injustice dĂ©vastateur.

La vie est faite d’injustices, de toute façon. C’est pourquoi nous vous avons concoctĂ© un petit guide pour surmonter ce sentiment si douloureux de ne pas ĂȘtre traitĂ© avec Ă©quitĂ©. Au programme : TCC, thĂ©rapie de dĂ©fusionnement, thĂ©rapie d’acceptation ou entraĂźnement Ă  l’assertivitĂ©. Et ça, je vous parie tous les milliards du monde que Jeff Bezos n’en a jamais entendu parler.

Moi, ça me console. £

3 N° 154 - Mai 2023
154
p. 36-38 p. 56-61 84-91

SOMMAIRE

N° 154 MAI 2023

p. 39-59

p. 6-35

DÉCOUVERTES

p. 6 ACTUALITÉS

Quand les clowns ne font plus rire

Le doudou idéal

MĂ©moire de travail : des synapses modiïŹĂ©es

Alzheimer : le microbiote en cause ?

La vitamine D, contre le suicide

Sexe : planiïŹĂ© ou Ă  l’improviste ?

p. 12 FOCUS

TDAH : un lien avec l’anxiĂ©tĂ© ?

La dĂ©couverte d’un lien entre TDAH et troubles anxieux est une donnĂ©e nouvelle qui change la prise en charge.

Diane Purper-Ouakil

p. 16 CAS CLINIQUE

GRÉGORY MICHEL

Thibault, le garçon qui détestait son nez

Thibault est persuadĂ© que son nez est di orme et n’ose plus aller au collĂšge. Un trouble appelĂ© « dysmorphophobie », qui peut se soigner.

p. 24 PSYCHOLOGIE

p. 39

ChatGPT

: l’esprit d’un enfant de 9 ans ?

Le robot conversationnel ChatGPT semble attribuer des pensées aux humains


Alex Wilkins

p. 28 NEUROBIOLOGIE

Amour : les leçons du campagnol

L’étude d’un rongeur monogame nous en dit long sur les bases de la ïŹdĂ©litĂ©.

Steven Phelps, Zoe Donaldson et Dev Manoli

p. 36

NEUROBIOLOGIE

Le sexe prĂ©pare le cerveau Ă  l’attachement

Les liens entre sexualité et attachement durable apparaissent dans le cerveau. Entretien avec Sylvie Thirion

JUSQU’OÙ SE COMPARER ?

COMMENT S’ÉVALUER

SANS (TROP) EN SOUFFRIR

p. 40 PSYCHOLOGIE SOCIALE NÉS POUR SE COMPARER

Se comparer est indispensable pour se situer dans un groupe. Mais cette tendance a aussi des e ets indésirables


Steve Ayan

p. 48 PSYCHOLOGIE SOCIALE

Entretien avec Mitch Prinstein

p. 52 PSYCHOLOGIE COMMENT SE COMPARER

À BON ESCIENT

Des mĂ©thodes simples permettent d’utiliser cette ressource sans en devenir l’esclave.

Christophe André

p. 56 DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT COLLABORER EST PLUS IMPORTANT QU’ÊTRE

PREMIER

Ce numĂ©ro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, brochĂ© en cahier intĂ©rieur, sur toute la di usion kiosque en France mĂ©tropolitaine. Il comporte Ă©galement un courrier de rĂ©abonnement, posĂ© sur le magazine, sur une sĂ©lection d’abonnĂ©s. En couverture : © fran_kie/Shutterstock

Chez les enfants, l’instinct de comparaison apparaĂźt tĂŽt. Il gagne ĂȘtre contrebalancĂ© par une Ă©ducation Ă  la coopĂ©ration. Entretien avec Mathieu Cassotti

« LA QUÊTE DE STATUT SOCIAL EST À DOUBLE TRANCHANT »
12 p. 16 p. 24 p. 28 Dossier
p.
4 N° 154 - Mai 2023

ÉCLAIRAGES VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 62 NEUROLOGIE

DĂ©mence

frontotemporale : de quoi parle-t-on ?

Henrik MĂŒller

p. 64 NEUROLOGIE

« Les patients ont besoin d’une aide au quotidien »

Entretien avec Carlo Wilke

p. 68 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

YVES-ALEXANDRE THALMANN

Les mensonges du « non-verbal »

DĂ©masquer un menteur Ă  ses gestes ?

Une promesse mensongĂšre !

p. 72 RAISON ET DÉRAISON

NICOLAS GAUVRIT

Quand ChatGPT apaise les réseaux sociaux

En modĂ©rateur des dĂ©bats, ChatGPT n’a pas son pareil pour apaiser les esprits.

p. 76 PSYCHOLOGIE COGNITIVE

Moins créatif en visio ?

Le nombre d’idĂ©es originales semble baisser dans les rĂ©unions en distanciel.

Bret Stetka

p. 80 L’ÉCOLE DES CERVEAUX JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Apprendre comme dans « Avatar »

Les interfaces de rĂ©alitĂ© virtuelle seront Ă  l’avenir des outils d’apprentissage de plus en plus e caces.

p. 84 PSYCHOLOGIE

Comment surmonter son sentiment d’injustice ?

Voici six clĂ©s pour ne pas se laisser ronger de l’intĂ©rieur en cas de harcĂšlement, de licenciement abusif ou de divorce inique.

Vincent Trybou

p. 92 SÉLECTION DE LIVRES

Le Cerveau lésé

Le Juste Ă©quilibre

Le club des anxieux qui se soignent Quand les animaux font la guerre

L’Architecte invisible

La Nouvelle Peur des autres

p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE

SEBASTIAN DIEGUEZ

L’Homme pressĂ©, toujours plus vite !

Dans ce roman de 1941, l’écrivain Paul Morand dĂ©nonçait dĂ©jĂ  les dangers d’une sociĂ©tĂ© oĂč tout accĂ©lĂšre.

p. 62-74 p. 76-91 p. 92-97
p. 62 p. 72 p. 76 p. 68 p. 84 p. 94 p. 92
5 N° 154 - Mai 2023

DIANE PURPER- OUAKIL

Professeuse des universitĂ©s et praticienne hospitaliĂšre de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, au Centre hospitalier universitaire de Montpellier. FOCUS

TDAH : un lien avec l’anxiĂ©tĂ© ?

Le trouble du dĂ©ïŹcit de l’attention avec hyperactivitĂ©, ou TDAH, est relativement frĂ©quent et touche 3 Ă  9 % de la population. MalgrĂ© cela, il n’est pas toujours trĂšs bien diagnostiquĂ©, notamment chez les adultes. Pourtant, les traits (ou symptĂŽmes) d’inattention, d’impulsivitĂ© et d’hyperactivitĂ© affectent sĂ©rieusement le bien-ĂȘtre et la qualitĂ© de vie, au quotidien et en sociĂ©tĂ©, ne serait-ce que pour la planifcation et l’organisation des tĂąches. Une nouvelle Ă©tude, parue dans la revue Scientifc Reports, vient ajouter un Ă©lĂ©ment important Ă  ce tableau : les personnes prĂ©sentant des traits du TDAH ont aussi de forts risques de souffrir de symptĂŽmes d’anxiĂ©tĂ© et de dĂ©pression.

Se manifestant en gĂ©nĂ©ral dĂšs l’enfance, le TDAH est l’une des pathologies du dĂ©veloppement cĂ©rĂ©bral les plus frĂ©quentes, avec le trouble du spectre de l’autisme (TSA), que l’on sait dĂ©jĂ  associĂ© au risque de souffrir d’anxiĂ©tĂ© ou de dĂ©pression plus tard dans la vie, car

la recherche dans ce domaine est assez importante. Mais peu d’études se sont intĂ©ressĂ©es au TDAH et Ă  ses consĂ©quences sur la santĂ© mentale. C’est donc ce qu’ont entrepris Luca Hargitai, de l’universitĂ© de Bath, en Angleterre, et ses collĂšgues en recrutant 504 participants, reprĂ©sentatifs en termes d’ñge et de sexe des adultes vivant au Royaume-Uni, et en leur faisant remplir des autoquestionnaires permettant d’évaluer les caractĂ©ristiques du TDAH, du TSA, de l’anxiĂ©tĂ© et de la dĂ©pression.

LES TROUBLES DU NEURODÉVELOPPEMENT RENDRAIENT ANXIEUX

Leurs rĂ©sultats rĂ©vĂšlent que les traits des deux troubles du dĂ©veloppement sont fortement associĂ©s aux symptĂŽmes d’anxiĂ©tĂ© et de dĂ©pression. Mais les traits du TDAH le sont bien plus que ceux du TSA. En d’autres termes, les adultes souffrant de TDAH ont un risque encore plus Ă©levĂ© que les personnes autistes de dĂ©velopper anxiĂ©tĂ© ou

dĂ©pression, et ce d’autant plus que les symptĂŽmes neurodĂ©veloppementaux sont marquĂ©s. Les chercheurs anglais Ă©mettent des hypothĂšses quant aux mĂ©canismes en jeu. Les deux types de trouble partagent des facteurs gĂ©nĂ©tiques communs, certains d’entre eux Ă©tant aussi liĂ©s Ă  l’anxiĂ©tĂ©. Par ailleurs, les diffcultĂ©s d’inhibition comportementale dont font preuve les personnes atteintes de TDAH joueraient un rĂŽle dans la survenue des symptĂŽmes de dĂ©pression et d’anxiĂ©tĂ© – via un dĂ©fcit de contrĂŽle des Ă©motions –, d’autant que ces problĂšmes d’inhibition ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© associĂ©s aux caractĂ©ristiques de la dĂ©pression dans une autre Ă©tude scientifque.

LE TDAH DES ADULTES EST NÉGLIGÉ

Ces nouveaux résultats ont le mérite de relier des traits associés aux deux principaux troubles du neurodéveloppement à des symptÎmes particuliÚrement fréquents chez

12 N° 154 - Mai 2023 DÉCOUVERTES Focus
Le trouble du dĂ©ïŹcit de l’attention avec hyperactivitĂ© semble associĂ© Ă  un risque accru de troubles anxieux. Une donnĂ©e Ă  prendre en compte pour amĂ©liorer la santĂ© mentale des jeunes comme des adultes.

l’adulte : l’anxiĂ©tĂ© et la dĂ©pression. Habituellement, ces domaines constituent des axes de recherche distincts, et les troubles du neurodĂ©veloppement ou les caractĂ©ristiques qui leur sont associĂ©es ont tendance Ă  ĂȘtre nĂ©gligĂ©s dans la population adulte, tant en recherche qu’en pratique clinique. Or ces donnĂ©es de Luca Hargitai et de ses collĂšgues soulignent que les traits du TDAH auraient une importance particuliĂšre dans l’apparition de symptĂŽmes dĂ©pressifs et anxieux, dont on peut supposer qu’ils se manifestent aprĂšs les signes d’hyperactivitĂ©, d’impulsivitĂ© et d’inattention, habituellement prĂ©sents dĂšs l’enfance. Ces rĂ©sultats rejoignent d’ailleurs les conclusions d’une mĂ©taanalyse rĂ©cente qui a mis en Ă©vidence une association entre le TDAH et le trouble bipolaire, caractĂ©risĂ© par l’alternance d’épisodes d’euphorie et de dĂ©pression. Ainsi, le TDAH augmente le risque de trouble bipolaire et la prĂ©sence de cette pathologie augmente rĂ©ciproquement celui d’avoir des symptĂŽmes de TDAH.

STIGMATISATION SOCIALE

Bien sĂ»r, ces nouveaux travaux ont aussi leurs limites. Ils reposent sur des symptĂŽmes autodĂ©clarĂ©s par le biais de questionnaires, sans procĂ©dure de confrmation d’un quelconque diagnostic, et le nombre de participants n’est pas trĂšs Ă©levĂ© pour ce type d’étude d’association. De plus, les chercheurs anglais ne font pas mention, dans leur discussion, des possibles facteurs environnementaux qui pourraient contribuer Ă  la relation entre TDAH (ou TSA) et symptĂŽmes anxieux et dĂ©pressifs.

En effet, on sait que les traits associés à des particularités neurodéveloppementales augmentent le

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© Sensvector/Shutterstock
Des traits comme l’hyperactivitĂ©, l’impulsivitĂ© ou l’inattention ont tendance Ă  ĂȘtre nĂ©gligĂ©s dans la population adulte, notamment chez les femmes, car elles font plus d’e orts que les hommes pour compenser leurs symptĂŽmes.

risque de stigmatisation sociale. D’ailleurs, dans le TDAH, les consĂ©quences sociales, familiales ou scolaires des symptĂŽmes font ellesmĂȘmes partie du diagnostic. Les enfants atteints de TDAH ont plus de risques d’ĂȘtre rejetĂ©s socialement, de subir des mauvais traitements ou d’ĂȘtre victimes d’accidents de la voie publique et domestiques. Ensuite, adultes, ils ont souvent des trajectoires de vie plus complexes que la population gĂ©nĂ©rale, marquĂ©es par de l’instabilitĂ© relationnelle et professionnelle.

Les enfants comme les adultes avec TDAH sont donc susceptibles d’ĂȘtre exposĂ©s Ă  de l’adversitĂ© psychosociale ou Ă  des Ă©vĂ©nements traumatiques. Et ces facteurs environnementaux sont d’autant plus frĂ©quents que les symptĂŽmes initiaux sont marquĂ©s, de sorte qu’ils vont Ă  leur tour augmenter le risque de symptĂŽmes dĂ©pressifs et anxieux dans la trajectoire de vie de ces personnes.

NE PAS OUBLIER

LES FEMMES ET LES FILLES


Par ailleurs, bien que cette Ă©tude n’ait pas mis en Ă©vidence d’effet spĂ©cifique du sexe sur l’association entre TDAH et symptĂŽmes dĂ©pressifs et anxieux, il est nĂ©cessaire de souligner un point important : la mĂ©connaissance de ce diagnostic chez les flles et les femmes, source de reconnaissance et de traitement tardifs. En effet, chez les femmes, le trait prĂ©dominant du TDAH est l’inattention, mais elles produisent plus d’efforts dits « de compensation » pour attĂ©nuer les rĂ©percussions de leurs symptĂŽmes sur leur vie quotidienne. De sorte que l’expression clinique du TDAH chez les femmes est souvent moins bruyante et peut ĂȘtre masquĂ©e par d’autres troubles
 Cependant, en mĂ©decine, on a clairement montrĂ© une association frĂ©quente du TDAH avec les troubles dĂ©pressifs et l’exposition Ă  des relations affectives insĂ©curisantes ou Ă  de la violence conjugale.

DÉCOUVERTES Focus

TDAH : UN LIEN AVEC L’ANXIÉTÉ ?

En attirant l’attention sur les relations mal connues entre traits du TDAH et symptĂŽmes d’anxiĂ©tĂ© ou de dĂ©pression, Luca Hargitai et ses collĂšgues vont dĂ©jĂ  nous pousser Ă  approfondir davantage les recherches sur ce trouble chez l’adulte. L’idĂ©al serait de mener des Ă©tudes de suivi de populations pour mieux comprendre la sĂ©quence temporelle des symptĂŽmes et les facteurs de risque ou de protection associĂ©s. Mais ces donnĂ©es, et les autres disponibles, doivent dĂ©jĂ  nous alerter sur les caractĂ©ristiques communes Ă  ces diffcultĂ©s, en particulier celles qui sont modifables. Car on peut agir pour amĂ©liorer la reconnaissance et le traitement du TDAH, chez les adultes et en particulier les femmes, et ainsi diminuer le retentissement des symptĂŽmes sur la vie personnelle et sociale. On peut aussi modifer les reprĂ©sentations nĂ©gatives associĂ©es Ă  cette pathologie et agir pour un environnement plus respectueux des besoins des personnes concernĂ©es et de leur entourage. Par ailleurs, un Ă©tat dĂ©pressif ou anxieux, surtout rĂ©current ou ne rĂ©pondant pas bien aux thĂ©rapies, devrait Ă©galement faire rechercher un trouble du neurodĂ©veloppement, en particulier un TDAH
 ÂŁ

Bibliographie

Luca D. Hargitai et al., Attention-deïŹcit hyperactivity disorder traits are a more important predictor of internalizing problems than autistic traits, ScientiïŹc Reports, 2023

E. Khoury et al., Meta-analysis of personal and familial co-occurrence of attention deïŹcit/hyperactivity disorder and bipolar disorder, Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 2023

S. P. Hinshaw et al., Annual research review : Attention deïŹcit/ hyperactivity disorder in girls and women : Underrepresentation, longitudinal processes, and key directions, Journal of Child Psychology and Psychiatry, 2022

14 N° 154 - Mai 2023
Les di cultĂ©s d’inhibition comportementale des personnes atteintes de TDAH joueraient un rĂŽle dans la survenue des symptĂŽmes de dĂ©pression et d’anxiĂ©tĂ© – via un dĂ©ïŹcit de contrĂŽle des Ă©motions.

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Thibault, le garçon qui détestait son nez

16 N° 154 - Mai 2023

DÉCOUVERTES Cas clinique

GRÉGORY MICHEL

Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie Ă  l’universitĂ© de Bordeaux, chercheur Ă  l’Institut des sciences criminelles et de la justice, psychologue et psychothĂ©rapeute en cabinet libĂ©ral, et expert auprĂšs des tribunaux.

EN BREF

£ Thibault, 13 ans, s’isole de plus en plus depuis quelques mois, sans raison apparente pour ses proches et ses amis.

ÂŁ Mais en rĂ©alitĂ©, il a peur de son physique – un nez un peu gros et des seins qui poussent –, et fait tout pour se cacher.

ÂŁ On parle de dysmorphophobie ; la thĂ©rapie va lui permettre de s’accepter et de se confronter Ă  nouveau au regard des autres.

Un mercredi en ïŹn d’aprĂšsmidi, je reçois un jeune garçon, accompagnĂ© de ses deux parents, car un collĂšgue mĂ©decin m’a demandĂ© de le voir. Le pĂšre, avec qui j’ai eu une conversation tĂ©lĂ©phonique quelques jours auparavant, m’a informĂ© que son fls cadet s’isolait de plus en plus et qu’il avait, depuis quelques semaines, des diffcultĂ©s Ă  se rendre au collĂšge, sans raison apparente


IL ÉVITE LE COLLÈGE

Dans la salle d’attente, Thibault, vĂȘtu d’un sweat Ă  capuche noir avec un chino bleu marine et des baskets grises, est assis sur un fauteuil entre ses deux parents, en scrollant sur les rĂ©seaux sociaux. Son pĂšre, lui aussi habillĂ© en sportswear, feuillette une revue, alors que sa mĂšre, d’un style plus classique – robe et cardigan sombres –, semble rĂ©pondre sur son smartphone Ă  des messages professionnels.

« Bonjour Thibault. » À son prĂ©nom, le jeune adolescent tourne la tĂȘte vers moi avec un regard inquiet. Son pĂšre, crispĂ© mais souriant, se lĂšve aussitĂŽt et sa mĂšre, gĂȘnĂ©e, me demande

17 N° 154 - Mai 2023
Lorsque Thibault refuse d’aller au collĂšge, ses parents suspectent une phobie scolaire. Mais en consultant un psy, ils dĂ©couvrent que le jeune ado sou re d’une tout autre phobie : elle concerne son nez

© Cerveau et Psycho, d’aprĂšs Oleg Samoylov/Shutterstock

DÉCOUVERTES Cas clinique THIBAULT, LE GARÇON QUI DÉTESTAIT SON NEZ

si elle doit Ă©galement venir, visiblement encore occupĂ©e Ă  rĂ©diger son dernier message. Je lui rĂ©ponds que, pour ce premier entretien, je souhaite recevoir tout le monde. Thibault suit son pĂšre et s’installe sur le fauteuil situĂ© au milieu de ses parents. Visage tournĂ© vers son pĂšre, lĂ©gĂšrement baissĂ©, et regard dissimulĂ© par ses cheveux, le garçon semble attendre que son papa prenne la parole
 « C’est sur les conseils de notre mĂ©decin que je vous ai contactĂ©, car notre fls nous inquiĂšte
 Il voit de moins en moins ses amis et se plaint depuis quelques mois d’aller Ă  l’école. »

Thibault reste silencieux. Il est trĂšs tendu, les poings serrĂ©s tremblant sur ses cuisses. MalgrĂ© ses cheveux qui cachent son visage, je note ce qu’on appelle dans notre jargon une hypomimie fagrante : ses traits sont fgĂ©s, peu expressifs, et il Ă©vite soigneusement mon regard. Sa mĂšre, plus en retrait, acquiesce Ă  chaque dĂ©claration de son conjoint. « Nous ne comprenons pas ce qui se passe. Depuis quelques semaines, il a des maux de ventre et a mĂȘme refusĂ© d’aller au collĂšge plusieurs matinĂ©es
 Notamment lorsqu’il avait natation. Nous craignons que cela Ă©volue vers une phobie scolaire. »

« JE N’AI PAS PEUR DE L’ÉCOLE »

Alors que Thibault reste toujours murĂ© dans son silence, sa mĂšre ajoute : « Ce qui est compliquĂ©, c’est que notre fls ne dit rien
 On a pensĂ© qu’il y avait eu des problĂšmes Ă  l’école, qu’il avait Ă©tĂ© harcelĂ©. Mais mon mari a rencontrĂ© sa professeuse principale et elle n’a rien remarquĂ©. » Comme les parents semblent se focaliser sur le collĂšge, je demande Ă  Thibault ce qu’il en pense. Il prend beaucoup de temps pour me rĂ©pondre : « L’école ne me fait pas peur
 » « Alors qu’est-ce qui te fait peur ? Dis-nous. On est lĂ  pour ça, prĂ©cise son papa d’un ton angoissĂ©. Ça fait beaucoup plus longtemps que ça que tu ne vas pas bien. Tu te replies sur toi depuis l’annĂ©e derniĂšre, tu as mĂȘme laissĂ© tomber le handball. Et tu te rĂ©fugies beaucoup sur ton tĂ©lĂ©phone. » Thibault se met Ă  haleter, ce que j’interprĂšte comme une gĂȘne respiratoire jusqu’au moment oĂč je m’aperçois qu’il retient des sanglots. Il est temps que je m’entretienne seul Ă  seul avec lui.

Ses parents sortis, le jeune adolescent reste fgĂ©, ses tremblements aux mains s’étant mĂȘme propagĂ©s lĂ©gĂšrement au niveau du visage, oĂč je perçois des microcontractions Ă  la commissure des lĂšvres. Une dystonie – des spasmes musculaires involontaires – de la mĂąchoire nuit mĂȘme Ă  l’élocution de ses premiers mots. Il s’exprime diffcilement, donnant l’impression d’une dysarthrie – un

dysfonctionnement neurologique de l’exĂ©cution de la parole –, tant l’émission des sons est peu intelligible. Sa voix est basse et son ton voilĂ©, bas et monotone lui confĂšre une teinte dĂ©pressive certaine. Son regard, absent ou bien fuyant, donne une impression d’immobilitĂ©, voire de passivitĂ©. Les signes d’anxiĂ©tĂ© sociale sont palpables et bien trop prĂ©gnants pour s’expliquer par la seule timiditĂ© que m’ont dĂ©crite ses parents. L’angoisse est omniprĂ©sente.

AprĂšs un temps de silence, il me dit enfn : « Je ne veux pas parler de moi, je n’ai rien Ă  dire ! » En retrait et muet depuis plus d’une heure, le voilĂ  maintenant sur la dĂ©fensive et dans l’opposition. Aurait-il un secret Ă  cacher ? Tout au long de l’échange qui suit, il Ă©vite mon regard comme si je risquais de dĂ©couvrir un secret inavouable et honteux qu’il tenterait Ă  toute force de dissimuler. Et je ne suis pas loin du compte. Au cours de notre deuxiĂšme consultation, trois jours plus tard, il dĂ©clare : « Mes parents n’ont rien compris, ne savent rien
 Ce n’est pas le collĂšge qui me fait peur, c’est moi. C’est mon physique. »

UN BON ÉLÈVE

Son corps serait-il donc la cause de son retrait social ? Pour le dĂ©couvrir, faisons connaissance avec Thibault. ÂgĂ© de 13 ans, scolarisĂ© en classe de quatriĂšme, Thibault a un frĂšre de 17 ans prĂ©nommĂ© Paul, qui est en terminale. Son pĂšre est enseignant d’histoire-gĂ©ographie dans le secondaire et sa mĂšre travaille en tant que directrice des ressources humaines dans une grande entreprise. La famille semble trĂšs unie ; la mĂšre, trĂšs impliquĂ©e dans son activitĂ© professionnelle, rentre souvent tard au domicile, donnant au pĂšre une plus large latitude dans l’éducation de leurs deux enfants.

18 N° 154 - Mai 2023
© MaleWitch /IStock

Thibault a Ă©tĂ© trĂšs dĂ©sirĂ©, la grossesse et l’accouchement se sont parfaitement bien dĂ©roulĂ©s. Son dĂ©veloppement psychomoteur ne prĂ©sente aucune diffcultĂ©, il a Ă©tĂ© propre, a marchĂ© et parlĂ© Ă  des Ăąges tout Ă  fait normaux. Durant sa premiĂšre annĂ©e, il a Ă©tĂ© gardĂ© par ses grands-parents paternels, avant de passer deux annĂ©es en crĂšche. Son adaptation Ă  l’école maternelle s’est dĂ©roulĂ©e de façon satisfaisante, sans aucun signe d’anxiĂ©tĂ© de sĂ©paration. DĂšs son entrĂ©e dans les apprentissages, il s’est situĂ© dans les premiers de sa classe et cela a durĂ© tant en primaire qu’au collĂšge.

Les parents me dĂ©crivent Thibault comme Ă©tant plutĂŽt introverti et timide, sans toutefois que cela ait nui Ă  ses relations sociales. « C’est un enfant trĂšs sensible, trĂšs Ă©motif, et il a toujours eu des copains dĂšs la maternelle
 Et comme il est trĂšs sentimental, il a surtout eu un meilleur ami », prĂ©cise son pĂšre. DĂšs l’ñge de 6 ans, le garçon a suivi des cours de dessin, puis s’est investi dans les sports collectifs Ă  partir de 9 ans, notamment dans le handball, comme son frĂšre Paul et son pĂšre. Mais depuis septembre dernier, il rechigne Ă  continuer le sport. « Cela fait maintenant deux mois qu’il ne veut plus aller aux entraĂźnements », prĂ©cise son pĂšre.

LE NEZ DE SA GRAND-MÈRE

Je m’interroge alors un peu plus sur son parcours scolaire et extrascolaire. Mais je ne dĂ©couvre aucun Ă©lĂ©ment d’anxiĂ©tĂ© sociale ni de performance. Il ne s’est jamais plaint de stress liĂ© aux examens, ou aux devoirs Ă  la maison, ou encore moins aux matchs de handball. Au contraire, le garçon aime apprendre et se dit passionnĂ© par son sport et par l’histoire. Sa pĂ©riode prĂ©fĂ©rĂ©e est la Seconde Guerre mondiale. « Mon

grand-pĂšre, qui est nĂ© en 1942, m’a donnĂ© beaucoup d’archives et de documents sur ce sujet. Avec mon pĂšre, on les classe depuis que je suis tout petit. Ça me passionne. » Aucune brimade Ă  signaler de la part des autres Ă©lĂšves ou des professeurs. Sa scolaritĂ© n’est pas source de peurs, comme le redoutaient ses parents. Thibault ne souffre d’aucune phobie scolaire.

Mais alors, d’oĂč viennent ses angoisses ? Je reparle alors de son isolement social depuis septembre dernier, comme l’a dĂ©crit son pĂšre. L’adolescent tente d’éluder ma question. Puis il se met Ă  minimiser les propos de ses parents : « C’est vrai, depuis quelque temps, je prĂ©fĂšre ĂȘtre seul
 Je lis des romans historiques, et ça me va trĂšs bien. » Thibault a toujours des copains, certes, mais il s’en est Ă©loignĂ© physiquement, alors qu’il reste en contact avec eux sur les rĂ©seaux sociaux. La cause de cette distanciation : lors d’une dispute « avec ses potes » Ă  propos d’une jeune flle de sa classe, il y a plus d’un an, son meilleur ami ThĂ©o lui a dit : « T’es moche avec ton nez Ă©norme
 Il est comme une grosse patate. » Un incident mineur en apparence
 Mais qui a fait Ă©cho aux propos tenus non seulement par son frĂšre, mais aussi par sa mĂšre. « Mon frĂšre m’a dĂ©jĂ  dit que j’avais un gros nez et que je ressemblais Ă  ma grand-mĂšre maternelle. C’est d’ailleurs en raison de mon nez que ma mĂšre dit souvent que je tiens surtout d’elle. »

Et enfant, il se souvient qu’il entendait souvent ses parents se moquer de sa grand-mĂšre Ă  cause de son fort appendice nasal. Son frĂšre avait mĂȘme tendance Ă  le comparer exagĂ©rĂ©ment aux personnages d’une bande dessinĂ©e de Lucky Luke, offerte par un de leurs cousins. « C’est l’album Les Rivaux de Painful Gulch. Il m’a marquĂ©. C’est l’histoire de deux familles qui se font la guerre ; l’une se caractĂ©rise par des gens ayant d’énormes oreilles et dans l’autre, ils ont un nez monstrueux, c’est la famille O’Timmins. » Le nez est donc l’organe d’attention de toute la famille de Thibault.

LE SYNDROME DE CYRANO

À la pubertĂ©, cet intĂ©rĂȘt presque « pathogĂšne » pour son nez s’est renforcĂ© avec l’apparition, dĂšs l’ñge de 11 ans, d’une importante acnĂ©. ComplexĂ©, il a alors consultĂ© une dermatologue et, comme beaucoup de jeunes adolescents, s’est montrĂ© hyperattentif, voire trĂšs sensible, Ă  ce que les autres pensaient de tous ses boutons


Progressivement, Thibault est devenu obsessionnel envers son nez, et cela continue : il passe des heures à le scruter dans le miroir, se prend en photo puis retouche l’image de son visage, et

19 N° 154 - Mai 2023
Mes parents n’ont rien compris, ne savent rien

Ce n’est pas le collùge qui me fait peur, c’est moi. C’est mon physique.
Thibault, 13 ans

SYLVIE THIRION

MAÎTRESSE DE CONFÉRENCES EN PHYSIOLOGIE ET EN NEUROSCIENCES À AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ ET PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION VALBIOME ( VALORISATION DES SCIENCES BIOMÉDICALES)

Le sexe prĂ©pare le cerveau Ă  l’attachement

La neurobiologie de l’amour est-elle identique chez l’homme et le campagnol ? Identique, bien sĂ»r que non. Mais on observe de fortes similaritĂ©s. En particulier, l’activation du circuit cĂ©rĂ©bral de la rĂ©compense lors d’un contact avec le partenaire, et le rĂŽle d’hormones comme l’ocytocine et la vasopressine dans le lien amoureux.

Une Ă©tude rĂ©cente a montrĂ© que des campagnols privĂ©s de rĂ©cepteurs Ă  l’ocytocine restent capables de s’attacher Ă  leurs congĂ©nĂšres.

Ces rĂ©sultats ne vous semblent donc pas remettre en cause le rĂŽle de l’ocytocine ?

Pas du tout ; ce que ces rĂ©sultats nous disent, c’est que la situation est plus complexe qu’on ne l’a d’abord cru. Si l’ocytocine est la plus Ă©tudiĂ©e,

d’autres hormones interviennent dans le lien amoureux, en particulier la vasopressine, dont la structure chimique est trĂšs voisine, ou la dopamine. Des mĂ©canismes compensatoires peuvent donc se mettre en place, surtout quand les gĂšnes codant les rĂ©cepteurs de l’ocytocine sont supprimĂ©s dĂšs le stade embryonnaire, comme c’est le cas dans l’étude que vous citez. Cela ne remet nullement en cause l’infuence de l’ocytocine sur l’attachement, attestĂ©e par des dizaines d’études, aussi bien chez le campagnol que chez l’humain.

Qu’ont montrĂ© ces Ă©tudes, par exemple ?

Elles ont montrĂ© que plus le taux d’ocytocine est Ă©levĂ© chez deux partenaires amoureux, plus leur lien est fort (ce qu’on mesure par des questionnaires standardisĂ©s, oĂč les participants doivent, par exemple, indiquer le niveau de satisfaction dans le couple ou la frĂ©quence des activitĂ©s partagĂ©es). La force du lien est Ă©galement corrĂ©lĂ©e Ă  l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale dans certaines zones du circuit de la rĂ©compense riches en rĂ©cepteurs de l’ocytocine, comme le noyau accumbens, en prĂ©sence du partenaire. On pense donc que cette neurohormone participe, via cette activation, Ă  crĂ©er un sentiment de plaisir associĂ© Ă  une personne particuliĂšre, ainsi que le dĂ©sir d’ĂȘtre avec elle.

L’ocytocine est en effet libĂ©rĂ©e lors des contacts physiques – caresses, cĂąlins, baisers, rapports sexuels
 –, mais pas avec n’importe qui. Dans une expĂ©rience, les chercheurs ont caressĂ© avec un

36 N° 154 - Mai 2023 INTERVIEW
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pinceau le tibia de volontaires placĂ©s dans un appareil d’IRM fonctionnelle (IRMf). Rien de bien fun, a priori ! Pourtant, quand on disait aux participants que c’était leur partenaire amoureux qui tenait l’ustensile, les zones de leur cerveau riches en rĂ©cepteurs de l’ocytocine s’activaient plus fortement que lorsqu’on prĂ©tendait que c’était une inconnue. Il existe donc une sorte de cercle vertueux : avoir un lien fort entraĂźne des comportements qui dĂ©clenchent une libĂ©ration d’ocytocine, ce qui renforce le lien.

Finalement, notre espĂšce estelle monogame ou polygame ?

Diffcile de rĂ©pondre d’un point de vue neurobiologique. La monogamie est plutĂŽt la norme dans un certain nombre de sociĂ©tĂ©s, dont la nĂŽtre, mais toutes les confgurations sont possibles. Et cela se traduit par des diffĂ©rences visibles dans le cerveau. Dans une Ă©tude, une vingtaine d’hommes devaient observer des photographies romantiques, sexuelles ou neutres, aprĂšs avoir indiquĂ© s’ils Ă©taient en couple exclusif ou s’ils avaient des relations multiples. Or le circuit de la rĂ©compense s’est davantage activĂ© Ă  la vue de photos romantiques (qui ne reprĂ©sentaient pas leur partenaire) chez les participants monogames que chez les polygames. Aucune diffĂ©rence n’était observĂ©e avec les photos sexuelles ou neutres.

Certains hommes sont-ils alors biologiquement plus douĂ©s pour l’attachement ?

La difficultĂ© dans ce genre d’étude est de distinguer l’Ɠuf et la poule : est- ce parce que ces hommes Ă©taient sensibles aux expĂ©riences romantiques qu’ils ont bĂąti un couple durable, ou est- ce parce qu’ils ont vĂ©cu des moments positifs dans leur couple qu’ils sont devenus sensibles Ă  ces expĂ©riences ?

Les gÚnes ont en tout cas une infuence. Une étude trÚs complÚte a été réalisée chez de jeunes époux, soumis à toute une série de mesures

au moment de leur mariage et un an plus tard : IRMf pendant qu’ils regardaient une photographie de leur partenaire, qualitĂ© de la relation Ă©valuĂ©e par des questionnaires, analyses gĂ©nĂ©tiques, prĂ©lĂšvements biologiques
 Les rĂ©sultats ont confrmĂ© l’importance de diverses hormones (l’ocytocine, la vasopressine, la dopamine) dans la construction du lien amoureux, mais ils ont aussi montrĂ© que les porteurs de certains variants gĂ©nĂ©tiques avaient une activitĂ© cĂ©rĂ©brale plus intense dans les zones du circuit de la rĂ©compense riches en rĂ©cepteurs de ces hormones. Comme si ce circuit s’activait plus facilement chez eux Ă  l’évocation d’un partenaire amoureux.

Il est cependant trop tĂŽt pour en conclure que certains sont plus douĂ©s biologiquement pour s’attacher, car les chercheurs n’ont encore analysĂ© que de petites fractions isolĂ©es des circuits impliquĂ©s. Autre prĂ©cision importante, il n’y a pas de fatalitĂ© : si l’on n’est pas porteur de

ces variations gĂ©nĂ©tiques prĂ©disposantes, il reste toujours possible d’activer les circuits de l’attachement de façon volontaire, en entretenant une certaine proximitĂ© physique et en ayant un comportement attentionnĂ© l’un envers l’autre. C’est un peu comme pour le sport : mĂȘme quand on n’a pas des prĂ©dispositions physiques incroyables, si on s’entraĂźne intensĂ©ment, on deviendra bien plus fort qu’un « gĂ©nie naturel » qui passe ses journĂ©es dans le canapĂ© !

Observe-t-on des di Ă©rences entre l’homme et la femme dans la neurobiologie de l’amour ?

Au niveau de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale, il y a de forts recoupements entre les sexes, mĂȘme si on observe en effet quelques diffĂ©rences : par exemple, quand la personne regarde une photo du partenaire, c’est plutĂŽt une zone appelĂ©e « insula postĂ©rieure », spĂ©cialisĂ©e dans la perception des stimulations sensorielles (visuelles,

37 N° 154 - Mai 2023 DÉCOUVERTES Neurobiologie
© Anna Shvets/Pexels

auditives, etc.), qui s’active chez l’homme, et plutĂŽt l’insula antĂ©rieure, impliquĂ©e dans les ressentis Ă©motionnels, chez la femme. En revanche, du point de vue de l’ocytocine, il n’y a aucune diffĂ©rence. Les concentrations sanguines sont identiques entre les deux sexes : plus Ă©levĂ©es quand la personne est en couple, plus basse quand elle est cĂ©libataire, de façon Ă©quivalente.

Hommes et femmes sont donc tous deux dotĂ©s d’un solide appareil neurobiologique pour l’attachement. Une Ă©tude a mĂȘme montrĂ© que lorsqu’un jeune pĂšre prend son nouveau-nĂ© dans ses bras, un pic d’ocytocine survient, ce qui ne se produit pas quand il Ă©treint un bĂ©bĂ© inconnu. Ce pic entraĂźne une diminution de la concentration de testostĂ©rone, trĂšs liĂ©e au dĂ©sir sexuel – et donc sans doute une baisse de l’envie d’aller batifoler ailleurs. Autre consĂ©quence, le pĂšre reste plus en lien avec la mĂšre, plus focalisĂ© sur son couple et sa famille. Ce qui fait sens du point de vue de l’évolution, tant les nouveau - nĂ©s humains exigent des soins parentaux.

Peut-on déduire des pistes pour renforcer son couple sur la base de ces connaissances ?

Oui, ce que ces rĂ©sultats nous disent, c’est que tout ce qui contribue Ă  maintenir un taux d’ocytocine Ă©levĂ© renforce le couple, en crĂ©ant du lien et une certaine motivation Ă  le faire durer : les Ă©treintes, les baisers, l’activitĂ© sexuelle, et plus gĂ©nĂ©ralement toute forme d’interaction plaisante (partager des loisirs, voire simplement discuter avec son partenaire d’un flm ou d’une piĂšce de thĂ©Ăątre qu’on a aimĂ©e, active les circuits de l’ocytocine). Ces conseils sont fnalement assez classiques, mais ils prennent une force nouvelle avec la dĂ©couverte de ces mĂ©canismes neurobiologiques.

Si les activités possibles sont trÚs variées, le contact physique garde

Bibliographie

B. P. Acevedo et al., After the honeymoon, Frontiers in Psychology, 2020

A. K. Kreuder et al., How the brain codes intimacy, Human Brain Mapping, 2017

L. D. Hamilton et C. M. Meston, Di erences in neural response to romantic stimuli in monogamous and non-monogamous men, Archives of Sexual Behavior, 2017.

S. Cacioppo et al., The common neural bases between sexual desire and love, The Journal of Sexual Medicine, 2012

I. Schneiderman et al., Oxytocin during the initial stages of romantic attachment, Psychoneuroendocrinology, 2012

un pouvoir inĂ©galĂ© sur les circuits de l’attachement. Une Ă©tude rĂ©alisĂ©e sur des personnes en couple depuis plus de dix ans a montrĂ© que plus elles avaient des rapports sexuels frĂ©quents, plus les zones riches en rĂ©cepteurs de l’ocytocine dans leur circuit de la rĂ©compense s’activaient fortement Ă  la vue de leur partenaire. MĂȘme aprĂšs dix ou vingt ans ensemble, l’attachement est trĂšs Ă©troitement liĂ© Ă  ce circuit, et aux sentiments de plaisir et de dĂ©sir – au sens de motivation Ă  aller vers l’autre – qu’il procure. Bien sĂ»r, ces sentiments sont souvent ressentis de façon moins « famboyante » qu’au dĂ©but, mais ils sont toujours lĂ . Et n’oubliez pas : lĂ  oĂč l’activation spontanĂ©e des circuits de l’attachement dĂ©termine fortement le comportement amoureux des campagnols, nous gardons davantage de libertĂ©. Nous avons en effet des capacitĂ©s de planifcation et de prise de recul trĂšs supĂ©rieures, de sorte que si notre couple revĂȘt une importance majeure dans notre vie, nous pouvons choisir de stimuler dĂ©libĂ©rĂ©ment ces circuits qui façonnent le dĂ©sir d’ĂȘtre ensemble. ÂŁ

Propos

par Guillaume Jacquemont

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recueillis
Contrairement aux campagnols, nous pouvons choisir de stimuler dĂ©libĂ©rĂ©ment les circuits cĂ©rĂ©braux qui façonnent le dĂ©sir d’ĂȘtre ensemble.
DÉCOUVERTES Neurobiologie LE SEXE PRÉPARE LE CERVEAU À L’ATTACHEMENT

JUSQU’OÙ SE

p. 40

NĂ©s pour se comparer

p. 48 Interview

« La quĂȘte de statut social est Ă  double tranchant »

p. 52

Comment se comparer Ă  bon escient

p. 56 Interview

« Collaborer est plus important qu’ĂȘtre premier »

COMPARER ?

Vous voilĂ  arrivĂ© Ă  la ïŹn de l’annĂ©e, et les nouvelles sont bonnes : votre entreprise a rĂ©alisĂ© d’importants bĂ©nĂ©ïŹces. Votre patron vous annonce que vous allez toucher une prime Ă©quivalente Ă  trois mois de salaire ! Bien sĂ»r, vous ĂȘtes tout heureux et songez dĂ©jĂ  aux belles vacances que vous allez pouvoir vous o rir. Mais pile Ă  ce moment votre voisin de bureau entre et vous annonce qu’il a touchĂ© l’équivalent de six mois. Une sensation de brĂ»lure vous perfore l’estomac, tout votre plaisir est gĂąchĂ©. Nous ne semblons apprĂ©cier les choses que par comparaison. Et cela nous empoisonne la vie. Comment nous libĂ©rer de cette tendance qui nous colle Ă  la peau ? Ce dossier vous donne des clĂ©s pour user des comparaisons plus intelligemment. Le but n’est pas de les Ă©liminer – c’est impossible –, mais de les limiter au strict nĂ©cessaire et de ne surtout pas se focaliser dessus. Par exemple, en se demandant si l’on a soimĂȘme progressĂ© Ă  l’aune de ses propres exigences, ou en apprenant Ă  rĂ©guler les Ă©motions nĂ©gatives qu’on ressent dans les situations de comparaison dĂ©favorable. Car Ă  trop se comparer, on en oublie parfois de savourer.

39 N° 154 - Mai 2023
SOMMAIRE
Dossier

NÉS POUR SE COMPARER

40 N° 154 - Mai 2023
Dossier

Se comparer aux autres semble un vĂ©ritable rĂ©ïŹ‚exe. Son origine serait un besoin de reconnaissance profondĂ©ment enfoui en nous. Mais comment le satisfaire sans que cela tourne Ă  la compĂ©tition et au casse-tĂȘte ?

Deux silhouettes d’allure hostile se font face. Elles se heurtent, reculent en titubant, se bousculent sans qu’aucune parvienne Ă  s’imposer. Puis, d’un seul coup, l’une d’elles s’incline et laisse passer l’autre. Les observateurs de la scĂšne peuvent ensuite dĂ©cider avec lequel des deux personnages ils veulent jouer. Vers qui le choix se porte-t-il ? Vingt des 23 sujets prĂ©fĂšrent celui qui s’est imposĂ© Ă  l’issue de cette confrontation. Mais seulement si le perdant a cĂ©dĂ© de luimĂȘme – si le « vainqueur » l’a bousculĂ©, alors c’est la victime qui est la plus apprĂ©ciĂ©e.

QUI EST LE PLUS FORT ?

Il ne s’agit pas d’une scĂšne tirĂ©e d’un jeu tĂ©lĂ©visĂ©, mais d’une sorte de thĂ©Ăątre de marionnettes au service de la science, dont les spectateurs Ă©taient ĂągĂ©s de 2 ans. Les deux adversaires Ă©taient des petites fgurines ressemblant Ă  des poupĂ©es. Avec leur Ă©tude de 2018, les psychologues de l’équipe de Ashley Thomas, de l’universitĂ© de Californie Ă  Irvine, ont confrmĂ© que les enfants en bas Ăąge ont dĂ©jĂ  un sens aigu de ce qu’on appelle le « statut social ». Et, de façon invariable, ils se tournent vers ceux qui sont respectĂ©s. De toute Ă©vidence, la poupĂ©e Ă©vitante se soumettait Ă  l’autre, sinon elle n’aurait pas quittĂ© le terrain de son plein grĂ©.

41 N° 154 - Mai 2023
Par Steve Ayan, psychologue et journaliste Ă  la revue Gehirn und Geist.

DOSSIER JUSQU’OÙ SE COMPARER ? NÉS POUR SE COMPARER

D’autres travaux de recherche, menĂ©s ces derniĂšres annĂ©es, dĂ©montrent que les enfants plus ĂągĂ©s recherchent Ă©galement des camarades de jeu qui sont assurĂ©s de l’admiration et de la reconnaissance des autres. Les psychologues sociaux expliquent ainsi cette orientation prĂ©coce vers le statut : savoir qui est trĂšs respectĂ© dans un groupe et lui ĂȘtre le plus proche ou le plus semblable possible augmente les chances de bĂ©nĂ©fcier de son rayonnement et d’ĂȘtre Ă©galement considĂ©rĂ©. Alors, il faut bien comparer les diffĂ©rents protagonistes.

UN RÉFLEXE ANCESTRAL

Il y a probablement derriĂšre cela une profonde empreinte Ă©volutionnaire chez l’homme. DĂšs la naissance, nous avons besoin de soins et de soutien ; sans la compĂ©tence et la bienveillance des autres membres de notre propre groupe, nous serions perdus. Par consĂ©quent, mĂȘme les plus petits s’intĂ©ressent de prĂšs aux signaux qui indiquent le statut social relatif de leurs proches.

On sait que les communautĂ©s humaines ne sont pas homogĂšnes. Il existe en leur sein de nombreux ordres et hiĂ©rarchies, des chefs et des suiveurs ainsi que des spĂ©cialistes pour diffĂ©rentes tĂąches, de la recherche de nourriture aux soins des enfants. Dans de telles conditions, il est essentiel pour sa propre prospĂ©ritĂ© de reconnaĂźtre le rang social des uns par rapport aux autres et d’élever le sien autant que possible sur cette Ă©chelle. Comme le montre l’expĂ©rience de la poupĂ©e, le fait que le statut social repose sur la dominance d’un individu ou sur son prestige n’est pas indiffĂ©rent dans cette affaire. Les dominants misent sur l’intimidation et la peur en menaçant ceux qui ne se soumettent pas Ă  leur bon vouloir de sanctions pouvant aller jusqu’à la violence ouverte. Ils imposent leurs exigences aux autres en cherchant Ă  briser leur rĂ©sistance. Les personnes jouissant d’une grande rĂ©putation n’ont en revanche guĂšre besoin de cela : on fait confance Ă  leurs capacitĂ©s et Ă  leur engagement, on leur attribue donc d’offce une position de premier plan.

POURQUOI SE COMPARE-T-ON ?

Les Ă©tudes de psychologie rĂ©vĂšlent que, dans le registre du sport, de la beautĂ© ou du succĂšs, nous nous comparons volontiers Ă  des icĂŽnes. Celles-ci nous prĂ©senteraient une sorte d’idĂ©al Ă  atteindre


En 2015, une Ă©quipe dirigĂ©e par le psychologue Cameron Anderson, de l’universitĂ© de Californie Ă  Berkeley, a mis en avant l’« hypothĂšse du statut » dans ces processus. Selon cette hypothĂšse, tout part d’une quĂȘte de reconnaissance comme motif humain universel, qui guide nombre de nos pensĂ©es et de nos comportements, et nous amĂšne Ă  nous comparer. D’un point de vue psychologique, le statut d’un individu se compose de trois Ă©lĂ©ments : le respect et l’admiration des autres, leur subordination volontaire, et un rang Ă©levĂ© dans la hiĂ©rarchie du groupe. Ces dimensions permettent de distinguer le statut social de concepts apparentĂ©s, comme le statut

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« Il ne su t pas d’ĂȘtre heureux, encore faut-il que les autres soient malheureux. »
Pierre Desproges
© sbonsi/Shutterstock

socioĂ©conomique qui dĂ©crit la prospĂ©ritĂ© relative d’une personne – c’est-Ă -dire son revenu, son Ă©ducation et sa situation professionnelle –, parfois assez diffĂ©rent ; ainsi, certains peuvent avoir peu d’argent et de pouvoir matĂ©riel, mais beaucoup de prestige – c’est le cas des artistes, des Ă©rudits, voire des religieux dans de nombreuses sociĂ©tĂ©s. Cela montre Ă©galement qu’il n’existe pas une forme unique de statut, et que celui-ci varie notamment en fonction du groupe de rĂ©fĂ©rence dans lequel Ă©volue un individu, comme de son domaine de compĂ©tence ; ainsi, une personne peu considĂ©rĂ©e par ses collĂšgues peut ĂȘtre trĂšs respectĂ©e par sa famille – ou vice versa. Et telle autre peut ĂȘtre trĂšs sollicitĂ©e pour ses conseils en cas de confit, mais pas pour des questions techniques ou fnanciĂšres.

UNE ÉCHELLE POUR MIEUX SE SITUER

Les gens attribuent gĂ©nĂ©ralement un certain statut Ă  leurs semblables de maniĂšre assez rapide et automatique, tout en prenant en compte une grande variĂ©tĂ© d’indices. Le simple « test de l’échelle » offre une possibilitĂ© de mesurer cela dans le cadre d’expĂ©riences. On prĂ©sente Ă  des volontaires l’image d’une Ă©chelle Ă  dix barreaux et on leur demande sur quel Ă©chelon ils placeraient leur propre statut. Si on ne prĂ©cise pas Ă  l’intĂ©rieur de quel groupe ils doivent se situer (leur famille, leurs collĂšgues, la sociĂ©tĂ© entiĂšre, etc.), ils se basent gĂ©nĂ©ralement sur leur environnement privĂ© – famille, amis ou voisins. On pourrait alors supposer que les personnes interrogĂ©es se comparent positivement et estiment rĂ©guliĂšrement que leur propre statut est supĂ©rieur Ă  celui des autres personnes du groupe. Étonnamment, ce n’est guĂšre le cas : l’autoestimation correspond assez bien Ă  celles livrĂ©es par les autres membres de la communautĂ©. Dans une Ă©tude menĂ©e par des psychologues autour de Dacher Keltner, Ă©galement de l’universitĂ© de Californie Ă  Berkeley, la corrĂ©lation, c’est-Ă -dire la mesure du lien statistique entre deux valeurs, Ă©tait d’environ 0,5. Une valeur considĂ©rĂ©e comme Ă©levĂ©e lorsqu’il s’agit de relier des paramĂštres psychologiques.

La grande congruence des jugements d’autrui et de soi-mĂȘme est probablement liĂ©e au fait que les erreurs d’apprĂ©ciation Ă  propos de son propre statut sont particuliĂšrement prĂ©judiciables. Imaginez que vous fassiez comprendre Ă  vos collĂšgues, Ă  vos camarades d’universitĂ© ou Ă  d’autres membres de votre club de sport que vous ĂȘtes bien plus respectable et plus remarquable que les autres. C’est le moyen le plus effcace de se rendre immĂ©diatement impopulaire ! Par consĂ©quent, si

les gens surestiment souvent leur intelligence, leur ouverture d’esprit ou leur rapiditĂ©, ils ont gĂ©nĂ©ralement une perception assez juste de leur rang social et en tiennent compte (Ă  l’exception des narcissiques pathologiques).

L’INTÉRÊT DE SE CROIRE MEILLEUR QUE LES AUTRES

MalgrĂ© tout, une question se pose : surĂ©valuer ses propres capacitĂ©s aiderait-il Ă  obtenir rĂ©ellement un meilleur statut aux yeux des autres ? C’est ce que les psychologues Cameron Anderson et Jessica Kennedy ont voulu savoir en 2012. Lors de leurs expĂ©riences, ils ont variĂ© les activitĂ©s : dans un premier temps, les participants devaient rĂ©aliser diverses tĂąches d’estimation, comme dessiner la position de grandes villes sur une carte vierge des États-Unis, dĂ©terminer la valeur moyenne d’une sĂ©rie de chiffres, ou encore estimer le poids de personnes vues sur des photographies. Puis, ils Ă©taient soit informĂ©s de leurs performances rĂ©elles, soit fattĂ©s par des

COMBIEN JE VAUX ?

TOUT DÉPEND DES AUTRES

Des personnes Ă  qui on attribue une certaine note sur l’importance de leur statut social dans un groupe vont se sentir bien si le statut global de leur groupe d’appartenance est plutĂŽt bas (Ă  gauche), mais beaucoup moins si leur groupe possĂšde dĂ©jĂ  un fort statut (Ă  droite). Les chercheurs en concluent que la recherche de statut est compĂ©titive : nous ne dĂ©sirons pas seulement un statut Ă©levĂ©, mais plus Ă©levĂ© que celui des autres.

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Sport – 2 – 1 Direction de la comparaison sociale 0 Apparence physique Argent Comportement moral Sommeil/dĂ©tente Profession/Ă©tudes Usage de rĂ©seaux sociaux Tabagisme © Gehirn&Geist, d’aprĂšs A. Fleischmann et al ., More threatening and more diagnostic : How moral comparisons differ from social comparisons. Journal Of Personality And Social Psychology vol. 121, 2021, Fig. 1

PRINSTEIN MITCH

PROFESSEUR DE PSYCHOLOGIE ET DE NEUROSCIENCES À L’UNIVERSITÉ DE CAROLINE DU NORD.

LA QUÊTE DE STATUT SOCIAL EST À DOUBLE TRANCHANT

Mitch Prinstein, la popularitĂ© dont on jouit en tant qu’adolescent, au lycĂ©e, a-t-elle des consĂ©quences plus tard dans la vie ?

De façon tout Ă  fait remarquable, les rĂ©sultats de la recherche suggĂšrent que mĂȘme quarante ans plus tard, il est possible de prĂ©dire le niveau de diplĂŽme universitaire d’un individu, de rĂ©ussite professionnelle, son recours Ă  l’aide sociale, voire un certain nombre de problĂšmes de santĂ© mentale ou

48 N° 154 - Mai 2023 INTERVIEW

d’addictions, en observant Ă  quel point il Ă©tait populaire au lycĂ©e. Ce facteur permet mĂȘme de prĂ©dire notre santĂ© physique : les personnes les moins « populaires » dans l’enfance sont plus susceptibles de souffrir de maladies cardiovasculaires et mĂ©taboliques, des dĂ©cennies plus tard, que celles qui Ă©taient apprĂ©ciĂ©es. Une analyse a suggĂ©rĂ© que les risques d’une impopularitĂ© sur notre mortalitĂ© seraient aussi forts que ceux liĂ©s au tabagisme !

Le plus surprenant, cependant, est que cela joue un rĂŽle qui ne peut ĂȘtre expliquĂ© entiĂšrement par le statut socioĂ©conomique, le QI, les antĂ©cĂ©dents familiaux ou l’apparence physique. Il y a quelque chose dans la façon dont nous sommes considĂ©rĂ©s par les autres qui change nos trajectoires de vie de façon signifcative et substantielle.

Mais qu’entendez-vous au juste par le terme de « popularitĂ© » ?

C’est une question importante, car la plupart des gens ne savent pas que les scientifques ont identifĂ© deux types de popularitĂ© diffĂ©rents, chacun associĂ© Ă  des rĂ©sultats trĂšs diffĂ©rents. Dans l’enfance, on la dĂ©f-

nit comme le fait d’ĂȘtre plus ou moins apprĂ©ciĂ© des autres. Les enfants les plus populaires sont ceux qui ont une sorte de capacitĂ© Ă  mener les autres avec calme sur une situation, qui les aident et coopĂšrent avec eux. Ce type d’infuence prĂ©dit de nombreux rĂ©sultats positifs Ă  long terme.

Un deuxiĂšme type de popularitĂ© apparaĂźt toutefois Ă  l’adolescence, refĂ©tant les changements dans nos circuits neuronaux dĂ©clenchĂ©s par les hormones de la pubertĂ©. C’est Ă  cette pĂ©riode que la popularitĂ© commence Ă  refĂ©ter notre statut plutĂŽt que notre seule sympathie. Tous les marqueurs de statut – la visibilitĂ© dans un groupe, l’infuence, la domination et fnalement le pouvoir –activent les centres de rĂ©compense de notre cerveau et modifent Ă  jamais notre relation avec ce qu’on appelle la « popularitĂ© ». En effet, tout au long de notre vie d’adulte, nous avons le choix entre rechercher une plus grande sympathie de la part de nos semblables ou un meilleur statut dans nos groupes – une dĂ©cision rendue beaucoup plus diffcile par le nombre croissant de plateformes (tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, mĂ©dias sociaux, etc.) conçues pour nous aider Ă  obtenir un certain rang.

En fait, l’importance que nous accordons aujourd’hui Ă  un statut facile Ă  obtenir est peut-ĂȘtre plus forte qu’elle ne l’a Ă©tĂ© Ă  tout autre moment de l’histoire de l’humanitĂ©. Cela pose un problĂšme. En effet, contrairement aux rĂ©sultats positifs associĂ©s Ă  une vive sympathie, les rĂ©sultats de la recherche indiquent que jouir d’un statut Ă©levĂ© conduit plus tard Ă  des comportements plus agressifs, un risque d’addictions plus lourd, Ă  des Ă©motions qui sont de l’ordre du ressentiment, et mĂȘme dans certains cas Ă  une dĂ©sespĂ©rance.

Pouvez-vous m’en dire plus sur les problĂšmes que vous entrevoyez dans la quĂȘte de statut ? Ces diffcultĂ©s concernent d’une part les individus lancĂ©s dans cette quĂȘte, et d’autre part l’ensemble de la sociĂ©tĂ© qui subit les consĂ©quences de cette dynamique. Les rĂ©sultats de recherches, comme celles publiĂ©es par Joe Allen, professeur Ă  l’universitĂ© de Virginie, indiquent que les personnes qui se soucient le plus de leur statut social ont des diffcultĂ©s dans leurs relations interpersonnelles des annĂ©es plus tard. Elles font une fxation sur ce domaine et mĂȘme

49 N° 154 - Mai 2023 © filadendron/iStock
Les personnes qui ont le plus soif de statut social sont Ă©galement les plus susceptibles de sou rir plus tard d’anxiĂ©tĂ©, de dĂ©pression ou de problĂšmes de toxicomanie.

sur le statut des autres, plutĂŽt que sur les attributs qui peuvent conduire Ă  une relation humaine Ă©panouie. D’autres recherches suggĂšrent que les personnes qui dĂ©sirent le plus obtenir cet attribut sont les plus susceptibles de faire Ă©tat plus tard d’anxiĂ©tĂ©, de dĂ©pression et de problĂšmes de toxicomanie.

Sur le plan sociĂ©tal, certains signes indiquent dĂ©jĂ  que notre dĂ©sir de statut occasionne aussi des dĂ©gĂąts. Si l’on compare la situation actuelle avec ce qu’il en Ă©tait il y a seulement quelques dĂ©cennies, les recherches suggĂšrent que les objectifs de vie affchĂ©s dans les sociĂ©tĂ©s consumĂ©ristes refĂštent encore davantage le souhait de possĂ©der plus de biens, d’acquĂ©rir plus de pouvoir et de se sentir plus visible et infuent que les autres. Une grande partie de la jeunesse reçoit le message selon lequel le nombre d’adeptes de leurs mĂ©dias sociaux est un accomplissement qui mĂ©rite d’ĂȘtre activement recherchĂ©. Pourtant, ironiquement, plus nous recherchons ces marqueurs de statut en ligne – retweets, likes, partages –, plus nous nous sentons segmentĂ©s et dĂ©connectĂ©s les uns des autres.

Étiez-vous populaire quand vous Ă©tiez enfant ?

Pas vraiment. Avec mon mĂštre quatre-vingt-dix en classe de seconde, et une intransigeante assiduitĂ© en cours depuis la maternelle, j’étais plutĂŽt un modĂšle de nerd ! Mais je pense que j’étais sympathique. Et il s’est avĂ©rĂ© que c’était plus important.

Comment cela a-t-il inïŹ‚uencĂ© votre vie ?

Des Ă©tudes montrent que les personnes apprĂ©ciĂ©es bĂ©nĂ©fcient de privilĂšges qui se renforcent et se perpĂ©tuent. Dans l’enfance, ceux qui sont apprĂ©ciĂ©s sont invitĂ©s Ă  se joindre aux autres plus souvent, et chacune de ces interactions offre des occasions supplĂ©mentaires d’acquĂ©rir des compĂ©tences qui Ă©taient refusĂ©es Ă  leurs pairs peu apprĂ©ciables et exclus. Au fl du temps, ces compĂ©tences leur attirent une sympathie de plus en plus prononcĂ©e, mĂšnent Ă  des occasions d’apprentissage supplĂ©mentaires, et ainsi de suite, crĂ©ant un cycle qui conduit les personnes chaleureuses Ă  jouir non seulement d’une rĂ©putation plus positive, mais aussi d’aptitudes et de compĂ©tences plus dĂ©veloppĂ©es.

Cela vaut aussi pour les adultes. De deux employĂ©s aussi qualifĂ©s l’un que l’autre, le plus agrĂ©able visĂ -vis de son entourage ira statistiquement plus loin dans sa carriĂšre, non pas pour des questions de favoritisme, mais parce qu’il deviendra plus avantageux objectivement de travailler avec lui.

Si vous me posez la question de mon cas, je peux dire que j’ai eu de la chance et qu’un bon sens de l’humour Ă  propos de mes diffĂ©rences physiques Ă  l’adolescence m’a permis d’éviter les cas les plus fagrants d’intimidation et de nouer des amitiĂ©s avec mes pairs qui m’ont guidĂ© vers de bonnes dĂ©cisions et de nouvelles opportunitĂ©s. Je n’étais pas ce qu’on pourrait appeler un individu « cool », mais j’étais capable de m’adapter Ă  la plupart des contextes et d’acquĂ©rir des compĂ©tences dont je me sers encore aujourd’hui.

Existe-t-il des moyens de convaincre les gens de passer de la recherche du statut Ă  celle d’une popularitĂ© socialement agrĂ©able ?

Notre besoin de considĂ©ration fait littĂ©ralement partie de notre ADN. En tant qu’adultes, nous avons toutefois la possibilitĂ© de choisir le type de reconnaissance que nous recherchons. Pour certains, le simple fait de savoir qu’il existe ces deux orientations possibles sera en soi une aide pour rĂ©fĂ©chir sur leur comportement passĂ© et poser un regard critique sur ce qui les motive parfois de façon inconsciente. Une fois que vous avez compris le lien scientifquement Ă©tabli entre la quĂȘte de statut pur et ses retombĂ©es plutĂŽt nĂ©gatives, il devient beaucoup plus facile de se concentrer davantage sur la sympathie. Mais pour d’autres personnes, cela peut prendre un peu plus de temps. ÂŁ

Propos recueillis par Gareth Cook, laurĂ©at du prix Pulitzer et rĂ©dacteur en chef de la rubrique d’information en ligne Mind Matters, de la revue Scientifc American.

50 N° 154 - Mai 2023
JUSQU’OÙ
DOSSIER
SE COMPARER ? LA QUÊTE DE STATUT SOCIAL EST À DOUBLE TRANCHANT
Tous les marqueurs de statut – la visibilitĂ© dans un groupe, l’inïŹ‚uence, la domination et ïŹnalement le pouvoir –activent les centres de rĂ©compense de notre cerveau.

Marie-Aline a aidĂ© Boris Ă  former 43 demandeurs d’asile au maraĂźchage biologique.

Marie-Aline verse chaque annĂ©e 1% de son chiffre d’affaires Ă  des associations agrĂ©Ă©es 1% for the Planet dont La Terre en Partage. onepercentfortheplanet.fr

COMMENT SE COMPARER À BON ESCIENT

En ce matin de NoĂ«l, les enfants dĂ©ballent leurs cadeaux, mais Margot, 7 ans, est crispĂ©e : elle surveille du coin de l’Ɠil son frĂšre et sa sƓur, et surtout leurs cadeaux Ă  eux ! Les parents l’observent, un peu inquiets, car ils savent que chaque annĂ©e, c’est la mĂȘme chose, Margot est déçue par ses jouets : ils lui semblent toujours moins beaux que dans ses rĂȘves ; et moins beaux aussi que ceux des autres.

Non loin de là, son cousin Lucas, 15 ans, scrolle fébrilement sur ses réseaux sociaux, et

dĂ©couvre que ses amis ont l’air de passer de meilleures fĂȘtes que lui : ils publient chaque jour des photos de beaux endroits, et d’activitĂ©s passionnantes. En comparaison, ses vacances lui semblent ternes.

Plus tard dans la soirĂ©e, ses parents discuteront Ă  voix basse des parents de Margot, qu’ils aiment bien pourtant : mais leurs visites les mettent dans l’inconfort, car ces derniers font mieux qu’eux en tout – leur maison est plus grande, leur voiture plus belle, leurs situations professionnelles plus brillantes. Pourtant, les parents de Lucas ont une vie qui leur convient, et ne sont pas Ă  plaindre dans ces domaines.

Margot, comme Lucas et ses parents, voit sa fĂȘte de NoĂ«l gĂąchĂ©e par le poison des comparaisons. Ils sont loin d’ĂȘtre les seuls : pourquoi les comparaisons sociales nous font-elles si souvent souffrir ?

En thĂ©orie, elles devraient nous ĂȘtre utiles : observer ce qui arrive aux autres pourrait nous servir de source d’information pour ajuster nos comportements et nos efforts. Les chances et

52 N° 154 - Mai 2023 DOSSIER JUSQU’OÙ SE COMPARER ?
Par Christophe André, médecin psychiatre.
Il y a de bonnes et de mauvaises comparaisons. Savoir les distinguer est essentiel pour vivre avec nos semblables sans ĂȘtre esclaves du miroir qu’ils nous tendent.

rĂ©ussites de nos semblables devraient nous rĂ©jouir et surtout nous inspirer : car l’apprentissage par imitation de modĂšle est central dans l’espĂšce humaine, comme cela a Ă©tĂ© montrĂ© dĂšs les annĂ©es 1960 par le psychologue canadien Albert Bandura, professeur Ă  Stanford.

COMMENT GÂCHER SON BONHEUR

Mais non, lorsque nous nous comparons aux autres, la souffrance n’est jamais loin. D’oĂč les nombreux dictons qui le rappellent : « Comparaison Ă©gale poison », « Comparaison n’est pas raison ». C’est que nous ne sommes pas des ordinateurs, capables d’évaluer froidement et rationnellement les Ă©carts entre nous et les autres, et de planifer les actions pour les combler. Toute pensĂ©e humaine s’accompagne d’émotion, et l’émotion de la comparaison est souvent l’envie, dont le philosophe Descartes disait : « Il n’y a aucun vice qui nuise tant Ă  la fĂ©licitĂ© des hommes [
]. »

Rien d’étonnant alors Ă  ce que les comparaisons aient un si grand impact sur deux piliers

de cette « fĂ©licitĂ© » : nos capacitĂ©s au bonheur et Ă  l’estime de soi


Dans le monde de la psychologie positive, un modĂšle explicite a Ă©tĂ© proposĂ© pour expliquer nos diffcultĂ©s Ă  nous satisfaire de ce que nous avons : le modĂšle des « trois gaps ». Pour gĂącher mon bonheur actuel, je n’ai qu’à le comparer : Ă  celui de mes semblables (comparaison avec les autres) ; Ă  celui que j’attendais (comparaison avec mon idĂ©al) ; Ă  ceux que j’ai connus autrefois (comparaison avec le passĂ©).

Insatisfaction garantie ! D’autant plus que, dans chacune de ces comparaisons, nous sommes victimes de distorsions largement documentĂ©es : pour les autres, nous voyons toujours l’herbe plus verte dans leur jardin ; pour l’idĂ©al, le fait d’avoir des attentes quant aux bonheurs Ă  venir les altĂšre ; pour le passĂ©, on l’embellit presque toujours, par le phĂ©nomĂšne du biais de positivitĂ©, liĂ© Ă  l’évocation de souvenirs personnels (le fameux « c’était mieux avant »).

Globalement, les Ă©tudes sur les personnes qui se disent heureuses montrent qu’elles ont moins

EN BREF

ÂŁ Nous avons le rĂ©ïŹ‚exe de nous comparer, car nous sommes des animaux sociaux qui cherchons Ă  ajuster notre position Ă  notre statut.

£ Dans notre société hyperconnectée, les comparaisons tournent vite au supplice, car nous avons mille occasions de tomber sur des personnes plus attirantes ou populaires que nous.

ÂŁ Pour ne pas en sou rir, sachons aussi nous comparer Ă  ceux qui rĂ©ussissent moins bien, voire Ă  nous-mĂȘmes dans le passĂ©, pour constater les progrĂšs accomplis.

ÂŁ EnïŹn, reconnaĂźtre que les situations de vĂ©ritable compĂ©tition sont rares apporte un soulagement certain.

53 N° 154 - Mai 2023 © Dmitrii Guzhanin/iStock ; © Antikwar/Shutterstock

tendance Ă  comparer leur situation Ă  celle des autres ; et que si elles le font, c’est plutĂŽt « vers le bas », avec des gens moins chanceux qu’elles.

UN SUPPORT DE L’ESTIME DE SOI

Structurellement, l’estime de soi est un sociomĂštre nous indiquant comment nous percevons inconsciemment notre valeur sociale : comment les autres nous apprĂ©cient, nous approuvent, nous admirent. Et comment nous positionner par rapport Ă  eux ; avec cette diffcultĂ© que les informations sur ce positionnement sont si prĂ©cieuses, voire vitales pour savoir comment nous comporter et Ă  quoi prĂ©tendre auprĂšs des autres, qu’elles doivent ĂȘtre constamment mises Ă  jour et rĂ©ajustĂ©es. D’oĂč le rĂŽle central des comparaisons dans l’établissement et la stabilisation (ou non) de l’estime de soi.

Le fonctionnement de ces comparaisons est complexe, car, comme nous l’évoquions plus haut, elles ne sont jamais objectives. Par exemple, on a en gĂ©nĂ©ral tendance Ă  s’estimer lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă  la moyenne. C’est l’effet « meilleur que la moyenne » (better than average effect), bien connu de la psychologie sociale : la plupart des gens se jugent meilleurs conducteurs, meilleurs Ă©tudiants, meilleurs enseignants, etc., que les autres. Mais ce biais ne fonctionne que si on se compare aux autres de loin et au calme !

Si on est perturbĂ© (placĂ© en situation de compĂ©tition ou stressĂ© au prĂ©alable), alors les comparaisons que nous Ă©tablissons avec nos semblables nous sont moins systĂ©matiquement favorables. C’est ce que l’on retrouve chez les personnes qui souffrent d’anxiĂ©tĂ© et de dĂ©pression, qui en gĂ©nĂ©ral ne procĂšdent qu’à des comparaisons dĂ©favorables, c’est-Ă -dire avec des individus mieux lotis qu’elles.

Pourquoi le fait de se comparer nous causet-il tant de tracas et de frustration ? La réponse est simple : parce que nous sommes des animaux sociaux perturbés. Et chacun de ces trois termes compte


« Animaux » : la comparaison est un mĂ©canisme largement rĂ©pandu dans le monde animal, Ă  la fois pour apprendre des compĂ©tences de la part de ses semblables, mais aussi pour juger du cĂŽtĂ© acceptable ou non d’une situation sociale. Dans une Ă©tude classique, des chercheurs apprenaient Ă  deux petits singes Ă  accomplir une tĂąche simple ; ils les rĂ©compensaient alors par un morceau de concombre. Les cages Ă©tant voisines, les singes voyaient ce qui se passait chez le copain. Un jour, l’un des deux singes obtient une friandise pour le travail accompli, alors que son collĂšgue ne reçoit que le concombre rĂ©glementaire : comparant les deux rĂ©compenses, ce dernier

s’emporte alors, et refuse la sienne, qu’il jette au visage de l’expĂ©rimentateur. Nous sommes en outre des animaux sociaux : nous l’avons Ă©voquĂ©, la comparaison est nĂ©cessaire chez les animaux qui vivent en groupes riches d’interactions complexes, pour ajuster notre position Ă  notre statut :

comparer permet de jauger Ă  quelle place prĂ©tendre. La comparaison est, sans doute, parfois douloureuse chez les animaux dotĂ©s d’émotions, comme les mammifĂšres, mais globalement plus utile que toxique : elle Ă©vite d’entrer en compĂ©tition avec plus fort ou plus puissant que soi, et de s’en trouver puni.

DES ANIMAUX SOCIAUX PERTURBÉS

Enfn nous sommes des animaux sociaux perturbĂ©s
 par la sociĂ©tĂ© que nous avons nousmĂȘmes crĂ©Ă©e ! Les sociĂ©tĂ©s humaines sont parmi les plus inĂ©galitaires du monde animal et conduisent, par consĂ©quent, Ă  des comparaisons vers le haut douloureuses. Elles sont trĂšs compĂ©titives et insĂ©curisĂ©es (qui peut prĂ©tendre aujourd’hui ĂȘtre sĂ»r de garder son mĂ©tier et son statut social ad vitam ĂŠternam ?), et engendrent donc des comparaisons incessantes et Ă©puisantes. Elles sont enfn, dans leur version contemporaine, immensĂ©ment mensongĂšres : elles nous incitent Ă  des comparaisons non seulement avec nos semblables et nos proches, mais aussi avec des humains ultracompĂ©titifs, comme des mannequins et des stars, ultratransformĂ©s et embellis (comme cela se fait sur les rĂ©seaux sociaux). Un exemple : lorsque jadis nos ancĂȘtres comparaient leur apparence physique avec celle des autres, ils regardaient autour d’eux, leur famille et leurs voisins, et il y avait fort peu de chance qu’un top model soit dans les parages ! Aujourd’hui, les corps que nous voyons le plus souvent ne sont plus ceux de nos proches, mais ceux de cĂ©lĂ©britĂ©s mises en avant par les mĂ©dias ; comme elles sont,

Ă  lire

54 N° 154 - Mai 2023
JUSQU’OÙ SE
DOSSIER
COMPARER ? COMMENT SE COMPARER À BON ESCIENT
Pour gĂącher mon bonheur, je n’ai qu’à le comparer : Ă  celui de mes semblables (comparaison avec les autres) ; Ă  celui que j’attendais (comparaison avec mon idĂ©al) ; Ă  ceux que j’ai connus autrefois (comparaison avec le passĂ©).
Consolations, celles que l’on reçoit et celles que l’on donne, L’Iconoclaste, 2022.

au dĂ©part, favorisĂ©es par la nature, qu’elles consacrent leur temps Ă  leur apparence, et que leurs images sont magnifĂ©es Ă  dessein, la comparaison ne peut tourner qu’en notre dĂ©faveur !

Tout ce qui prĂ©cĂšde nous conduit donc Ă  accepter que les comparaisons sont inĂ©vitables, et qu’il est prĂ©fĂ©rable d’en avoir conscience afn d’en faire un usage lucide et mesurĂ©. Voici quelques remarques pouvant nous guider dans cette « hygiĂšne mentale de la comparaison ».

Y A-T-IL UNE BONNE FAÇON DE SE COMPARER ?

Tout d’abord, nous pouvons choisir avec qui nous comparer selon les situations et les besoins. Certaines comparaisons peuvent mĂȘme nous remonter le moral. « Je me regarde, je me dĂ©sole ; je me compare, je me console », dit le proverbe. Si nous prenons soin de ne pas seulement comparer vers le haut (avec les mieux lotis), mais aussi vers le bas (avec les moins chanceux), nous nous donnons une chance Ă  la fois de mieux prendre conscience de notre bonheur, mais aussi de stabiliser notre estime de soi. VoilĂ  pour l’aspect Ă©motionnel ; d’autres travaux menĂ©s auprĂšs d’étudiants et publiĂ©s en 2023 ont montrĂ© que la comparaison vers le haut sert plutĂŽt nos objectifs de dĂ©veloppement personnel, tandis que celle tournĂ©e vers le bas sert Ă  nous valoriser.

Ensuite, l’envie qui naĂźt souvent des comparaisons gagne Ă  ĂȘtre domestiquĂ©e, voire sublimĂ©e. Il faut garder Ă  l’esprit que l’envie est un ressenti frĂ©quent, et souvent culpabilisant. Elle peut prendre une forme dĂ©pressive (« j’aimerais tant, moi aussi, rĂ©ussir ainsi ; mais je ne suis pas capable, pas Ă  la hauteur ») ou agressive (« pourquoi ces imbĂ©ciles sont-ils plus heureux et estimĂ©s que moi ? »). Tous nos efforts gagnent dĂšs lors Ă  la rĂ©orienter vers une envie dite « Ă©mulative » : « Si ce que les autres ont me fait envie, je ferais bien de mieux observer ce qui leur a permis d’en arriver lĂ , pour m’en rapprocher moi aussi par mes efforts. »

Un autre moyen de limiter la survenue de l’envie, et de mieux vivre les comparaisons, consiste Ă  porter un regard empreint d’admiration vers ce qui nous semble plus beau et plus haut. Les Ă©motions sociales positives, telles qu’émerveillement, bienveillance ou compassion, non seulement nous rendent plus agrĂ©ables Ă  frĂ©quenter, mais aussi nous permettent de nous sentir plus heureux et estimĂ©s d’autrui, comme l’ont montrĂ© d’assez nombreuses Ă©tudes.

À dĂ©faut, mieux vaut se comparer Ă  soi-mĂȘme qu’aux autres. En effet, dans la poursuite d’un objectif, se jauger par rapport Ă  des personnes qui

sont en avance sur nous n’a d’utilitĂ© que pour s’inspirer de leurs stratĂ©gies, pas pour juger de nos progrĂšs. Or il est tout aussi important de savoir si l’on est sur le bon chemin. D’oĂč l’intĂ©rĂȘt de se comparer avec
 soi-mĂȘme, en n’oubliant pas d’oĂč nous sommes partis, quels progrĂšs nous avons accomplis, etc.

RENONCER AUX COMPÉTITIONS INUTILES

« L’homme humble ne se croit – ou ne se veut –pas infĂ©rieur aux autres : il a cessĂ© de se croire – ou de se vouloir – supĂ©rieur », Ă©crit le philosophe AndrĂ© Comte-Sponville. Être humble, c’est se mĂ©fer des compĂ©titions inutiles : pourquoi vouloir Ă  tout prix ĂȘtre partout dans les premiers ? Parce que je le vaux bien ? Slogan publicitaire plus que source de sagesse
 Il y a dans nos vies quelques situations rĂ©ellement compĂ©titives : le sport, certains concours dans nos Ă©tudes ou nos mĂ©tiers
 Pour le reste, vouloir faire toutes les courses en tĂȘte nous apportera plus de stress que de bonheur, plus d’insĂ©curitĂ© que d’estime de soi.

Il faut en cela bien repĂ©rer le danger venu des miroirs et incitations que nous tend la sociĂ©tĂ© de l’hypercommunication. Le principe mĂȘme des Ă©crans (cinĂ©ma, tĂ©lĂ©vision, magazines, et bien sĂ»r rĂ©seaux sociaux) tient au fait qu’ils sont des vitrines Ă  ego. Chacun s’y prĂ©sente sous son meilleur profil, et n’y raconte que les meilleurs moments de sa vie. Une bonne hygiĂšne de la comparaison suppose de se souvenir de ce fait Ă  chaque fois que nous y plongeons. Et de s’y plonger le moins souvent possible !

Mais au fond, peut-on oublier la question : « Qu’est-ce que je vaux ? » Il existe des situations oĂč elle devient en quelque sorte caduque. Ce sont toutes celles oĂč l’on s’engage dans des mouvements associatifs ou politiques pour changer la sociĂ©tĂ© : militer pour l’acceptation (et non la valorisation) des diffĂ©rences, pour une sociĂ©tĂ© plus inclusive et moins compĂ©titive
 Se dĂ©dier Ă  une cause fait souvent paraĂźtre secondaire la question de savoir si l’on est mieux ou moins bien que le voisin.

Finalement, les comparaisons, auxquelles notre esprit ne peut Ă©chapper, ne sont donc qu’un outil, une fonction, dont il nous appartient de faire bon usage, afn qu’elles ne soient pas, comme le notait le philosophe Gustave Thibon, un prĂ©texte Ă  « toujours se dĂ©mener pour rejoindre ou pour dĂ©passer autrui ». Et qu’au contraire, selon les mots d’un autre philosophe, Alain, « la comparaison Ă©claire nos pensĂ©es afn de les faire marcher du mĂȘme pas que le monde » : autrement dit, comparer pour s’ajuster. On le voit, la rĂ©fexion sur l’art de bien se comparer ne date pas d’hier
 ÂŁ

Bibliographie

A. Bandura et R. H. Walters, Social Learning and Personality Development, Holt, Rinehart and Winston, 1963.

S. Deri et al., Home alone : Why people believe others’social lives are richer than their own, Journal of Personality and Social Psychology, 2017

S. Lyubomirsky et L. Ross, Hedonic consequences of social comparison, Journal of Personality and Social Psychology, 1997.

M. R. Leary et R. F. Baumeister, The nature and function of self-esteem : Sociometer theory, Advances in Experimental Social Psychology, 2000

T. Du ues et al., Don’t look up ! Individual income comparisons and subjective well-being of students in Thailand, Journal of Happiness Studies, 2023.

55 N° 154 - Mai 2023

JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Apprendre comme dans « Avatar »

Imaginez apprendre l’anglais dans une version numĂ©rique de la ville de Londres, ou les mathĂ©matiques dans un monde gĂ©omĂ©trique en 3D
 Les interfaces de rĂ©alitĂ© virtuelle le proposeront dans l’avenir, mais c’est dĂ©jĂ  possible en partie en entraĂźnant son cerveau.

Lorsque je suis allĂ© voir le ïŹlm Avatar 2, c’était dans le but d’apprĂ©cier la qualitĂ© d’illusion que la technologie est maintenant capable d’entretenir dans le cerveau des spectateurs. Et j’avoue avoir Ă©tĂ© abasourdi par cette impression de ne plus ĂȘtre en train de regarder les personnages d’un flm, mais de vivre une aventure Ă  leurs cĂŽtĂ©s, au sein mĂȘme de leur groupe, avec la sensation qu’à tout moment, l’un d’entre eux pouvait se tourner vers moi pour me tendre un objet ou m’adresser la parole.

Cet effet est bien connu des spĂ©cialistes de la rĂ©alitĂ© virtuelle, qui s’y intĂ©ressent Ă  travers des concepts comme

celui de « tĂ©lĂ©prĂ©sence » (je me sentais rĂ©ellement prĂ©sent dans ces scĂšnes pourtant distantes) ou bien d’« illusion de nonmĂ©diation » et de « suspension de la noncroyance » (j’oubliais totalement que j’étais assis dans une salle en train de regarder une histoire fctive projetĂ©e sur un Ă©cran). Le neuroscientifique Olaf Blanke, spĂ©cialiste de la sensation du soi et de sa prĂ©sence dans l’espace, va jusqu’à proposer avec son Ă©quipe que cette tĂ©lĂ©prĂ©sence utilise des ressorts neuronaux similaires Ă  ceux qui sont responsables de l’illusion de « sortie du corps » : cette sensation d’occuper une rĂ©gion de l’espace diffĂ©rente de celle de son propre

corps, qui peut ĂȘtre dĂ©clenchĂ©e en activant des rĂ©gions cĂ©rĂ©brales bien prĂ©cises. C’est dire Ă  quel point ce flm transforme notre perception de la rĂ©alitĂ©.

FIN DES COMBATS, DÉBUT DE LA RÉFLEXION

Malheureusement, Avatar utilise surtout cette qualitĂ© d’immersion pour faire vivre des situations de guerre Ă  des enfants et des adultes, en les privant de toute distance par rapport Ă  la violence des scĂšnes – j’ai eu une pensĂ©e Ă©mue pour les chercheurs qui attendent patiemment qu’un comitĂ© d’éthique les autorise Ă  montrer des petits ronds et

80 N° 154 - Mai 2023 VIE
QUOTIDIENNE L’école des cerveaux

des carrĂ©s sur un Ă©cran Ă  des enfants Ă  des fns expĂ©rimentales. Mais au-delĂ  du questionnement Ă©thique, il ne fait nul doute que la qualitĂ© d’immersion de ce flm – qui sera bientĂŽt courante dans tous les jeux de rĂ©alitĂ© virtuelle – peut ĂȘtre mise Ă  proft pour l’apprentissage. Il est envisageable d’imaginer, par exemple, d’« envoyer » un Ă©lĂšve dans une ville d’Allemagne au sein d’un groupe de petits Allemands, avec qui il devrait trouver un moyen de communiquer pour rĂ©soudre des Ă©nigmes, et donc apprendre progressivement le vocabulaire et la grammaire nĂ©cessaires pour ce faire. À condition que l’interaction sociale soit

suffsamment rĂ©aliste et crĂ©dible – dans ce sens, on constate les progrĂšs constants des agents conversationnels avec l’exemple de ChatGPT –, les conditions seraient idĂ©ales pour maximiser le niveau d’engagement de cet Ă©lĂšve, qui apprendrait la langue au fur et Ă  mesure de ses besoins, en constatant immĂ©diatement l’intĂ©rĂȘt de tout ce qu’il apprend.

RÉALITÉ VIRTUELLE, MOTIVATION RÉELLE !

Engagement et motivation, besoin d’apprendre pour un objectif immĂ©diat, correction instantanĂ©e de ses erreurs, soutien et intĂ©rĂȘt du groupe : autant

d’élĂ©ments connus pour ĂȘtre de grands moteurs de l’apprentissage et qui facilitent les progrĂšs dĂšs les premiers Ăąges de la vie. Pour l’instant, certaines Ă©tudes montrent dĂ©jĂ  un apport de la rĂ©alitĂ© virtuelle pour l’engagement des Ă©lĂšves et leur motivation – notamment pour apprendre les langues Ă©trangĂšres, mais il faut bien prendre en compte le caractĂšre encore trĂšs peu rĂ©aliste des interactions sociales – et donc de la tĂ©lĂ©prĂ©sence – dans la gĂ©nĂ©ration actuelle de programmes. Avatar nous permet d’entrevoir ce qu’elle sera dans un futur proche
 et avec les sommes ahurissantes investies dans la mise au point de

81 N° 154 - Mai 2023
©
Collection Christophel © Walt Disney Studios Motion Pictures

vĂ©ritables univers virtuels (le fameux mĂ©tavers), il est clair que ce type d’applications est au coin de la rue.

Pourtant, on peut aussi se demander si toute cette technologie n’est pas un peu encombrante et fnalement peu utile au vu de ce que notre cerveau est dĂ©jĂ  capable de faire sans qu’il soit besoin de rien lui ajouter. Je vous incite Ă  faire l’expĂ©rience suivante : regardez simplement une tasse ou un verre, en imaginant autant que possible les sensations que vous auriez au niveau des doigts en les manipulant, afn de bien faire attention Ă  leur forme en 3D : « ressentez-vous » le contact du matĂ©riau et sa rĂ©sistance ? En vous concentrant de la sorte, vous rehaussez l’activitĂ© de rĂ©gions visuelles – dans le lobe pariĂ©tal – qui sont chargĂ©es d’analyser la forme tridimensionnelle des objets afn de prĂ©parer leur saisie, en lien avec le cortex moteur. En jouant simplement avec son attention, il est donc possible d’augmenter cette impression de 3D et de rendre ainsi le monde moins « plat », comme dans le flm Avatar (avouez qu’il est Ă©trange qu’il faille utiliser son attention pour cela, sachant que le monde est vraiment tridimensionnel). Ce type d’exercice est utile pour apprendre Ă  manipuler des objets de façon trĂšs prĂ©cise (des instruments de musique, par exemple), ou bien tout simplement pour se prĂ©parer Ă  bien se concentrer pour tracer un cercle au compas ou Ă©crire proprement. Et j’ai dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© dans ces colonnes comment l’imagerie mentale – visuelle et somesthĂ©sique – aidait Ă  comprendre des concepts mathĂ©matiques comme celui de bissectrice d’un angle.

DRIBBLER PAR LA PENSÉE

Un deuxiÚme jeu attentionnel peut faire penser à la réalité augmentée (cette technologie qui projette une image virtuelle sur une image réelle). Considérez un instant le mot tervetuloa, qui signife « bienvenue » en fnnois, puis recopiez-le sur une feuille de papier, en ayant pris

soin au prĂ©alable de le « voir Ă©crit » sur cette feuille, Ă  l’endroit prĂ©cis oĂč vous vous apprĂȘtez Ă  l’écrire. Dans une dĂ©marche de rĂ©alitĂ© augmentĂ©e, l’idĂ©e est que l’image mentale du mot – avec toutes ses lettres – apparaisse comme « projetĂ©e » sur le papier au point de vous servir de calque. En procĂ©dant ainsi, vous portez une attention particuliĂšre Ă  ce mot et Ă  son orthographe, qui va renforcer son empreinte dans votre mĂ©moire


Le cerveau humain est donc trĂšs bien Ă©quipĂ© pour crĂ©er une impression de rĂ©alitĂ© augmentĂ©e, sans aide technologique. D’ailleurs, de nombreux sportifs de haut niveau l’utilisent au quotidien : je me souviens d’un footballeur professionnel connu pour la qualitĂ© de ses dribbles qui m’avait expliquĂ© voir spontanĂ©ment s’affcher sur la pelouse l’image mentale de la trajectoire qu’il devait suivre avec le ballon pour esquiver les dĂ©fenseurs ! Par consĂ©quent, n’hĂ©sitons pas Ă  exploiter dĂšs maintenant – avant l’avĂšnement d’une rĂ©alitĂ© virtuelle et augmentĂ©e hyperrĂ©aliste – tout ce que notre cerveau est dĂ©jĂ  capable de produire tout seul au prix d’une simple gymnastique attentionnelle : une rĂ©alitĂ© 0.0 low cost et low tech, mais bigrement effcace et sans bug informatique. ÂŁ

Bibliographie

J. GarzĂłn et al., Systematic review and meta-analysis of augmented reality in educational settings, Virtual Reality, 2019.

B. Herbelin et al., Neural mechanisms of bodily self-consciousness and the experience of presence in virtual reality, pp. 80-96, in Andrea Gaggioli (Ă©d.), Human Computer InïŹ‚uence, De Gruyter, 2016.

S. V. Symonenko et al., Virtual reality in foreign language training at higher educational institutions, 2 nd International Workshop on Augmented Reality in Education, 2020

A. E. Welchman, The human brain in depth : How we see in 3D, Annual Review of Vision Science 2, 2016

82 N° 154 - Mai 2023
VIE
La qualitĂ© d’immersion de ce ïŹlm peut ĂȘtre mise Ă  proïŹt pour l’apprentissage, en maximisant l’engagement des Ă©lĂšves : dans l’acquisition d’une langue, par exemple, ils constateraient en temps rĂ©el et en situation l’intĂ©rĂȘt des progrĂšs accomplis.
QUOTIDIENNE L’école des cerveaux APPRENDRE COMME DANS « AVATAR »
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Apprendre comme dans « Avatar »

5min
pages 30-33

Ă  lire

4min
pages 28-30

COMMENT SE COMPARER À BON ESCIENT

5min
pages 26-28

LA QUÊTE DE STATUT SOCIAL EST À DOUBLE TRANCHANT

5min
pages 22-25

NÉS POUR SE COMPARER

5min
pages 18-21

COMPARER ?

0
page 17

Le sexe prĂ©pare le cerveau Ă  l’attachement

6min
pages 14-16

DÉCOUVERTES Cas clinique

7min
pages 11-13

TDAH : un lien avec l’anxiĂ©tĂ© ?

5min
pages 6-9

SOMMAIRE

1min
page 4

Moi, ça me console

1min
page 3

BRAINCAST La

0
pages 2-3

ASSERTIVITÉ !

0
pages 98-99

JOIE GÂCHÉE

0
page 98

L’Homme pressĂ© Toujours plus vite !

8min
pages 95-97

ANALYSE SÉLECTION

5min
pages 92-95

Se recentrer sur l’essentiel LA THÉRAPIE D’ACCEPTATION ET D’ENGAGEMENT, OU ACT

3min
page 91

RĂ©guler ses Ă©motions LA MÉDITATION DE PLEINE CONSCIENCE

4min
pages 89-90

Ă  lire

1min
page 88

Comment surmonter son sentiment d’injustice ?

7min
pages 84-88

Apprendre comme dans « Avatar »

7min
pages 80-83

VIE QUOTIDIENNE Psychologie cognitive MOINS CRÉATIF EN VISIO ?

5min
pages 78-80

Moins crĂ©atif en visio ?

0
pages 76-77

QUAND ChatGPT APAISE LES RÉSEAUX SOCIAUX

6min
pages 72-75

ÉCLAIRAGES L’envers du dĂ©veloppement personnel LES MENSONGES DU « NON-VERBAL »

4min
pages 70-72

LES MENSONGES DU « NON-VERBAL »

3min
pages 68-69

ÉCLAIRAGES Neurologie

0
page 66

Les patients ont besoin d’une aide au quotidien

5min
pages 64-66

DĂ©mence frontotemporale : de quoi parle-t-on ?

0
page 63

« COLLABORER EST PLUS IMPORTANT QU’ÊTRE PREMIER »

11min
pages 58-62

COLLABORER EST PLUS IMPORTANT QU’ÊTRE PREMIER

2min
pages 56-57

Ă  lire

4min
pages 54-55

COMMENT SE COMPARER À BON ESCIENT

5min
pages 52-54

LA QUÊTE DE STATUT SOCIAL EST À DOUBLE TRANCHANT

5min
pages 48-51

NÉS POUR SE COMPARER

16min
pages 40-47

COMPARER ? JUSQU’OÙ SE

0
page 39

Le sexe prĂ©pare le cerveau Ă  l’attachement

6min
pages 36-39

DÉCOUVERTES Neurobiologie

10min
pages 32-35

DÉCOUVERTES Neurobiologie

3min
pages 30-31

DÉCOUVERTES Neurobiologie

0
page 29

Les leçons du campagnol

0
page 28

ChatGPT L’esprit d’un enfant de 9 ans ?

4min
pages 25-27

DÉCOUVERTES Cas clinique THIBAULT, LE GARÇON QUI DÉTESTAIT SON NEZ

6min
pages 22-24

QU’EST-CE QUE LA DYSMORPHOPHOBIE ?

6min
pages 20-21

DÉCOUVERTES Cas clinique

7min
pages 17-19

TDAH : un lien avec l’anxiĂ©té ?

5min
pages 12-15

Sexe : planifiĂ© ou Ă  l’improviste ?

3min
pages 11-12

La vitamine D, contre le suicide

2min
page 10

Alzheimer : le microbiote en cause ?

1min
page 9

Quand la conversation tombe Ă  plat

0
page 9

La musique du dentiste

0
page 9

Mémoire de travail : des synapses modifiées

2min
page 8

Le doudou idéal

1min
pages 7-8

Quand les clowns ne font plus rire

2min
pages 6-7

SOMMAIRE

1min
pages 4-5

Moi, ça me console

1min
page 3

BRAINCAST La

0
pages 2-3
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