À ABIDJAN
Elle a une histoire. Elle n’est pas née de rien. Elle est un peu comme l’enfant de GrandBassam, un ensemble de villages où vivaient des communautés attiées et ébriées, un emplacement choisi par la puissance coloniale pour y installer ses quartiers généraux politiques et commerciaux. Les traces sont là, elles sont rares, car Abidjan est en mouvement permanent. Elle mute le long de cette incroyable lagune qui fait son identité si particulière. Le président Houphouët-Boigny voulait construire une cité capable de rivaliser avec les autres grandes cités du monde. Le Plateau, ancien « quartier blanc », « quartier des maîtres », deviendra vite l’épicentre de cette ambition. Au fil des années, les autres villes dans la ville vont croître, grandir, défendre chacune leur caractère : Yopougon, Abobo, Adjamé, Marcory, Koumassi… Les vagues de migrations internes et externes, africaines mais aussi d’ailleurs, françaises, libanaises, asiatiques vont tout à la fois bouleverser et enrichir les équilibres originaux. Les crises, économiques et politiques, parfois tragiques, vont freiner la croissance de « Babi ». Mais « Babi » résiste, elle plie mais ne rompt pas, elle sèche ses larmes. Elle n’est plus la capitale politique, et pourtant, elle reste bien au centre du pays, creuset, plus que toutes autres, de toutes les identités ivoiriennes.
L’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011 et les années de forte croissance qui vont suivre vont remettre une formidable énergie dans le moteur. On rénove, on construit, les tours montent, on enjambe la lagune par des ponts aussi symboliques que concrets. La nuit, la musique, la culture sont de nouveau au rendez-vous. Les créateurs se retrouvent ici, voguent de maquis en restaurant, de galerie en marché d’art. Avec la croissance, le bond de cette dernière décennie, Abidjan, c’est aussi la cité du business et des affaires, des entrepreneurs, des pirates également, attirés par ce
qui brille. Les avions font le plein, le voyage n’est pas donné, les hôtels, nouveaux ou plus anciens, allument leurs néons et affichent leurs étoiles. Ça bouge, ça fusionne, ça crée, ça rêve en grand. Et puis, il y a cette touche particulière, cette ouverture vers l’extérieur, à l’autre, les maisons qui accueillent l’étranger… C’est rare, finalement.
Le Covid-19 entamera à peine ce dynamisme parfois débridé. Juste une pause dans l’activité et la congestion. Mais depuis, les travaux ont repris, les embouteillages aussi, on pense encore à demain, et plus particulièrement à cette Coupe d’Afrique des nations qui arrive, tout début 2024, défi pour la ville et défi pour le pays.
Évidemment, la médaille a ses revers. Abidjan, comme toutes les grandes métropoles émergentes, n’échappe pas aux inégalités brutales, aux désordres, aux quartiers spontanés, au manque d’infrastructures, aux défis posés par le climat et le développement durable. Et les efforts qui sont faits pour rattraper le retard, doivent anticiper, en même temps, le futur. Il faut tout à la fois restructurer et penser à demain, à ce qui sera dans dix ou quinze ans. « Comprendre » Abidjan avec ses frontières élargies qui iront quasiment de Jacqueville à Assinie, avec ses 10 millions d’habitants. Une ville plus grande que Ne w York… Il faudrait même s’inscrire dans un horizon encore plus large, plus lointain, dans le demi-siècle à venir. Entre Abidjan et Lagos est en train de naître l’une des grandes « mégalopolis » du futur, 1 200 kilomètres de zones urbaines se touchant pratiquement les unes aux autres, en passant par le Ghana, le Togo, le Bénin…
Ensuite vous invite donc à ce voyage entre hier, aujourd’hui et demain, un voyage à Abidjan, ville ouverte, Perle des lagunes, cité définitivement « afro-globale ».
Bonnes routes ! ■
hors-série
3 ÉDITO
Ensuite à Abidjan par Zyad Limam 6 ZOOM
DES GRANDS ANGLES ET DES IMAGES POUR VOUS RACONTER par Zyad Limam 14 COMPRENDRE
TENDANCES, CHIFFRES ET ÉVOLUTIONS par Zyad Limam 22 MELTING-POT
LES GENS, LES LIEUX, LES SONS ET LES COULEURS Laetitia Ky, sculptrice capillaire
162 POUR CONCLURE En mode nouchi ! par Emmanuelle Pontié
TEMPS FORTS
46 Il était une fois Abidjan par Élodie Vermeil
56 Bruno Koné : « Prendre en compte le Grand Abidjan » propos recueillis par Zyad Limam
64 Mon Abidjan : #Abidjanthologie par Armand Gauz
66 Yvette Akoua : « Nous avons l’âge de la maturité » propos recueillis par Emmanuelle Pontié
70 Ibrahima Cissé Bacongo, maire en sa commune propos recueillis par Emmanuelle Pontié
74 Ramzi Omaïs : « On est une famille ! » propos recueillis par Emmanuelle Pontié
76 Olga Djadji : « Il faut aller vers les jeunes » propos recueillis par Philippe Di Nacera
82 Siriki Sangaré et Sirandou Diawara : Urbanisme, penser aussi le futur propos recueillis par Philippe Di Nacera
88 Mon Abidjan : L’insaisissable par Venance Konan
90 Rotimi Vieyra : « Prendre toute notre place dans l’essor de la ville » propos recueillis par Zyad Limam
94 Hachim Diop, de l'espoir à Bingerville propos recueillis par Philippe Di Nacera
100 L’épopée de l'Ivoire par Élodie Vermeil
108 François-Xavier Gbré : « Les archives dialoguent intimement avec le présent » propos recueillis par Élodie Vermeil
114 Jean Servais Somian, l’homme qui veut rendre Abidjan « design friendly » propos recueillis par Philippe Di Nacera
118 Dorris Haron Kasco, de l’autre côté du miroir… propos recueillis par Élodie Vermeil
124 Mon Abidjan : Une histoire d’amour par Illa Donwahi
126 Thierry Dia, dénicheur de talents propos recueillis par Philippe Di Nacera
130 Mon Abidjan : Artitude par Anna-Alix Koffi
132 Les nouveaux sons de la cité par Jihane Zorkot
138 Ici, on sait rire ! propos recueillis par Jihane Zorkot
145 LE TRAVELER GUIDE
LE VOYAGE, LES SPOTS, LES GENS ! par les voyageurs de la rédaction
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p. 73 – Accor p. 80-81 – AGEF p. 87 – Port autonome d'Abidjan p. 93 – Fondation Children of Africa p. 113 – Hôtel Tiama p. 144 – ANAH p. 156 – Orabank p. 163 – SOTICI p. 164
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ZOOM
Des grands angles et des images pour vous raconter présenté par
Zyad LimamMARCHER SUR L'EAU
ON L’APPELLE la Perle des lagunes… Abidjan s'est construite sur ce miroir, cet immense plan d'eau saumâtre de près de 120 000 hectares, le plus grand d'Afrique de l'Ouest, qui s’étend sur des dizaines de kilomètres d'est en ouest. Un paysage unique, où les denses communes s'entrelacent autour des méandres. Et où les ponts (ici, le 4e, en construction, entre Adjamé et Yopougon)
tentent de répondre aux défis de la mobilité… La lagune, c'est l'identité de cette mégalopole polymorphe, mais aussi sa vie, son eau, son poumon, son ouverture également vers l’océan (avec le canal de Vridi). L'hypercroissance menace directement cet écosystème, envahi par les plastiques, les eaux usées, les déchets… L'État, la société civile se mobilisent progressivement. Sauver la lagune, ce sera aussi sauver Abidjan. ■
BUSINESS CENTER
C'EST LA CAPITALE ÉCONOMIQUE, une ville ouverte sur la région, sur le continent, connectée au monde. C'est le centre névralgique d'un pays dont le PIB a déjà doublé depuis 2011, et qui devrait atteindre près de 100 milliards de dollars d'ici à 2030. Les hôtels et les avions sont souvent pleins, la congestion assez permanente. L'effort à fournir sur les infrastructures est essentiel pour qu'Abidjan soit à la hauteur de ses ambitions.
À proximité de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, une nouvelle aire de développement est en train de naître, avec de nombreux projets immobiliers. Avec, au cœur du « dispositif », le nouveau Parc des expositions (photo), dessiné par l'emblématique architecte Pierre Fakhoury. Un outil indispensable pour accueillir de grandes manifestations internationales. Le site devrait abriter, en novembre prochain, la Foire commerciale intra-africaine (IATF), organisée par Afreximbank. ■
CARREFOUR DES ARTS
VOILÀ l'une des nouvelles frontières de l'art contemporain. À Abidjan, il y a de l'argent (ah !), des acheteurs, un marché de collectionneurs, une opportunité générée par plus d'une décennie de croissance. C'est également une ville ouverte aux « autres », à l’altérité, aux voyageurs. Le mélange est détonnant, générateur de créativité et d'audace. De jeunes artistes, dont beaucoup sont issus de l’école des Beaux-Arts de la ville, suivent les traces de leurs aînés illustres, comme Ouattara Watts (photo), Ernest Dükü, Jems Koko Bi, ou plus récemment le phénomène Aboudia. Des galeristes passionnés font bouger les lignes. On attend que la cité accueille un jour une grande manifestation de stature internationale. Et l'on parle d'un projet de musée pour les années à venir. Abidjan est grand ! ■
BATAILLE VERTE
AKOUÉDO… Il n'y a pas si longtemps, c'était l'une des plus grandes décharges d'Afrique. La seule de la ville, progressivement absorbée par les constructions. Un véritable risque écologique et sanitaire collectif.
En 2019, la décharge a été fermée, le site entièrement assaini et nettoyé (photo).
À terme, un parc botanique verra le jour, un parcours qui doit représenter les paysages naturels de la Côte d'Ivoire. Le projet,
porté par PFO Africa avec Veolia et le cabinet paysagiste Niez Studio, est particulièrement significatif. Tout d'abord, sur le plan des technologies utilisées, qui pourraient être adaptées ailleurs sur le continent.
Mais aussi, et surtout, en tant qu'exemple de projet de développement durable pour une cité tentaculaire où les arbres disparaissent. Parmi les enjeux, la protection du fameux parc national du Banco,
menacé par l’urbanisation, la coupe illégale… Avec ses 35 km2, c'est le poumon vert d'Abidjan, l'un de ses réservoirs hydrauliques, avec, en son centre, une véritable forêt primaire. ■
COMPRENDRE
Tendances, chiffres et évolutions
par Zyad LimamDestin Abidjan, à l'épicentre
ELLES SONT PEU NOMBREUSES FINALEMENT CES VILLES « AFRO-GLOBALES », qui bougent, qui rayonnent. Où l’on se projette avec un relatif optimisme, où l'on sent du dynamisme, de l’ambition, de « la taille ». Des villes ouvertes sur leur région, sur le continent, sur le monde, avec un métissage des peuples et des cultures, et une ambition business. Bienvenue à Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire (la capitale politique est officiellement Yamoussoukro depuis 1983, mais tout cela reste juste officiel…). Né de l'histoire coloniale, Abidjan a su se forger sa propre identité. Devenir elle-même, avec un soft power bien réel, ses musiques, ses artistes, ses fashionistas, ses opportunités qui attirent investisseurs et aventuriers…
Elle a souffert aussi. Depuis la fin des années 1990. Et plus douloureusement encore au lendemain de la crise électorale de novembre 2010. Abidjan était à genoux, exsangue. Les traces des combats étaient sur les murs. L'eau et l’électricité manquaient. Depuis 2011, avec l’arrivée d'Alassane Ouattara au pouvoir, la Perle des lagunes a entamé sa renaissance. La Côte d’Ivoire est sur le chemin d’une croissance rapide, avec une moyenne de 8 % par an. Malgré la pandémie de Covid-19, elle a fait partie du club très fermé des 22 pays à avoir affiché une croissance positive en 2020, avec des perspectives encourageantes depuis. Le PIB du pays a doublé depuis 2011 et devrait atteindre près de 100 milliards de dollars à l'horizon 2030. Abidjan, avec ses 7 millions d'habitants, est à la fois l'épicentre et le symbole de ce second miracle ivoirien. C'est ici que ça se passe. C'est ici que l'on vient chercher fortune, créer, investir. Les avions et les hôtels sont souvent pleins, les investisseurs cherchent des opportunités. La Banque africaine de développement (BAD) y a réouvert son siège central en septembre 2014. L’Organisation internationale du cacao (ICCO), implantée depuis 1973 à Londres, s'est installée en avril 2017. Le président Ouattara a entrepris une spectaculaire opération de rénovation du patrimoine immobilier de l’État (tour Postel, tours administratives, tour F, Palais des hôtes, Hôtel Ivoire…). D'importants projets d'infrastructure ont été lancés pour adapter la ville à la modernité, au nouveau siècle : l’inauguration du 3e pont (décembre 2014), les chantiers du 4e et du 5e pont, les échangeurs Solibra et de l'Indénié, le projet de métro, enfin en phase de démarrage, et aussi le Parc des expositions, le projet d'aménagement de l'aéroport Félix Houphouët-Boigny, le projet de transport urbain… Les chantiers sont permanents. Il s'agit tout à la fois de rattraper le retard des décennies perdues (2000-2020), de sortir de la congestion et des embouteillages, et de préparer l'avenir. Cœur battant de l’économie nationale, Abidjan pèse « lourd », peut-être trop lourd. Aujourd'hui, elle représente près de 70 à 80 % du PIB du pays. Et le défi pour l’État est bien de porter le développement hors les murs de la ville, décentraliser la croissance vers les autres Côte d'Ivoire. C’est l’objectif du gouvernement dirigé par Patrick Achi. L'hyper-concentration accentue les stress. Les inégalités sont brutales, plus ici qu'ailleurs dans le pays. Certains quartiers évoqueraient presque la Californie (vers Riviera, par exemple). Les enclaves de pauvreté, les habitats anarchiques soulignent visuellement l'urgence des politiques sociales et de réhabilitation urbaine à long terme. La densité, la taille entraînent un véritable défi écologique, de traitement des déchets, des eaux, d'assainissement de la lagune.
Mais « Babi » a la foi. Ici, entre lagune et océan, à l'ombre des tours et des ponts, entre maquis et marchés, entre l'urbanité riche et l'urbanité pauvre s'écrit certainement l'un des chapitres de l'Afrique du futur. ■
Identités Les villes dans la ville
TOUT D'ABORD, ABIDJAN, c'est administrativement et officiellement un district autonome, aujourd'hui dirigé par le gouverneur Robert Beugré Mambé. Il regroupe les 10 communes d'origine (Abobo, Adjamé, Attécoubé, Cocody, Le Plateau, Yopougon, Treichville, Koumassi, Marcory, Port-Bouët), plus quatre sous-préfectures adjacentes (Bingerville, Songon, Anyama, Brofodoumé). Chacune de ces communes se vit, se ressent comme une ville à part entière. Avec son maire, élu, mais aussi sa culture urbaine, son identité, sa densité. La lagune et les distances créent des sphères d'autonomie. Chacune mériterait son livre d’histoire, son guide adapté… Yopougon, avec son 1,5 million d’habitants, est elle toute seule la plus grande ville de Côte d'Ivoire. Plus au nord, Abobo lui contesterait presque ce rang, avec son 1,3 million d'habitants, et dont le regretté Hamed Bakayoko, qui en fut maire, disait : « Ici, c'est un peu comme la CEDEAO, avec toutes ces nationalités qui cohabitent… » Le Plateau, première vitrine du miracle ivoirien, cherche une seconde jeunesse. Cocody cultive son chic et son étendue (vers les Deux Plateaux, Riviera…). Marcory (avec sa fameuse Zone 4) et Koumassi (avant, on disait « la ville au-delà des ponts ») restent les épicentres du commerce et de la nuit. Treichville, nostalgique, voudrait retrouver sa place de plus grand marché d’Abidjan. Pendant que Port-Bouët, la rebelle, s'engage dans le futur avec les nouveaux développements près de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny. À ces identités multiples, on pourrait ajouter aussi les plus ou moins 30 « villages » ébriés ou attiés répertoriés, certes fondus dans la cité, mais qui gardent chacun des traditions, des juridictions informelles… Et puis, comment ne pas évoquer tous les nouveaux venus, les immigrants de la région, mais également de plus loin en Afrique, la communauté libanaise, consubstantielle à l'abidjanité, les Français, les Vietnamiens, les Chinois, les Tunisiens, tous les autres attirés par les lumières de la ville… Bref, une cité afro-globale de près de 7 millions d'habitants, un melting-pot assez phénoménal de langues, de cultures, d’énergies, de rêves, d'ambitions… ■
Politique L'année des élections
EN OCTOBRE ET NOVEMBRE PROCHAINS se tiendront les élections locales et régionales. Abidjan sera l'un des enjeux majeurs de ce scrutin avec le renouvellement des conseillers municipaux, et donc des maires, des 10 communes du district. En 2018, au niveau national, les partisans de la majorité présidentielle avaient conquis 92 communes, contre 50 pour le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Mais côté Abidjan, les résultats avaient plus contrasté, avec quatre mairies, contre six pour le PDCI-RDA. Le scrutin de 2023 représente donc un intérêt majeur pour le parti au pouvoir, en particulier dans la capitale économique. Abidjan rassemble plus du tiers des votants inscrits dans le pays. Les résultats auront un sens particulier dans la perspective des élections présidentielles de 2025. Et depuis les législatives de mars 2021, les plus ouvertes et les plus inclusives depuis l'indépendance, une tradition de compétition politique à la (presque) loyale s’installe… Les grands barons sont convoqués pour la bataille. Adama Bictogo, président de l'Assemblée nationale, se présentera à Yopougon. Le communicant à succès Fabrice Sawegnon devrait s'attaquer à la mairie du Plateau. Tout comme le patron du port, Hien Yacouba Sié, qui devra chercher à ravir la mairie de Port-Bouët… À l'heure où ces lignes sont écrites, les jeux sont particulièrement ouverts. Et les alliances locales ou nationales ne sont pas à exclure. Fin 2022, une opération de renouvellement et d’enrôlement sur les listes électorales a été menée. De nouveaux électeurs majeurs se sont inscrits, plus jeunes, ajoutant une touche d'imprévisibilité naturelle à ces scrutins… ■
Défi Développements durables
ABIDJAN SE DÉVELOPPE, la population s’accroît, le niveau de vie et la densité augmentent. Mais l’ensemble tient sur un écosystème lagunaire particulièrement fragile. Et les pollutions se multiplient. La ville doit faire face à un véritable défi environnemental. Traitement des eaux, gestion des pluies, des déchets industriels et urbains, des plastiques, de la qualité de l’air, protection et valorisation des espaces verts, usure des berges… les urgences sont multiples. Les plastiques et les résidus industriels représentent un danger particulier. Ils ne sont pas biodégradables, s’accumulent sur les berges et menacent les communautés (riches ou pauvres) sur les berges. Côté pouvoir public, la prise de conscience est progressive et réelle. La décharge d’Akouédo [voir pages 12-13] a été fermée et devrait se transformer en parc urbain. Les travaux d’infrastructures visent à décongestionner le trafic et son impact sur la qualité de l’air. On parle de plus en plus de solutions électriques. Objectif : faire muter 30 % du parc dans les années à venir. Enfin, il faut aussi souligner l’important projet de sauvegarde et de valorisation de la baie de Cocody et de la lagune Ébrié (PABC), porté par le gouvernement du Premier ministre Patrick Achi et le royaume du Maroc. Une approche écolo-urbaine particulièrement ambitieuse avec le traitement des eaux et des déchets, la création d’une marina, la construction du 5e pont (Plateau-Cocody) et du rond-point de l’Indénié. Et enfin, l’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé, à Grand-Bassam, pour soulager les eaux de la lagune Ebrié. La clé du futur restera la prise de conscience globale et la mobilisation de tous les acteurs : population, État, entreprises, société civile… ■
Événement Objectif, coupe d’Afrique
C’EST DANS À PEINE UN AN. L’Afrique et le monde auront les yeux braqués sur Abidjan, Bouaké, San Pedro, Korhogo, Yamoussoukro, les yeux braqués sur la Côte d’Ivoire, où se jouera la 34e Coupe d’Afrique des nations de football (CAN). Un retour en Éburnie, quasiment quarante ans après la dernière édition du tournoi au pays (1984). Un véritable événement, un pari en matière d’organisation et d’accueil pour les villes hôtes. 24 équipes participeront à la compétition. Et tout un pays se prépare à soutenir l’équipe des Éléphants, dont le palmarès n’est pas si mal, avec deux trophées continentaux en 1992 et 2015 (et deux finales perdues en 2006 et en 2012). La route vers cette CAN aura été longue et sinueuse, avec en particulier un report de dates afin d’éviter la saison des pluies de juin-juillet, pour le climat plus sec de janvier-février. Les frictions entre les uns et les autres, entre les différences instances (comité d’organisation, fédération, ministère…), et l’épidémie de Covid-19 n’auront finalement pas trop ralenti la mise en place des infrastructures nécessaires, en particulier avec la construction des nouveaux stades (Bouaké, Korhogo, San Pedro, Ebimpé…). Abidjan sera au cœur de l’événement. Ce sera le « camp de base » de la plupart des officiels, des VIP et des personnalités du monde entier. Ce sera l’épicentre du monde du football : associations, Confédération africaine de football, et délégués de la toute-puissante FIFA. Et ce sera aussi un lieu de compétition majeur. Le tout nouveau stade olympique Alassane Ouattara à Ebimpé, construit avec la Chine, a été inauguré le 3 octobre 2020. L’enceinte multisport et multimodale, d’une capacité de 60 000 places, se présente comme l’une des structures sportives les plus modernes du continent, et accueillera évidemment le match d’ouverture et surtout la finale. À quelques kilomètres de là, en plein cœur du Plateau, en bord de la baie de Cocody, le « vieux » stade Félix Houphouët-Boigny a été entièrement rénové, avec une capacité portée à 40 000 places. Tout est presque prêt donc. Et vivement que la fête commence ! ■
Les
gens, les lieux, les sons et les couleurs
Laetitia Ky Sculptrice capillaire
Avec plus de 6 millions d’abonnés sur TikTok et 500 000 followers sur Instagram, elle est l’artiste ivoirienne DU MOMENT.
À 26 ANS, Laetitia Ky est aussi connue pour ses sculptures capillaires que pour son combat féministe. Son amour du cheveu apparaît alors qu’elle n’a que 5 ans, quand elle fait sa première tresse à sa petite sœur. Précoce, elle obtient son bac littéraire à 15 ans, puis entame des études de commerce à l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro, qu’elle abandonne au bout de trois ans pour se consacrer pleinement à sa passion. Le déclic se produit lorsqu’elle tombe sur un album photo d’anciennes coiffures de femmes africaines. Et l’aventure démarre vraiment lorsqu’elle poste l’une de ses créations capillaires (représentant deux mains), qui devient virale. Passant de 4 000 à 25 000 abonnés en une nuit, elle prend pleinement conscience du pouvoir de son art et décide de l’associer à des causes qui lui tiennent à cœur, comme le mouvement #MeToo.
Ensuite : Quelles sont vos sources d’inspiration ? Pourquoi avoir choisi le support capillaire comme moyen d’expression ? Et pouvez-vous décrire votre processus de création, de l’idée à la mise en forme ?
Laetitia Ky : Lorsque je collabore avec une marque, je suis un thème précis. Sinon, les idées me viennent comme des déclics, puis je suis mon intuition. La durée de réalisation varie, pouvant aller de moins de 30 minutes à plus de 3 heures pour une création complexe. J’effectue de nombreux tests avant d’entamer la réalisation finale. Les idées simples, je peux juste les visualiser dans ma tête avant de me mettre à tresser, mais parfois je fais des schémas pour me guider. Puis je m’arme de mes ciseaux, de mon fil de fer et de mes extensions, je me mets devant mon miroir, et je commence le travail. Lorsque j’ai terminé, je pose ma caméra et je prends mes photos au retardateur. Ensuite, je défais mes cheveux et je poste la photo. Mes œuvres sont éphémères. Je m’inspire de musiques, de sons, de discussions. Je puise dans mon quotidien. Il peut arriver qu’une personne me fasse une remarque déplacée, alors je crée pour dénoncer ce que j’ai vécu : le harcèlement de rue, etc.
Quelles sont les causes qui vous tiennent à cœur ? Comment arrivez-vous à faire passer vos messages ?
Deux causes me tiennent à cœur. Tout d’abord, l’égalité des sexes, surtout en Côte d’Ivoire, où la société est très misogyne. J’ai été harcelée par des hommes beaucoup plus âgés que moi, alors que j’avais tout juste 10 ans. Les femmes sont à peine pubères qu’elles doivent faire face à des remarques déplacées. Mais grâce au combat que mènent les féministes en Côte d’Ivoire, certains tabous sont tombés. Les jeunes
« Je m’arme de mes ciseaux, de mon fil de fer et de mes extensions, je me mets devant mon miroir, et je commence le travail. »
filles s’éveillent et s’expriment. Mon second combat est de représenter une beauté non standardisée, que les femmes africaines s’acceptent comme elles sont, avec leur nature de cheveux, leur teint, sans devoir s’altérer pour se créer une place en société. Le cheveu est l’un de leurs premiers complexes. Elles doivent avoir le contrôle sur leur différence. C’est pour ces raisons que je réalise mes créations sur mes propres cheveux. Tout le message est là : je suis une femme noire et je l’assume. Je veux dire aux autres qu’elles sont assez belles pour se considérer comme des œuvres d’art. Comment définiriez-vous le combat féministe en Côte d’Ivoire ?
Il grandit chaque jour. De plus en plus de femmes créent des associations. Je vais travailler avec l’une d’elles, Akwaba Mousso (« Bienvenue femme »), la première de ce type dans le pays, qui accueillera des femmes victimes de violences et d’abus dans un centre avec des sages-femmes, des psychologues, une section juridique et un service dédié à l’insertion professionnelle. Elles pourront y vivre pour une durée de six mois, renouvelable bien sûr si elles ne se sentent pas prêtes à partir. L’un des plus gros
problèmes est qu’elles n’arrivent pas en général à dénoncer ce qu’elles vivent, car elles ne savent pas vers qui se tourner. J’animerai des ateliers d’expression de soi pour les remettre en confiance. Ce projet sera accompagné par la mairie de Cocody, qui fournira le local, mais c’est possible de multiplier les institutions de ce genre. Bref, les choses bougent. On essaie d’accomplir ce que l’on peut à notre échelle, un pas après l’autre. Mais le combat reste difficile, car la société n’est pas encore tout à fait prête. Si je fais parfois des images très crues, c’est pour attirer l’attention. Je pense qu’il faut décrire la réalité sans prendre de pincettes. On ne va pas parler d’une femme battue ou violée en enjolivant la situation. Quel rôle ont joué les réseaux dans votre ascension ?
Ils ont lancé ma carrière. Au départ, je créais du contenu et j’étais activiste, mais je ne pensais pas pouvoir en vivre. Le premier obstacle que j’ai rencontré a été le fait de vivre en Côte d’Ivoire. Lorsque mes images sont devenues virales, je communiquais en anglais sur les réseaux, et pas mal de personnes pensaient que je vivais en dehors du pays. Je recevais des propositions de casting, de partenariat. J’ai pensé à m’installer aux États-Unis, car c’est difficile de vivre de l’influencing ici. Puis, j’ai postulé pour du modeling, et le problème était le même. Un jour, Elite Model World a organisé un concours, l’Elite Model Look, et je l’ai remporté dans la catégorie influenceur. Malheureusement, la pandémie de Covid-19 a bloqué toutes mes opportunités à l’international. J’ai donc dû me réinventer. J’ai mené des collaborations avec des marques comme Marc Jacobs, Apple, Pinterest, Burberry, etc. Ces projets ont débouché sur d’autres grâce aux réseaux sociaux, et j’ai pu me hisser sur la scène internationale. J’ai également sorti un livre, Love & Justice, en avril 2022, dans lequel je décris mon parcours, mon background de jeune africaine, mon combat féministe… J’ai réalisé près d’une centaine de créations inédites pour cet ouvrage. Styliste, actrice, écrivaine… Vous êtes une artiste polyvalente. Comment réussissez-vous à tout mener de front ?
La comédie a toujours été l’une de mes passions. Comme souvent, l’occasion m’est tombée dessus. Le directeur de casting de La Nuit des rois, de Philippe Lacôte, m’a proposé un rôle dans le film. Nous nous sommes rencontrés et j’ai embarqué pour l’aventure. Mes photos capillaires, elles, ont été exposées à la Biennale de Venise, et je suis en discussion avec des galeries pour continuer à montrer mes photos. Quels sont vos projets pour demain ?
Je vais beaucoup créer pour faire des expositions. J’ai aussi envie de poursuivre ma carrière de comédienne. J’ai commencé le tournage d’une série de Canal+. Et je me demande aussi si, pour la suite, je ne vais pas déménager à l’étranger… ■ Propos recueillis par Jihane Zorkot
«
Tout le message est là : je suis une femme noire et je l’assume. »
L’AMÉNAGEMENT URBAIN À DIMENSION HUMAINE
Depuis 1981, CERCIS est votre partenaire dans le développement de projets d’aménagements urbains se démarquant par leurs approches écologiques & adaptées.
Présent au Maroc, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, avec une stratégie de développement sur tout le continent, CERCIS place l’humain au centre de son travail, cherche à révéler la force des identités locales à travers une dimension contemporaine et responsable.
CERCIS s’inscrit dans une démarche d’avenir, au service d’espaces de vie adaptés et de villes vertes avec des solutions qui répondent aux exigences d’une croissance durable.
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© CERCIS : GRAND AKOUDZIN, LA MÉ, CÔTE D’IVOIREpartira d’Anyama, la c ommune la plus au nord, pour finir à Port-Bouët, tout au sud.
LA RÉVOLUTION MÉTRO
Longue de 37,5 kilomètres, LA PREMIÈRE LIGNE devrait sortir de terre en 2027. Un projet monumental et un véritable défi.
1 166 MILLIARDS DE FRANCS CFA (soit 1,77 milliard d’euros). Aucun projet d’infrastructure n’avait jamais atteint ces sommets en Côte d’Ivoire. L’enjeu est d’importance : transporter chaque jour 540 000 personnes dans des trains dont la fréquence de passage sera de 1 toutes les 100 secondes. La mise en service de cette ligne de 37,5 kilomètres, prévue en 2027, qui part d’Anyama, la commune la plus au nord d’Abidjan, jusqu’à Port-Bouët, tout au sud, doit engendrer la création de 2000 emplois directs et réduire les nuisances (sonores et de pollution) d’une ville qui suffoque. Est prévue, de surcroît, la construction de 18 stations, 24 ponts, 1 viaduc sur la lagune, 34 passerelles piétonnes, 8 passages souterrains.
« Nous sommes en train de changer toute l’urbanisation d’Abidjan. Non seulement nous construisons un métro, mais nous prévoyons des logements sociaux, des magasins, des écoles, tout au long de la ligne… », a annoncé le Premier ministre Patrick Achi. Confié par l’État de Côte d’Ivoire à un groupement d’entreprises françaises qui compte Bouygues, Alstom, Colas Rail ou encore Keolis, le chantier a enfin démarré, après la signature en décembre 2022 d’un avenant au contrat de construction. Prévus pour durer 66 mois, les travaux ont déjà commencé
avec des démolitions autour de l’emprise de la ligne, notamment dans la commune d’Adjamé. Avant cela, il a fallu expulser plus de 13 000 riverains, dont 7 000 ont à ce jour été indemnisés, à leur grand soulagement.
Côté financement, la France a tout fait pour tenir son rang face à ses concurrents asiatiques, et n’a pas hésité à mettre la main à la poche : la première fois, en 2017, avec un copieux décaissement de 1,4 milliard d’euros pour « sauver le projet », qui avait pris deux ans de retard faute d’investissements. En contrepartie, des entreprises françaises ont raflé la mise, contre des sociétés coréennes qui avaient constitué le premier consortium. Tout dernièrement encore, en novembre 2022, l’Hexagone a accordé un prêt de 250 millions d’euros à la Côte d’Ivoire, sans parler de la visite du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, un mois plus tard. Il a signé avec les autorités un avenant au contrat de cession du marché et remis une lettre d’intention de la France pour accompagner financièrement le projet. Les banques Société générale, BNP Paribas et Bpifrance ont également été mobilisées pour le soutenir à hauteur de 1 090 millions d’euros, avec la garantie de l’État. ■ Philippe Di Nacera
ÉVASION
L’ÎLE BOULAY LES PIEDS DANS LA LAGUNE
À 15 m inutes en bateau de la frénésie du centre-ville de la capitale économique, ce petit coin de paradis presque inhabité est le NOUVEAU SPOT de la belle société a bidjanaise.
C’EST COMME un petit coin de paradis de 20 km2, en plein cœur de la lagune Ébrié, pas si loin du port autonome d’Abidjan. L’île principale du chapelet qui entoure Abidjan. Accessible en bateau uniquement, à 15 minutes seulement de la furie de la mégalopole. Une terre presque vide d’habitants, avec quelques familles de villageois, sans eau courante ni électricité. Avec encore de la végétation sauvage et des plantations de cocotiers. Et une zone de mangrove devenue rare sur le littoral ivoirien. L’île Boulay est devenue depuis quelques années le nouveau spot d’évasion de la belle société abidjanaise, mélange de « vie naturelle » et d’endroits plus trendy où se prélasser le week-end. En bateau, en navette, en hors-bord, la « route » est assez spectaculaire. La ville est comme posée sur l’eau. On passe sous les ponts qui enjambent la lagune. Le quartier du Plateau se donne
des airs de Manhattan. Le village de pêcheurs appelé familièrement « Zimbabwe » dépassé et le canal de Vridi traversé, nous voici en approche de l’île. Cap sur la Baie des milliardaires. Le point de vue laisse apparaître un panorama de maisons, souvent luxueuses, au bord de l’eau, avec un ponton, que l’on appelle bien modestement des « cabanons ». Les terrains appartiennent le plus souvent aux villageois (droit coutumier), lesquels les louent contre un loyer plus ou moins avantageux.
Ceux qui n’ont pas de cabanons pour le week-end ont d’autres solutions. Au Coconut Grove Lodge, pour un forfait de 50 000 francs CFA, on peut passer une journée au calme, se divertir en faisant du canoë, une partie de pétanque, et déguster un repas de cuisine essentiellement international. Si l’on veut rester une nuit, les chambres
à thème sont accueillantes, tout comme la propriétaire des lieux, Miclo. Ouvert plus récemment, Romano Lodge propose une cuisine proche de la tradition locale et fait profiter de grillades de produits de la mer à foison. Un régal. D’autres établissements, Chez Rodrigue, plus connu, et Chez Valdez, avec ses plateaux de gambas grillés, font le plein le week-end.
On ne peut pas quitter l’île Boulay sans passer par la dernière folie de Fabrice Sawegnon, entrepreneur doué et touche-à-tout, à la tête du groupe de communication Voodoo. Son dernier bébé, le Boulay Beach Resort (BBr), ouvert en février 2020 (mais officiellement lancé en mai 2021, Covid-19 oblige), est un small resort de luxe qui se veut un « mariage entre la modernité et le chic à l’africaine ». Chic, il l’est à n’en point douter. Cher, également. Une clientèle huppée prend d’assaut,
chaque fin de semaine, ce lieu très en vogue et facile d’accès, situé à un saut de puce d’Abidjan. Avec des prestations à la hauteur des meilleurs établissements de ce type et un confort haut de gamme (les suites disposent d’une piscine privée), le BBr ne laisse personne indifférent.
Une journée à l’île Boulay vous donne l’impression d’être au bout du monde, mais comme si vous pouviez entrevoir votre bureau depuis la plage. Pourtant, l’endroit est menacé. En quittant le lieu, on peut voir certaines zones déboisées, des terrains nus, des constructions en cours… La zone est également proche du port autonome, en croissance permanente. On parle d’un projet de pont avec la commune de Yopougon. Des investisseurs étrangers s’intéressaient au site… Le paradis est si proche de la grande ville. C’est le moment de le (re)découvrir. ■ P.D.N.
Un mélange de « vie naturelle » et d’endroits plus trendy où se prélasser le week-end.
SUCCESS-STORY
DOUCEURS MADE IN CÔTE D’IVOIRE
Grâce
L’AVENTURE DE CETTE PETITE ENTREPRISE de transformation du cacao a démarré avec une boutique au 4 rue Thomas Edison – qui reste son point de vente central –, où l’on fabriquait des chocolats dans l’arrière-boutique.
En seulement trois ans, L’Atelier du chocolat, créé par Abdallah et Zeina Sifaoui, est devenu l’un des meilleurs chocolatiers de la ville, et permet aux Ivoiriens de consommer un produit 100 % local. Avec une production journalière de 35 à 40 kg, l’enseigne puise son inspiration dans les ingrédients locaux et n’hésite pas à faire des mélanges de textures insolites : chocolat au lait, blanc ou noir fourré à la coco, au gingembre séché ou confit, à la mangue, à la noix de cajou… Proposant une gamme de près de 70 saveurs, dont 10 en cours de création, la chocolaterie recueille sa matière première directement auprès de cultivateurs. Elle se charge ensuite de sécher
et de torréfier les fèves de cacao pour en faire de la poudre. L’équipe est majoritairement constituée de femmes qui travaillent à la main, depuis le moulage jusqu’à l’emballage du produit. L’une des particularités des chocolats est leur faible teneur en sucre, celle en cacao pouvant aller jusqu’à 95 %, selon la demande du client. S’approvisionnant en produits de saison sur les étals des marchés, la société propose également de la confiture, de la pâte à tartiner et du miel. Et pour mettre la Côte d’Ivoire à l’honneur, les emballages sont ornés de symboles tels que des cauris ou des poids baoulés. L’Atelier du chocolat compte aujourd’hui trois boutiques à Abidjan… et des clients satisfaits par la variété et la qualité de son offre. Mais l’entreprise ne compte pas s’arrêter là et a annoncé la création prochaine de nouveaux produits à base de cacao, comme du savon ou de la crème hydratante. ■ J.Z.
à L’ATELIER DU CHOCOLAT, les consommateurs du premier exportateur mondial de cacao peuvent enfin savourer un produit transformé localement.
PHÉNOMÈNE
ABOUDIA L’ENFANT PRODIGE
ABDOULAYE DIARRASSOUBA naît en 1983 à Abengourou. Dès 15 ans, il quitte le cocon familial pour étudier au Centre technique des arts appliqués de Bingerville, dont il ressort diplômé en 2003. Sept ans plus tard, c’est la guerre. Caché dans son studio lorsqu’il entend les tirs qui font rage en ville, il imagine… Et dessine des toiles sombres, des enfants armés, la tristesse, à l’aide de pastels gras aux couleurs foncées où le rouge sang domine. Un photographe de Reuters remarque alors ses toiles, et ses images font le tour du monde. Dès 2011, l’artiste expose à Londres, puis en 2012 à la galerie Cécile Fakhoury, à Abidjan. Sa carrière décolle et, peu à peu, sa cote avec elle. À la fin des conflits, il change de thème, pas de style. Et devient Aboudia, partageant sa vie entre Abidjan et Brooklyn. Il s’intéresse aux jeunes des rues, aux graffitis, invente ses personnages môgôs (amis fidèles au quotidien, en argot nouchi), récurrents dans ses toiles. Et garde ce trait rapide, coloré, plein d’urgence, « street art africain à la Basquiat », selon certains. À 39 ans, Aboudia collectionne les expos personnelles dans le monde entier, et le prix de ses toiles s’envole. En mars 2022, son tableau Haut les mains part pour 378 000 livres sterling (432 000 euros) lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, à Londres. En avril, l’artiste est exposé à la 59e Biennale de Venise au pavillon ivoirien. On le retrouve aussi au Maroc, pour une vente aux enchères à la Mamounia, avec une toile monumentale (Sans titre) présentée par la galerie Artcurial. L’enfant prodige de l’art contemporain ivoirien a aussi créé l’Aboudia Foundation à Bingerville, il y a quatre ans, pour soutenir les enfants et les jeunes talents. Et dans son sillage, depuis une dizaine d’années, c’est toute la scène artistique du pays qui se retrouve dopée, avec une explosion de collectionneurs passionnés. ■ Emmanuelle Pontié
À 39 a ns, l’artiste affole le monde de l’ART CONTEMPORAIN et expose aux quatre coins de la planète.
MUSIQUE LES GAOUS RÈGNENT SUR LA VILLE
Natifs du quartier populaire d’Anoumabo, à Marcory, A’salfo, Goudé, Tino et Manadja ont fait de MAGIC SYSTEM le g roupe de zouglou le plus connu du monde. Zoom sur une carrière fulgurante, couronnée de 16 d isques d’or.
« PREMIER GAOU N’EST PAS GAOU »… Ces mots tirés du tube de 1999 du groupe Magic System sonnent comme l’étendard d’une histoire dont les protagonistes, A’salfo, Goudé, Tino et Manadja, s’étonnent toujours eux-mêmes… Car depuis bien longtemps, plus question de qualifier de « gaous » (« innocents » en nouchi) ces jeunes sortis d’Anoumabo, un quartier historique et populaire de Marcory. Devenu une vedette mondialement connue et un homme d’affaires averti, A’salfo aime raconter leurs débuts.
Durant leur jeunesse, les compères amusent la galerie dans leur quartier natal. L’âpre quotidien n’empêche pas l’imagination, le rêve et la joie de vivre, leur permettant d’entrevoir un horizon meilleur. En 1997, la petite bande a toutes les peines du monde à réunir les 1 000 francs CFA
« 1er gaou », « Même pas fatigué ! », « Magic in the Air »… Tube après tube, ils répandent la bonne humeur autour d’eux.
nécessaires pour prendre un taxi et rejoindre un éditeur de disques à Cocody. Quand elle y réussit, l’homme a finalement oublié le rendez-vous. Leur premier single est un échec, mais cela ne les empêche pas de persévérer. Deux ans plus tard sort leur premier tube, « 1er gaou ». C’est le début d’une carrière fulgurante, un véritable conte de fées. Car le succès est immédiat et ne s’arrêtera plus. Dans leur pays d’abord, et dans le monde ensuite.
Pionnier du zouglou, courant musical urbain né en Côte d’Ivoire dans lequel les chanteurs se racontent, abordent leur quotidien dans les quartiers, leurs problèmes, leurs peines et leurs joies, le groupe enchaîne tube sur tube. En 2018, pendant la Coupe du monde en Russie, l’équipe de France de football s’empare de la chanson « Magic in the Air », et sa victoire propulse Magic System sur de nouveaux territoires. Sur YouTube, le groupe est le représentant du zouglou le plus suivi, notamment grâce aux 400 millions de vues du clip de cette iconique chanson. Sa carrière est couronnée de 16 disques d’or et de 3 de platine. Devenu star de la musique africaine, il positionne Abidjan comme un creuset de la créativité du continent.
Forts de leur notoriété, ses membres créent en 2008 le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (FEMUA), dans le quartier de leur enfance donc, qui s’ouvre
chaque année aux artistes afropop du continent. Toujours dans un esprit de partage et n’oubliant pas leur origine modeste, ils créent une fondation en 2014 : ils font de l’action sociale, particulièrement pour l’enfance et la jeunesse, un axe central de leurs activités. C’est ce qu’A’salfo appelle un « code d’honneur ». Depuis sa création, la fondation lève des fonds pour mener des actions caritatives d’ampleur et organiser des événements dans les domaines de l’éducation, la santé, la culture, l’environnement. Personnalité incontournable de la vie abidjanaise et véritable ambassadeur de son pays (au point de réagir dans les médias internationaux sur les grands dossiers de l’actualité, notamment la libération des 46 militaires ivoiriens emprisonnés au Mali), A’salfo est nommé Ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco en 2012.
En 2016, le groupe vit un drame. Son batteur et choriste, Didier Bonaventure Deigna, dit Pépito, se noie à Jacqueville en tentant de sauver quelqu’un. Le coup est rude, mais « the show must go on », comme on dit. Cela n’a pas entamé la créativité des magiciens, puisqu’un nouvel opus est annoncé pour 2023, assorti d’une tournée européenne à partir de juin. A’salfo, Goudé, Tino et Manadja, les quatre étoiles de la lagune Ébrié, vont illuminer pour longtemps encore le ciel d’Abidjan. ■ P.D.N.
PORTRAIT
PRISCA GILBERT AMBASSADRICE DE LA GASTRONOMIE LOCALE
CHEFFE MULTI-TOQUES, comme elle aime à se définir, Prisca Gilbert est derrière les fourneaux depuis bientôt neuf ans. Ingénieure en communication et marketing avant cela, elle combine aujourd’hui son expérience passée à sa passion de la cuisine, qu’elle a développée dès son plus jeune âge, apprenant auprès de sa famille. À la fois formatrice, productrice de contenu culinaire et autrice , elle a ouvert son restaurant, Le Mosaïc, à Abidjan, en 2013, puis s’est envolée pour la France, où elle a suivi une formation à l’Institut Paul Bocuse. Elle est devenue par la suite la première cheffe du groupe Barrière en prenant la tête des cuisines de L’Éléphant d’or (le restaurant du
casino du même nom, à Abidjan), puis chroniqueuse sur RFI, et, depuis peu, ambassadrice de l’Unicef. Mosaïc représente pour elle une passerelle entre son goût de l’entrepreneuriat et celui de la cuisine. L’occasion de troquer ses escarpins pour des baskets et de quitter les bureaux feutrés pour les ambiances plus chaudes de la création culinaire. Le plus gros challenge a été de maîtriser son enthousiasme, tout en faisant face aux réalités : « J’avais envie de créer, partager, donner du plaisir, mais je me suis très vite retrouvée happée par les difficultés de la profession. » Peu à peu, elle y est pourtant arrivée : « J’ai découvert le plus beau
Auparavant ingénieure en communication et marketing, CETTE CHEFFE exerce sa passion depuis bientôt neuf ans.
métier du monde. » Actuellement cheffe itinérante, elle expérimente sa vocation sur tous les plans. Ce mode de vie lui permet de voyager et d’écrire, en travaillant pour des événements professionnels ou privés. C’est une autre façon d’exercer son métier. La cordon-bleu met un point d’honneur à soigner l’esthétique de ses assiettes et à offrir un tableau tout aussi alléchant pour les yeux que pour la bouche. Les matières et les couleurs sont choisies avec soin, dans le souci d’une harmonie des sens. Instinctive en ce qui concerne l’association des saveurs, elle est très rigoureuse dans le traitement des produits. Le processus de création d’un plat passe par plusieurs étapes, dont l’aboutissement est un véritable équilibre qui doit sublimer les produits du terroir. L’objectif est avant tout de faire vivre une expérience culinaire.
Prisca Gilbert valorise la cuisine de chez elle, notamment dans ses chroniques « La Vie ici », sur RFI. Elle y présente les produits et les matières premières locales, leurs valeurs et qualités nutritives, et propose des astuces et des recettes. Au cours des événements auxquels elle est invitée, elle anime souvent des ateliers et des formations, et souhaite toujours transmettre les valeurs des cuisines ivoirienne et africaine, lesquelles suscitent beaucoup d’intérêt. « Il est important d’y entrer de plain-pied, sans complexe, de partager notre culture. » Pour elle, transmettre son savoir-faire est primordial. La Côte d’Ivoire est riche de ses produits, qui diffèrent du nord au sud, et la profession de chef est en pleine expansion. De plus en plus de cuisiniers s’affichent dans les médias pour communiquer sur ce qu’il y a de beau dans leur activité et donner envie aux jeunes générations de l’exercer. La cheffe s’est aussi fixée comme objectif de briser les idées préconçues sur la cuisine locale, trop souvent perçue comme grasse, calorique et sans réelle valeur nutritive. Mais comme elle aime à le rappeler, la nourriture végane n’a pas été inventée en Occident. Les campagnes regorgent de céréales, tel que le fonio, qui présentent l’avantage d’être sans gluten, et les sauces ne sont pas toujours à base d’huile. Il faut communiquer sur la richesse et faire l’éloge des spécialités du pays.
Quand elle ne cuisine pas, la quadragénaire se consacre à la création. En 2021, elle a publié un livre de recettes de goûters pour enfants, Les Recettes de Mamie Akissi (Nimba Éditions), en hommage à sa grand-mère, qu’elle suivait partout. Au marché pour faire les courses, chez ses amies, et surtout derrière les fourneaux. C’est avec elle qu’elle a appris les bases de son art. Prisca Gilbert ouvrira bientôt un centre culinaire des cuisines africaines, lequel aura pour mission la formation professionnelle d’étudiants qui utiliseront des produits locaux. Ce centre disposera d’un restaurant d’application ouvert au public, permettant ainsi aux consommateurs d’en apprendre davantage. ■ J.Z.
LIVRE
LES RECETTES DU CRU
Du littoral aux savanes du nord, cet ouvrage nous emmène dans un VOYAGE CULINAIRE et revisite la cuisine ivoirienne.
AVEC 50 RECETTES DÉLICIEUSES faciles à réaliser, cet ouvrage dévoile une gastronomie locale qui se réinvente. Chaque région détient des traditions culinaires propres à son terroir. Ainsi, au nord, terre de cultures et d’élevage, chez les Sénoufos, on consommera surtout des céréales ou de la viande. Dans les régions côtières, la cuisine est ouverte sur les lagunes et l’activité de la pêche. Et la fabrication de l’attiéké reste leur spécialité. Au centre, chez les peuples akan, agni et baoulé, l’igname se mitonne à toutes les sauces. Enfin, les Ivoiriens étant toujours plus nombreux à vivre à l’étranger – en Europe comme en Amérique –, il est de plus en plus facile pour eux de se procurer des ingrédients du cru. L’attiéké est maintenant vendu sous forme de sachets déshydratés, et on trouve de la pâte d’arachide sur les étalages des supermarchés. Dans cette dernière édition, les auteurs proposent aussi des recettes à base de produits présents dans le pays mais peu utilisés, tels que le lait de coco ou l’ananas, dans des préparations à la saveur salé-sucré. ■ E.P.
PARCOURS CÉCILE FAKHOURY UNE FEMME DE L’ART
Plus de 40 expositions majeures, des artistes confirmés ou émergents… La GALERISTE FRANCOIVOIRIENNE marque de son empreinte la scène contemporaine africaine. À partir d’Abidjan, en passant par Dakar et Paris.
DEPUIS 2012 et l’ouverture de sa galerie à Abidjan, Cécile Fakhoury, bretonne d’origine, ivoirienne d’adoption, panafricaine et globale dans ses ambitions, a largement contribué à valoriser l’art contemporain africain, à le faire connaître et voyager au-delà de ses frontières. Elle est devenue l’une des galeristes de référence, celle qui défriche, celle qui recherche des talents émergents, qui travaille sur le long terme, et qui sait aussi collaborer avec des artistes majeurs. Au fil des années, de cette décade créative, c’est plus de 40 expositions majeures avec toute une génération de créateurs emblématiques, différents dans leur style, leur approche, à l’image de la diversité du continent : Aboudia, Dalila Dalléas Bouzar, Jems Koko Bi, Vincent Michéa, Cheikh Ndiaye, Sadikou Oukpedjo, François-Xavier Gbré, Frédéric Bruly Bouabré, Roméo Mivekannin, et d’autres encore, sans oublier l’immense Ouattara Watts, à cheval entre New York et Abidjan.
En septembre 2012, elle ouvre donc sa galerie au bord de la lagune, entraînée par les hasards heureux de l’existence, son mariage avec Clyde Fakhoury, fils de l’architecte et entrepreneur Pierre Fakhoury. Née dans une famille de galeristes, elle cherche un chemin dans l’art. Abidjan l’interpelle aussi. La ville est traumatisée. Elle se relève du choc des violences électorales de novembre 2010. Cécile est venue plusieurs fois « avant », elle sait qu’il y a une
promesse, un potentiel, une vibration. Elle se met en contact avec des artistes qu’elle connaît. Petit à petit, l’idée d’une galerie s’installe, malgré les obstacles. Elle ouvre à Cocody, dans un espace de 400 m2, moderne, épurée, qui laisse toute leur place aux œuvres. La galeriste s’inspire de ce qu’elle a appris en France sur les méthodes et le marché de l’art contemporain. En particulier faire comprendre l’importance de son métier, celui d’intermédiaire entre les créateurs et les différents acheteurs, privés, institutions, musées… Elle s’occupe de ses artistes, elle dialogue, elle écoute. Elle met en place les conditions de la création. Elle recherche ceux qui ont un discours, ceux qui portent un message. La Côte
Situé à Cocody, l’espace de 400 m2 est épuré et laisse toute leur place aux œuvres.
d’Ivoire, elle, entre alors dans une phase de croissance économique forte. Abidjan redevient l’une des cités phares du continent. Et petit à petit, une place se développe avec des acheteurs motivés. Un véritable écosystème artistique…
En 2018, c’est l’ouverture de la galerie à Dakar, ville créative, ouverte, avec l’émergence de nouveaux collectionneurs. Puis, c’est Paris, en 2021. « Il faut accroître notre visibilité et celle de nos artistes, accroître leur reconnaissance. Il nous faut une ville, une géographie en prise avec le marché et les institutions. Et c’est Paris qui a cette énergie en ce moment ! » disait-elle à Afrique Magazine en octobre de la même année. Abidjan reste évidemment au cœur du projet. C’est la « maison-mère ». Là où naissent les initiatives, d’où fusent les idées. C’est ici qu’en 2020, la galerie a ouvert le Project Space, un espace dédié en grande partie aux jeunes artistes contemporains. Un endroit où s’écrit en quelque sorte l’avenir… ■ Zyad Limam
Elle est devenue celle qui défriche, celle qui recherche, qui travaille sur le long terme et qui sait aussi collaborer.
INTERVIEW
IBRAHIM FERNANDEZ
LE « GEEK » DE LA COUTURE
À la tête de sa propre maison de couture, CET AUTODIDACTE porté au sommet par les réseaux sociaux habille de lin le Tout-Abidjan.
C’EST EN POUSSANT les portes de son showroom d’Angré que nous avons rencontré Ibrahim Fernandez, le couturier chouchou des Abidjanais. Autodidacte, il s’est mis à créer des vêtements à la suite d’un événement tragique. Il a commencé en portant ses propres créations et en partageant les photos sur les réseaux sociaux. Dopé par le succès, il a lancé la marque Zango (signifiant « élégant »), devenue plus tard Ibrahim Fernandez, puis Ibrahim Fernandez Couture. Le « geek » de la couture ivoirienne travaille d’arrache-pied pour émerveiller chaque jour un peu plus ses « nandi », comme il appelle affectueusement ses clients, et a sorti récemment sa nouvelle collection, « The New Tombouctou ». Toute la ville s’arrache ses modèles en lin, qui font fureur dans les soirées mondaines.
Ensuite : Quelles sont vos sources d’inspiration ? Vos matières de prédilection ?
Ibrahim Fernandez : Mes collections sont toujours inspirées des musiques que j’écoute. J’ai réalisé il y a quelque temps une ligne de prêt-à-porter intitulée « Frozen », qui faisait écho à la chanson de Madonna, dont les paroles sont assez sombres, ce que reflétaient mes créations. L’une de mes collections qui a également eu du succès, c’est « Tombouctou », que j’ai rééditée cette année en l’appelant « The New Tombouctou ». C’est un hommage aux femmes du Sahel, qui me fascinent. Je les trouve gracieuses, juste avec leurs étoffes. La couleur dominante qu’elles portent, le blanc, symbolise leur pureté. Cette seconde édition est un peu plus sophistiquée, haute couture, alliant mousseline et soie. Elle est également très accessoirisée. Ma matière de prédilection est le lin. Il est présent dans toutes mes créations. J’aime le travailler sous toutes ses formes. Je le trouve léger, fluide et élégant. Je suis plutôt minimaliste, mon stylisme est assez simple.
Vous avez rapidement réussi à vous créer une place dans l’univers de la mode ivoirienne. Quelles sont les clés de votre succès ?
Mon succès, je le dois aux réseaux sociaux et à ma communauté de clientes. J’ai vite compris qu’en tant que marque, il fallait avoir un réseau déjà établi et un lien avec les internautes. Sur mes comptes Instagram et Facebook, ce sont mes clientes qui portent mes tenues. Je fais très rarement des shootings, parce qu’elles sont mon plus gros coup de pub. J’ai tissé des liens très forts avec elles, et elles me donnent envie de me surpasser. L’autre point qui me distingue est mon imprimé : dès que vous le voyez, vous savez qu’il est de moi. Je ne voulais pas sortir de nouveaux motifs avant que celui-là ne soit assimilé et devienne ma marque de fabrique. J’en suis très fier. Je l’ai créé à partir d’une technique artisanale malienne. C’est un dessin abstrait que l’on tamponne, qui produit des motifs aléatoires. Les imperfections que vous pouvez observer sont voulues, et donnent à l’habit son caractère unique. Quel regard portez-vous sur l’univers de la haute couture ?
Des noms connus, comme ceux de Gilles Touré ou Elie Kuamé, ont su faire briller le pays sur la scène internationale. Et de plus en plus de jeunes talentueux, ambitieux, avec de nouvelles approches, s’imposent. Le marché est vaste, et il y a de la place pour tout le monde ! C’est de la saine concurrence, qui nous pousse à nous réinventer sans cesse. Les jeunes ont très vite compris ce qu’il fallait faire, et ouvrent leurs showrooms dès le début. Avant, on restait longtemps dans nos ateliers avant d’oser s’établir. Les Ivoiriens ont envie de s’habiller made in Côte d’Ivoire. Ils veulent des pièces originales, uniques, et authentiques. Grâce à tout cela, le milieu de la mode est en plein essor, et nos clients sont ravis de nous soutenir dans nos projets. ■ Propos recueillis par Jihane Zorkot
Situé à Abidjan ( Côte d’ivoire ) en bordure de la lagune Ebrié, dans la commune de Cocody, Waterfront est le complexe résidentiel où vivre l’exception au quotidien prend tout son sens. Waterfront est la promesse d’une nouvelle expérience, où chaque détail exceptionnelle.
récit IL ÉTAIT UNE FOIS ABIDJAN
À l’origine, c’était un petit village, dans l’ombre de Grand-Bassam, premier point d’entrée colonial. Aujourd’hui, la troisième ville francophone du monde après Kinshasa et Paris s’impose comme un hub global, le centre névralgique de l’économie nationale, un véritable melting-pot de cultures et de peuples. La « Perle des lagunes », fiévreuse et tentaculaire, fascine, attire, se forge sa propre identité. Retour sur l’histoire de « Babi » et les événements qui ont façonné un destin hors norme. par Élodie Vermeil
Inauguration du nouveau port le 8 février 1951.
Selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat effectué par l’Institut national de la statistique de Côte d’Ivoire, en 2021, les dix communes d’Abidjan (Abobo, Adjamé, Attécoubé, Cocody, Koumassi, Le Plateau, Marcory, Port-Bouët, Treichville et Yopougon) et ses quatre sous-préfectures (Anyama, Bingerville, Brofodoumé et Songon) comptent en tout 6 321 017 habitants, soit environ un cinquième de la population du pays. Difficile d’imaginer que ce centre urbain n’existait pas au début du XXe siècle et que, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle n’était encore qu’une petite bourgade coloniale de quelque 20 000 habitants.
Ville la plus peuplée de l’Afrique de l’Ouest francophone, Abidjan est aussi la troisième ville francophone du monde (derrière Kinshasa et Paris, et devant Montréal) et la deuxième métropole la plus peuplée de la région ouest-africaine (après Lagos). Un essor fulgurant, que son passage de capitale administrative et politique à capitale économique en 1983, ainsi que les nombreux atermoiements autour du transfert effectif de son administration à Yamoussoukro, n’ont en rien freiné, bien
au contraire. Et d’autant moins depuis l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara, sous l’égide duquel la cité a opéré son grand retour sur la scène internationale, après des décennies de troubles sociopolitiques.
Corollaire de ce développement phénoménal, « Babi », véritable « salle des machines » du pays (en 2015, le district d’Abidjan représentait déjà 60 % du PIB national), se retrouve aujourd’hui confrontée aux problématiques que partagent la plupart des grandes villes africaines (explosion démographique, pénurie de logements, urbanisation sauvage, insalubrité, problèmes de mobilité et d’approvisionnement en nourriture et en énergie, etc.), et grandit plus vite qu’il est possible de la penser et de l’admi nistrer, « digérant » progressivement ses voisines (Bingerville, Grand-Bassam, Jacqueville, etc.), désormais plus ou moins assimilées à des satellites de la « ville-mère ». Pourtant, cette « fille du fer et de la mer » (en référence au tracé de la voie ferrée et au percement du canal de Vridi, deux événements majeurs qui ont marqué son histoire et forgé son destin) continue d’exercer un attrait indéniable sur les États de la sous-région et au-delà, et reste une destination panafricaine incontournable pour se chercher, se trouver, travailler et s’enjailler.
À L’ORIGINE
D’après une légende communément admise et répandue, le nom d’Abidjan (d’abord appelée et orthographiée « M’Bidjan », puis « Abijean ») serait une création française née d’un quiproquo. Une petite fable tenace raconte en effet que, à l’époque où explorateurs, militaires, capitaines de mission et topographes sillonnaient la région afin de déterminer l’endroit le plus approprié à la construction d’un port intérieur et d’établir un tracé pour la voie de pénétration ferroviaire à travers le territoire, l’un d’eux croisa dans la forêt qui s’étendait alors près de l’actuelle baie de Cocody un vieil homme (ou une vieille femme, c’est selon) qui revenait des champs, les bras chargés de branchages feuillus destinés à la réfection du toit de sa case. À la question de l’étranger égaré voulant savoir où il se trouvait, l’autochtone, ne comprenant pas la langue du colon, et imaginant sans doute qu’il avait à se justifier de sa présence en ces lieux, aurait candidement répondu : « N’tchan M’bidjan ! » (« Je reviens de couper des feuilles » en langue ébriée), avant de s’enfuir. L’Européen, qui avait simplement demandé le nom du village le plus proche, aurait consigné l’exclamation déformée dans son calepin et déclaré par la suite que le village en question
Ce cliché de 1958 montre l’ancien pont flottant, à gauche, avant sa disparition au profit du pont Félix Houphouët-Boigny, au centre.
s’appelait Abidjan. La réalité, bien que moins folklorique, a le mérite de restituer aux peuples originels de la Perle des lagunes la paternité de l’appellation retenue par l’administration et l’histoire : « Abidjan » était tout simplement le nom de l’endroit où vivaient les Bidjans, une branche du groupe ethnique des Tchamans – aujourd’hui connus sous le nom d’Ébriés –, probablement issu d’une fusion de groupes indigènes et de migrants
Difficile d’imaginer que ce centre urbain n’existait pas au début du XXe siècle et qu'il ne comptait que 20 000 habitants.
d’origines diverses, dont l’éclatement pour raisons politiques dispersa une dizaine de sous-groupes (Badjin, Bago, Bidjans, Bobo, Diepo, Kwè, Niangon, Nonkwa, Songon, Yopougon, etc.) le long de la lagune Ébrié. Injustice de l’histoire, les Bidjans ont semble-t-il eux-mêmes été précédé, sur le territoire qu’ils baptiseront Abidjan, d’une population de pêcheurs dont tout le monde a oublié le nom… Ces derniers ont fini par être assimilés aux Cocoli – véritable nom de l’actuelle Cocody –, descendants d’un peuple ancien vivant depuis longtemps de la pêche en lagune Ébrié, que les Bidjans ont intégrés à leur ensemble et reconnaissent officiellement comme étant les premiers occupants. Dans leurs exodes successifs, les membres de ce groupe composite ont essaimé d’Abobo-Baoulé à l’actuel zoo, avant de migrer vers l’emplacement du futur Plateau, puis vers Lokodjro, pour s’établir définitivement dans l’actuelle commune d’Adjamé.
À l’époque de cette rencontre présumée entre l’autochtone et son interlocuteur, Abidjan n’était encore qu’un agrégat de petits villages de pêcheurs, et plusieurs décennies se sont écoulées avant qu’elle devienne la tête de pont de l’une des colonies les plus florissantes de l’Afrique-Occidentale française (AOF), puis incarne le « miracle ivoirien ». Une volonté qui a orienté son développement dans une direction purement utilitaire, doublée d’une vocation de représentation alimentant une rhétorique officielle de l’extraordinaire inscrite dans son ADN.
Connue des navigateurs portugais depuis le XV e siècle, Grand-Bassam attisa la convoitise de la France dès le XIXe siècle : avec Assinie (premier point d’ancrage des Français en Côte d’Ivoire) et le Gabon, il avait en effet été répertorié parmi les sites côtiers du golfe de Guinée dignes d’intérêt commercial. Dans le contexte de course aux comptoirs qui l’opposait alors aux autres nations européennes – particulièrement la Grande-Bretagne –, la France concrétisa ses prises de contact antérieures par le biais de traités passés avec les chefs des régions lagunaires. Le 19 février 1842 fut ainsi signé un document qui « [concédait] au roi des Français, en toute souveraineté, le pays et la rivière de Grand-Bassam », et aux Français « le droit d’y [construire] toute bâtisse et fortification qu’ils [jugeraient] utiles […] ». En échange, « la France [accordait] une protection au roi et à son peuple » et s’engageait à verser une coutume annuelle aux signataires bassamois. La prise de possession officielle du territoire de Bassam par la France eut lieu le 28 septembre 1843. Les toutes premières factoreries, points de traite fixes que les navires desservaient régulièrement, s’installèrent autour du fort, drainant bientôt une population venue de toute l’Afrique de l’Ouest. Une implantation qui n’alla pas sans heurts, la politique répressive des Français et leur volonté manifeste de contrôler le pays aboutissant bientôt à un soulèvement général de tous les groupes ethniques du bas Comoé et de la lagune. Commença alors une période d’occupation, freinée par quelques rébellions sporadiques et une alliée inattendue : la fièvre jaune, dont deux épisodes, en 1852 et 1857, décimèrent une bonne partie de la population européenne. En dépit de ce fléau sanitaire, et malgré
les affrontements répétés qui rythmaient en ce temps-là les rapports franco-bassamois, l’activité commerciale du petit comptoir connut un développement prodigieux. Aussi, lorsque la Côte d’Ivoire fut érigée colonie en 1893, Grand-Bassam, qui absorbait alors les deux tiers du commerce de la Côte de l’Or française, devint naturellement son chef-lieu. Un statut auquel l’épidémie de fièvre jaune particulièrement meurtrière de 1899, fauchant les trois quarts des Français présents, porta un coup fatal.
TROIS CAPITALES POUR UNE COLONIE
Dès 1897, son caractère quasi endémique poussa l’administration coloniale à envisager le transfert de son chef-lieu vers un site plus apte à accueillir les Européens, en même temps qu’elle étudiait la question de la création d’un port relié aux localités de l’intérieur du pays et à l’hinterland par le chemin de fer, et à la mer par un canal de jonction. Parmi les choix retenus, Drewin (non loin de Sassandra, sur la côte ouest) et Abidjan-Santé. À une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Grand-Bassam, ce site présentait, en plus de sa configuration en baie, l’avantage d’être dominé par une colline de 30 mètres de hauteur, se prêtant « merveilleusement à l’installation d’une ville salubre bâtie en amphithéâtre ». La seule difficulté résidant dans le « creusement d’un canal de 1 km environ à travers la langue de sable qui sépare la mer de la lagune […], la création d’un port et d’une capitale à Abidjan [offrait] donc cet immense avantage de ne rien changer aux habitudes commerciales de la Colonie », comme le précisait le capitaine du génie Maurice Houdaille dans un rapport adressé au ministère des Colonies en 1899. Le 30 août 1897, la décision d’ériger Abidjan-Santé en capitale définitive de la Côte d’Ivoire fut communiquée à l’administration. Le 15 août 1900, en attendant que le lieu retenu soit doté de toutes les infrastructures nécessaires à une installation pérenne des Européens, la capitale fut provisoirement transférée sur un plateau en hauteur situé entre les villages d’Akwè-Santé et d’Akwè-Adjamé, qui fut baptisé du nom tchaman d’Adjamé-Santé avant d’être renommé Bingerville en hommage au premier gouverneur de la colonie, Louis-Gustave Binger. « Cité-dortoir » de transition et centre administratif sans vie réelle, Bingerville ne menaça jamais l’hégémonie de Grand-Bassam, qui continua de jouer un rôle économique de premier plan jusque vers 1930 et n’enregistra plus aucune épidémie de fièvre jaune à compter de 1904, année où furent achevés les travaux de remblaiement des zones marécageuses entourant la ville. La colonie de Côte d’Ivoire se retrouvait ainsi dotée de trois capitales : Grand-Bassam, capitale économique ; Abidjan, futur chef-lieu ; et Bingerville, capitale intérimaire qui serait abandonnée sitôt les travaux de percement du cordon littoral et de construction du port achevés. Ces derniers furent autorisés par décret en 1903, et la construction de la voie ferroviaire et du port fut lancée en 1904.
Le creusement du canal – préalable indispensable à l’établissement d’un port intérieur destiné à faire d’Abidjan un grand
centre commercial capable de damer le pion à Grand-Bassam –, mis en échec par des ensablements répétés, cristallisa les divergences d’opinions des administrateurs sur la pertinence du choix du futur chef-lieu. Si, parmi eux, beaucoup plaidaient en faveur de Bingerville et de ses nombreux atouts naturels (carrières de sable et de pierre facilitant l’urbanisation, nombreuses sources d’eau potable pour alimenter les Européens, altitude supérieure à celle d’Abidjan-Santé favorisant des températures plus clémentes ainsi qu’une meilleure salubrité, etc.), d’autres souhaitaient en revanche le retour au statu quo et le reclassement de Bassam. Galvanisée par l’inauguration de son wharf en juillet 1901, puis l’assainissement de ses environs, la cité commerciale, qui jouissait par ailleurs d’un excellent réseau de cours d’eau, abrita dès 1908 la direction des douanes et le tribunal de première instance, ainsi que de nouveaux services administratifs comme le Trésor. Après la Grande Guerre, elle connut une période particulièrement faste portée par l’industrie du bois.
LE SACRE DE LA CITÉ
Pendant ce temps, les travaux de construction du chemin de fer et le lotissement d’Abidjan allaient bon train. Bientôt, la capitale en devenir hébergea les Douanes, les PTT, l’Église catholique, l’armée, etc. Dès 1904, les villages tchamans occupant le site de l’actuel Plateau furent déplacés pour permettre l’aménagement du terre-plein destiné à accueillir les entreprises
commerciales de la colonie. Cette annexion progressive, menée entre 1904 et 1934, aboutit à la création d’une « cité blanche », érigée sur une parcelle de terre « protégée » des agglomérations indigènes par la lagune Ébrié au sud, les baies du Banco et de Cocody à l’est et à l’ouest, et les camps militaires Mangin et Galliéni au nord. La première phase de développement d’Abidjan était lancée. En 1912, le commandant du cercle des lagunes, qui jusque-là siégeait toujours à Bassam, y transféra sa résidence. La petite bourgade coloniale, bâtie sur le principe de la ségrégation raciale et résidentielle, comptait alors 1 400 habitants, essentiellement concentrés à Treichville (cité noire ouvrière) et au Plateau (cité blanche administrative).
Promenade du président Félix Houphouët-Boigny (en blanc), au Plateau, le 9 janvier 1986.
Pour le premier président, il s’agit d’affirmer l’ambition du pays, la singularité de la réussite ivoirienne.
Le 28 novembre 1920, le Conseil de gouvernement de l’AOF entérinait la décision de faire d’Abidjan le chef-lieu de la Côte d’Ivoire. Le nouveau wharf de Port-Bouët – ouvert en 1927 pour désengorger celui de Grand-Bassam –, relié au chemin de fer en 1931, acheva de parer la ville de tous les attributs d’un grand centre économique et commercial. Les navires de fret se détournèrent peu à peu de Bassam pour se diriger directement vers Port-Bouët, qui devint un relais privilégié de diffusion des produits européens vers l’intérieur du pays, favorisée par une présence libanaise grandissante. En 1928, un premier plan d’urbanisme fut rendu public et, en 1931, Le Plateau et Treichville furent reliés l’un à l’autre par un pont métallique flottant qui remplaça le bac utilisé jusqu’alors (cette passerelle mobile fut elle-même remplacée en 1957 par le pont Félix Houphouët-Boigny). Cette même année, un premier adressage des rues fut mis en place tandis que l’on adopta un système de numérotation pour les quartiers indigènes (Treichville et Adjamé, notamment). En 1933, les principaux bâtiments administratifs, sociaux et religieux du Plateau étaient achevés : cathédrale SaintPaul (1913), hôpital central (1918), palais du gouverneur (1932), hôtel Bardon (1933), devenu par la suite hôtel du Parc – le premier d’Afrique francophone à être climatisé, où travailleront les premiers barman et maître d’hôtel du continent…
Le 1er juillet 1934, Abidjan, érigée chef-lieu de la colonie par le décret du 10 août 1933, reçut son statut définitif de nouvelle capitale officielle, décrite en ces termes par le gouverneur Reste lors de la fête du transfert, le 17 août 1934 : « Regardez la carte, jetez un regard sur toutes ces routes, routes créatrices de vie, routes porteuses qui partant des rives de l’océan vont jusqu’à l’intérieur des terres de peuples. Voyez […] Abidjan, la capitale que nous fêtons aujourd’hui, la grande ville de l’avenir, car le jour est proche où les navires mouilleront dans son port : alors elle deviendra le grand entrepôt de tout un monde […]. Le transfert que nous fêtons aujourd’hui est plus qu’un acte administratif ; c’est un symbole. […] C’est la nouvelle porte d’entrée, largement ouverte à tous les hommes de bonne volonté, à tous ceux qui voulaient contribuer à la grandeur de la France » : maind’œuvre sous-régionale bien sûr, pour construire et construire encore. Et, plus tard, jeunes gens de la « génération 1940 », qu’une partie de la classe politique encouragea vivement à s’expatrier pour faire fructifier en espèces sonnantes et trébuchantes les opportunités offertes par ce Far South, alors pièce maîtresse de l’Union française.
« TOUJOURS PLUS HAUT GRÂCE À LA MER »
La devise Mari semper altior a été adoptée par l’administration coloniale pour souligner la vocation portuaire qui a fait la grandeur et l’importance sous-régionale d’Abidjan. En effet, si le chemin de fer, figure de proue du développement de la Côte d’Ivoire, a permis la naissance de la capitale, c’est au port qu’elle doit réellement son essor fulgurant. En juillet 1950, après quasiment un demi-siècle d’échecs, d’études, de remaniements, de reports et d’interruptions, le canal de Vridi était enfin ouvert au trafic – en présence d’un certain François Mitterrand, alors ministre de l’Outre-mer –, offrant aux navires l’immense plan d’eau abrité de la lagune, particulièrement propice aux opérations de manutention. Sept mois plus tard, en février 1951, était inauguré le port d’Abidjan, dont les quais peuvent accueillir des navires à fort tirant d’eau. L’installation officielle de la cour d’appel (qui jusque-là siégeait à
En 1970, le cœur d’Abidjan se dessine, et les bâtiments qui feront du Plateau le quartier des affaires s’implantent. Conçue par l’Italien Rinaldo Olivieri, la Pyramide, alors en construction, est l’un des premiers édifices de grande hauteur qui y est construit et l’un des plus connus grâce à son architecture novatrice.
Grand-Bassam) en décembre 1954 a marqué la fin des opérations de transfert entamées en 1934, tandis que l’achèvement, en 1955, des 1 150 km de voie ferrée reliant Abidjan à Ouagadougou et desservant un arrière-pays généreusement pourvu en matières premières, consacrait la suprématie de la nouvelle capitale. Il semble que plus rien désormais ne peut enrayer le développement économique et industriel de ce « petit pays de cocagne » qui a vu sa population tripler entre 1950 et 1960, et dont la croissance, dès lors, sera toujours sous-estimée. Sous l’égide du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, qui est aussi depuis 1956 le premier maire de la commune de plein exercice, Abidjan – qui compte alors environ 200 000 habitants – devient la « vitrine » de l’Afrique de l’Ouest, se parant d’attributs qui symbolisent la réussite du pays.
La commune du Plateau est choisie pour assurer cette fonction de représentation et alimenter la rhétorique du mythe abidjanais. Cœur névralgique de la cité, cet « hypercentre » sera
Cœur névralgique de la cité, cet « hypercentre » sera par la suite celui de la Côte d’Ivoire indépendante, et les autorités feront abattre une partie de son bâti colonial.
par la suite celui de la Côte d’Ivoire indépendante, et les autorités feront abattre une partie de son bâti colonial pour le remplacer par des ouvrages prestigieux traduisant dans le béton et le verre l’idéal d’une société moderne inspirée du rêve américain. Dans l’euphorie économique des « vingt glorieuses » qui s’ouvrent alors, rien n’est trop beau pour la Perle des lagunes, et le président-bâtisseur s’adjoint les services de nombreux talents qui, ensemble, contribuent à créer ce Manhattan des tropiques au profil reconnaissable entre tous. C’est également là que sont réunies toutes les institutions liées à la vie politique, économique et sociale du pays : palais présidentiel, ministères, palais de justice, Assemblée nationale, Cour suprême, état-major des Forces armées, directions générales des douanes et de la sûreté, radio nationale, hôtel de ville, etc. Si la construction d’Abidjan en général et du Plateau en particulier est intimement liée à celle du jeune État, elle est aussi le reflet d’une certaine vision du pouvoir chère à son premier président, et d’une farouche volonté d’affirmation nationale : à travers ces aménagements somptuaires, il s’agit d’afficher la singularité de la réussite ivoirienne en Afrique de l’Ouest. « Félix Houphouët-Boigny a toujours projeté le pouvoir comme quelque chose de grand et de sacré, analyse le sociologue Rodrigue Koné. L’architecture de l’époque traduit très bien cette vision, notamment le palais présidentiel en forme de siège royal akan, qui fut érigé en lieu et place de l’ancien palais du gouverneur. Le Plateau concentre un moment de gloire économique du pays et symbolise cette notion de grandeur du pouvoir qui rencontrait les défis de la construction d’une Côte d’Ivoire moderne au lendemain de l’indépendance. »
« BABI » LA DYNAMIQUE ET « YAKRO » L’ENDORMIE
Cette ambition à incarner d’abord un hub commercial et industriel d’envergure, puis l’idéal d’une société capable de soutenir la comparaison avec l’Occident porte aussi en elle les prémices d’une forme de « dérèglement de la cité », développée selon une trame et une vision qui ne prennent pas en compte la sociologie fondamentale des lieux et ne correspondent pas aux modes de vivre et d’habiter locaux. À la ville coloniale (19301950) ont succédé la ville portuaire (1950-1970), les villes nouvelles (1970-1990), puis la mégapole (depuis 1990), dont l’accroissement en tache d’huile favorise l’émergence – dans les « vides » laissés par ses nouveaux foyers de peuplement (Koumassi l’industrieuse, Cocody la résidentielle, Yopougon la populaire, Abobo la marginale, etc.) – d’une sorte d’urbanisme aléatoire qui s’autogénère dans l’urgence, échappant à tout contrôle. Abidjan est un organisme vivant qui croît en absorbant tout sur son passage, mais la ville continue d’exercer un pouvoir d’attraction inhérent à son histoire, aujourd’hui largement alimenté par la puissance du soft power ivoirien. Preuve suprême de son inaltérable attractivité, le transfert de la capitale du pays d’Abidjan à Yamoussoukro, acté par la loi no 83-242 du 21 mars 1983 et rendu applicable en 1997 sous la présidence d’Henri Konan Bédié, fait partie de ces dossiers en souffrance
hérités par chaque chef d’État depuis la mort du Vieux. La Perle des lagunes a beau clairement étouffer et la « Perle des savanes » être prête à lui apporter une bouffée d’oxygène salvatrice, dans les faits, nul ne semble partant pour aller vivre à Yamoussoukro, bourgade provinciale endormie qui constitue tout au plus une échappée belle dépaysante où aller respirer le « bon air » le temps d’un week-end. Quelques jalons ont bien été posés ces dernières années – le plus investi dans ce projet de transfert, pour des raisons politiques évidentes mais peut-être aussi en raison de sa formation d’historien, restant paradoxalement Laurent
Gbagbo –, avec la construction de l’hôtel des Parlementaires, la délimitation de la zone politique et administrative, un Parlement inachevé et l’installation sur place de la Chambre des rois et des chefs traditionnels, etc. Mais Abidjan continue de concentrer l’essentiel du pouvoir économique, judiciaire, militaire et politique, et ne semble pas près de céder sa couronne.
L’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011 va même entraîner une formidable revitalisation de la ville, avec la rénovation du patrimoine de l’État, la mise en place de nombreux chantiers d’infrastructures, la construction de nouveaux ponts
au-dessus des eaux de la lagune, une autoroute de contournement, le développement de nouveaux quartiers à Riviera, en Zone 4, près de l’aéroport, ou encore l’extension récente de son port… La ville s’est largement réouverte au monde avec ses restaurants, ses galeries d’arts, ses hôtels de luxe, restaurés ou récents, ses lieux de nuits endiablées. Et elle se prépare à accueillir dans quelques mois la Coupe d’Afrique des nations de football. Abidjan n’a pas fini de mener la danse, et dans les eaux troubles de sa lagune, les Mami Wata chantent toujours, attirant à elles une foule d’Ulysse charmés par ses promesses… ■
Elle croît comme un organisme vivant, absorbant tout sur son passage, exerçant un formidable pouvoir d’attraction lié à son histoire, à sa dimension, à son « soft power ».
La commune du Plateau, fin 2022, au cœur de la lagune.
Le ministre dans son bureau.
interview
Bruno Koné Prendre en compte le Grand Abidjan
À
l’horizon 2030, près de 10 millions de personnes vivront dans une conurbation qui s’étendra de Jacqueville (à l’ouest) à Assinie (à l’est). Entretien avec le ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme sur les défis et les opportunités d’une « ville en vie », en mutation constante. propos recueillis par Zyad Limam
Ensuite : Quel est votre rapport personnel à Abidjan ?
Bruno Koné : J’y vis depuis mes 20 ans, depuis mes années d’étudiant. Je l’ai connue relativement tard. Quand je m’y suis rendu pour la toute première fois en vacances, je devais avoir 17 ans. Par contre, j’ai eu la chance et le privilège de bien connaître mon pays, à travers les nombreux voyages effectués pendant mon enfance au gré des affectations (Korhogo, Bouaké, Sassandra, Daloa, Boundiali, Bouaflé, Dimbokro, Bongouanou…) de mon père, agent de l’État. C’est de cette façon que j’ai eu la chance de découvrir le pays profond, et cela laisse évidemment des souvenirs impérissables. Aujourd’hui, lorsque je retourne dans ces cités, je suis témoin des changements qui ont eu lieu en quarante ans, et j’apprécie mieux ce qu’il y a à faire pour corriger les faiblesses infligées par l’usure du temps et les perturbations de l’évolution sociopolitique de notre pays. À quoi ressemblait Abidjan lorsque vous aviez 17 ans ?
C’était déjà une ville relativement moderne, magnifique. Je la connaissais à travers les photos, la télé, les journaux, les cartes postales… Tout le monde rêvait d’y venir un jour. Et comme j’y étais en vacances et que je n’avais pas beaucoup d’argent, c’est en bus et à pied que j’ai découvert le Plateau avec son architecture très moderne pour l’époque, le quartier chic de Cocody, la bruyante et très commerçante commune de Treichville, PortBouët avec la mer et ses plages, etc.
pouvez observer dans toute la ville. Les plans d’urbanisme et les taux d’occupation du sol ont aussi été revus pour la plupart des quartiers afin de favoriser un habitat plus dense, d’avoir une cité qui « s’étale » moins. Ainsi, par exemple, les nouveaux aménagements et lotissements requièrent désormais une autorisation expresse de l’État avant d’être exécutés. C’est une innovation majeure qui a le mérite d’encadrer l’évolution de la ville. Le plan directeur 2016 est-il toujours d’actualité ?
Pour être franc, il est en grande partie dépassé, mais tant qu’il n’est pas remplacé, il reste applicable. Un schéma directeur d’urbanisme pris sans les plans de détail qui vont avec est généralement peu efficace. C’est cette extension qui manque depuis 2016. Nous sommes en discussion avec des partenaires au développement (dont l’Agence japonaise de coopération internationale et la Banque mondiale) pour réviser ce schéma et, surtout, l’accompagner des plans de détail qui le rendront opérationnel. Quels seront les axes principaux de cette nouvelle version ?
Nous avons aujourd’hui l’impression d’une croissance sans limite. Cette situation est-elle maîtrisable ?
Tout à fait. Et nous y travaillons en tant que pouvoirs publics. Entre 1990 et 2010, il y a eu quasiment deux décennies de laisser-aller en matière de développement urbain à Abidjan, mais aussi dans la plupart des villes ivoiriennes. Les règles d’urbanisme, de planification, etc. n’étaient pas entièrement observées. Les choses ont peu à peu échappé à l’État, et les populations se sont installées partout, de façon souvent anarchique. En matière d’urbanisme, les erreurs ne se corrigent pas d’un coup de baguette magique. Aujourd’hui, nous devons assumer certains aspects de cette évolution quelque peu désordonnée, tout en continuant à corriger là où cela est possible. C’est ce qui se fait en particulier à travers les grands travaux que vous
Nous allons prendre en compte le concept du Grand Abidjan, un ensemble urbain cohérent qui s’étendra de Jacqueville (à l’ouest) jusqu’à Assinie (à l’est) et inclura les dix communes d’origine d’Abidjan, les quatre proches (Bassam, Anyama, Bingerville et Songon), ainsi que Jacqueville, Bonoua, Azaguié, Dabou et Alépé. Cet espace rassemble actuellement près de 7 millions de personnes. À l’horizon 2030-2035, ce chiffre atteindra plus de 10 millions. Cette révision prendra en compte tous les éléments qui caractérisent la ville : l’habitat, les loisirs, la mobilité et le travail. Une attention particulière sera accordée à l’habitat, surtout près des zones industrielles, afin de faciliter la mobilité. Il faut promouvoir les commerces et le résidentiel autour des pôles économiques. Nous allons également améliorer les voies de circulation. Le chantier de la voie express Y4 de contournement d’Abidjan – le « périph » en quelque sorte – avance. Deux nouveaux ponts sont prévus dans le futur, entre Koumassi et Bingerville et entre Eloka (côté Bingerville) et Bassam. Le 4e pont (Yopougon-Attécoubé-Plateau) et le 5e (Cocody-Plateau) sont en cours d’achèvement. Le métro sera construit sur 37 kilomètres du nord au sud pour la ligne 1, et de l’est à l’ouest (de Yopougon à Bingerville) pour la ligne 2. Enfin, la mise en place du Bus Rapid Transit (BRT), couplée au développement du transport lagunaire, permettra aux populations de circuler beaucoup plus aisément. C’est une vraie révolution urbaine qui s’opère ! Que répondez-vous au citoyen qui « râle », confronté aux embouteillages et aux difficultés liés à ces travaux ? Qu’il faut encore être patient cinq ou dix ans ?
Pas du tout ! Aujourd’hui, certains râlent, comme vous dites, car beaucoup de chantiers ont été entamés en même temps pour combler les lacunes et les retards du passé, et que ces travaux d’ampleur se font dans une ville « en vie », active et très
Nous mettons l’accent sur la planification à moyen et à long terme, sur une occupation spatiale plus cohérente.
dynamique, ce qui est particulièrement complexe. D’ici la Coupe d’Afrique des nations de janvier 2024, les choses devraient nettement s’améliorer, avec la finalisation de nombre de ces projets. Et surtout, ces grands travaux sont un atout sur le long terme ; ils accroîtront la compétitivité d’Abidjan sur tous les plans et amélioreront sensiblement le cadre de vie des populations. Et nous serons de plus en plus en mode « anticipation » au lieu d’être, comme c’est le cas aujourd’hui, en mode « rattrapage ». Que se passera-t-il pour les quartiers anarchiques, ceux que l’on pourrait qualifier de précaires ?
Comme je l’ai dit précédemment, nous devons composer avec un certain nombre d’évolutions pour lesquelles nous sommes mis devant le fait accompli. C’est un travail de longue haleine. Dans le cadre du programme de restructuration des quartiers précaires, nous allons apporter des aménagements et des équipements publics dans ces zones denses et difficiles. Dans certains cas, l’accès à la propriété foncière pourra être facilité. Des opérations pilotes ont été ciblées et, en cas de résultats probants, ce type d’aménagement pourra être étendu à d’autres zones de la ville. Une réponse forte à la « tâche urbaine » constituée par ces quartiers précaires réside, sans aucun doute, dans l’accroissement de la production de logements, en particulier de logements économiques et sociaux accessibles aux moins nantis, ce qui est une autre priorité du gouvernement pour les prochaines années.
Comment équilibrer le rapport entre Abidjan et les villes secondaires ?
Beaucoup de villes secondaires sont en forte croissance et sont, plus qu’avant, prises en compte dans nos plans d’urbanisation. Elles sont l’un des points clés du Plan national de développement (PND) 2020-2030, dont l’un des piliers vise le renforcement de l’action des régions. C’est autour de ces villes que doivent s’articuler les nouveaux pôles économiques régionaux pour attirer les populations et les investisseurs, tout en fixant les jeunes sur place. À ce jour, nous disposons de plans d’urbanisme directeurs pour tous les chefs-lieux de région, soit une trentaine de villes, et le gouvernement vient d’autoriser la réalisation de plans d’urbanisme pour 80 autres villes, dont tous les chefs-lieux de département. La plupart d’entre elles n’avaient jamais eu de plan d’urbanisme ou disposaient d’un plan obsolète. Les populations s’installaient là où elles pouvaient, les parcelles prévues pour les équipements publics étaient squattées et, dans certains cas, morcelées et affectées à d’autres usages, ce qui provoquait désordres, conflits, litiges, etc. et donnait à voir des ensembles urbains déstructurés, sans âme et difficiles à vivre. Désormais, nous mettons l’accent sur la planification à moyen et à long terme, sur une occupation spatiale plus cohérente, qui promeut la croissance des activités économiques et l’amélioration du cadre de vie.
Avez-vous progressé en matière de sécurisation du foncier en milieu urbain ?
Les choses évoluent positivement depuis la réforme de l’Arrêté de concession définitive (ACD) de 2013. C’est un titre foncier officiel et définitif que vous remet l’État et qui fait de vous un propriétaire, avec des droits pleins et protégés. De 2013 à 2019, nous avions une moyenne de moins de 10 000 ACD délivrés par an au plan national. Depuis 2020, après tous les efforts réalisés, nous sommes passés au-delà de 30 000 ACD par an. Ainsi, 60 % des ACD délivrés depuis 2013 l’ont été sur les trois dernières années. Nous en sommes heureux, car c’est autant de personnes dont les droits sont désormais sécurisés et dont les capacités économiques ont été accrues, avec l’accès facilité au crédit hypothécaire. La prochaine étape, essentielle, est celle de la numérisation complète de la chaîne foncière. La délivrance des premiers documents traités de bout en bout dans ce nouveau dispositif devrait démarrer début 2023. Cette évolution va accroître la rapidité et l’efficacité du processus, sans aucunement affaiblir la sécurité de la chaîne. Des recherches par mot-clé, ville, lotissement, etc. pourront être effectuées, et un accès en ligne et en temps réel est prévu pour tous les acteurs (demandeurs, notaires, banquiers, professionnels de la construction…).
Attécoubé, Anoumabo, Treichville… L’objectif est ensuite de montrer aux autorités coutumières de ces localités, aux détenteurs de droits coutumiers ou aux propriétaires fonciers tout l’intérêt que représentent ces opérations de rénovation, qui leur permettront de tirer un plus grand bénéfice de leur parcelle, en se logeant mieux et/ou en en tirant des revenus locatifs. Il s’agit de projets complexes avec des aspects sensibles de droit, de finance, d’économie, de sociologie et d’histoire, etc., ce qui peut expliquer certaines incompréhensions. Mais nous n’avons aucun doute. Il s’agit là d’opportunités pour tous, pour l’État et pour la ville, et pour les propriétaires, dont le niveau de vie peut être sensiblement amélioré.
La sécurité des constructions est un autre sujet très important. Quels changements majeurs ont été engagés ?
Le titrement massif va lui aussi permettre, dès l’attribution d’un lotissement, d’en immatriculer tous les lots, ce qui représente, à la fois pour l’administration du foncier et les demandeurs, un gain de temps énorme et une réduction substantielle des efforts fournis. L’objectif, à terme, est de délivrer un ACD dans un délai d’un à trois mois maximum. Qu’en est-il des propriétés dites coutumières par rapport à l’ambition de rénovation urbaine ?
Nous dialoguons avec les autorités coutumières et tous les concernés. Il s’agit d’abord de leur montrer l’avantage qu’ils ont à accompagner les efforts de sécurisation menés par l’État, et l’importance, dans un environnement qui se modernise, de détenir un titre de propriété. Très souvent, les parcelles occupées ont un potentiel foncier très important, avec a contrario un bâti de faible valeur. C’est le cas dans de nombreux villages et noyaux anciens d’Abidjan : Blockhauss, Anono, Biafra, Adjamé Village,
Le Code de la construction et de l’habitat adopté en 2019 a déjà radicalement changé la donne. Il impose plusieurs éléments qui permettront d’atteindre le niveau quasi zéro en matière de risque d’effondrements. L’intervention d’un architecte est désormais obligatoire pour toute construction en milieu urbain, et le permis de construire est impératif. Celui-ci est délivré par une équipe pluridisciplinaire qui étudie tous les aspects de la construction envisagée, exclut les projets en zone non ædificandi et s’assure de l’implication d’un architecte. Et pour ceux jugés complexes (au-delà de deux étages, avec sous-sol, bâtiments recevant du public…), d’un ingénieur-conseil, d’un bureau d’études et d’un bureau de contrôle. Un travail d’éducation et de sensibilisation se fait, surtout pour montrer la plus-value apportée par chacun de ces spécialistes. Nous avons, dans le même temps, renforcé le contrôle et les sanctions, qui peuvent aller jusqu’à la démolition, aux frais du maître d’ouvrage du bâtiment non conforme. Alors que pour la seule année 2020, notre pays avait comptabilisé 11 effondrements, en 2021 et en 2022, nous n’en sommes qu’à cinq, même si, bien évidemment, chaque effondrement est de trop et que nous continuons de viser l’objectif de zéro.
La multiplication des structures de contrôle n’est-elle pas une porte ouverte à la corruption ?
Les résultats obtenus au niveau de la sécurité des constructions et les retours que nous avons montrent que les choses évoluent dans le bon sens. Par ailleurs, nous avons lancé, il y a quelques mois, la Plateforme collaborative de contrôle des constructions (PCCC), qui comprend des agents des ministères de la Construction et de l’Assainissement, des communes, du district d’Abidjan, et réalise ses contrôles en une fois pour le compte de l’ensemble de ces entités. Cela représente un gain de temps et d’efficacité pour toutes les structures de contrôle, mais également une forte réduction des tracasseries pour ceux qui
Avec les investissements dans les grands travaux et les voies de circulation, c’est une véritable révolution urbaine qui s’opère.
Le rond-point d’Abobo, l’une des communes les plus peuplées d’Abidjan, s’étendra sur une surface de 14 64 0 m2 construisent. Dans tous les cas, ces contrôles et ces sanctions sont un mal nécessaire, d’autant plus qu’il s’agit ici de la santé et de la sécurité de nos populations. Cela ne doit pas faire de vous le personnage le plus populaire de la ville ?
Je vous le confirme [rires] ! Mais je ne peux aller ni contre la loi, ni contre les procédures, et tout doit être mis en œuvre pour la sécurité des populations. Quand une construction nous paraît à risque ou est réalisée en dehors des règles, une notification d’infraction est remise au maître d’ouvrage, qui est sommé d’arrêter ses travaux. Si malgré cela, ils se poursuivent, une sommation d’arrêt des travaux lui est servie, et c’est seulement en cas de non-obtempération ou de risques graves pour la sécurité des travailleurs ou des riverains que nous passons à la troisième étape, celle de la démolition. Il s’agit de faire valoir l’autorité de l’État sans piétiner les droits des uns et des autres.
Les accusations de corruption sont également fréquentes dans le secteur du foncier, en particulier au niveau de la délivrance de l’ACD. Qu’en est-il ?
Pour ce qui est des titres de propriété, les causes des problèmes relevés sont multiples (conflit de chefferie, délimitation des terroirs villageois, multiples attestations sur la même parcelle, succession familiale…), et ils sont, bien souvent, en amont du début des démarches auprès du ministère et des services de la chaîne foncière. Nous avons fait l’inventaire des sources possibles de litiges, de retards, d’inefficacité… et je peux vous assurer que tout est en train d’être fait pour fluidifier, simplifier et sécuriser l’ensemble des procédures d’accès à la propriété.
Abidjan est particulièrement sensible aux questions de salubrité et aux risques provoqués par le changement climatique. Est-ce que cela fait partie des préoccupations de votre ministère ?
Bien sûr ! Récemment, j’étais à la COP 27 en Égypte, où, pour la première fois, une journée a été consacrée aux villes et au développement. J’y ai porté la voix de mes pairs de l’alliance des ministres africains en charge du développement urbain, mise en place quelques semaines plus tôt à Abidjan, avec une insistance sur la nécessaire planification du développement de nos villes ainsi que sur les questions de financement, budgétaire ou venant de partenaires extérieurs. Ici, nous travaillons en bonne intelligence avec tous les ministères directement impliqués dans l’organisation et la gestion des villes (Intérieur, Assainissement et Salubrité, Industrie, Environnement, Transports…). Avec les ministères de l’Environnement et de l’Équipement routier, nous planchons par exemple sur le bassin versant du Gourou, qui
Le 5e pont, qui reliera les communes du Plateau et de Cocody, est en voie d’achèvement.
est l’une des sources importantes de pollution de la lagune. Les travaux en cours permettront de retrouver bientôt un plan d’eau lagunaire sain, qui ne sera plus source de nuisances. De même, tous nos projets font l’objet d’une étude d’impact environnemental, et tous nos programmes de construction de logements, outre l’inclusion d’espaces verts protégés, sont dotés de stations de traitement et d’épuration des eaux usées. Ce sont de petits pas, mais qui, à la longue, auront un réel impact sur notre environnement et sur la vie de nos populations.
Le logement social est un énorme dossier.
Comment peut-on réduire le retard ?
Nous faisons face aux déficits du passé, de ce qui n’a pas été fait sur les vingt à trente dernières années. On estime aujourd’hui le déficit à 600 000 unités, ce qui est énorme, car cela indique qu’au moins 2 millions de personnes ne sont pas logées de façon décente dans la ville d’Abidjan. C’est un véritable sujet de préoccupation. Et un dossier que nous prenons désormais à bras-lecorps. Je veux saluer ici l’important accompagnement dont nous bénéficions du chef de l’État, Alassane Ouattara, et du Premier ministre, Patrick Achi, qui se sont fortement impliqués pour la relance de cette politique essentielle, sur des bases plus efficaces, en tirant les enseignements des faiblesses du passé et en s’inspirant des bonnes pratiques de pays qui ont réussi en la matière. Nous avons ainsi créé une agence chargée de la coordination
Nous nous sommes tournés vers des promoteurs capables de réaliser chacun 5 000 à 15 000 logements par an. Ils sont, c’est vrai, souvent étrangers. Mais c’est la seule manière d’atteindre notre objectif et de résorber le déficit accusé en dix ans. Pour autant, nous demandons aux entreprises ivoiriennes de collaborer avec ces acteurs internationaux, de monter dans la chaîne de valeurs afin de pouvoir répondre rapidement et efficacement à la forte demande à laquelle nous faisons face. Quel est l’objectif du projet d’adressage à Abidjan ?
et de la gestion du programme de logements sociaux (l’Agence nationale de l’habitat, ANAH). Et avons mis en place un fonds de garantie du logement social, sans lequel 80 % des demandeurs, non bancarisés et sans revenus réguliers, ne pourraient accéder à un logement décent. La Banque de l’habitat de Côte d’Ivoire (BHCI) a été recapitalisée, et l’État s’est impliqué dans la recherche de financements concessionnels afin de réduire les taux d’intérêt et d’allonger les durées de crédit, permettant là aussi d’élargir la base des potentiels acquéreurs. Nous visons dorénavant une production, en vitesse de croisière, de 50 000 à 60 000 logements par an, ce qui représente une réelle opportunité pour notre secteur privé et pour l’économie nationale. Avez-vous les sociétés et les entrepreneurs ivoiriens pour répondre à ce défi ?
Nous avons décidé de mener une opération d’adressage complet, incluant la dénomination des voies, mais également, et surtout, la numérotation des lots d’occupation. C’est extrêmement important, puisque cela permet d’identifier de façon très précise l’habitation d’une personne, un lieu de travail ou un établissement commercial. C’est la première fois en Côte d’Ivoire que l’on conduit un tel projet d’adressage avec ces caractéristiques. Nous avons déjà identifié et numéroté la totalité des voies des communes de Port-Bouët, Koumassi, Marcory, Treichville, et celles du Plateau, d’Adjamé et d’Attécoubé Est… Le pochage (numérotation des lots) est également achevé, ou pratiquement achevé, dans ces zones. Et les travaux sont en cours dans les zones de Cocody et de Bingerville. En parallèle, les questions de toponymie sont traitées, et nous avons déjà les propositions de dénomination de l’ensemble des voies qui relèvent du district ainsi que celles des communes que je viens de citer. Pour rappel, par le passé, seules 6 % des voies d’Abidjan étaient dénommées, et très peu de personnes parvenaient à se repérer par rapport à ces noms de voies, hérités pour la plupart de la période coloniale, comme c’est le cas dans le quartier du Plateau. Dans les années 1990, l’opération de dénomination entamée avec des chiffres et des lettres n’est pas allée à son terme, créant encore plus de confusion. Pour ne pas faire face aux mêmes blocages, nous avons confié cette tâche à la Cellule d’analyse de politiques économiques (CAPEC) du Centre ivoirien de recherche économique et sociale (CIRES) de l’université Félix Houphouët-Boigny, constituée d’économistes, de sociologues, de géographes, d’historiens, etc. Leurs premières propositions sont en cours d’analyse et de validation par le gouvernement avant d’être formellement adoptées. Cela permettra, entre autres, aux populations de s’orienter plus facilement, aux activités économiques (en particulier au commerce électronique) de se développer, aux services chargés de la sécurité et de la santé d’être plus efficaces… Il facilitera les questions de planification et d’occupation de l’espace urbain, et contribuera sans aucun doute au renforcement de l’attractivité et de la compétitivité d’Abidjan. ■
Le logement social est un dossier que nous avons pris à bras-le-corps, avec la forte implication du chef de l’État et du Premier ministre.
MON ABIDJAN
PAR ARMAND GAUZ
#Abidjanthologie, c’est le hashtag que j’ai inventé sur les réseaux sociaux pour révéler au monde le caractère spécial d’Abidjan, tant dans cette ville, dès que ses habitants adoptent quelque chose, cela prend des proportions anthologiques. Par exemple, donnez-leur le français comme langue officielle, ils le transforment en nouchi, créolité vivace et phénoménale. « Go » (jeune fille), « enjailler » (faire plaisir), « boucantier » (frimeur) et même « brouter » (arnaquer par les sentiments) se sont invités dans les dictionnaires académiques des bords de Seine. Mettez un apprenti chauffeur dans un gbaka (véhicule de transport en commun), et il se transforme en receveurcomptable-équilibristegouailleur qui se balance sur les portes de voitures lancées à des vitesses folles sur des routes pourtant encombrées. Dallez un trottoir, et il devient marché grouillant et bruyant. Jetez des têtes de thons au rebut, ils en font du garba, plat national (thon frit et attiéké, une semoule de manioc).
#Abidjanthologie
- Cabiniste : il n’a qu’un tabouret, la cabine, c’est son corps. Il vous remplira le téléphone de toutes les « unités » pour mobile ou datas Internet que vous voudrez. Il y en a même qui rechargent les téléphones étrangers.
La devise du pays est « Union, discipline, travail ». Survolez « Union », les oriflammes de 2011 l’ont un peu mise à mal, même s’il y a beaucoup d’espoir de réconciliation. Oubliez « Discipline », l’entropie de la ville est grande, le chaos semble être son étalon. Mais « Travail », malgré ce que les statistiques surréalistes sur le chômage veulent bien raconter, c’est l’obsession des Abidjanais. Ils sont prêts à tout pour ça, même à s’inventer des métiers parfois tellement spécifiques que nulle part ailleurs vous ne les trouverez, vous ne les figurerez même pas. Liste non exhaustive :
- Épongeur : il n’essuie rien, déambule bardé d’éponges multicolores en forme de filets. Voix grave, chanson thème, pas de danse et blagues sur les « tueurs de cabris » (ceux qui n’aiment pas se laver) sont ses armes commerciales.
- Souricier ou cafardologue : c'est le cousin de l’épongeur, mais lui a un mégaphone dans lequel il maudit souris et cafards en leur promettant, avec force détails, trépas des plus atroces grâce aux produits qu’il vend.
- Embouteilleuse : contrairement à ce que dit son nom, elle n’a pas de bouteilles, mais plutôt des
Armand Patrick Gbaka-Brédé (son nom d’état civil) est écrivain, journaliste aussi à ses heures, photographe, scénariste. Ses romans sont marqués par un sens de l’humour et de la satire bien particulier. Émigration, colonisation, métissage sont au centre de son œuvre.
Son dernier ouvrage, Cocoaïans (Naissance d'une nation chocolat), est sorti en août dernier.
Le cabiniste vend des unités pour mobiles.
sachets d’eau fraîche, de grignotage ou des bibelots improbables qu’elle vend en se dandinant entre les voitures. On ne sait par quel miracle, elle apparaît systématiquement à peine un embouteillage se forme-t-il.
- Djosseur de nama : littéralement « l’attrapeur de voiture ». Ce parcmètre vivant vous aide à vous garer partout, et surtout n’importe comment.
- Shawarmama : aussi appelée Sisyphe des lagunes, cette femme d’un certain âge balaie le sable des routes bitumées. Ses bottes en plastique aux pieds, sous le soleil tropical, elle est chauffée par le bas et par le haut, comme un shawarma, d’où son nom.
- Diallo : dans un kiosque en bois, il vend des spaghettis aux rognons et des cafés au lait. ■
interview Yvette Akoua « Nous avons l’âge de la maturité »
Le groupe NSIA est présent dans 12 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. La directrice générale de sa branche assurances fait un état des lieux de ses activités dans un secteur en pleine croissance. propos recueillis par Emmanuelle Pontié
Ensuite : Comment se porte globalement le marché de l’assurance en Côte d’Ivoire ?
Yvette Akoua : J’observe avec satisfaction une embellie du secteur, très structurant dans l’économie d’un pays. En Côte d’Ivoire, le marché évolue bien. Cependant, le taux de pénétration est relativement faible (autour de 1,3 %). En 2021, le marché a clôturé à 441 milliards de francs CFA ; une hausse de 6,39 % comparativement à 2020. Au troisième trimestre 2022, il a réalisé un chiffre d’affaires de 411 milliards de francs CFA, pour une hausse estimée à 13,68 %. Il a été porté cette année par l’assurance non-vie qui, déjà fin septembre, réalisait une croissance de 18,65 % du chiffre d’affaires. Par ailleurs, le marché de l’assurance a entamé une profonde mutation, avec une orientation digitale. L’Association des sociétés d’assurances de Côte d’Ivoire a lancé, le 1er janvier 2023, l’attestation d’assurance automobile complètement digitalisée.
Le groupe ivoirien NSIA affiche un chiffre d’affaires de 300 milliards de francs CFA par an.
Quelle est la part du domaine des assurances ?
Le groupe exerce principalement dans deux métiers, qui sont la banque et l’assurance. Il a opéré avec succès la diversification de ses activités avec le rachat, en 2006, de la BIAO, puis l’acquisition, en 2017, de Diamond Bank UEMOA (Bénin, Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo). Au titre de l’exercice 2020, on peut noter de bonnes performances financières : les primes s’établissent à 159,5 milliards de francs CFA, contre 147,3 milliards de francs CFA l’année précédente. Cette hausse se traduit par les bonnes performances réalisées sur les branches vie et nonvie en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Bénin, au Congo et au Cameroun. Soit une hausse nette globale de 8 % (+12,2 milliards de francs CFA). Le produit net bancaire consolidé au 31 décembre 2020, quant à lui, s’établit à 74 milliards de francs CFA, contre 67 milliards de francs CFA en 2019. Cette hausse de près de 11 % est portée par l’accroissement des revenus de l’activité titres (+7 milliards de francs CFA), la hausse des produits au crédit-bail et la baisse du coût des ressources, principalement du refinancement.
Quelles sont les particularités du marché ivoirien ? Les produits qui marchent, et ceux qui ont de la peine à convaincre ?
Ce marché est une mine d’opportunités, aussi bien pour les produits vie que pour les non-vie. Il est très dynamique, comme en témoignent la croissance continue du chiffre d’affaires et l’arrivée de nouvelles compagnies. En matière de performances, bien entendu, les produits vie sont les plus vendus, parce qu’ils sont pour la plupart fondés sur le modèle des produits de capitalisation, et donc proposent le règlement des primes de façon échelonnée. Du côté des produits non-vie, il n’est pas très juste de dire qu’ils peinent à sortir la tête de l’eau, comme on l'entend souvent. Et j’en veux pour preuve leur constante
progression, représentative, depuis quelques années déjà, avec les assurances automobile, accidents et santé, qui occupent des parts de marché substantielles. Comment vivez-vous la concurrence ?
Elle est très rude. Nous assistons à l’éclosion des compagnies d’assurances africaines. Cette dynamique amène notre groupe à se réinventer en permanence, à proposer sans cesse de nouveaux services de qualité. Par ailleurs, nos produits, en constante évolution, respectent les standards qualitatifs internationaux en vigueur, tout en ayant pour objectif premier la satisfaction de nos clients. Vous avez signé cette année des accords en matière de santé avec la clinique turque Anadolu. Ou encore des conventions d’assurance de responsabilité scolaire. Pourquoi de tels partenariats ?
Cette diversité de partenariats répond à notre mission d’offrir au plus grand nombre des solutions compétitives et innovantes. Nous plaçons nos clients au centre de nos préoccupations et apportons des réponses adéquates aux besoins vitaux de chacune des étapes de leur vie, du plus jeune âge à l’âge adulte. Nous développons des offres adaptées tant aux particuliers qu’aux professionnels. Nos partenariats visent à offrir à nos populations le meilleur des services d’assurance à moindre coût pour contribuer à l’épanouissement de nos collectivités. Nous ne perdons pas de vue qu’en notre qualité de groupe financier africain responsable, nous avons le devoir de participer au développement économique et social de notre pays.
Le groupe fêtera ses 30 ans en 2025. Quels sont les projets de NSIA Assurances à court et moyen terme ?
Effectivement, l’aventure a débuté en 1995 avec la création d’une compagnie d’assurance dommages, la NSIA Assurances Côte d’Ivoire, que je dirige depuis quelques années. Mais très rapidement, en 1996, NSIA a réalisé ses premières acquisitions en rachetant les filiales vie et non-vie des Assurances générales de France (AGF), en Côte d’Ivoire (AGCI Vie et AGCI IARD). Dès lors, progressivement, le groupe NSIA s'est construit. Il est aujourd’hui présent dans 12 pays de l’Afrique centrale et occidentale, en zones francophone, anglophone et lusophone. Nous pouvons nous féliciter d’être leader sur le marché de l’assurance en Afrique de l’Ouest et centrale, avec une présence systématique dans le top 5 de nos activités par pays (classement Fanaf 2019). Nous pouvons considérer que nous avons l’âge de la maturité. Le groupe continue d’afficher sa solidité financière et sa volonté de grandir, avec le récent rachat, que vous avez pu observer, de quelques filiales d’assurances du groupe Sanlam.
Notre objectif est de consolider nos acquis et de nous enraciner davantage dans la voie de la performance et de la productivité. Notre plan stratégique ambitieux intègre également la digitalisation de nos procès, pour faciliter l’expérience client. Notre portefeuille produits sera aussi élargi au digital, et nous nous attelons à saisir les opportunités d’affaires dans le domaine de la bancassurance, projet cher au président du groupe, Jean Kacou Diagou. Nous ne manquons pas non plus d’affirmer notre responsabilité sociétale d’entreprise par le moyen de la Fondation NSIA, qui a été aux côtés des populations lors des différentes crises que nous avons traversées, notamment celle du Covid-19, et nous continuons de soutenir l’éducation dans nos différents pays d’implantation. Sur le long terme, le groupe entend jouer un rôle majeur dans le développement des économies africaines en apportant des réponses durables aux enjeux socio-économiques, et en mobilisant collectivement les ressources nécessaires pour contribuer au financement de nos économies locales.
Pour finir, une question plus personnelle : pouvez-vous nous dire quels sont les avantages et les inconvénients d’être une femme à un tel poste et d’évoluer dans un monde plutôt masculin ?
Les qualités attendues d’un directeur général sont principalement d’avoir une vision, de développer une bonne stratégie, un management qui entraîne les équipes à s’orienter sur les clients et les résultats… Autant de choses dont les femmes sont capables, aussi bien que les hommes. Pour moi, il n’y a pas de différence entre un dirigeant et une dirigeante. En revanche, les femmes ont des qualités complémentaires, à savoir la sagesse, l’écoute, la rigueur, le management consensuel, la patience, etc. En entreprise, elles doivent fournir deux fois plus d’efforts afin que leur travail soit reconnu à sa juste valeur. Elles doivent aussi faire face aux exigences sociales de la communauté, à savoir la gestion du ménage, qui leur échoie entièrement (s’occuper des enfants, de la maisonnée, etc.). Ces charges qui n'incombent souvent pas aux hommes [sourire] les obligent à faire preuve de beaucoup plus de résilience et à veiller au bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. En ce qui me concerne, je ne me vois pas comme une femme qui occupe ce poste, car être un bon manager ne dépend pas de notre sexe. Il s’agit plutôt de réaliser le meilleur exercice de l’équité du genre dans l’entreprise, et je vous donne rendez-vous en 2023 pour vous présenter la validation de notre certification « genre » à NSIA Assurances Côte d’Ivoire. ■
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Nos partenariats visent à offrir à nos populations le meilleur des services à moindre coût pour contribuer à l’épanouissement de nos collectivités. »
interview Ibrahima Cissé Bacongo Maire en sa commune
Le premier édile de Koumassi, également secrétaire exécutif du RHDP, parti au pouvoir, raconte son travail « à bras-le-corps » et son quotidien. propos recueillis par Emmanuelle Pontié
Ensuite : Vous êtes maire de Koumassi depuis octobre 2018. Quelles sont les particularités de cette commune ? Ibrahima Cissé Bacongo : Koumassi se trouve dans la partie sud d’Abidjan. Située entre les communes de Port-Bouët et de Marcory, elle s’étend en bordure de lagune, et son territoire est sablonneux, ce qui nous cause beaucoup de problèmes, notamment en matière de voirie. Quelle que soit la qualité des matériaux utilisés, hélas, le sable est un souci. Même quand le bitume résiste, il est très rapidement ensablé. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour rendre la vie agréable à nos concitoyens, mais lorsque l’on circule et que l’on constate cet ensablement récurrent des voies, on peut avoir l’impression que rien n’est fait ! Ce qui n’est pas le cas. Autre particularité de Koumassi : elle est très commerçante, avec un marché célèbre et des industries. Absolument. Le commerce en général (de détail autant que de gros) et l’industrie sont très développés. Nous possédons une immense zone industrielle où l’on produit des plastiques, des métaux, des tuyaux, des matériaux d’assainissement, etc. En principe, notre commune est vouée à un bel avenir. Elle est aussi la troisième plus peuplée d’Abidjan. Avec une majorité de jeunes. Absolument. Nous comptons un peu plus de 400 000 habitants. Et à l’instar de l’ensemble du pays, la jeunesse en représente la frange la plus importante. C’est une population qui a besoin d’être occupée. Nous faisons en sorte qu’elle le soit sainement. Le grand carrefour de l’Espérance, que vous avez certainement vu, était un lieu de tragédies quotidiennes, où les gens se découpaient à la machette. Nous avons aseptisé le quartier, construit une fontaine, etc. Tous les jeunes qui y zonaient ont été resocialisés. Certains se sont installés à la gare routière ultramoderne Yaya Fofana, que nous avons créée, et y gagnent
leur salaire. Une autre partie d’entre eux se trouve au marché Djé Konan, où ils font du commerce dignement. On entend souvent à Abidjan que Koumassi a totalement changé. En bien. Qu’avez-vous fait pour cela ? Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé une commune à l’état d’entropie, dans un désordre complet. Les chaussées et les trottoirs étaient occupés par un commerce exubérant de bois, de fer, de tout. Il y avait des inondations pratiquement tout au long de l’année. On s’est dit que cette situation n’était pas une fatalité et qu’il fallait essayer d’y remédier. Nous avons commencé par associer tous les opérateurs économiques et partenaires de la commune et des investisseurs potentiels. Nous leur avons présenté l’ensemble des potentialités locales, pour améliorer la vie des populations, mais aussi pour qu’ils gagnent de l’argent. Notre plan concernait l’organisation du commerce, la vie sociale, etc. À la suite de ce forum que nous avions intitulé « Investir à Koumassi », un nouveau Koumassi a peu à peu vu le jour. Avec des gares routières placées à des endroits très précis, les commerçants de bois tous réunis dans un lieu que l’on appelle la Bourse du bois, un parc à fer pour tout ce qui concerne la métallurgie, etc. Nous avons aussi aménagé plusieurs aires de jeu, construit des toilettes publiques, conçu des rues piétonnes… Comment avez-vous pu faire financer tout cela ?
Nous avons conclu des contrats de partenariat, ou plus précisément des conventions de bail à construction. Les bâtiments que vous voyez en bordure des voies appartiennent à des promoteurs privés sous convention avec la mairie. D’ici dix à vingt ans, une fois que le promoteur se sera remboursé de son investissement, les bâtiments nous reviendront. Vous construisez également un allocodrome, bitumez des voies, installez des feux tricolores, allez bientôt ouvrir une piscine municipale…
Oui, parce qu’il faut se préoccuper du cadre de vie. C’est important. Nous avons fait non pas un mais deux allocodromes, deux jardins publics, trois complexes sportifs avec aires de jeux, tribunes et vestiaires, dont le dernier, en cours de construction, a été baptisé Alassane Ouattara et comportera deux piscines (dont une olympique). Nous avons aussi construit des marchés un peu partout, pour que les commerçants puissent travailler dans de bonnes conditions. À Koumassi comme ailleurs dans la capitale économique, vous vous heurtez à un problème de drainage. Que faites-vous pour y remédier ?
Sur ce point, je dirais que nous en sortons mieux que d’autres communes. Auparavant, nous subissions des inondations récurrentes, au point que nous nous payions le luxe d’être baptisés « Koumassi Poto Poto » ou « Koumassi Beach » ! Aujourd’hui, ces désagréments sont devenus un souvenir lointain. Parce que,
comme je vous le disais, notre souci du moment, c’est la voirie. Et là, la solution se trouve au niveau de l’État. Cela dit, les choses évoluent. Nous devons programmer rapidement une visite des lieux avec la société Ageroute. La commune se trouve sur une zone marécageuse et sablonneuse d’où la lagune a été continuellement repoussée. Mais comme les remblais n’ont pas été réalisés comme il se devrait, l’eau salée remonte très vite. Et les matériaux utilisés pour la construction des routes n’étaient pas les meilleurs. Les voies sont profondément endommagées. Elles doivent être refaites avec de bonnes techniques et de bons matériaux. Nous espérons qu’Ageroute réussira à régler le problème, ne serait-ce qu’en partie. Même en mettant du sparadrap, en quelque sorte. Cela nous permettrait de respirer un peu avant de réaliser de vrais travaux pour le long terme. Certains quartiers ne sont même pas bitumés. Nous sommes en train de remédier à tout cela.
Vous avez mis en valeur l’identité de votre commune avec l’organisation d’un festival, J’aime Koumassi. Il existe également une radio Koumassi FM. En quoi est-ce important ?
Au grand carrefour, la place de l’Espérance, avec sa fontaine.
tout simplement, nous avons pris le problème à bras-le-corps dès notre arrivée. C’était notre premier défi. Nous avons trouvé un opérateur économique, sur place, qui était sous contrat avec l’État, par le biais de la commune de Koumassi, et qui travaille avec d’autres communes d’Abidjan. Nous sommes allés sur le terrain avec lui pour identifier les endroits où des difficultés se présentaient, et nous avons travaillé ensemble efficacement. Car il ne fallait pas seulement réaliser un curage en superficie. Il fallait le faire également en souterrain, où il était nécessaire de réhabiliter des ouvrages anciens. Nous l’avons fait de manière systématique et méthodique. Résultat : nous avons pu tout désengorger, bien en amont de la saison des pluies. Aujourd’hui, nous n’avons plus d’inondations. Et quand l’eau stagne, c’est seulement pour quelques minutes. En revanche,
C’est très important ! Et j’estime que cela fait partie de mes missions : redonner de la fierté aux habitants. Par le passé, vivre ici était mal vu. Mais aujourd’hui, des avocats, de hautes personnalités affirment publiquement y avoir vécu, y avoir des parents. Le Premier ministre lui-même vient parfois y déjeuner, dans un restaurant qui appartient à un membre de sa famille. Quand on indique que l’on est de Koumassi, on nous regarde autrement qu’auparavant. Et notre festival participe à cette nouvelle image. Les populations doivent affirmer, afficher leur appartenance à la commune. Avec fierté. C’est chose faite. Finissons sur une question plus générale sur la capitale économique. Quel est votre avis concernant Abidjan aujourd’hui ?
J’ai déclaré un jour : « Chaque fois que je vais à mon bureau du Plateau, en passant par la corniche, j’ai envie de dire : Dieu, merci de me faire la grâce de voir tout ça ! » Quand on regarde tout ce qui est en train de sortir de terre, dans cette ville, c’est quand même extraordinaire… J’en suis fier. Dans un an ou deux, Abidjan aura un autre visage. Surtout avec la mise en service du quatrième pont, à Yopougon, qui est particulièrement majestueux. Et beaucoup d’autres réalisations se préparent pour d’autres villes. Tout le pays est en chantier. Je pense que d’ici à 2025 nous connaîtrons ce que l’on pourra appeler une véritable émergence. ■
interview Ramzi Omaïs
« On est une famille ! »
Le directeur général de l'hôtel Tiama nous raconte les défis et les succès que ce 5 étoiles a rencontrés durant son histoire. propos recueillis par Emmanuelle Pontié
Ensuite : L’hôtel Tiama vient de fêter ses 50 ans. Une longue histoire de famille. La vôtre. Quels sont votre meilleur et votre pire souvenir ?
Ramzi Omaïs : Le meilleur, c’est lorsque nous avons fini les travaux de mise aux normes 5 étoiles, en septembre 1999. Avec une piscine, un restaurant gastronomique, des chambres au niveau. Et le pire, c’est le coup d’État de Noël qui a suivi et balayé tout cet investissement réalisé par mon père. Nous avons connu une chute de chiffre d’affaires qui a duré près de dix ans. Après le coup, il y a eu les élections d’octobre 2000, qui ont engendré une période compliquée. Et ensuite, nous avons vécu septembre 2002 et la scission du pays, puis les accords de Marcoussis, et en 2007 le début de la réconciliation. Là, il y a eu une petite reprise jusqu’à la présidentielle de 2010, puis le pays a plongé dans la crise post-électorale. Notre hôtel était au cœur du conflit. Nous avons eu des dégâts, mais bon, tant qu’on a la vie sauve… Dieu merci, après tout cela, nous avons réalisé de nouveaux investissements, qui nous ont permis de repartir avec un hôtel nickel après décembre 2011. Comment votre établissement a-t-il pu tenir ?
Nous n’avons jamais fermé, et nous sommes toujours adaptés aux problèmes du moment. L'ambassade et l’armée françaises, qui sont à côté, nous ont toujours soutenus. Les Nations unies étaient présentes aussi. Nous avons pu tenir grâce à ces soutiens. Nous n’étions pas seuls, et avons aussi rempli un rôle de rassembleur. En janvier 2003, après les accords, le Rassemblement des républicains (RDR) logeait au Tiama, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) au Golf Hôtel, et d’autres partis dans d’autres établissements. Le ministre français Jean-Yves Le Drian nous a d’ailleurs adressé une belle lettre de remerciements en 2017, lors du sommet Union africaine-Union européenne. Vous avez plus récemment souffert de la crise du Covid-19. Oui. Toute l’année 2020 a été catastrophique. Avec des chutes de chiffre d’affaires importantes. Il a fallu baisser les
charges, s’adapter à l’environnement. Heureusement, nous avons des partenaires qui sont un peu comme nos frères, que ce soit le gouvernement, la direction des impôts ou la Compagnie ivoirienne d'électricité (CIE)… Et je tiens à remercier le président de la République, Alassane Dramane Ouattara, car il a nommé des gens sincères et compétents. Parlons de la destination Côte d'Ivoire. Quel est votre avis sur son attractivité ? Et sur les améliorations nécessaires ?
La Côte d’Ivoire a un énorme potentiel. C’est un très beau pays, avec un peuple hospitalier, réceptif, sans a priori. C’est lui notre plus grande richesse. Pour le tourisme, nous sommes prêts à tout offrir pour les gens du monde entier. Mais il reste un souci : l’aéroport est grand, mais pas assez. Quand j’étais enfant, il y avait beaucoup plus de compagnies abordables qui passaient par Abidjan, avec des vols espagnols, italiens, français, anglais, américains… Certes, nous ne vivons plus dans le même environnement, mais je pense qu’il faudrait en attirer davantage. Peut-être en baissant les taxes, qui restent onéreuses. Avant, on pouvait faire le tour du pays en voiture, il y avait des hôtels partout. Aujourd’hui, c’est fini. Il existe des infrastructures hôtelières, certes, mais elles ne se font pas connaître, et la plupart du temps ne sont pas au niveau. Le gouvernement doit communiquer encore davantage sur les richesses de la Côte d'Ivoire et ses attraits touristiques, les forces de chaque région, la culture, etc. Bouaké, Soubré, Odienné, Man, Korhogo… Chaque ville et ses environs ont leurs particularités. Ce travail de mise en valeur avait bien commencé sous Houphouët, mais depuis, sûrement à cause des crises répétitives, c’est difficile de maintenir le cap. Le tourisme peut-il décoller davantage sur Abidjan ?
Bien sûr ! La lagune Ébrié peut générer des richesses extraordinaires. Elle doit être exploitée, avec des bateaux qui s’y déplacent. Et les alentours d’Abidjan, avec Assinie, GrandBassam, c’est magique. Il y a également une belle offre en matière de restaurants, bars, boîtes de nuit, endroits culturels… D’ailleurs, la fondation Atef Omaïs réalise des guides sur ce sujet depuis 2009. Mon père a créé l’hôtel avec l'un de mes oncles il y a cinquante ans, et la famille a lancé plus tard cette fondation, qui s’investit aussi dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Revenons au Tiama. Comment vivez-vous la concurrence ?
Notre hôtel est le seul certifié ISO 9001, un label de qualité qui n’existe dans aucun autre établissement à Abidjan. On ne se
soucie donc pas beaucoup de la concurrence. Nous n'avons ni envie, ni regret, ni projet d'association. Nous allons de l’avant en essayant continuellement de nous améliorer. Nous sommes le seul 5 étoiles de la ville qui n’appartient pas à une chaîne. Vous venez au Tiama comme dans une famille. Nous connaissons la plupart de nos clients, et parfois, ils vont tenter l’aventure ailleurs, mais reviennent vite chez nous. La construction de nouvelles enseignes haut de gamme devrait servir positivement le tourisme…
Si les nouvelles offres tiraient vers le haut, oui. Mais les prix sont plutôt tirés vers le bas. À Abidjan, les hôtels sont capables de diviser par trois leurs tarifs pour faire le plein. Ils font ce qu’ils veulent, mais quand vous vous trouvez dans un contexte de crise, ces pratiques n’encouragent pas les investissements ni une projection positive vers l’avenir. Et nous savons très bien que dans toute industrie, si vous n’investissez pas, vous n’avancez pas. Justement, de votre côté, quels sont les projets d’avenir ?
Nous essayons de dynamiser l’hôtel, d’avoir des gens fidèles en semaine mais également le week-end. Avant le coup d’État
de 1999, nos visiteurs rentraient dans leur pays le lundi matin. Il y avait des vols le matin, en journée, le soir. Ils passaient tout le week-end à Abidjan, donc nous proposions des déplacements à Grand-Bassam, etc. Aujourd’hui, les clients rentrent souvent plus tôt, pour passer le week-end chez eux. Mais nous n’avons pas de projet de doubler l’hôtel ou autre. En 2021, quand nous avons vu que les affaires reprenaient, nous avons pensé à réaliser 10 étages de chambres et 10 étages de bureaux. Mais bon, lorsque l’on veut s’agrandir, il faut s’entourer de compétences, et on ne peut pas tout le temps faire venir du personnel de l’étranger. Car voilà un autre frein au développement d’un grand tourisme à Abidjan : nos écoles hôtelières ne sont pas au top. Nous avons un immense besoin de formation. C’est pour cette raison que notre système qualité est très utile pour nous permettre de bien repérer les besoins aussi bien à l’intérieur de notre organisation qu’au niveau de la demande des clients. Nous avons récemment investi dans l’amélioration des réseaux wi-fi, des services informatiques, etc. Et nous allons rafraîchir notre bar situé au niveau de la mezzanine. ■
interview
Olga Djadji
« Il faut aller vers les jeunes »
La Fondation BJKD (Bénédicte Janine Kacou Diagou) propose depuis 2018 un concours entrepreneurial pour les moins de 40 ans. Sa présidente présente ce prix international prestigieux qui attire des centaines de candidatures provenant désormais de 16 pays. propos recueillis par Philippe Di Nacera
Ensuite : Quelles sont les raisons qui ont poussé Bénédicte Janine Kacou Diagou à créer la Fondation BJKD ?
Olga Djadji : Tout est parti d’une rencontre, en 2016, avec les jeunes abonnés de son compte Facebook. Elle tenait à partager avec eux son expérience et son parcours. Elle leur a parlé de sa vie, de sa carrière, de ses motivations. Étant à la tête d’un grand groupe bancaire, son histoire est forcément une source d’inspiration. Durant cette rencontre, une question revenait sans cesse : comment trouver du travail à la fin de ses études universitaires ? Manifestement, ces jeunes étaient à la recherche d’un mentor ou d’un mécène. À la fin de cette rencontre, l’idée de « mettre en place un système d’accompagnement » pour les aider a commencé à germer dans son esprit. En 2018, elle a créé la Fondation BJKD, avec comme missions le soutien à l’entrepreneuriat des jeunes, la promotion de la culture et de l’art – car elle est aussi grande collectionneuse et passionnée d’art – et depuis 2021, l’éducation a été ajoutée. Le prix BJKD a été lancé en février 2018.
Comment fonctionne ce concours ?
La participation est gratuite et se fait sur le site Internet de la Fondation. Lors de la 1re édition, les critères de sélection étaient destinés aux jeunes entrepreneurs ivoiriens, âgés de 18 à 35 ans. Mais dès la 2e édition, la tranche d'âge a été repoussée à 40 ans. Après le dépôt des candidatures, une première sélection est réalisée par un comité chargé de choisir 50 participants, dont les business plans sont ensuite soumis à un jury intermédiaire qui n’en retient plus que 20. Ces derniers vont en demi-finale et font l’objet de visites sur site pour s’assurer de la véracité et de l’effectivité des informations qu’ils nous ont communiquées. Puis, un jury intermédiaire siège pour sélectionner les 10 finalistes, lesquels présenteront leurs entreprises devant le grand jury.
La finale donne lieu à une cérémonie publique…
En effet, c’est un grand événement durant lequel les candidats exposent leurs activités.
Tout est pris en compte : l’originalité, la pérennité, les données financières, le marketing, sans oublier la qualité de la présentation.
Depuis deux ans, vous avez décidé de vous adresser aux jeunes Africains d’autres pays francophones.
Bénédicte Janine Kacou Diagou a une vision panafricaine. Comme vous le savez, les sociétés qu’elle gère sont implantées dans de nombreux pays du continent. Elle a voulu « aller vers les jeunes », selon son expression. Il fallait donc s’étendre peu à peu, donner une chance à d’autres entrepreneurs en herbe.
Le prix s'adresse désormais à 15 pays, membres de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la
Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), en plus de la Côte d’Ivoire : le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Cameroun, la Centrafrique, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, le Tchad, la République démocratique du Congo et la Guinée.
Vous avez fêté en septembre dernier la 5e année du concours. Combien de dossiers avez-vous reçus de tous ces pays ?
Nous avons réceptionné 824 candidatures d’entreprises légalement constituées. L’année dernière, nous avions dépouillé plus de 1 300 dossiers, mais parce que nous avions donné la possibilité de concourir à des jeunes qui n’avaient encore qu’un projet à présenter. Aujourd’hui, vous diriez que ce prix est connu et prisé par la jeunesse africaine ?
En cinq ans d’existence, le prix BJKD a su s’imposer par sa crédibilité, le respect des engagements pris en faveur de ces entrepreneurs, et la qualité des membres du jury, composé de personnes représentatives dans leur domaine professionnel. Celui-ci est présidé depuis trois ans par le directeur général de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), Félix Edoh Kossi Aménounvé. Lors de la dernière édition, le prix BJKD a encore donné une belle visibilité aux lauréats, qui ont obtenu au total une dotation financière de 61 millions de francs CFA, répartie en cinq prix, allant de 3 millions à 25 millions de FCFA. Cet accompagnement leur permettra de développer leurs entreprises et de booster leurs activités. Des formations leur sont également offertes par les cabinets partenaires Deloitte et Métis Academy, et un suivi à long terme est dispensé par des mentors du monde de la finance, partenaires de la Fondation. Y a-t-il de l’entraide entre les candidats des différentes années ?
Beaucoup. C’est d’ailleurs l’une des particularités du concours ! Les lauréats, toutes éditions confondues, ont décidé de se constituer en organisation : ils ont créé le Club BJKD, qui est un club d’affaires leur permettant de se rencontrer, de partager leur réseau. C’est dans ce cadre qu’ils ont eu des échanges avec le ministre de la Promotion de la jeunesse et de l’Emploi des jeunes, ainsi que des contacts avec l’Agence emploi jeunes. Ce concours est un poste d’observation précieux sur l’entrepreneuriat des jeunes Africains. Quelles leçons en tirez-vous ?
Celui-ci évolue. Il se professionnalise. Au début, les projets que nous recevions étaient principalement axés sur l’agriculture
«
Le concours a su s’imposer par sa crédibilité, le respect des engagements pris en faveur des entrepreneurs, et la qualité des membres du jury. »
et l’agroalimentaire (et c'est encore le cas pour 70 % des candidatures actuelles). Mais au fil des années, nous avons constaté une évolution, avec des propositions dans les domaines de la santé, de l’environnement, du digital… Dans l'avenir, nous espérons continuer à recevoir toujours plus de projets innovants. Un autre constat : c'est la première fois que les candidatures féminines sont majoritaires. Cette année, sur les 10 finalistes, sept étaient des femmes – venues de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Bénin, du Burkina Faso et du Sénégal. Et sur les cinq lauréats, on ne compte qu’un seul homme… Depuis la 1re édition, 17 des 24 entrepreneurs récompensés sont des femmes. Vous dites que la jeunesse africaine se lance principalement dans les domaines de l’agriculture et l ’agroalimentaire, alors que l'on aurait pu s’attendre à ce qu'elle investisse les nouvelles technologies…
Effectivement, mais la grosse difficulté est l’accès à Internet pour un certain nombre de pays du continent. Seules les
grandes villes sont privilégiées, ce qui de fait n’entraîne pas d’engouement de la part des entrepreneurs, la cible restant très limitée. Pensez-vous qu’Abidjan puisse devenir le centre de gravité de l’entrepreneuriat de la jeunesse subsaharienne ?
Il y a en effet de fortes chances qu’elle le devienne, en sa qualité de ville la plus peuplée de l'Afrique de l’Ouest francophone et de deuxième plus grande ville et troisième plus grande agglomération au sein de la francophonie. Considérée comme le carrefour culturel ouest-africain, Abidjan offre incontestablement des opportunités d’expansion aux entrepreneurs du continent. De surcroît, par le biais du prix BJKD, dont l’objectif est de s’étendre d’ici quelques années à toute l'Afrique, les jeunes auront une organisation sur laquelle s’appuyer pour développer leurs projets respectifs et acquérir de nouvelles aptitudes entrepreneuriales. ■
Lika Cosmétique Le rêve de Zalika Barro
La lauréate du prix BJKD du jeune entrepreneur 2022 a séduit par son audace et son ambition, mises au service de la marque de parfums qu’elle a lancée en Côte d’Ivoire.
Le rêve est devenu réalité. Zalika Barro a fait de sa passion d'enfance pour les parfums une « petite entreprise ». Créée en 2019, sa marque Lika Cosmétique a reçu le soutien de la Fondation BJKD, qui lui a versé la somme rondelette de 25 millions de francs CFA dans le cadre de son prix du jeune entrepreneur de l'année. Que fera-t-elle de cet argent ? Elle entend d’abord investir pour améliorer son laboratoire de recherche et de fabrication, pour ensuite développer son réseau de points de vente et soutenir la croissance naissante, mais exponentielle, de Lika Cosmétique. Le reste permettra d’alimenter une trésorerie tendue, comme en connaît toute jeune société.
Diplômée en bio-ingénierie et génétique, Zalika Barro s'est formée en cosmétologie lors de plusieurs stages en entreprise, avant de lancer ce qui est considéré comme la première marque de parfums de Côte d'Ivoire. Son innovation réside dans son positionnement assumé « moyen de gamme, accessible à tous ». « Avec ma marque de parfum local, je n’ai pas de concurrence directe. Les grands noms européens sont trop chers et s’adressent à une clientèle réduite », confie la femme d'affaires, qui compose elle-même ses parfums aux senteurs exotiques, adaptés au climat local : mangue, jasmin, ou encore essence de vanille. Des fragrances aux noms évocateurs, volontiers
provocateurs, tel « La Mariée », qui s'arrachent dans les points de vente répartis dans plusieurs grandes galeries marchandes d’Abidjan (l'Abidjan Mall notamment). Et pour cause ! Le prix est attractif : de 1 000 FCFA les petits flacons (dont l’idée – ingénieuse – est de les avoir faits rechargeables) à 50 000 FCFA les bouteilles full-size. Un choix inspiré de la vie de la créatrice, qui, à une époque, ne trouvait pas de parfum de qualité à moindre coût. De quoi attirer la classe moyenne, cible de Lika Cosmétique, qui n’a pas souvent accès aux grandes marques. À peine produits, ses parfums sont en rupture de stock. C’est une permanente course à la production que l'entrepreneuse doit organiser pour suivre la demande.
Autant de détails qui ne sont pas passés inaperçus lors de la 5e édition du prix BJKD, le 24 septembre dernier… La lauréate bénéficiera, en plus de la récompense pécuniaire, d’un an de mentorat et de formations dans des domaines variés, comme la gestion, le marketing, la comptabilité, etc. Un véritable coup de boost pour Lika Cosmétique, qui ne demande qu’à prospérer et n'est pas près de connaître la crise. Le grand défi de la parfumeuse : l'industrialisation de son activité, pour « sortir de l’artisanat et produire plus afin de répondre à la demande ». Car elle vise déjà le continent ! À ce jour, la marque dispose d'un catalogue de 50 références, mais propose également de l'encens, des gommages ou encore des savons au bissap. ■ P.D.N.
dialogue
URBANISME PENSER AUSSI LE FUTUR
« Abidjan est douce », a-t-on l’habitude de dire. Mais pour que l’adage colle à la réalité, il faudra agir. Siriki Sangaré, président de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agréés de Côte d’Ivoire ainsi que de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Afrique de l’Ouest, et Sirandou Diawara, architecte, tracent les perspectives d’une évolution plus harmonieuse pour la mégapole. propos recueillis par Philippe Di Nacera
Ensuite : Abidjan se développe-t-elle, selon vous, de manière ordonnée ou anarchique ?
Sirandou Diawara : Il faut déjà dire que, contrairement à la pratique la plus répandue dans toute la sous-région, Abidjan dispose d’un plan directeur mis en place sous Houphouët-Boigny. On peut parler de continuité de son développement. Mais une sorte d'implantation anarchique est venue se substituer au plan prévu, à cause de la forte augmentation de sa population.
Siriki Sangaré : C’est vrai qu’elle bénéficie d’un plan directeur, et c’est rare. De 1960 à 1974, Félix Houphouët-Boigny a travaillé sur la notion de « ville ». Il a mis en place un plan d’urbanisation, agrémenté d’une planification et d’une gestion de l’aménagement urbain. Mais comme dans toutes les cités africaines, nous sommes dans une phase de « mouvement », d’« urbanisation de transition ». Nous avons vécu un exode rural. Les grandes villes sont constituées de gros villages préexistants, qui ont gagné en proportion et enflé avec l’afflux de populations venant d’ailleurs. C’est un processus d’urbanisation différent de ce que nous observons en Occident. Nos villes se fabriquent avec les réalités africaines. Voyez par exemple le cas d’Abobo, l’une des grosses communes populaires d’Abidjan. Les gens s’y installent sans respecter le plan directeur de la ville, et cela crée des bidonvilles. Nous sommes dans une situation où nous devons penser la suite, adapter l’urbanisation à la nouvelle donne, planifier l’emplacement et le nombre de logements, mettre en place des infrastructures adaptées, notamment d’assainissement. Ce travail pour rattraper ce qui doit l’être a été engagé. C’est un processus complexe et coûteux.
Félix Houphouët-Boigny a tracé les grands axes du développement d’Abidjan, mais la réalité ne correspond pas à ce qui avait été prévu il y a cinquante ans…
S.D. : En effet, car c’est la capitale de l’Afrique de l’Ouest, et la ville la plus stable de toute la sous-région. Elle est cosmopolite, très attractive. On a envie de s’y établir pour son rayonnement international ! Donc elle a dépassé toutes les attentes d’Houphouët-Boigny.
Mais il faut aussi rappeler que le pays a été en crise pendant au moins une décennie dans les années 2000. Cette période a mis à l’arrêt l’exécution du plan directeur d’Abidjan. Tout a été gelé. Il n’a reçu aucun enrichissement. Toutefois, j’insiste, celui-ci existe, et
les autorités, en travaillant à son actualisation nécessaire, s’appuient sur lui pour reprendre le chemin qui avait été interrompu. Cette décennie de crises politiques a-t-elle véritablement retardé le développement urbain de la ville ?
S.S. : Ces dix ans ont fortement impacté la réalisation des infrastructures et des aménagements liés au développement urbain. C’est aussi l’une des causes du déficit de 600 000 logements que nous connaissons. Abidjan a considérablement vu augmenter sa population. Malheureusement, les ouvrages prévus dans le plan, qui n’étaient déjà plus suffisants, n’ont pas été réalisés. Il faut tout réadapter : la mobilité, l’habitation, l’environnement. Toutefois, il faut tenir compte de la culture. C’est vrai qu’il y a des plans directeurs, mais les villages qui préexistent à ces pôles urbains induisent un certain mode de vie. Par exemple, le village de Blockhauss, derrière l’Hôtel Ivoire, est fait de maisons basses, qui ne correspondent pas forcément au besoin actuel. La réflexion, aujourd’hui, va vers la création de « villes nouvelles » autour d’Abidjan. Bingerville, Jacqueville, Grand-Bassam, etc. sont autant de pôles à développer pour désengorger cette dernière. L’État travaille en ce sens.
S.D. : En effet, le développement d’une ville, ce n’est pas uniquement l’aspect urbain. Dans cet aménagement détaillé, il faut proposer une nouvelle démarche qui introduise la notion de bâtiments écoresponsables. Abidjan doit préempter cette idée de cité éco-durable.
Les présidents qui ont suivi Houphouët-Boigny ne se sont pas vraiment penchés sur la question de la mise à jour du plan d’urbanisation, sauf assez récemment.
S.S. : Cela a été fait il y a peu, oui. Le ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme a adopté le Schéma directeur d’urbanisme du Grand Abidjan (SDUGA), qui sera révisé au fur et à mesure jusqu’en 2030.
S.D. : Cela a été fait et sera toujours fait. Mais la réalité, en Afrique, il faut le dire, c’est que le développement urbain accompagne le développement économique : il a pour but la facilitation du commerce, pas le développement de l’habitat. C’est aussi le problème pour penser la cité de demain. En France, par exemple, chaque agglomération a son centre d’affaires et sa zone résidentielle qui sont structurés à un niveau d’égale importance. Ce n’est pas le cas ici, où la ville se développe le long des voies du commerce, pour assurer à la fois l’activité économique et le besoin de mobilité des personnes. Au Mali, l’avènement d’une nouvelle route permet de
désenclaver une zone urbaine et offre aux paysans et aux commerçants de la visibilité pour vendre leurs récoltes, leurs produits, etc. Cela paraît anodin, mais ça ne l’est pas. Cette façon de penser induit des villes structurées de manière très différentes et très anarchiques. Que se passe-t-il le long de la voie ? Vous y trouvez des attroupements de vendeurs et d’échoppes, dont la taille varie selon l’importance du trafic routier. L’évolution du réseau accompagne la croissance des zones urbaines de manière générale en Afrique de l’Ouest.
S.S. : Quand on va à Yamoussoukro, on constate exactement cela. C’est pourquoi je parle d’une nécessaire adaptation de la réflexion urbanistique à nos réalités, à nos modes de vie.
S.D. : Oui, car à la base, le pays n’est pas urbanisé. Il faut laisser le passé derrière nous. Notre génération a la responsabilité de donner une nouvelle impulsion : les promoteurs, les architectes, les urbanistes, les développeurs, les banques et les pouvoirs publics ont la chance de pouvoir proposer ce que doit être la nouvelle Abidjan. Nous devons saisir cette chance et cette responsabilité. Il faut évidemment tenir compte de l’émergence de la classe moyenne. Autrefois, les familles africaines vivaient ensemble dans une concession, mais elles sont devenues individualistes. Aujourd’hui, elles veulent leur propre espace et leur confort. L’architecte est obligé de proposer une nouvelle manière d’habiter et, si possible, un habitat écoresponsable – la base de la démarche écologique, à une période où le réchauffement climatique dérègle les saisons. Le continent mérite cette réflexion. Une habitation écoresponsable, par exemple, c’est en premier lieu permettre aux gens d’habiter le quartier où ils travaillent pour diminuer les déplacements, donc la pollution. Ce n’est pas cher, c’est du bon sens, et ça augmente considérablement la qualité de vie de chacun. Il s’agit aussi de prendre en compte la « manière d’habiter » le bâtiment. Est-ce qu’il est fait avec des matériaux naturels et économes ? Plutôt que d’utiliser du ciment ou du béton, gros consommateurs d’énergie, il vaut mieux se tourner vers des ressources locales, comme la brique. Un bâtiment isolé sur le plan thermique sera-t-il cher ? Non, car il existe des solutions naturelles que l’on emploie peu. En France, on utilise de la laine de roche, mais ici, nous avons de la paille, qui est un matériau parfait. Nous avons également de l’énergie solaire, encore trop peu exploitée. Le problème que nous rencontrons en tant que professionnels est la faiblesse des industries aptes à développer ces produits verts et naturels. Une réduction de l’empreinte écologique et du prix de la construction serait possible en proposant une production réfléchie des matériaux économiques et une gestion durable des différentes ressources existant localement. Mais, par manque d’industrie, nous sommes obligés d’importer, et, à l’arrivée, le coût est plus élevé. Nous sommes à l’ère des bâtiments qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Nous devons emboîter le pas de cet élan vert.
En résumé, pour accompagner le développement d’une ville comme Abidjan, de grandes problématiques sont à résoudre simultanément : le déficit de logements, la construction d’un habitat aux normes et financièrement accessible, le réseau routier et la circulation, la pollution, l’assainissement et l’hygiène, la qualité de vie… En a-t-on les moyens et les ressources humaines ?
S.S. : Je dirai oui et non. Oui, parce que nous devons le faire. Nous n’avons pas le choix. Il faut proposer un cadre de vie décent aux habitants, et il faut les amener à s’intéresser aux questions liées à l’écologie…
S.D. : Il s’agit même d’un levier pour le développement économique. Nous devons avoir conscience de l’impact que cela peut avoir.
S.S. : Et non, parce que c’est en effet lourd et cher. On ne peut pas totalement reprendre en main un développement qui a dérivé. Comme pour d’autres grandes cités du continent, il nous faudra trouver des alternatives à la transformation : on a voulu rattraper Lagos, ça n’a pas marché, donc on a créé Abuja.
S.D. : Voilà. Comme Diamniadio, au Sénégal.
S.S. : Il faut déborder à l’extérieur, créer des villes nouvelles. Et puis, les constructions ont toujours été faites à l’horizontale, ici. Si l’on tend maintenant vers un système à la verticale, c’est que la pression est énorme : il n’y a plus assez de foncier disponible. Est-ce la solution au déficit de logements de construire en hauteur ?
S.S. : C’est plus compliqué que cela. Mais ce type de constructions permettra de gagner du temps pour résoudre les problèmes de fond. C’est une transition. Le déficit de logements n’est pas seulement lié à un manque de construction. Pour pouvoir bâtir, il faut respecter certaines règles : sécuriser le foncier (faire en sorte que tout ce qui est lié à la documentation, à l’administration, aux règles juridiques, soit sûr pour le propriétaire) et assurer les financements. C’est là que réside le vrai blocage aujourd’hui. Les financements hypothécaires sont impossibles parce que le foncier n’est pas assez sécurisé. Les banquiers ne prennent pas de risque en faveur de programmes qui ne sont pas juridiquement sûrs. Nous travaillons avec les autorités compétentes à la mise en place d’un cadre institutionnel fiable. C’est là que réside la solution si l’on veut résorber le déficit de logements. Et puis, il faut le dire, 80 % de la population travaille dans le secteur informel et a de faibles revenus. Mais ces gens ont aussi droit à un logement. S’il n’y a pas un accompagnement de l’État au niveau des financements, sous forme notamment d’exonérations fiscales, il leur sera difficile d’y avoir accès. D’où, bien sûr, l’intérêt des programmes de logements socio-économiques ! Avant d’aborder la question des logements sociaux, il faut dire que le coût de l’habitat a beaucoup augmenté à Abidjan. Comment la population peut-elle se loger ?
génération
Il existe des solutions pour construire à moindre coût ?
S.D. : Absolument. On peut sortir d’une architecture qui n’utilise que le parpaing.
S.S. : La réflexion doit se porter sur l’industrialisation de la chaîne de production.
Vous avez évoqué l’ample programme de logements sociaux. Mais il a connu un « faux départ » avant d’être relancé. Il semble cette fois plutôt mieux parti.
S.D. : Ce coût a en effet explosé. C’est un élément de la réflexion sur la manière de résorber le déficit d’unités. Avant même de penser à la construction, il faut dire que le prix du foncier a largement augmenté ! Le terrain reste la valeur refuge pour un placement spéculatif. Évidemment, tout le monde ne peut pas acheter un terrain pour se construire une maison individuelle. C’est pourquoi on se tourne vers des solutions de verticalité. L’extension de la ville est galopante. Pour autant, cette dernière ne doit pas devenir une nébuleuse. Nous sommes contraints de mener cette réflexion autour de la verticalité. L’Africain n’aime pas vivre dans des immeubles car la gestion en communauté est souvent compliquée chez nous. Mais il existe des verticalités intermédiaires, adaptées à nos styles de vie. Nous nous sentons à l’aise, par exemple, dans de petites unités d’immeubles de deux ou trois étages, des maisons jumelées, dos-à-dos ou latéralement, comme en Angleterre : chacun a sa maison, et son entrée particulière. Voilà une première solution de densité structurée alternative à la maison individuelle. Concernant le coût des matériaux, il faut industrialiser le secteur de la construction, sinon on ne pourra pas accompagner les projets de développement des logements sociaux. Pourquoi, en Europe, parvient-on à construire moins cher ? Parce que l’histoire du logement social est étroitement liée à celle de l’industrialisation des matériaux et des procédés de construction. Ils utilisent des matériaux locaux et les transforment. Ce n’est malheureusement pas le cas chez nous. On achète très cher les terrains, ensuite on importe des produits tels que le ciment et le fer, dont les coûts ont explosé. Tous ces matériaux sont remplaçables par certains produits que l’on trouve sur place. On peut, par exemple, utiliser du bambou à la place du fer pour les armatures des maisons de plain-pied. Ce procédé est très utilisé par les Asiatiques, notamment en Indonésie. En fait, en Afrique, nous avons perdu les habitudes et le savoir-faire de nos anciens, qui construisaient sans se ruiner.
S.S. : Il faut d’abord définir la notion de « logement social ». Pour moi, il n’existe pas en tant que tel. Un logement dit « social » ne doit pas être un « sous-logement », de piètre qualité ou non fonctionnel. Il doit respecter toutes les normes. En revanche, ses conditions d’acquisition peuvent être sociales. Il ne faut pas catégoriser les constructions mais penser que, pour un logement donné, une partie de la population pourra l’acquérir grâce à une procédure d’achat social, en fonction de certains critères. Cela nécessite un engagement fort de l’État, à travers des subventions. Sans cela, ce n’est pas possible. Nous avons un programme de 150 000 habitations sociales à réaliser. Pour nous, en tant que promoteurs, cela représente deux types de risque : celui de performance, d’abord. Autrement dit, le constructeur que l’on choisit doit respecter le cahier des charges et toutes les normes de construction, ainsi que les délais. Il faut donc des professionnels tout au long de la chaîne. Et puis le risque de commercialisation. Évidemment, ces logements, il faut les vendre, et si l’État n’apporte pas les subventions nécessaires pour accompagner ce type d’opération, il nous est impossible de le faire dans des conditions que j’appelle « sociales ». L’État, de ce point de vue, joue-t-il le jeu ?
S.S. : Depuis le début, l’État a joué son rôle en accompagnant le programme et en mettant en place une fiscalité attrayante (exonérations, facilités à l’acquisition des sites, etc.). Mais cela ne suffit pas. Il doit faire beaucoup plus, à savoir d’abord se constituer un patrimoine immobilier destiné à la location. Tout le monde ne peut pas être propriétaire, cela n’est possible dans aucun pays… Et près de 1 million de personnes vivent dans les quartiers précaires. Comment les reloger si l’État n’a aucun patrimoine ? Ce n’est pas moi qui vais pouvoir le faire en tant qu’individu… Ces personnes loueraient à bas coût des appartements proposés par l’État. Ensuite, viendrait une phase d’acquisition directe pour ceux qui peuvent le faire. Il existe aussi le système de la location-vente. C’est sur ce sujet que nous travaillons avec les services de l’État. Évidemment, la location-vente nécessite une subvention publique. Soit l’État est la contrepartie, soit il aide le promoteur à commercialiser. Le programme de logements sociaux est-il sur de bons rails ?
S.S. : Maintenant, oui. Il fallait mettre en place certaines réformes, qui sont en cours. Sur le plan de la commercialisation, par exemple, une aide aux revenus très faibles, qui évoluent dans
Notre
a la responsabilité de donner une nouvelle impulsion : nous avons la chance de pouvoir proposer ce que doit être la nouvelle capitale économique.
le secteur informel, a été mise en place. Même pour ceux qui ne sont pas bancarisés. Le Smic est à 60 000 francs CFA, c’est compliqué de se loger avec un tel revenu. Après négociation, un fonds de garantie a été mis en place. Nous attendons qu’il soit alimenté. Je pense aussi qu’il faudrait mettre en place une parafiscalité pour abonder le fonds. Pensez-vous que ce programme de logements sociaux permettra à chacun d’avoir un toit sur la tête ? Ou le déficit de logements risque-t-il de perdurer ?
S.D. : Je pense que le déficit va diminuer. L’urbanisation anarchique est le fait de catégories sociales défavorisées. Si, grâce à l’assistance de l’État, on règle la question du logement pour ceux qui n’ont pas les moyens de la prendre en charge seuls, on résout une grande partie du problème. On évite les bidonvilles ! Lorsque vous pensez un projet immobilier, tenez-vous compte de la beauté du site que vous concevez et de la qualité de vie des habitants ? Est-ce qu’Abidjan peut être agréable à vivre ?
S.D. : On peut penser une ville agréable, mais pas sans certains préalables. Par exemple, l’espace vert par habitant se calcule. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose une norme de 12 m2 par habitant. À Abidjan, je ne pense pas qu’on atteigne 1 m2. Forcément, c’est un problème pour la qualité de vie. Pourtant, 12 m2, ça ne paraît pas extraordinaire. Cette réflexion sur la qualité de vie doit être incluse dans le plan directeur. Les espaces verts sont dédiés à la promenade, ils sont inclus dans les résidences, avec des aires de jeux pour les enfants, etc. Deuxième point, vous l’avez remarqué, il y a assez peu de trottoirs. Les gens marchent sur les routes. On a vu que ce phénomène facilite le développement du commerce, mais pas vraiment la sécurité ni la qualité de la vie des populations. Tant que ce type de réflexion préalable n’est pas mené, on ne peut songer à améliorer la qualité de vie.
S.S. : Il y a la conception de la ville et celle des programmes immobiliers. Ça fonctionne ensemble. Notre objectif est de créer un cadre de vie agréable pour les habitants, en ville et dans leur cité. La beauté, pour nous, ce n’est pas forcément la beauté visuelle ! La beauté d’une ville est qualitative. C’est qu’on s’y sente bien. Il ne peut pas y avoir de rupture entre la ville et la cité. Les villes nouvelles ont l’avantage de partir d’une page blanche. On peut concevoir une bonne planification urbaine, qui tienne compte de tous les éléments d’un cadre de vie agréable. Cela va régler beaucoup de problèmes. On vivra tranquille, à l’aise dans de petites villes écologiques, bien conçues, respectant les normes internationales.
Pour Abidjan, peut-on rattraper ce qui ne va pas ou doit-on laisser les choses en l’état et se concentrer sur la construction des villes nouvelles ?
S.S. : On ne peut pas laisser les choses en l’état. Il s’agit d’améliorer ce qui peut l’être, mais cela coûte extrêmement cher. L’assainissement, par exemple, qui a été le parent pauvre dans le domaine de la construction à Abidjan. Tout remettre à niveau coûte cher. C’est une action à la fois indispensable et invisible. Il faut mettre à niveau ce qu’on peut, mais la solution se trouve à l’extérieur de l’agglomération, dans les villes nouvelles. Et les mentalités doivent évoluer parce que, culturellement, il n’est pas évident d’imposer une qualité de vie venue d’ailleurs et qui n’est pas encore dans les mœurs. Penser les villes nouvelles, c’est aussi tenir compte de la lente évolution de nos cultures. Comment voyez-vous Abidjan dans vingt ou trente ans ?
S.S. : Je vois une grande mégalopole, mais avec des zones centrées, organisées. Je crois que l’on commence déjà à vivre cela. Chacun évolue dans son milieu, dans son environnement. Les gens des Deux-Plateaux, souvent, vivent et travaillent dans ce quartier. C’est aussi le cas en Zone 4. Quand on regarde ce qui est proposé à Abatta, un nouveau quartier justement, on tend vers ce fonctionnement « localisé ». Les villes nouvelles vont suivre ce schéma.
S.D. : Et c’est très bien parce que l’impact est déjà positif sur l’environnement. Il y a moins de problèmes de trafic, de transport. La vie quotidienne s’en ressent positivement. L’un des aspects de la qualité de vie, ce sont les transports en commun. Ils sont encore trop peu développés à Abidjan.
S.S. : L’amélioration du plan directeur va permettre de régler le problème de la mobilité. On va mettre la lagune à contribution ! On se déplacera en bateau. Et puis, de plus en plus, l’Ivoirien s’adapte aux réalités de la vie d’aujourd’hui : on n’est pas toujours obligé de se déplacer pour travailler. Le télétravail se développe considérablement. D’ici trente ans, beaucoup de problèmes seront réglés : les embouteillages, par exemple ; tout ce qui est assainissement, avec les travaux qui sont en cours. Toutes les canalisations seront refaites. Il y aura toujours des zones plus riches, c’est tout à fait normal, c’est ainsi dans toutes les villes. Mais je veux dire qu’une certaine harmonie de vie se profile. Dans trente ans, Abidjan sera la ville la plus attrayante qui soit, pas seulement en l’Afrique de l’Ouest. ■
Notre objectif est de créer un cadre de vie agréable pour les habitants. La beauté n’est pas forcément visuelle ! Elle est qualitative.
MON ABIDJAN PAR VENANCE KONAN
Journaliste et écrivain, il a longtemps dirigé le groupe Fraternité Matin. Auteur d’une dizaine de livres, parmi lesquels le fameux Les Catapilas, ces ingrats (2009), il est aujourd'hui président du conseil d'administration de la Société ivoirienne de télédiffusion.
Je ne reconnais plus Abidjan. Je ne m’y retrouve vraiment plus. Ça bouge si vite que j’en perds la tête. Qu’est devenu le Treichville de mon enfance, avec sa fameuse Rue 12, ses célèbres boîtes de nuit ? Nos aînés allaient se trémousser à L'Oasis du désert, le dancing du chanteur Amédée Pierre, et s’encanailler à la Boule noire, lesquels ont aujourd’hui disparu. Nous, une fois étudiants, nous allions au Jannick Bar. Plus âgés, nous allions à La Canne à sucre ou à Cabane Bambou. Chacha, chez qui nous aimions aller déjeuner et boire un coup le soir avant d’aller en boîte, est partie dans l’autre monde. Lili la métisse, de son côté, a transformé son maquis Le Bleyssa en restaurant. Finis les poissons braisés arrosés de bières dégustés jusqu’aux aurores, au bord de la rue, près du caniveau. À l’époque, je ne sentais pas les odeurs. Aujourd’hui, si. Je crois que j’ai vieilli. Il y a quelques années, nous nous étions reportés à la Zone 4 de Marcory. Il y avait tout en Zone 4. Les meilleurs restaurants, qui proposaient des cuisines de tous les pays, et puis, des bars et des boîtes de nuit pour tous les goûts et toutes les tendances. Des plus chics aux plus glauques. Puis, la Zone 4 a franchi les limites. Pratiquement plus un seul bar où les filles n’étaient pas totalement nues. La Zone 4 était devenue triste. À partir de 2011, le nouveau pouvoir mit le holà. Heureusement, il y a encore des restaurants et des bars chics, comme chez Quito, et des clubs de jazz.
L’insaisissable
Abidjan bouge. Abidjan change. À vue d’œil. Abidjan est en chantier. On construit des échangeurs, des ponts, des routes, partout. Un majestueux pont à haubans est en train d’enjamber la lagune depuis le Plateau pour rallier Cocody. En dessous, la baie est aménagée pour devenir une belle marina pour bateaux de plaisance. Un autre pont, tout aussi majestueux, va relier Yopougon à Adjamé. Et le vieux stade Félix Houphouët-Boigny est en train de s’offrir une cure de jouvence. Sans doute pour rivaliser avec le nouveau, qui vient d’être construit à Ebimpé, du côté d’Anyama. De nouveaux quartiers naissent aussi, sans grande originalité architecturale, et surtout sans beaucoup de verdure.
Abidjan n’en finit pas de s’étirer, jusqu’à se confondre avec les cités voisines de Grand-Bassam, Bingerville, Songon,
Anyama… Il y a, à côté de la très chic Beverly Hills des « en haut d’en haut », les cités-dortoirs des petites et moyennes bourgeoisies, les HLM des « en bas d’en bas », et les bidonvilles des exclus de la croissance qui poussent à une vitesse exponentielle. La ville n’est-elle pas en train de devenir comme Lagos ? Circuler dans la ville est une épreuve qui fait justement penser aux célèbres « go slow » de Lagos. Mais on se console en se disant que lorsque tous ces travaux seront terminés, ce sera un mauvais souvenir. Car tous ces ponts, nouvelles routes, échangeurs n’ont que pour objet de rendre la circulation plus fluide. Et puis, il y a le métro qui arrive. Il est destiné à transporter à terme des centaines de milliers de personnes par jour. En attendant que la cité ait fini sa mue, on s’y amuse quand même. Abidjan est en train de reprendre sa place de capitale culturelle de l’Afrique. De nombreuses
galeries de renommée internationale, telles celles de Cécile Fakhoury, Ginette Donwahi ou Houkami Guyzagn, exposent les artistes les plus en vue sur le continent. Il y a aussi le musée des cultures contemporaines Adama Toungara (MuCAT), à Abobo. Les clubs de jazz et les pianos-bars qui avaient fermé durant les années noires de 2000 à 2011 ont rouvert. Des bars lounge où l’on boit du bon vin en grignotant du fromage ou de la charcuterie, des bars à cigares, des restaurants branchés, comme le Bushman Café ou le Toa, ont poussé un peu partout et drainent chaque soir du beau monde. Les super maquis, eux, ont toujours été là : la bière s'y boit par casier sur des airs de zouglou et de coupé-décalé. Abidjan revit. Abidjan renaît. ■
Rotimi Vieyra interview
« Prendre toute notre place dans l’essor de la ville »
Ensuite : Le groupe Teyliom, fondé et dirigé par Yérim Sow, semble recentrer ses activités sur la Côte d’Ivoire et Abidjan. Quelles sont les raisons de cette approche ?
Rotimi Vieyra : La Côte d’Ivoire a toujours été au cœur de la stratégie de Teyliom. Telecel, lancé en 1996, est devenu le deuxième opérateur mobile du pays. Selon les données consolidées du groupe à fin décembre 2021, le pays représente 60 % du chiffre d’affaires et 38 % du capital humain, avec des filiales telles que Bridge Bank Group Côte d’Ivoire, Continental Beverage Company (CBC), qui commercialise l’eau minérale Olgane, les hôtels (Seen Hotel Abidjan et Noom Hotel Abidjan), ainsi que plusieurs projets immobiliers de grande envergure. Enfin, avec un taux de croissance de près de 6 %, la stabilité politique, les perspectives à long terme, la Côte d’Ivoire représente une terre d’opportunités incontournable pour un groupe ambitieux comme le nôtre.
Que représente une ville comme Abidjan pour l’activité immobilière du groupe, Teyliom Properties ?
Vous le voyez, Abidjan est un chantier à ciel ouvert. En tant que développeur de centre urbain, Teyliom Properties souhaite prendre toute sa place dans son évolution. Nous intervenons ainsi depuis le développement immobilier jusqu’au facility management, en passant par la construction et la commercialisation. Nous sommes fiers d’avoir lancé, l’année dernière, l’important projet immobilier résidentiel Waterfront, à la Riviera M’Pouto, qui redéfinira les standards en matière de logement de haut standing. Les premières livraisons interviendront dans le courant de l’année 2024. Et nous avons un autre projet d’envergure, Akwaba Business Park (ABP), l’une des composantes clés du programme d’aménagement d’une véritable ville nouvelle autour de l'aéroport international Félix Houphouët-Boigny, initié par l’État (Aérocité). Il s’agit d’aménager une zone vitrine de la
Le directeur général de Teyliom Properties CI souligne les perspectives ouvertes par les mutations de la capitale économique.
propos recueillis par Zyad Limam
nouvelle Côte d’Ivoire favorisant l’implantation d’entreprises et de particuliers dans un environnement ultramoderne. ABP proposera une offre immobilière complète, contemporaine, avec un agencement subtil d’espaces résidentiels, de commerce, de loisirs, d’entreprises, de bureaux et d’hôtellerie sur près de 40 hectares le long du boulevard de l’Aéroport, entre le rond-point Akwaba et le parc des expositions en construction. Avec le développement de cette zone, soutenu par l’État, le futur d’Abidjan est en train de naître, et nous sommes fiers d’y contribuer ! Comment définiriez-vous le marché immobilier d’Abidjan ?
Il se caractérise par un dynamisme incontestable, avec un taux de croissance annuel de près de 20 % depuis 2012. Il est également marqué par un double déficit : quantitatif, du fait d’une demande toujours plus forte (entre 40 000 et 60 000 logements par an), en lien avec la pression démographique, et qualitatif, avec la nécessité d’améliorer globalement le niveau des constructions et des prestations. Quelles sont les perspectives de l’immobilier haut de gamme ?
Elles sont encourageantes. Comme dans toute ville en plein essor économique, de nombreux intervenants sont à la recherche d’investissements immobiliers à la hauteur de leurs ambitions. Par ailleurs, l’accroissement des zones d’habitation dans des quartiers comme la Zone 4, ou la commune de Cocody, ouvre de nouvelles possibilités. Il faut enfin souligner l’amélioration des conditions de financement bancaire, qui contribue
à cette bonne dynamique. En revanche, le marché n’est pas extensible à l’infini, et il faut surveiller les premiers signaux de ralentissement de la demande, compte tenu des nombreux projets qui seront finalisés et livrés dans les prochaines années. L’immobilier de bureau représente-t-il une potentialité importante ?
Il demeure un investissement très attractif, notamment au Plateau. D’une manière générale, la demande est forte, les prix continuent de grimper. Entre 2020 et 2022, les loyers des immeubles de bureaux modernes ont continué leur envolée, passant en moyenne mensuelle de 12 000-15 000 francs CFA par mètre carré à 18 000 francs CFA, voire 23 000 francs CFA. Ce phénomène s’explique en partie par la volonté des bailleurs de s’installer dans des quartiers de « prestige » reflétant leur statut. Pourtant, là aussi, il faut surveiller l’évolution à moyen terme, avec une augmentation de l’offre liée à la livraison de nouveaux immeubles de bureaux dans d’autres zones tertiaires de la ville, notamment les Deux Plateaux, Biétry et la Zone 4.
Les constructions écoresponsables, la gestion de l’eau, des pluies, des égouts, des canalisations sont des thèmes récurrents… Quelle est votre analyse des défis environnementaux auxquels doit faire face la ville ?
La croissance de l’industrie de la construction est l’une des plus rapides du monde. Ce dynamisme entraîne de nombreuses problématiques sur le plan écologique et environnemental, sur le plan aussi de la salubrité, avec la gestion des déchets, la mise
en place de systèmes d’égouts et de canalisations performants. Nous devons en outre faire face aux effets des changements climatiques et de pluviométrie. De nombreuses villes à travers le monde émergent sont confrontées à ces défis, auxquels s’ajoute évidemment la nécessité d’investir constamment dans les infrastructures, pour « se mettre à niveau ». Au sein du groupe Teyliom, nous sommes particulièrement sensibles à ces sujets et pensons que ces aspects doivent être intégrés dès la conception des programmes de construction. C’est la raison pour laquelle nos projets sont engagés dans le processus de certification EDGE de l’International Finance Corporation (IFC), avec pour ambition de réduire la consommation d’eau et d’énergie ainsi que l’empreinte énergétique des matériaux de construction. La congestion urbaine et les embouteillages paraissent être des points marquants. L’État investit massivement dans les infrastructures. Comment rendre la mégalopole « plus fluide » ?
La ville d’Abidjan enregistrerait autour de 17 millions de déplacements tous les jours, dont 9,5 millions par engin motorisé. Cette congestion urbaine est évidemment « gênante », mais elle crée surtout de sérieux problèmes touchant la santé et l’environnement du fait des émissions élevées de dioxyde de carbone. Les nombreux investissements de l’État dans les infrastructures devraient à terme réduire le phénomène, avec notamment la très attendue Y4, la voie de contournement qui fera la ceinture du Grand Abidjan, partant de Bassam à Bingerville, pour rejoindre Cocody, Abobo, Anyama, Songon, aboutir ensuite au carrefour Jacqueville, et enfin longer le bord maritime jusqu’au port d’Abidjan. D’autres solutions sont également envisageables, à savoir l’investissement dans le transport public de masse et la délocalisation de certains services publics et privés. Êtes-vous partisans du concept des nouvelles villes comme Diamniadio, à Dakar (où vous avez investi) ? Est-ce applicable à Abidjan ? Absolument ! À Diamniadio, Teyliom participe activement au développement du nouveau pôle urbain, avec la livraison des sphères ministérielles en 2019 et la construction de 904 logements. Ces villes nouvelles représentent des opportunités pour les acteurs du secteur immobilier. Mais elles permettent aussi de répondre aux problématiques de congestion urbaine. Le concept est parfaitement applicable en Côte d’Ivoire et à Abidjan. Notre projet Akwaba Business Park s’inscrit dans cette dynamique.
Quelle est la problématique du foncier ? Avons-nous progressé, en matière de sécurisation juridique ? Et de disponibilité ?
L’expansion d’Abidjan et des grandes villes de l’intérieur du pays a entraîné une multiplication des litiges fonciers. L’État a donc engagé des réformes énergiques pour assainir le secteur du foncier urbain, de l’urbanisme et de l’habitat. Avec notamment la création d’un guichet unique de la construction, la sécurisation et la facilitation des procédures d’obtention des titres fonciers (l’Arrêté de concession définitive, ACD). Plus récemment, le gouvernement a adopté une réglementation en lien avec le Système intégré de gestion du foncier urbain (SIGFU) ainsi qu’un décret portant mise en œuvre du projet de délimitation des territoires des villages du Grand Abidjan. Il existe donc une réelle volonté politique de faire avancer les choses. Sur le plan de la disponibilité, il faut aussi « penser » hors Abidjan. L’offre de terrains demeure élevée, en particulier avec l’attractivité nouvelle de villes telles que Grand-Bassam, Bingerville, Bonoua, San Pedro, Yamoussoukro et Bouaké. Mangalis, la structure hôtelière du groupe, vient de fêter ses 10 ans. Vous êtes particulièrement présent à Abidjan avec le Noom et le Seen. Comment se porte cette activité dans une ville très concurrentielle ?
L’objectif du groupe Mangalis est d’établir des standards sans précédent dans le secteur et d’être la référence de l’hôtellerie en Afrique, que cela soit en matière d’hébergement, de restauration ou d’événementiel. 2022 a démarré lentement, avec la fin de la crise sanitaire, mais la reprise est là, en particulier dans le tourisme d’affaires. Nous restons concentrés sur l’avenir. Les dix premières années ont été celles de l’investissement et de la structuration. Maintenant, nous entrons dans l’ère de la consolidation, avec de nombreux programmes sur le continent. En développant nos propres projets, notamment en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, au Cameroun et en République du Congo. Et en poursuivant le développement de contrats de gestion pour tiers.
Mangalis a-t-il d’autres projets dans le pays ?
Évidemment ! La Côte d'Ivoire reste un enjeu stratégique dans le cadre du développement hôtelier du groupe Teyliom, avec ses marques Noom, Seen et Yaas. Le Noom Bouaké ouvrira ses portes pour la prochaine Coupe d’Afrique des nations. Et le Yaas Hotel Akwaba s’inscrit dans le cadre du projet Akwaba Business Park. ■
De nombreux intervenants sont à la recherche d’investissements immobiliers à la hauteur de leurs ambitions.
LE DEUXIÈME TERMINAL À CONTENEURS OUVRE UNE NOUVELLE ÈRE POUR LA PLATEFORME PORTUAIRE ABIDJANAISE
Le deuxième terminal à conteneurs, infrastructure performante et innovante, ouvre une nouvelle ère pour le port d’Abidjan et vient booster considérablement sa compétitivité.
Le deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan, en exploitation depuis le mois de novembre 2022, a été officiellement inauguré le vendredi 02 décembre 2022 par le vice-Président de la République de Côte d’Ivoire, SEM Tiémoko Meyliet KONÉ, en présence du Premier Ministre ivoirien, M. Patrick ACHI et de plusieurs membres du Gouvernement.
La décision de réaliser ce terminal a pour but de permettre au port d’Abidjan d’accueillir des navires de nouvelle génération. Le coût de ce projet de grande envergure s’élève à un montant global de 596 milliards de francs CFA
Après la pose de la première pierre des travaux d’infrastructures, le 06 octobre 2015, la première phase des travaux consistant au terrassement et à la création de terre-pleins, a été exécutée par l’entreprise chinoise CHEC (China Harbour Engineering Company).
D’un montant de 334 milliards de francs CFA, cette partie des travaux a été financée par le Port Autonome d’Abidjan grâce à un prêt contracté auprès d’Eximbank Chine.
La seconde phase des travaux a quant, à elle été lancée cinq (05) ans plus tard, le 05 octobre 2020, lors de la cérémonie de pose de la première pierre des travaux de superstructures, en présence de SEM Alassane OUATTARA, Président de la République de Côte d’Ivoire.
D’un montant de 262 milliards de francs CFA, ces travaux ont été financés par le consortium Bolloré Ports et APM Terminals, concessionnaire du nouveau terminal, à travers leur filiale commune, Côte d’Ivoire Terminal.
Après vingt-quatre (24) mois de travaux dont six (06) mois de suspension dues à la pandémie de la COVID-19, le deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan a été livré dans le respect des délais impartis. Il offre désormais une nouvelle configuration au port.
Le nouveau terminal a une superficie de 37,5 hectares. Il dispose de 1 100 m de quai, avec 16 m de tirant d’eau. Doté d’équipements modernes, il est capable de traiter annuellement 1,5 million de conteneurs. Ce terminal permettra ainsi au port d’Abidjan de faire un bond qualitatif par l’accroissement de la capacité de traitement de conteneurs, de 1 million TEU à 2,5 millions TEU
Accordant du prix au respect des normes environnementales, le nouveau terminal à conteneurs ultra-moderne, est labellisé « Green Terminal » du fait de l'usage d'équipements à fonctionnement électrique.
Ce projet structurant qui vient ainsi redimensionner la plateforme portuaire d’Abidjan, arrive après plusieurs autres projets d’envergure. À savoir, le canal de Vridi élargi et approfondi, inauguré le 19 février 2019, et dont l’objectif était de pouvoir accueillir de grands navires sans limitation de longueur avec 16 mètres de tirant d’eau. Il y a aussi le môle du port de Pêche, inauguré en septembre 2015. Avec ses tirants d’eau admissibles de 10 mètres, il permet d’accueillir les plus grands chalutiers.
Au nombre des réalisations importantes, on note la création de 43 hectares de terrains supplémentaires par remblaiement de la baie lagunaire de Vridi. Depuis 2016, ces espaces ont été mis à la disposition des opérateurs.
Une autre réalisation tout aussi structurante, c’est le nouveau terminal roulier. Il est moderne. Il a été mis en exploitation en 2018. Ce terminal pourra à terme, traiter 70 000 véhicules par an, faisant du port d’Abidjan un grand port de transbordement pour véhicules.
Un autre projet auquel l’Autorité portuaire d’Abidjan tient, c’est le terminal céréalier. Les travaux d'infrastructures sont à un niveau d’exécution de 95%
Les quais de ce terminal accueilleront à compter de mars 2023, des grands navires céréaliers avec une capacité de 70 000 tonnes contre 30 000 tonnes avant.
Non moins important, la construction d’un terminal vraquier dont les quais rempiétés en 2017 permettent d'y accueillir des navires d’une capacité de 50 000 tonnes contre 30 000 tonnes avant.
Les importantes infrastructures terminées et celles dont les travaux sont en cours, viennent confirmer davantage l'ambition de la Direction Générale de faire de la plateforme portuaire d'Abidjan, un hub de dimension internationale.
De plus, toutes ces réalisations permettent au port d’Abidjan de s’inscrire parfaitement dans le troisième pilier de la vision stratégique 2030 du Président de la République à travers son programme « Une Côte d’Ivoire Solidaire », qui met l’accent sur le renforcement de la compétitivité des régions par un environnement des affaires plus favorable et par des infrastructures économiques de qualité.
interview
Hachim
Diop
De l'espoir à Bingerville
L’hôpital mère-enfant, fondé en 2018 par la première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara, et sa fondation Children of Africa, fêtera ses 5 ans en mars prochain. L’occasion pour son directeur général de faire le bilan sur le chemin accompli et sur une offre de soins unique dans la sous-région. propos recueillis par Philippe Di Nacera
L'HME se situe à Bingerville, une des communes d'Abidjan.
NABIL ZORKOTEnsuite : Pouvez-vous nous rappeler les raisons et les objectifs de la création de l’hôpital mère-enfant (HME) ?
Hachim Diop : À l’origine, l’idée était de créer une structure spécialisée qui n’existait pas en Côte d’Ivoire, dont la vocation est de réduire la mortalité des enfants et des mères. C’est la ligne directrice du concept. L’objectif étant aussi de permettre aux Ivoiriennes d’avoir accès à une qualité de soins élevée, à coût abordable.
Un hôpital accessible à toute la population en somme ?
L'HME est un établissement de haut niveau destiné à tous. L’esprit et le modèle économique sont la solidarité. Vingt-cinq pour cent des consultations concernent des personnes en situation d’indigence ; les actes, entièrement pris en charge, sont supportés par les autres patients. Grâce au chiffre d’affaires réalisé, nous parvenons à financer les soins des plus nécessiteux. Pour ceux qui paient, le coût des soins est-il beaucoup plus cher qu’à l’hôpital public ?
Ce coût est un peu plus élevé (entre 20 et 30 % de plus), mais reste bien en dessous de celui pratiqué par les cliniques privées (de l’ordre de 20 à 50 % moins cher).
Ces tarifs sont-ils justifiés par les équipements ?
Oui, car le matériel est de très haute qualité. Les structures également. La maintenance est lourde. Nous investissons aussi
beaucoup dans la formation continue du personnel de toutes catégories (médecins, infirmiers, sages-femmes, etc.). Par ailleurs, pour chaque spécialité, un médecin est disponible 24 heures sur 24, ce qui réduit le délai de prise en charge en urgence. Ces dispositifs induisent des dépenses importantes. Le modèle de gestion et la forme juridique de l ’établissement sont également particuliers. Est-ce une volonté de marquer la différence avec un établissement qui doit gagner de l’argent ?
Oui, en effet ! L’hôpital mère-enfant est une structure associative à but non lucratif, qui n’est pas un modèle unique en Côte d’Ivoire. Plusieurs établissements sont similaires au nôtre, comme l’hôpital Saint-Jean-Baptiste de Bodo. Nous ne versons pas d’argent à des actionnaires ou à des propriétaires. Tous les bénéfices sont réinvestis dans la structure, ce qui fait que nos bilans sont à zéro. C’est le premier élément qui démontre notre volonté d’être au service des populations. Cette forme juridique est également le meilleur moyen de promouvoir, j’y reviens, la solidarité. Il s’agit là d’un modèle équilibré et très neutre, sans intérêt financier. Nous vivons tout de même une forme de pression financière, dans la mesure où nous devons prendre en charge 25 % d’indigents, ce qui nous oblige à proposer un fonctionnement particulièrement compétent. Bien sûr, nous
La première dame a inauguré l'établissement le 16 mars 2018.
préservons les patients de cette pression. Toute personne qui se présente à l’hôpital est soignée avant que se posent des questions d’argent.
En quoi consiste votre travail de gestionnaire d’un tel établissement ?
Je veille à maintenir le système performant dans son fonctionnement. L’objectif est de limiter la perte d’argent, de parvenir à nourrir toutes nos ambitions, de développer des projets de soins innovants, de maintenir un équipement de très haut niveau, de former le personnel et, surtout, de soigner le plus de gens possible. C’est cette équation que je dois résoudre tous les jours.
Quel bilan tirez-vous de ces cinq premières années d’activité ? Les objectifs fixés ont-ils été atteints, selon vous ?
Je dirais que, « mathématiquement », les objectifs sont atteints, oui. Nous sommes là où nous devions être en matière d’évolution d’activité, d’équilibre financier, de développement du nombre de prises en charge, selon le business plan qui a été fait en 2013 ou 2014. C’est la preuve que le concept a été très bien pensé dès le début. Quand on connaît un peu Madame Dominique Ouattara, qui est très rigoureuse, on comprend pourquoi, depuis sa conception, le projet est sur de bons rails.
Quelles spécialités médicales sont offertes aux Ivoiriens, tant en matière d’hospitalisation que de consultation externe ?
Presque toutes les spécialités pédiatriques sont disponibles : pédiatrie, chirurgie, ORL, ophtal mologie, cardiologie, odontologie, neurologie, neuropsychiatrie, hématologie, endocrinologie, néphrologie, diététique, médecine physique et de réadaptation, psychologie, psychomotricité, orthophonie,
L’esprit et le modèle sont basés sur la solidarité. Grâce au chiffre d’affaires réalisé, nous parvenons à prendre en charge les plus fragiles.
etc. Du côté de l'hospitalisation, notre principal service est la pédiatrie médicale, qui est le cœur de notre activité. Auquel s’ajoutent la chirurgie et les urgences, avec la présence permanente de chirurgiens-pédiatres (nous devons être les seuls en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, à proposer ce dispositif). Le volet « Enfant » comprend un service d’oncologie pédiatrique, capable de prendre en charge toutes les pathologies liées aux cancers pédiatriques. Le volet « Mère », notre département gynécologie-obstétrique, est assorti d’un bloc et d’un service d’hospitalisation. L’établissement dispose aussi d’un service de médecine polyvalente, dont le rôle est de recevoir certains cas de consultations externes qui arrivent à l’hôpital dans un état dégradé. Nous avons également un département de néonatologie, un service de soins critiques. Le nombre de couveuses n’étant pas excédentaire en Côte d’Ivoire, nous y recevons des enfants venus d’autres hôpitaux. Enfin, nous possédons un service d’anesthésie-réanimation et un centre de fertilité. Si l’on prend en considération les consultations externes, le nombre de spécialités proposées est bien plus large… Beaucoup plus ouvert, effectivement. C’est là où le modèle est intéressant.
Les pères peuvent-ils venir ?
Parfaitement. Les pères, les grandspères aussi. Les mères, les filles, les sœurs ! En consultation externe, l’hôpital est ouvert à tous. Notre offre de soins comprend les unités suivantes : médecine générale, dentisterie, ophtalmologie, cardiologie, psychologie, psychomotricité, orthophonie, nutrition. Ainsi que tous les supports de soins : laboratoire d’analyse, imagerie, scanner, IRM, etc.
L’hôpital rayonne-t-il également à l’international ?
L’établissement accueille de plus en plus de patients venant de tout le pays. Certains d’entre eux sont régulièrement orientés vers l'HME par des structures sanitaires situées à l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Nous avons beaucoup communiqué avec ces structures, et des liens se sont tissés entre nous. L’hôpital mère-enfant de Bingerville est identifié comme un centre de référence pour certaines prises en charge, comme en chirurgie néonatale. Pour certains accouchements compliqués, les patientes sont accueillies chez nous. Je pense que le travail que nous faisons sur la qualité de la prise en charge porte ses fruits. Nous recevons également des demandes de pays voisins. Récemment, une femme enceinte est venue du Gabon accoucher à l’HME. Elle se sentait rassurée par l’environnement. Ces demandes sont de plus en plus fréquentes. Par ailleurs, nous participons à
des missions de haut niveau, en partenariat avec La Chaîne de l’espoir notamment. Cette ONG française, centrée sur l’aide sanitaire, intervient dans une dizaine de pays, en Afrique et dans le monde. Pourvoyeuse de médecins, de professionnels de santé, de formations, elle se rend au Mali, au Sénégal, chez nous. Nous travaillons avec elle depuis que nous existons, et nous menons actuellement ensemble une mission sur la sténose caustique de l’œsophage. C’est-à-dire ?
Cette pathologie touche les enfants qui ont bu des produits caustiques, comme de la javel, de l’acide ou tout type de produit d’entretien. Dans l’hémisphère nord, les produits dangereux sont munis d’un bouchon de sécurité. Dans nos pays, ce n'est pas le cas. Quand le liquide passe dans l’œsophage, il le brûle, provoquant son rétrécissement. Pour ceux dont l’œsophage est trop altéré, il faut le remplacer ; une lourde opération que l'HME est en mesure de pratiquer. Avec des chirurgiens parisiens et des équipes locales, nous en sommes à notre septième mission de remplacement œsophagien. C’est même la plus grande série en cours dans le monde. Grâce à ces interventions, très techniques, nos équipes montent en compétences. Nous entretenons la même logique de coopération avec le laboratoire Drouot, une référence française, qui nous accompagne depuis le début dans le cadre de notre service d’assistance médicale à la procréation. Ce genre d’activités nous aide à grandir et nous permet également de rayonner internationalement. Quels sont les axes de développement dans les années à venir ?
Je ne vais pas vous surprendre avec des annonces extraordinaires. Le projet va rester sur ses rails. Il s’agit de consolider la prise en charge holistique de tous nos patients. Nous allons poursuivre la mise en place d’un environnement complet autour du patient, afin de proposer les meilleures solutions thérapeutiques et conditions de prises en charge. Nous avons la volonté de prouver qu’une structure de santé bien organisée, animée par un personnel de santé correctement formé, peut véritablement recevoir les patients de manière bienveillante et qualitative en Côte d’Ivoire. Cette résolution peut sembler abstraite, formulée ainsi. Elle constitue pourtant notre travail de tous les jours. Vous allez bientôt créer ce que vous appelez une « maison de vie ». De quoi s’agit-il ?
C’est une structure de 48 lits offerte par la princesse Lalla Salma du Maroc à la fondation Children of Africa, qui doit servir à l’hébergement non médicalisé. Seront concernées les familles
Nos équipes montent en compétence, sur la chirurgie, sur l'aide à la procréation, sur la formation.
dont l’enfant est hospitalisé, en particulier ceux qui suivent des soins contre le cancer, pris en charge en chimiothérapie. Nous achevons sa construction. Cette maison de vie sera fonctionnelle courant 2023.
Qu’a apporté votre établissement au pays en matière d’offre de soins ou d’augmentation de leur niveau ?
Je pense que l’élément le plus marquant, c’est ce que nous appelons les « dossiers indigents ». Cette prise en charge sociale permet de valider administrativement la gratuité des soins d’un quart de nos patients. Quand on voit ces personnes souffrant de maladies depuis parfois plusieurs années, qui se sont souvent rendues dans plusieurs établissements, en dehors ou à l’intérieur d’Abidjan, parvenir à résoudre gratuitement leur problème chez nous, c’est une satisfaction. Même celles qui paient réussissent à trouver une solution à leur situation grâce à des possibilités de prise en charge qui n’existaient pas auparavant. Pour moi, là,
nous sommes vraiment au cœur de notre mission. C’est la vision qu’avait la fondatrice à la création de l’hôpital. De ce point de vue, l’HME est une réussite. En tant que français, quel regard portez-vous sur le système de soins en Côte d’Ivoire, entre le moment où vous êtes arrivé et aujourd’hui ?
Il y a une nette évolution. On sent une volonté de faire les choses différemment : des structures sont créées, le niveau des équipements monte dans tous les établissements, y compris les hôpitaux publics. Nous entretenons des liens avec l’Institut de formation des agents de santé et le ministère de la Santé. L’hôpital mère-enfant est un lieu de stage pour de nombreux étudiants en médecine, et il forme des spécialistes. Dans ce pays, c’est clair, il existe une ferme intention de faire beaucoup mieux pour soigner les gens et leur permettre de bénéficier d’un suivi personnalisé sur place. ■
L’ÉPOPÉE DE L'IVOIRE archi
Loin d’être une simple référence hôtelière, ce 5 étoiles emblématique passé sous marque Sofitel s’est imposé au fil du temps comme un acteur à part entière de l’histoire du pays, dont il reflète avec un mimétisme troublant les soubresauts et embellies. par Élodie Vermeil
NABIL ZORKOT POUR AMÀ
la fin des années 1950 et au début de la décennie suivante, alors que la plupart des pays d’Afrique subsaharienne accédaient à l’indépendance, l’architecture devint l’un des principaux moyens pour les jeunes nations d’exprimer leur vigueur et leur désir de grandeur. Dans les capitales africaines, parlements, banques centrales, stades, centres de conférences, universités et monuments commémoratifs se mirent à sortir de terre, souvent construits dans des styles audacieux. L’aspect moderne et futuriste caractérisant ces édifices reflétait les aspirations et la foi en l’avenir qui imprégnait alors les mentalités, coïncidant avec une période de prospérité économique qui permit de recourir à des procédés de construction élaborés, tandis que le climat tropical s’harmonisait parfaitement avec cette architecture de style international brouillant la limite entre espaces intérieur et extérieur, axée sur la forme et l’expression de la matérialité. Félix Houphouët-Boigny, premier président de Côte d’Ivoire, perçut très rapidement que les hôtels de luxe constituaient un élément clé dans le processus de construction d’une nation. Non seulement ils ouvraient le pays à un marché touristique en pleine expansion, mais ils offraient également la possibilité d’accueillir hommes d’affaires et politiciens du monde entier, grâce à
Le complexe se situe à Cocody, en face des tours du Plateau.une infrastructure adaptée à l’organisation de conférences et de réunions, véhiculant une image de réussite et de glamour au monde occidental. Par conséquent, l’un des premiers projets qu’il engagea après l’indépendance fut la mise en chantier de l’un des complexes les plus fastueux de toute l’Afrique occidentale, si ce n’est de tout le continent : l’hôtel Ivoire, point de départ d’un boom sans précédent du secteur, qui aboutit à un vaste programme de construction hôtelière et d’aménagement de sites touristiques. Le nombre de visiteurs fut ainsi multiplié par plus de quatre entre 1970 et 1985, passant de 45 000 à 204 000.
LA GENÈSE D’UN MYTHE
Au moment de l’accession à l’autonomie de la Côte d’Ivoire, le 7 août 1960, les principaux réceptifs hôteliers d’Abidjan étaient le Bardon (devenu l’hôtel du Parc), le Grand Hôtel, au Plateau, et l’hôtel du Relais (occupé actuellement par le Bureau national d’études techniques et de développement), à Cocody. Ces établissements appartenaient tous aux Relais aériens, une société qui construisait et exploitait lieux d’hébergement, restaurants ou bars d’aérodrome dans l’Union française. Leur standing correspondait davantage à celui d’une petite ville provinciale hexagonale qu’à une capitale africaine digne de ce nom, calquant le modèle américain qui faisait tant rêver Houphouët-Boigny. Le long du littoral atlantique, de Dakar à Kinshasa, les hôtels qui se distinguaient étaient l’Ambassador à Accra, le Ngor à Dakar et le Ducor à Monrovia, qui reçut le président ivoirien peu après l’indépendance, lors d’une visite officielle qu’il effectuait au Liberia. Il y rencontra le maître d’œuvre de l’établissement, l’architecte, promoteur immobilier et homme d’affaires roumano-israélien Moshe Mayer, auquel il aurait demandé de lui édifier un « hôtel de ce genre chez [lui], à Abidjan, mais plus joli ». L’entrepreneur se rendit donc en Côte d’Ivoire, visita la ville et accepta de diriger les travaux de planification et de construction du complexe de l’Ivoire imaginé par Félix Houphouët-Boigny dans le quartier de Cocody – déjà un
Définitivement
« espace élyséen » en soi en raison de sa vocation résidentielle de haut standing. Le 3 décembre 1960 fut signé entre le président ivoirien et le groupe Mafit Trust Corporation, dirigé par Mayer, un protocole d’accord prévoyant l’édification d’un palace de classe internationale sur le territoire de Cocody. Moins de trois ans plus tard, en août 1963, la première tranche du luxueux complexe hôtelier était livrée.
Au départ, il s’agit d’intégrer l’hôtel dans un vaste projet d’aménagement urbain baptisé « la Riviera africaine ». La zone dans laquelle l’opération doit être mise en chantier fait partie du domaine coutumier des Ébriés, qui en tirent des revenus grâce à la culture de plantes vivrières et industrielles (manioc, café, palmier à huile, colatier). Qu’à cela ne tienne : les paysans seront expropriés, et Houphouët-Boigny les dédommagera en leur offrant des terrains viabilisés. Après Kossou et San Pedro, la Riviera africaine est présentée comme une « autre grande œuvre de promotion économique et sociale que le gouvernement s’est engagé résolument à entreprendre pour le meilleur devenir de notre pays », comme le souligne le ministre de la
achevé, le « Bâtiment » devient incontestablement l’un des premiers lieux de prestige de tout le continent.Ci-dessus, l'inauguration par Félix Houphouët-Boigny et l'architecte Moshe Mayer (à droite), le 7 s eptembre 1963.
Construction et de l’Urbanisme
Alexis Thierry Lebbé dans un discours prononcé lors de la pose de la première pierre, le 7 septembre 1970. Dès cet instant se matérialise, sur plus de 15 ha, la notion d’un véritable « Village Ivoire », fleuron de la coopération ivoiro-israélienne, Tel-Aviv finançant en partie l’édification du « plus grand et [du] plus élégant hôtel de l’Afrique de l’Ouest », comme on peut lire à l’époque dans la presse. Durant l’année 1961, les Abidjanais verront se dresser chaque jour un peu plus sur les hauteurs de Blokosso une « structure immense », dont la construction est supervisée par des Blancs qui ne s’expriment pas en français.
FASTE SUR LA VILLE
Le cadre paysager est élaboré en collaboration avec des experts israéliens, mais aussi à la faveur des apports importants de spécialistes français, italiens, allemands et américains. On doit les lignes audacieuses et les intérieurs artistiques et harmonieux du complexe aux efforts créatifs conjugués des architectes israéliens Heinz Fenchel, Thomas Leitersdorf et Joseph Goldenberg, du Californien Williams Pereira et de l’architectepaysagiste Zvi Miller. La première partie de l’ensemble hôtelier, dévoilée en 1963, abrite un bâtiment de socle d’un étage incluant un lobby, un restaurant et d’autres fonctions générales. Sur ce socle repose un volume de 13 étages, le « Bâtiment » ou la « Barre », destiné à loger 200 chambres environ. En 1969, l’Ivoire prend sa configuration emblématique avec l’élévation d’une tour de 24 étages, haute de 107 mètres, dotée d’une capacité d’accueil de plus de 200 chambres, toutes pourvues d’un téléphone et d’une baignoire. Jusqu’en 1984 – année à laquelle la tour D de la cité administrative la coiffe de 6 mètres –, la Tour restera l’édifice le plus haut de Côte d’Ivoire. Plus tard, une patinoire (la première et la seule de toute l’Afrique subsaharienne), un casino (dont Houphouët-Boigny, en bon père du peuple ne souhaitant pas que ses enfants aillent s’y ruiner, avait interdit
À gauche : le bar du joyau du pays, Le Rendez-vous, en 1966. Ci-dessus : une chambre double du bâtiment principal, en 1963.
l’accès aux Ivoiriens) et un palais des congrès érigé sur la grande esplanade s’ouvrant au pied de la Tour parferont l’ensemble. Entre autres commodités et infrastructures de loisirs permettant de vivre en totale autarcie dans cette enclave de luxe et de volupté, on trouve également un centre commercial comprenant des magasins de luxe, une galerie d’art, une pharmacie, un supermarché, une banque, cinq restaurants, des bars, de nombreuses salles de conférences, un complexe sportif comptant 11 courts de tennis, d’immenses jardins, une discothèque, un bowling, un cinéma, une piscine et un lac artificiel long de 250 mètres, qui couvre une superficie de plus de 7 500 m2. Les vœux de gigantisme du président sont exaucés au-delà de toute mesure : lorsque l’hôtel est définitivement achevé, il devient incontestablement l’un des plus prestigieux édifices de tout le continent et incarne à lui seul le triomphe du modernisme africain inspiré du style international, mouvement architectural majeur du XX e siècle et courant dominant pour les bâtiments institutionnels et commerciaux.
« L’hôtel Ivoire bénéficie d’une distribution assez rationnelle, analyse l’architecte ivoirien Issa Diabaté. La Tour et la Barre constituent des éléments typiques de l’écriture de l’architecture moderne des années 1960, avec des couloirs qui distribuent les chambres dans une logique fonctionnelle. L’idée, dans ce type de construction, est de garder les espaces publics en rez-dechaussée, sur une espèce de galette qui lie à la fois la Tour et la Barre, et de répartir tout ce qui est fonctionnel, c’est-à-dire les logements, au-dessus de cette galette. Autre élément important, sa vaste esplanade avec son grand totem, qui permet d’avoir une belle perspective d’ensemble sur les bâtiments. Associée au palais des congrès, elle vient compléter l’identité de l’hôtel, et le confirme comme un espace d’élévation et de représentation de soi. L’emplacement ouvert et en hauteur, sur une espèce de
pointe de plateau, obéit lui aussi à une logique imparable : cette tour, qui marque l’axe du boulevard Latrille et est visible d’un peu tout l’Abidjan lagunaire, s’impose comme la tête de pont de la zone de Cocody. » Majestueusement posé à l’extrémité ouest de la baie de Cocody, l’établissement a désormais tout-Abidjan à ses pieds.
LES ANNÉES GLORIEUSES
Très vite, le prestigieux hôtel devient le symbole de la Côte d’Ivoire triomphante, et son rayonnement dépasse largement les frontières nationales. Dans l’imaginaire collectif, il finit par s’imposer comme une destination en soi : on accourt de partout en Afrique pour le voir et y loger, et qui n’y a pas séjourné n’a pas réellement visité Abidjan. Jean-Claude Delafosse, ancien ministre du Tourisme et ex-président de la Société des palaces de Cocody (SDPC), qui gérait l’établissement conjointement avec le groupe InterContinental, se souvient que, « lorsque l’hôtel était plein, les personnes influentes passaient par la présidence de la République pour obtenir une chambre ». Le lieu, qui héberge réunions et conférences internationales telles que celles de l’Organisation mondiale du café et du cacao, contribue grandement à l’installation à Abidjan d’institutions comme la Banque africaine de développement ou Air Afrique. Il est également le point de chute et lieu de passage incontournable de tous les « grands » de ce monde – notamment, Juan Carlos Ier, Kofi Annan, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Albert-Bernard Bongo, Pascal Lissouba, Denis Sassou-Nguesso, Nelson Mandela, son épouse, Graça Machel, et même le redoutable Charles Taylor qui, dit-on, y avait ses habitudes –et de stars internationales – Michael Jackson, Barry White, Stevie Wonder, Mohamed Ali, etc. – ou françaises – Johnny Hallyday, Julien Clerc, etc. En semaine, le président y réunit les cadres de son parti pour les « dialogues nationaux » et, le dimanche, place aux mariages des grandes familles, retransmis à la télévision nationale tandis qu’un peu plus loin, au bord de la piscine, des centaines de privilégiés se pressent autour d’un buffet richement garni. En marge, nombreux sont ceux qui, bénéficiant de moins de moyens, viennent s’y faire photographier dans leurs plus beaux atours ; jeunes époux bien sûr, mais aussi les Dioulas qui, à chaque fête musulmane comme la Tabaski ou le ramadan, promènent les couleurs de leurs complets chatoyants dans les lobbys feutrés et les jardins du palace. De nombreux défilés de mode, fêtes, soirées et galas sont donnés sur la patinoire, qui accueille aussi ponctuellement des matchs de basket-ball ou se transforme à l’occasion en une immense discothèque, lors des « Cocodisco », qui réunissent la jeunesse dorée et branchée du quartier. Le palais des congrès, quant à lui, est le lieu de tous les grands rendez-vous, et son taux de remplissage lors des concerts donne une idée du degré de popularité des artistes qui s’y produisent. Au milieu des années 1980, le groupe Kassav y rencontrera son plus grand succès en Côte d’Ivoire ; là encore se tiendra l’inoubliable duel entre
Lors des années noires, toujours très fréquenté, le joyau élimé poursuit sa lente agonie.
Bailly Spinto et François Lougah, auquel succédera, en 1997, l’incroyable prestation de Steezo et Almighty, premiers rappeurs ivoiriens à remplir la mythique salle de spectacle. Sur les courts de tennis du centre Arthur-Ashe, des joueurs chevronnés s’affrontent dans des tournois internationaux pendant que, un peu plus bas, les eaux de la lagune se rident sous les courbes tracées par les amateurs de ski nautique. Aymeric Benet, un enfant du pays habitué du club de l’hôtel, deviendra double champion du monde de la discipline, en 1989 et 1995.
L’hôtel Ivoire, c’est aussi, et dès l’origine, le monde de l’élite et de l’entre-soi. Y aller, et plus encore avoir les moyens d’y loger, revient à faire partie de ceux qui comptent. Dans ce pays et cette ville en plein essor économique, il existe désormais une classe dominante qui s’identifie aux protagonistes du film L’Herbe sauvage d’Henri Duparc, véritable reflet de la « Buick Society » qui se veut libérée des tabous par l’argent, et dont le totem est le 5 étoiles, symbole des aspirations d’une génération montante. Lieu de pouvoir et d’élévation, ce qui se traduit d’emblée par le choix de son emplacement en promontoire et cette tour lançant ses 24 étages à l’assaut du ciel abidjanais, l’établissement cristallise toutes les dimensions du prestige. « Les gens logent à l’Ivoire de façon accessoire, mais en fait, ce qui intéresse surtout, c’est son espace public et déambulatoire, espace de représentation de soi par excellence », souligne Issa Diabaté. « Pour les adolescents et les jeunes étudiants de la classe moyenne que nous étions, c’était un passage obligé, se remémore Antonin, enseignant à la retraite. Il fallait passer par l’Ivoire pour être “in” et aussi parce que cet endroit avait la particularité d’offrir des distractions que l’on ne trouvait nulle part ailleurs ; notamment pour ceux qui, comme nous, n’avaient pas les moyens de voyager : le bowling et la patinoire, bien sûr, ainsi que le circuit de petits bateaux à moteurs et les pédalos, à bord desquels on chahutait sur le lac. Quand tu avais de nouvelles sapes, tu paradais au Boulevard, comme on surnommait le couloir qui reliait les deux bâtiments. Et puis, il y avait le Raphia, qui a marqué nos premières sorties en boîte de nuit avec ses matinées de 16 heures à minuit. On était un pays gâté : l’Ivoire nous offrait la possibilité de voyager sans bouger. »
En cette période de développement intensif, chacun veut sa part du gâteau et prend, à sa mesure, sa part de l’Ivoire. De l’homme fort du pays, qui en a presque fait une annexe du palais présidentiel, au tout-venant, qui s’y aventure avec « stupeur et tremblements », comme on se rend à une fête ou dans un pays
étranger. Des ados rejouant La Fureur de vivre sur le parking à grands coups de wheeling avec leurs mobylettes pétaradantes aux « en haut d’en haut » qui ont, eux, accès à l’Olympe et louent une suite à l’année ou dînent au Toit d’Abidjan, au dernier étage de l’hôtel. Pour la majorité des Ivoiriens, cette fierté nationale a cependant des allures de gourmandise inaccessible que l’on ne regarde que de loin, et la plupart ne pourront ni la goûter ni la toucher. Un choc des classes d’autant plus saisissant que l’hôtel est seulement séparé d’une rue du village ébrié de Blokosso, devenu avec l’urbanisation un quartier populeux tranchant nettement avec le luxe démesuré du palace qui le surplombe.
PARADIS PERDU
Au début des années 1980, la conjoncture se retourne : le prix des matières premières s’effondre, privant l’État de sa capacité redistributrice. Les riches terres cacaoyères du sud du pays commencent à manquer, ce qui fait naître des tensions entre autochtones et allogènes. La dette pèse lourdement sur les dépenses publiques. En 1987, Houphouët-Boigny est contraint de suspendre son remboursement, puis de baisser de moitié le prix du cacao aux planteurs, mettant ainsi fin au contrat implicite qui l’unissait à sa base paysanne. Il doit accepter les plans d’ajustement structurels du FMI et de la Banque mondiale, réduire le train de vie trop élevé de l’État, dégraisser une fonction publique pléthorique. En 1993, lorsque Henri Konan Bédié accède au pouvoir, le PIB par habitant, qui avait dou-
blé entre 1960 et 1978, est presque revenu à son niveau initial. Abidjan déchante et accuse le coup : non seulement le Vieux est mort, mais en plus le miracle qu’il avait initié est un mirage… Si, extérieurement, l’hôtel continue de faire illusion, il est aux prises avec des difficultés croissantes. La crise économique affecte inévitablement son taux de fréquentation, et l’établissement fait face à de sérieux problèmes d’entretien et de salubrité : soucis d’étanchéité au niveau du palais des congrès, climatisation défaillante, délabrement progressif des matériaux et des locaux, système de réfrigération de la patinoire défectueux, etc. À l’image du pays, l’hôtel entame un long chemin de croix vers de tristes lendemains. On estime qu’il faudrait 60 milliards de francs CFA pour le remettre à flot, et en cette période d’ajustement structurel, sa rénovation est bien loin de figurer parmi les priorités des bailleurs de fonds. Le coup d’État du 24 décembre 1999, puis l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo et la rébellion qui éclate le 19 septembre 2002 entérinent la chute de la « maison Ivoire » et de son fier étendard. Le groupe InterContinental se retire de la gestion du complexe, repris en main par la SDPC qui se contentait jusque-là de veiller sur les intérêts de l’État, propriétaire de l’ensemble. À la suite des accords de Linas-Marcoussis, signés en janvier 2003, la rébellion dirigée par Guillaume Soro entre au gouvernement sous le nom de « Forces nouvelles ». Pour des raisons de sécurité, il est décidé que ses ministres et représentants, ainsi que ceux du Rassemblement des républicains, le parti d’Alassane Ouattara,
seront logés à l’hôtel du Golf. Les membres de la galaxie patriotique, fidèles soutiens du président Gbagbo emmenés par le « ministre de la rue » Charles Blé Goudé, exigent et obtiennent de séjourner eux aussi dans un hôtel de luxe. Ce sera l’Ivoire, dont ils réquisitionnent une bonne centaine de chambres, et qui se mue à cette époque en une sorte d’étrange tour de Babel, où vaque tout un petit monde interlope et hétéroclite : hommes d’affaires asiatiques ou arabes murmurant en dollars des projets de reconstruction, aventuriers et aventurières, membres de la Force interafricaine déambulant en treillis à travers les couloirs de l’hôtel, serveurs nostalgiques pour ne pas dire neurasthéniques, employés des renseignements, jeunes miliciens hagards à peine sortis de l’adolescence, « grandes oreilles » au service de Laurent Gbagbo, personnel de l’ONU et divers autres personnages tout droit sortis d’un roman de Gérard de Villiers.
Pour les proches du président socialiste, devenir maîtres de ces lieux constitue presque une revanche, la plupart d’entre eux étant issus de la classe moyenne et du milieu enseignant.
Sans parler de l’avantage stratégique que l’occupation de la Tour leur confère pour contrôler de larges pans du tissu urbain abidjanais. Bien qu’il ne soit plus vraiment un réceptif hôtelier digne de ce nom, l’établissement, et surtout sa tour, reste un élément important de la dynamique du pays, devenant un acteur à part entière de la machinerie du conflit urbain. Une vocation nouvelle, qui se concrétise de façon dramatique le 9 novembre 2004, lorsque des tireurs d’élite des forces spéciales françaises, positionnés dans les étages supérieurs, ouvrent le feu sur une foule officiellement désarmée, afin d’empêcher le lynchage de plusieurs marsouins et des familles françaises réfugiées à
En quelques années, l’établissement a renoué avec son prestige d’antan, redevenant un centre de pouvoir et de décision.
l'hôtel en attendant d’être évacuées. La France échappe au pire, mais l’établissement est entaché d’une balafre sanglante. Les années qui suivent, toujours très fréquenté par les membres de la galaxie patriotique, le joyau élimé poursuit sa lente agonie : sols et plafonds décrépis, murs tagués, humidité rampante, électricité aléatoire, dalles cassées, piscines vidées et investies par la mousse, chambres inexploitables, etc. En 2009, sa rénovation, décidée par Laurent Gbagbo, revêt une dimension politique évidente : la renaissance de l’Ivoire marquera aussi celle du pays… où les premières élections depuis la tentative de coup d’État de 2002 se font toujours attendre.
UN RETOUR EN GRÂCE
Ses travaux de rénovation sont confiés à l’architecte libano-ivoirien Pierre Fakhoury, immortel maître d’œuvre de la basilique de Yamoussoukro, et de bien d’autres ouvrages d’art en Côte d’Ivoire et ailleurs. Le 16 août 2009, à sa demande, l’hôtel est fermé. Son entreprise, PFO Africa, est chargée du « lifting » en profondeur du Bâtiment, de la Tour, du palais des congrès et du casino. La rénovation de la Tour s’effectue en un temps record, entre 2009 et 2010, afin que l’établissement puisse accueillir les assemblées générales de la Banque africaine de développement en mai 2010. La Barre est entièrement désamiantée, les menuiseries en aluminium changées ou remises en état, les parois revêtues de Corian. La restauration comprend également le remplacement de toutes les
installations d’eau, d’électricité et de climatisation, ainsi que des ascenseurs et des monte-charges. L’agencement, la décoration et l’aménagement des 240 chambres et suites sont repensés pour s’adapter aux standards des grands hôtels internationaux, et le restaurant Le Toit d’Abidjan retrouve son élégance et son confort. Concernant la réfection du bâtiment, seule la structure porteuse demeure. L’intérieur et la façade sont réaménagés. Le rez-de-chaussée accueille maintenant un lobby, un restaurant de 140 couverts, La Brasserie, un snack, un bar, une galerie marchande, des salons de réception transformables en salles de réunion modulables de 30 à 150 personnes et une grande salle de banquet pour 250 convives. Les parties utilitaires – cuisine et buanderie – sont réagencées et rééquipées. Un nouveau cinéma de 500 fauteuils reprend sa place au rez-de-chaussée tandis que la transformation des sous-sols permet d’intégrer un grand club de fitness et un spa. L’espace des étages a été modulé pour accueillir 102 chambres, 150 suites et 31 appartements (283 clés). PFO Africa a aussi entièrement arrangé et décoré l’ensemble du bâtiment, livré en 2015. Depuis 2012, la gestion et l’exploitation de l’hôtel sont assurées par Sofitel, filiale du
groupe Accor, pour quinze ans, renouvelable par période de cinq ans.
La paix revenue, la capitale économique s’est affirmée comme une ville de congrès et de séminaires, et il ne se passe pas un mois sans que le Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire n’héberge l’un des nombreux événements qui marquent la vie de la Perle des lagunes – le dernier plus important en date étant la COP15, qui a enregistré plus de 5 000 participants en provenance de 197 pays. En quelques années, l’établissement a renoué avec son prestige d’antan, redevenant un centre de pouvoir et de décision, un point de chute obligé pour qui séjourne à Abidjan. On y croise de nouveau les chefs d’État en visite, et il n’est pas rare d’y voir des personnalités tels Didier Drogba, Youssou Ndour ou Aliko Dangote. Le palais des congrès, magnifiquement rénové, est le théâtre de quelques-uns des événements les plus prestigieux de la sous-région, comme le cinquième sommet Union africaine- Union européenne, l’Africa CEO Forum ou le dîner de gala de la fondation Children of Africa de la première dame, Dominique Ouattara. Il a aussi accueilli l’élection de Miss Côte d’Ivoire 2022 ainsi que de nombreux concerts (Salif Keita, Magic System, Chris Brown pour les Kora Awards, Rihanna), dont le Live Experience célébrant les quarante ans de carrière d’un certain Jagger, alias Alpha Blondy, le 15 juillet dernier. La page Facebook de l’établissement présente les visages d’anciens et de nouveaux visiteurs, notamment Emmanuelle Béart, Samuel Le Bihan, Gary Dourdan, MC Solaar, les frères Bouygues, Iris Mittenaere, Tomer Sisley, la princesse Ira de Fürstenberg, et, du côté des figures politiques, Tony Blair, Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy, Mohammed VI, et bien d’autres. Les brunchs dominicaux tenus au bord du lac sont parmi les plus courus de la ville, et le vaste lobby du Bâtiment bruisse toujours de conversations évoquant les affaires en cours ou à venir. Plus standardisé qu’à l’époque de sa création, où tous les éléments d’ameublement et de décoration avaient été dessinés et conçus pour être incorporés à l’édifice (portes, luminaires, masques, revêtements, etc.), l’Ivoire a su se réinventer en s’adaptant à son temps. Loin des fantômes qui ont pu le hanter, il perpétue sa propre mythologie : celle de l’extraordinaire assumé au cœur du contraste, si constitutif de l’ADN abidjanais. ■
Le lobby de la Tour a su conserver des éléments spectaculaires de la décoration originale.
interview
François-Xavier Gbré
Franco-Ivoirien né à Lille, il est le photographe de l’urbanisation, de la décomposition et de la recomposition. Il convoque l’architecture comme témoin
de la mémoire et des changements sociaux. Rencontre avec un passionné de la cité. propos recueillis par Élodie Vermeil
« Les archives dialoguent intimement avec le présent »
Ensuite : Si vous deviez décrire la ville d’Abidjan en trois mots, lesquels choisiriez-vous ?
François-Xavier Gbré : Énergie, transformation, mixité. Qu’est-ce que cette ville évoque pour vous ? Quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit lorsque vous y pensez ?
« Chez moi. »
En tant que témoin privilégié de ses évolutions, quel regard portez-vous sur la ville devenue ? Que dit-elle de la nation Côte d’Ivoire, selon vous ?
Je porte un regard plutôt ambivalent sur la nouvelle ville. J’apprécie la capacité de développement des infrastructures, l’installation d’équipements dits modernes, et je crains à la fois une perte brutale de repères. Abidjan abrite une nation multiple, cosmopolite, de plus en plus dense. Tout y est centralisé, c’est l’eldorado. Elle est devenue une cité hybride qui connaît des difficultés sur le plan organisationnel, car le tout-centralisé ne correspond pas au mode de vie des populations, désormais très
La Vierge aux gravats, Adjouffou, 2021.
nombreuses. Parfois, ses origines culturelles semblent dissoutes dans la lagune. Se souvenir de l’organisation villageoise, fondée sur la proximité et l’autonomie, serait d’une grande efficacité pour décongestionner la ville. Le travail de mémoire, par tout type de documentation, est essentiel au bon développement. Quelle est votre relation à cette ville ?
Viscérale, passionnelle. Parfois, j’ai peur du « monstre » qu’elle pourrait devenir, mais je suis en même temps tellement nourri de l’énergie qui s’en dégage ! Vous vous décrivez comme un photographe nomade. Abidjan est une partie de votre identité, mais vous avez exploré bien d’autres villes. Qu’est-ce qui distingue, selon vous, la capitale économique ivoirienne des autres cités du continent ?
Abidjan est dotée du plus vaste plan d’eau lagunaire du monde, ce qui lui donne une configuration géographique atypique, exceptionnelle. Elle se construit autour de cette immensité d’eau. Mis à part le Plateau, qui reste historiquement le
Ce n’est pas un catalogue exhaustif, un inventaire. Il s’agit d’une balade intime dans cette architecture de la décolonisation.
centre administratif, elle n’a pas vraiment de centre. Chacune des 10 communes qui la composent possède son histoire, son identité, ses caractéristiques propres, ses modes de fonctionnement et de socialisation.
Vivant entre le Marais poitevin, en France, et la lagune Ébrié, vous vivez l’évolution d’Abidjan en pointillé : qu’est-ce qui vous frappe chaque fois que vous y revenez ?
À partir de 2013, pendant plusieurs années, j’ai suivi son évolution au quotidien. La ville était un chantier à ciel ouvert. Il s’en dégageait un sentiment de renouveau, chaque jour apportant son lot de surprises. Depuis 2019, je vis effectivement sa
L’ouvrage Album architectures – Abidjan (couverture en haut), de François-Xavier Gbré, Baptiste Manet et Martial Manet, représente les bâtiments iconiques de la capitale économique, dont la Pyramide et l’immeuble Caistab (ci-contre).
transformation en pointillé, une alternance qui permet de prendre du recul et de porter une attention particulière aux choses que les gens ne voient plus. Aujourd’hui, ce qui me frappe surtout, c’est le rythme auquel les changements se réalisent, ainsi que le nombre de projets, qu’ils soient portés par l’État ou par le secteur privé. Malheureusement, cette densification engendre le recul et la disparition des espaces verts. Abidjan touche Bingerville et Bassam, et bientôt ces deux villes se toucheront également. Une mégalopole a besoin d’espaces libres et de respirations, éléments indispensables au bien-être de l’humain. Bâtir un pays, c’est aussi bâtir des hommes.
Pourquoi avoir choisi de concentrer une grande partie de votre travail sur l’architecture ?
En 2000, j’ai choisi d’étudier la photographie. Mon second choix était l’architecture. Dix ans plus tard, après des expériences dans le reportage, la mode et le design, j’ai retrouvé le paysage et l’architecture à travers la photographie. Vous réussissez à capter, dans une mégapole de 6 millions d’habitants, des carrés de friche d’où toute présence humaine est absente. À la vue de certains de vos clichés, on éprouve un grand sentiment de solitude, parfois même de tristesse, de finitude, et en même temps, il s’en dégage une beauté épurée et poétique. Que raconte cette absence, cette mélancolie du bâti ?
Photographier le changement implique nécessairement que quelque chose va disparaître, et donc potentiellement de la nostalgie. Bien que mes images semblent silencieuses, je suis très souvent cerné par le mouvement lors des prises de vues. Même quand je cherche des conditions calmes, en travaillant le dimanche par exemple, il y a toujours une rencontre. Vider la ville de ses habitants est illusoire. C’est l’essence même de la photographie : elle n’est pas la vérité. Dans ce théâtre abidjanais, je regarde l’ordinaire, les choses simples du quotidien, et questionne leur cohérence dans nos vies. Je guette le mystérieux, l’absurde aussi. À Abidjan comme en d’autres territoires, je cherche une forme de confusion. Les édifices sont-ils en construction ou en destruction ? Surgis du passé ou contemporains ? Enfin, c’est le ressenti de l’instant qui fait naître l’émotion. Selon quelle méthode de travail élaborez-vous cette « documentation visuelle » de la ville ?
Mon travail s’appuie sur tout type de documentation. D’abord, les discussions sont des déclencheurs. Les problématiques abordées par mes contemporains se confondent avec mes centres d’intérêt, puis j’en recherche les signes sur le terrain. Pendant mes déambulations, je laisse aussi une large part au hasard, une place à la surprise, à l’émerveillement. En parallèle, je construis peu à peu un fonds iconographique (archives photo, cartes, illustrations, timbres…). J’ai eu la chance de tomber sur un fonds photographique documentant, entre autres, le miracle ivoirien, période faste des années 1960-1970. L’histoire est faite de cycles, alors j’utilise ces archives comme base pour
la création. Dans mon exposition personnelle « La Nage de l’éléphant », en 2021, à la galerie Cécile Fakhoury, à Abidjan, j’ai présenté une fresque de 20 mètres de long, La Grande Illusion. L’œuvre est un photocollage constitué de plus de 20 photographies d’archives. Cette pièce évoque le développement urbain, la modernité à tout prix, avec quelques-unes de ses défaillances. Les archives témoignent du passé, mais dialoguent intimement avec le présent.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’ouvrage Album architectures – Abidjan, paru en novembre dernier ?
C’est une publication des éditions Caryatide pour laquelle j’ai réalisé l’ensemble des photographies. Claudia Mion, Baptiste Manet et Martial Manet désiraient faire un livre documentant l’architecture moderne à Abidjan, parce qu’elle est remarquable et constitue un patrimoine bâti exceptionnel. Cette recherche s’inscrit parfaitement dans mes travaux personnels, puisque la période moderne vient faire le lien entre les architectures coloniales et les constructions contemporaines. Il ne s’agit pas d’un catalogue exhaustif ou d’un inventaire, mais d’une balade intime et poétique dans cette architecture de la décolonisation. L’entretien réalisé avec l’architecte Issa Diabaté est très instructif sur le plan technique, historique, politique, social, culturel, ou encore de la transmission. Il questionne aussi la pertinence des réalisations d’aujourd’hui, quand modernité rime avec plus de moyens et de technologie, et donc plus d’énergie. À travers cet ouvrage, nous espérons rappeler l’importance tant esthétique que symbolique de ces bâtiments, et peut-être sensibiliser à la démarche patrimoniale, quasi absente aujourd’hui. Pour finir : quelle est votre Abidjan à vous, celle qui vous fait vibrer ?
La forêt du Banco – tant qu’elle ne devient pas un parc d’attractions –, car elle est le poumon de la ville et permet d’échapper à sa frénésie. L’ensemble Anono, Riviera 2 et Riviera Golf. J’aime sa mixité. On y trouve des lieux de vie et de divertissement. Y sont présents les différents types d’habitat de la ville moderne (individuel et collectif), différents standings, mais aussi le village. Ces lieux sont interconnectés par des espaces (encore) verts qui permettent aux habitants de circuler à pied et de se retrouver. Blockhauss enfin, pour sa vue imprenable sur le Plateau depuis les bords de la lagune Ébrié. ■
C’est une configuration exceptionnelle. La ville se construit autour d’une immensité d’eau. Il n’y a pas vraiment de centre. Chaque commune a son identité propre.
interview Artiste, designer, incontournable, distingué sur tous les continents avant d’être enfin reconnu en Côte d’Ivoire, il a chaperonné pendant un an de jeunes stylistes qu’il a lui-même choisis. Ils ont exposé le fruit de leur travail, fin 2022, à la Fondation Donwahi. propos recueillis par Philippe Di Nacera
Jean Servais Somian L’homme qui veut rendre Abidjan « design friendly »
Ensuite : Vous avez recruté et accompagné pendant un an une dizaine de jeunes designers africains. Comment cette idée vous est-elle venue ?
Jean Servais Somian : J’ai d’abord fait l’état des lieux du design dans mon pays. Cela fait vingt que j’en fais. À un moment, il faut savoir se retourner pour voir s’il existe une relève, si des jeunes proposent autre chose. Nous avons un ou deux designers, mais je ne vois pas d’évolution importante. Certains venaient me voir dans mon atelier, à Grand-Bassam, prendre des conseils, mais deux ou trois mois après leur visite, je constatais que cela n’avait servi à rien. Parce qu’ils sont face à la problématique du design : les matériaux et les artisans sont chers. C’est beaucoup trop lourd pour eux. Nous n’avons pas d’école de design, il fallait donc prendre les choses du début et accompagner le processus créatif jusqu’à son aboutissement.
Entouré de ses tabourets, parmi ses œuvres les plus fameuses.
L’idée de transmission est pour vous très importante…
J’essaie de donner ce que j’ai reçu. Quand j’ai arrêté ma scolarité, dans les années 1980, je n’ai pas eu le choix. « Si tu ne vas plus à l’école, tu vas apprendre un métier. » J’ai appris la menuiserie-ébénisterie. Sans plaisir. Dans le quartier, on se moquait de moi. Plus tard, en Europe, on m’a dit qu’ébéniste, c’était un métier noble… Moi, je n’avais jamais pensé ça [rires] ! C’est un Libanais, Georges Ghandour, qui m’a formé, à Koumassi. Un très bon ébéniste, qui avait monté, grâce à Félix Houphouët-Boigny, un centre de menuiserie et d’ébénisterie. Il m’a tout appris. Ensuite, j’ai voulu donner une dimension artistique à mon activité. Je me suis rendu à Grand-Bassam pour apprendre la sculpture sur bois. Je considère l’ébénisterie, en tant que technique (la coupe, l’assemblage), comme une activité très « occidentale ». Prendre son bois et le sculpter, ça, c’est africain. C’est à Bassam qu’a eu lieu ma « rencontre » avec le cocotier, matériau central dans mes travaux. Découvrir ces artisans qui travaillaient ce bois, en particulier un nommé Kangah, m'a fasciné. Si je n’avais pas croisé ces personnes, je ne serais peut-être pas arrivé là où je suis. Nous évoluons dans des métiers de création et de transmission. Ce sont des éléments d’une culture, et la culture se transmet. C’est pour moi une nécessité de transmettre à la génération suivante. Vous avez lancé un appel à candidatures sur les réseaux sociaux. Combien de réponses avez-vous reçues ?
En juin 2021, j’ai lancé le projet Young Designers Workshop, ouvert aux Ivoiriens à partir de 16 ans, y compris à ceux qui sont à l’étranger, mais aussi aux résidents étrangers en Côte d’Ivoire… J’ai reçu 35 dossiers, puis sélectionné 12 candidats qui proposaient des idées, ou du moins des débuts de croquis. Dix sont restés. Ils venaient de tous les quartiers d’Abidjan, de tous les horizons, de Bingerville, d’Abobo, de Yopougon, de Koumassi, et une de France. Comment avez-vous travaillé pendant douze mois ?
J’ai jeté à la poubelle tous les croquis sur lesquels j’avais sélectionné les candidats ! Ils ne s’y attendaient pas ! Nous avons passé septembre, octobre et novembre à travailler sur de nouveaux projets. Lors de la première réunion, je leur ai dit : « J’ai envie qu’émerge une nouvelle génération de designers. Je veux qu’ils soient soudés, car plus ils travailleront ensemble, plus ils seront forts. » Ça a fait naître l’émulation. Ce ne sont pas les créations qui m’intéressent. Je veux qu’ils comprennent et intègrent le processus de production d’une pièce : de l’idée au croquis, puis au travail sur le dessin, pour l’épurer, avant de se diriger vers les ateliers pour passer à la phase de production – mais quel atelier choisir ? Menuiserie ? Ferronnerie ? Ne pouvons-nous pas opter pour d’autres matériaux ? Ensuite, il faut rencontrer l’artisan, discuter avec lui, fabriquer la pièce. J’ai suivi chaque projet. Designer par designer, pièce par pièce. Je voulais tout comprendre, tout savoir de leurs intentions. Cela a pris du temps – je ne comptais même plus. Mais ce n’est pas le
temps qui m’importe. C’est la compréhension de ce que l’on fait. J’ai imposé une rigueur de travail, de réflexion et d’exécution pour leur apprendre comment réussir dans ce milieu. Comme dans d’autres domaines d’excellence, il est difficile d’atteindre la simplicité…
Souvent, quand on voit quelque chose de simple, on croit que c’est facile à faire. C’est faux : on a pris du temps pour l’épurer. Arriver à la ligne pure, c’est beaucoup de travail en amont. Pour produire une pièce qui parle, qui a un sens. C’est ce que je voulais mettre dans la tête de ces jeunes. Sans cette réflexion préalable, on est un artisan lambda. La pièce n’a pas de cœur, elle n’émeut personne. C’est un meuble quelconque. Comment jugez-vous les créations exposées à la Fondation Donwahi ?
Quand les premières pièces ont commencé à sortir, j’ai constaté que ces jeunes avaient assimilé la réflexion que nous avions menée pendant des semaines. Je leur disais que je ne financerais pas des projets qui ne sont pas au point ou qui n’ont pas de sens. On lance la production pour des croquis qui en valent la peine. Entre ce qu’ils avaient proposé au début et ce qui en sortait, c’était le jour et la nuit. Ils ont compris tout le sens du travail sur croquis. Je suis très satisfait du résultat. Je ne pensais même pas en arriver là ! Ce n’est pas facile de tenir en haleine une dizaine de designers pendant une année, de rester focus sur ce que l’on fait, et, finalement, de créer une quarantaine de pièces, du luminaire à l’objet. Ils n’ont pas rechigné, même si quelques fois, je les ai houspillés ! Ils m’ont bluffé. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette aventure ?
Leur écoute. Si ce projet n’avait pas été mené, nous serions passés à côté de jeunes talents – ce qui est le cas depuis longtemps. C’est un gâchis pour une jeunesse créative, que ce soit dans le design ou d’autres domaines, d’ailleurs. Il faudrait multiplier ce type d’initiative dans tous les pays d’Afrique. Parce que nous avons une jeunesse très riche en idées, mais qui a du mal à prendre son destin en mains. Je le dis sans détour. Il faut leur fournir les outils qui leur permettront d’assumer seuls leur passion. Quand j’ai commencé à produire des pièces, j’étais en France. Je travaillais la journée, et le soir, je ne m’occupais que de ma passion, le design.
Les artistes débutants sont face à la problématique de la création : les matériaux et les artisans sont chers.
L’exposition a été un succès…
Les publics ivoirien et étranger, à travers les réseaux, ont aimé. Nous avons reçu des félicitations de toutes parts. Des fondations à l’étranger, en Italie, en Suisse, veulent acquérir des pièces et faire venir les jeunes à elles. Beaucoup ont déjà été vendues. Je souhaite qu'elles partent toutes d’ailleurs, pour que ces artistes puissent se constituer un premier pactole qui leur permettra de produire d’autres œuvres. Le but est qu’ils ne s’arrêtent plus. Parce qu’un designer qui s’arrête est un homme mort. Quel rôle la fondation et sa présidente, Illa Donwahi, ont-elles joué ?
C’est notre maison à Abidjan. On s’y retrouve pour des expos, des discussions, des rencontres. Quand j’ai eu cette idée, Illa a compris l’importance du projet et m’a immédiatement proposé de m’accompagner. J’ai tenu à ce que la première réunion avec les jeunes se fasse là-bas. Moi, j’ai fait ma part : l’aspect artistique, la création, la recherche d’un premier partenaire. Illa a aidé à trouver d’autres partenaires, d’autres financements. Elle a pris en mains toute la partie restitution. Par exemple, les lauréats du Prix de la Fondation Donwahi sont actuellement en formation chez Spiral, une entreprise de mobilier industriel, avec pour mission, entre autres, de produire un dessin qui donnera lieu à l’édition d’une pièce par l’entreprise. Y aura-t-il une deuxième édition du Young Designers Workshop ?
Oui ! On ne peut pas s’arrêter là. Ce projet était au départ une initiative personnelle qui me tenait particulièrement à cœur. C’est pourquoi je suis allé chercher des partenaires – pour la plupart mes clients, des dirigeants d’entreprise – pour financer le projet. Ce n'était pas facile du tout. Je me suis battu. Le premier qui en a compris la portée et s’est engagé, c’est Clyde Fakhoury, le directeur exécutif de PFO Africa. Sans ce véritable mécène, amoureux de l’art et très au fait de ses enjeux, je pense que ce projet n’aurait pas vu le jour. Quant à mes artisans, je les ai convaincus de me suivre pour cette bonne cause. Ils n’ont pas gagné d’argent. Ni moi, bien sûr. Ils ont compris que c’était pour les « enfants du pays ». Si demain, ces jeunes ont d’autres commandes, ils en seront les premiers bénéficiaires.
Je pensais, au début, m’arrêter là. J’ai une sorte de colère que je veux exprimer. Les personnes qui aiment la culture et l’art, qui ont beaucoup d’argent, sont nombreuses dans ce pays. On les entend beaucoup parler, mais quand ils sont face à de bons projets, on ne les voit plus ! Or, on doit pérenniser celui-ci. Je ne m’occuperai plus que de la partie artistique et du coaching des jeunes. La Fondation Donwahi est maintenant mon principal partenaire, et va prendre en mains la recherche du financement pour les prochaines éditions.
Conserverez-vous la même méthode ?
C’est en profondeur qu’il faut travailler si on veut donner du sens à une orientation. Quand on veut transmettre un bagage à un jeune, lui faire comprendre comment cela fonctionne et lui permettre d’avancer dans sa vie, on ne peut pas agir autrement. Les projets de créations prennent du temps.
Abidjan peut-elle devenir une sorte de hub du design de meubles ?
J’ai une idée en tête : monter un grand événement international de design dans le pays. Par exemple, une biennale. Elle rassemblera des artistes ivoiriens, africains, internationaux… Avec Illa, nous y pensons. Abidjan deviendrait ainsi le pôle d’attraction du design sur le continent. Mais comment proposer un tel événement si, chez soi, il n’y a pas de designers ? Voilà, tout est cohérent.
On ne fait pas cela pour « faire joli » dans le pays ! Ou pour moi seul ! Quand, demain, nous lancerons ce grand projet, nous disposerons de jeunes artistes designers qui présenteront leurs créations.
Vous allez concevoir le mobilier urbain pour le très gros projet d’aménagement du parc d’Akouédo, à Abidjan…
C’est sûrement mon plus gros projet de designer. Penser le mobilier du premier vrai parc de mon pays. En tout cas, le premier dans la capitale économique. Je suis honoré et très excité. C’est le groupe PFO Africa qui a pensé à moi. Je me suis entouré de quelques-uns de mes petits designers. Et il y a déjà de bonnes choses. C’est un projet très contemporain. Abidjan est grise. Surtout quand il pleut. Ce parc sera lumineux, avec du mobilier moderne, très éclairé, des couleurs qui font corps avec la nature. Nous allons utiliser du bois, du métal, de la pierre, du béton. C’est une très belle proposition, un gros challenge pour moi. Je voudrais que les Ivoiriens soient fiers de ce parc et qu’ils se l’approprient quand il sera achevé. ■
Dorris Haron Kasco
De l’autre côté du miroir…
Considéré comme le père de la photographie d’art en Côte d’Ivoire, l'artiste documente depuis près de trente ans l’envers du décor, ou plutôt son revers, où s’abandonnent les laisséspour-compte de la ville moderne africaine. Témoin privilégié des mutations d’Abidjan, dont il a connu les trois âges – or, sombre, renouveau –, il propose une vision décalée de notre société, en marge des diktats de l’image et de son merchandising.
propos recueillis par Élodie Vermeil
Ensuite : Après un DEUG de droit, vous avez effectué un virage à 180° en intégrant l'école Louis-Lumière, en France, puis l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Comment passe-t-on de la loi à l'image ?
Dorris Haron Kasco : Ça s’est fait comme ça, presque sans que je m’en rende compte. J’ai toujours été très intéressé par tout ce qui a trait à l’image, parce que je sentais que celle-ci offrait la possibilité de dire les choses d’une façon qui s’avérait plus efficace que les mots écrits ou parlés. Comme je ne suis ni écrivain ni bavard, j’ai fini par la privilégier comme moyen d’expression. Quels sont vos sujets de prédilection ?
Au début, j’ai commencé par faire de la photographie de mode. On était à la fin des années 1980, une période marquée par l’émergence de grandes figures comme Pathé’O, Chris Seydou, Alphadi… J’ai suivi et documenté leur parcours ainsi que les concours de stylisme, dont les Ciseaux d’or, alors très en vogue. Parallèlement, je faisais pas mal d’images de publicité dans un but alimentaire, mais en marge, je portais un regard singulier sur la société, ses marges justement. En 1990, j’ai produit La Femme masquée, une série de clichés qui visait à appréhender le corps féminin dans son universalité, donc sans visage. Puis, en 1991, Bassam la vieille a fait l’inauguration de la galerie Arts pluriels de Simone Guirandou [aujourd’hui à la tête de la LouiSimone Guirandou Gallery, l’une des plus en vue d’Abidjan, ndlr]. Au gré de mes déambulations, j’ai fini par être été happé par le sujet très particulier des personnes errant dans les rues d’Abidjan, « les fous » comme on les appelle communément ici.
En parallèle de mes autres activités, j’ai travaillé plus de trois ans sur ce projet qui a été présenté au Centre culturel français d’Abidjan en 1993, puis aux premières Rencontres de Bamako, en 1994, et publié en livre par les éditions Revue noire [cofondées par Jean-Loup Pivin, ndlr]. À la même époque, j’ai intégré la collection André Magnin, qui est aujourd’hui mon agent. Pendant trois autres années, je me suis ensuite intéressé aux enfants des rues : je les côtoyais tout le temps, car je connaissais bien leur ghetto du Plateau. Puis je me suis tourné vers les malades du sida, systématiquement rejetés, jusque dans leur propre famille. Peu après, je me suis attelé à un projet sur la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) pour montrer les conditions de vie et de détention des prisonniers, et le paradoxe de cette prison civile, « ville dans la ville » érigée dans le quartier très vivant et populaire de Yopougon, à côté de la zone industrielle. En 2004, je suis allé photographier les rescapés du génocide au Rwanda. Quelques années après, j’ai entamé un travail sur les routes, qui sont des piliers du développement et des traits d’union entre les
hommes. J’ai commencé par Montpellier – où je vis une partie de l’année puisque j’enseigne à l’École supérieure des beaux-arts –et l’Espagne, pour finalement me tourner vers les infrastructures routières et ouvrages d’art depuis décembre 2014, année d’inauguration du pont Henri Konan Bédié. Ces photos feront l’objet d’un livre auquel je travaille avec le journaliste Michel Alex Kipré. En 2017, j’ai exposé une série sur le cancer à l’Institut français et au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara (MuCAT), pour la rétrospective « 1957-2021 : 64 ans d’arts visuels en Côte d’Ivoire » – premier travail sans sujet humain, très métaphorique et conceptuel, pour ne pas dire abstrait, à partir de médiums mixtes, qui a un peu déstabilisé les personnes habituées à mes œuvres. Et puis, il y a eu la crise liée au Covid19, que j’ai documentée en photographiant Abidjan confinée et sous couvre-feu : je me suis intéressé à la ville comme entité et à ce qu’elle signifiait vidée de toute substance humaine, aux personnes frappées par cette maladie – aussi puissante et stigmatisée qu’un nouveau sida –, et à la résilience de tous ceux qui poursuivaient leurs activités en marge de la légalité, dans les bars clandestins, procédant à de petits trafics et arrangements en tous genres. Parce qu’il faut bien vivre… Ce travail sera restitué dans un documentaire, mais le Covid étant toujours là, je continue. D’où vous vient cette inclination pour les sujets sociaux ?
Je ne sais pas vraiment. Cela me semble un aboutissement naturel quand on s’est libéré des contraintes techniques, même si nous vivons sous le diktat de l’image et qu’avec la banalisation de la violence, les photos n’ont peut-être plus le même pouvoir qu’auparavant. Je suis amené à regarder en permanence autour de moi, et savoir regarder vraiment, c’est précisément toute la difficulté de la photographie. Parce qu'elle ne se mesure pas au nombre de clics accumulés de façon mécanique, mais à la puissance miraculeuse d’un seul de ces clics. Avec l’avènement du numérique et du smartphone, tout le monde peut s’improviser photographe, c’est limite si les appareils ne réfléchissent pas plus vite que toi… La vraie difficulté n’est plus technique, mais c'est de « voir entre les lignes » : il faut ouvrir son « œil mental » selon le plus grand angle possible et faire preuve d’empathie, condition sine qua non pour entrer dans le cœur du sujet. Le regard que l’on porte sur les choses et sur autrui n’est plus un jugement, mais quelque chose qui passe directement dans nos corps. Cela se traduit jusque dans le choix du matériel. Je ne travaille qu'avec une focale 24 mm,
On ne trouve pas de fous dans les villages, parce que la vie y reste cohérente et inclusive.
m’obligeant à me rapprocher du sujet si je veux obtenir des résultats. À aller à sa rencontre. Diriez-vous que votre attrait pour la marginalité est constitutif de votre approche ?
Bien sûr, c’est par la marginalité que l’on peut attester de l’ampleur d’un développement. L’un n’est pas dissociable de l’autre, ce sont deux revers de la même médaille. Comment comprendre qu’il y ait, au cœur d’un quartier emblématique comme le Plateau, des gamins désœuvrés et livrés à eux-mêmes, qui n’ont que de la colle pour avoir un peu de bonheur dans leur galère quotidienne, émaillée de quelques pièces pour bouffer un peu ? Ce sont des conséquences de l’urbanisation, que l’on ne trouverait pas de façon ostensible dans les villages. Ces gosses sont issus des quartiers précaires et ont l’espoir de grappiller quelques miettes de ce développement dont chacun veut sa part. C’est un rêve chimérique, parce que la ville, à mesure qu’elle croît et s’agrandit, écarte ceux qui ne peuvent pas suivre, repoussant les marginaux toujours plus loin à sa périphérie. C’est pareil pour ceux que l’on appelle « fous » : figurez-vous que l’un de ceux que j’ai photographiés était auparavant professeur de philosophie à l’université Félix Houphouët-Boigny. Ce sont des membres de sa famille qui m'ont approché à l’exposition et me l’ont appris. On ne trouve pas de fous – ou très peu – dans les villages ou les campagnes, parce que la société qui y vit reste cohérente et inclusive. Et s’il y en a, on les garde là. La ville impose une standardisation, un besoin d’aseptisation qui amène les gens à rejeter ceux qui ne cochent pas les cases, fussentils des leurs. Et ce besoin n’est pas orienté dans le bon sens. Quand tu sors un gamin du village où il vivait tranquillement avec de bonnes valeurs, il devient méconnaissable s’il tombe entre de mauvaises mains. La ville abîme, et Abidjan n’échappe pas à la règle. Justement, depuis le temps que vous la parcourez et y vivez, quel regard portez-vous sur son évolution ?
Je me souviens qu’autrefois quand tu allais de Cocody au lycée Blaise Pascal à la Riviera – et c’est tout de même la même commune –, c’était comme si tu partais pour l’autre bout du monde : s’il n’y avait pas quelqu’un pour venir te chercher, tu étais perdu. J’avais une amie au lycée dont les parents étaient les seuls à habiter dans le coin, elle était la risée de tout le monde : pour nous, elle habitait en brousse. Quand tu allais à la Palmeraie, tu étais dans les palmes pour de vrai – ce n’est pas pour rien que le nom est resté. Aujourd’hui, c’est Beverly Hills. L’évolution d’Abidjan s’est d’abord faite au niveau des infrastructures, et qui dit infrastructures dit développement, et entraîne la marginalisation d’une partie de la population qui ne peut pas suivre. Et
les problèmes qui y sont liés, comme l’émergence de quartiers spontanés çà et là, au petit bonheur la chance, et les déguerpissements que cela entraîne : dans son processus de développement, la ville a besoin d'une main-d’œuvre qui s'installe dans des habitats de fortune à proximité des grands chantiers et finit par s’y sédentariser puisqu’il n’y a plus d’autre lieu où aller. La version officielle parle d’assainir la ville, de l’agrandir, mais cela ne se fait pas dans une visée de bien-être des habitants. Du coup, je me demande : on développe pour quoi, pour qui et avec qui ? Pendant la crise sanitaire en 2020, vous avez pu parcourir Abidjan confinée et sous couvre-feu. Quel visage de la cité a révélé ce grand black-out ?
C’est la seule fois de ma vie où j’ai vu cette ville moderne, développée et bouillonnante sans ceux qui l’habitent, la font et lui confèrent cette identité si particulière. Avec cette maladie qui nous met tous au même niveau, il n’y avait plus ni riches ni pauvres dans les rues. Juste une ville nue et ses bâtiments, que je me suis mis à regarder d’une tout autre manière et qui semblaient n’avoir plus aucune utilité. Ça procurait un sentiment d’anormalité assez irréel, même si on pouvait le retrouver dans n’importe quelle grande ville du monde à ce moment-là. À Abidjan cependant, c’était encore plus remarquable du fait que le couvre-feu et le contexte très particulier nous privaient de nos nuits. Or, même pendant la crise politico-militaire et tous les événements qu’a pu traverser le pays, les nuits, si constitutives de l’identité de la ville, ont toujours continué. S’il y avait couvre-feu, on s’enfermait en boîte et on y restait jusqu’au matin, à faire la fête, chanter, danser. Là, c’était différent, comme une ombre qui planait sur la cité. Sans le mouvement ni le bruit, Abidjan n’était plus Abidjan. Quand vous évoquez cette dernière, le terme de « ville fantôme » revient souvent. C’est assez surprenant. Qu’entendez-vous exactement ?
Tout simplement que l’on a du mal à l'appréhender, car elle change tout le temps et à toute vitesse. C’est particulièrement frappant quand, comme moi, on n’y séjourne pas de façon permanente. Abidjan est un timelapse perpétuel, sauf que le mode accéléré de cet effet correspond au temps réel de la ville. Il y a ce côté éphémère des installations et du bâti, qu’il soit spontané ou pas, ces habitats précaires qui sont déguerpis et finissent par être réinvestis un jour ou l’autre, ces constructions qui sortent de terre à une vitesse folle… Tu mets du temps à te réadapter, retrouver tes repères, ce que tu as toujours connu. Ça, pour moi, c’est le signe ostentatoire de son développement. Maintenant, quel développement et pour quels bénéfices, je ne sais pas… Tout ce que je sais, c’est que cette ville change sans cesse de visage et
Je regarde en permanence autour de moi, et savoir regarder vraiment, c’est la difficulté.
Repères
1966. Naissance à Daloa 1987-1989. Formation en France Expositions solos 1990. Première exposition avec La Femme masquée 1991. Bassam la vieille, à la galerie Arts pluriels 1993. Les Fous d’Abidjan, à Lisbonne, Coimbra, Lorient, Bamako, Düsseldorf, Genève et Abidjan 1995. Les Gamins d’Abidjan
Expositions collectives 1993-1996. Stages des Rencontres de la photographie d’Arles
Résidence au Centre international de création vidéo (Hérimoncourt)
1994. L’Œil du temps (13 photographes découverts par l'artiste au cours de sa tournée de prospection à travers le pays, dont Cornélius Yao Augustt Azaglo et Ananias Leki Dago), au Centre culturel français
Première édition des Rencontres de Bamako 1998. L’Afrique par elle-même, au Museum of Arts (Washington), à la Maison européenne de la photographie (Paris) et au Guggenheim Museum (New York)
2004-2005. Asphalte, à la galerie de l’École supérieure des beaux-arts (Montpellier) 2014. Charcot : Une vie avec l’image, à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière (Paris) 2016. Bazouam', galerie sur route, au village artisanal de Grand-Bassam 2017. Dilogie, au MuCAT Vidéo et cinéma 1996. Docu Arsène, Patrice, Clémentine, sur les malades du sida 2001. Docu Djaatala, projeté aux Rencontres de Bamako 2002. Docu L’Innocence en péril, primé au Festival international du film d’Amiens. ■
qu’il est impossible d’en saisir une image permanente, singulière et pérenne. Parfois, quand je parcours mes fichiers photo, je me rends compte que mes images n’ont pas le temps de vieillir de plus de quelques mois que, d’une certaine façon, elles sont déjà devenues des archives. Abidjan est mouvante, il y a une vraie difficulté à la fixer : elle t’échappe tout le temps, et c’est aussi ce qui fait son charme photographiquement parlant. C’est une ville facile, elle te donne toujours, il suffit d’ouvrir les yeux comme il faut. En tant que photographe, mon rapport à Abidjan est dicté par la curiosité. Conserver un regard neuf, c’est primordial pour moi, car j’ai besoin d’être fasciné par quelque chose et de partager cette fascination.
Qu’est-ce qui fait sa spécificité ?
Ses nuits comme je disais, sa cacophonie visuelle et sonore, et son sens inaltérable de la fête : on ne fait pas la fête à Dakar comme on la fait à Abidjan, on ne retrouve pas ça au Mali ni au Burkina. Elle a cette particularité, au point d’être enviée et copiée par ses voisins. Avec la nouvelle mode des afterworks, le week-end se dilue même dans la semaine, on fait tout pour qu'il y ait des occasions de se rassembler. À l’heure de la productivité exacerbée et des réseaux sociaux, vous privilégiez une méthode inscrite dans la durée et refusez la communication numérique. Pourquoi ?
C’est vrai qu’Instagram, TikTok, et tout le tralala, très peu pour moi. J’ai un peu de mal avec tout ça, car il y a une forme de mise en scène derrière : en y recourant, tu orientes le regard et conditionnes ce que tu veux que l’autre perçoive de toi. Je n'ai pas besoin d’orienter les gens qui s’intéressent à mon travail ni d’exister de cette façon. Mes photos, il faut aller les chercher ; ça prend du temps, mais ce sont aussi des images que j’ai mis du temps à produire. Et je ne prends pas Internet comme une galerie d’exposition personnelle. Je n’agresse pas les gens avec ce
que je fais. Je donne à voir de façon très suggérée et libre, peutêtre parce que je me suis intéressé à beaucoup de choses assez dures. Je ne me sens pas le besoin d’imposer. Je ne fais pas de la photographie, je suis photographe, et ça ne passe pas forcément par l’acquisition de matériel dernier cri ou une impression sur papier ou autre. Mon premier appareil, c’est ma tête. Je fais de la photographie tout le temps parce que je la pense. Une photo, avant qu’elle soit donnée à voir sur un support, je l’ai déjà pensée, et quand j’enclenche le geste mécanique ou la démarche de recherche, je suis dirigé par une impulsion qui ne me permet pas de désobéir ou de me dérober. Il faut que je le fasse, c’est tout. L’appareil photo, dans ce contexte, devient juste un accompagnateur, comme un pinceau pour l’artiste. C’est pour ça qu’il y a des photos qui ne verront jamais le jour. J’ai toute une galerie d’images dans ma tête, que je garde, et dans cette galerie, parfois je vais puiser une image et prendre un appareil pour la saisir, la développer, etc. Pour ce qui est de mon approche immersive, j’ai la chance de ne pas travailler sur commande, et donc de ne pas être dicté par l’urgence. Il s’agit avant tout de comprendre un phénomène, et la plupart des sujets que je traite ne peuvent
Mon premier appareil, c’est ma tête. Je fais de la photographie tout le temps, parce que je la pense.
Depuis 2014, il s'intéresse également aux infrastructures routières.
pas s’aborder de la même manière qu'un reportage avec une deadline. Ce qui m’a pris le plus de temps pour ma série sur les fous, c’est de les approcher, d’essayer de discuter avec eux afin de comprendre ce qu’ils vivaient de leur point de vue. Et j’ai fini par comprendre bien plus tard que quelqu’un qui a déconnecté de la société conventionnelle, ou plutôt qui a été rejeté, écrasé, et livré à l’oubli par cette société, ne peut pas, du jour au lendemain, accepter un inconnu qui vient vers lui et appartient par ailleurs à cette société qui l’a rejeté. Dans ma démarche sur des sujets comme les rescapés du Rwanda, je regarde d’abord les choses de l’intérieur ; c’est le genre de travail qui demande beaucoup d’empathie, on ne peut pas le faire sans. Mais l’empathie dont je parle ne veut en aucun cas dire que l’on puisse vivre la vie des autres, surtout pas avec du matériel high-tech et une condition de privilégié. Il faut savoir rester à sa place, trouver sa place aussi en quelque sorte pour établir un dialogue authentique. Et ça, ça doit déterminer la manière dont on s’engage à traiter son sujet. On ne peut pas faire un travail comme celui-là sans prendre son temps. Aujourd’hui, c’est vrai, c’est un luxe, mais c’est un luxe que j’ai la possibilité de m’offrir donc je ne m’en prive pas. ■
MON ABIDJAN
PAR ILLA DONWAHI
Comment raconter mon Abidjan, cette cité à multiples facettes, à population cosmopolite, qui se ressent et s’apprivoise avant de se donner généreusement ? L’exercice n’est pas simple, il existe déjà maintes publications spécialisées pour diriger le touriste vers ces fameuses « adresses incontournables ». Je ne me risquerai donc pas sur ces chemins-là. La capacité de se réinventer en permanence, le sens poussé de la dérision de ses habitants font sa spécificité. L’identité, la dynamique et l’écosystème propres à chaque quartier me conduisent à penser plutôt à « mes Abidjans » ! Il n’y a pas « une Abidjan »…
Je suis née au Plateau, et j’ai grandi à Marcory, l’une des 10 communes de la ville. Celle-ci, qui compose, avec Treichville et Koumassi, l’île de Petit Bassam sur la lagune Ébrié, est représentative de cette Abidjan multiple et métisse ; ses petites échoppes et ses grands centres commerciaux, ses quartiers résidentiels huppés et ses logements mitoyens plus modestes, ses restaurants chics de la célèbre Zone 4 jouxtant des spots plus populaires, ses grandes artères futuristes, et ses ruelles de terre impraticables par temps de pluie. Dans la plupart des communes, les habitants pourraient y vivre sans jamais passer les ponts les menant sur d’autres territoires.
Abidjan la résiliente, ce sont les quartiers de Yopougon et d’Abobo abritant des communautés venant de tout le pays, et au-delà, pouvant se targuer d’être de véritables incubateurs de créativité : musique, arts picturaux et vivants naissent, s’expriment dans la rue ainsi que dans des espaces nouveaux ou anciens, courageuses initiatives d’artistes ou de mécènes avant-gardistes. Les dernières nées que sont l’espace de lecture 1949 d’Edwige Renée Dro, à Yopougon, et la Fondation Sankonian de Célestin Koffi Yao, à Abobo, sont à expérimenter.
Abidjan l’orgueilleuse, c’est le quartier du Plateau et ses tours administratives imprenables. C’est aussi la belle
Une histoire d’amour
Cocody, qui résiste fièrement, de son mythique Allocodrome au non moins célèbre hôtel Ivoire voisin du quartier-village de Blockhauss, fief des « anciens propriétaires » d’Abidjan, le peuple ébrié. Une multitude de nouveaux quartiers résidentiels et commerciaux reliés par un nombre incalculable de ronds-points remplace peu à peu les espaces verts naturels, au point d’empiéter sur la ville voisine de Bingerville, devenue « quartier-dortoir » d’Abidjanais ne pouvant faire face à l’inflation immobilière.
Abidjan la malle aux trésors, ce sont les quartiers de Koumassi et d’Adjamé, où, en s’armant de patience, on fait de belles découvertes à des prix défiant toute concurrence : mobilier, tissus… À ne surtout pas manquer, comme dirait le guide !
Économiste, femme d’entreprise, elle est passionnée comme ses parents d’art contemporain. En 2008, elle crée, avec quelques amis, dont Simon Njami, la Fondation Donwahi.
Un ensemble culturel au sein d’une maison familiale, à Cocody. Artistes africains et mondiaux s’y croisent dans une atmosphère chaleureuse et éclectique.
Il y a malheureusement aussi la réalité de l’existence de quartiers insalubres orphelins, dans lesquels il ne faut pas s’aventurer, avec des enclaves de non-droit où des « fumoirs » (espaces de consommation de drogues fortement addictives) prospèrent, enfermant jeunes et moins jeunes, blasés et désabusés dans un cycle infernal.
Mais Abidjan est verte, avec son parc national du Banco (de près de 3 500 hectares) en pleine ville, rare exemple au monde d’écomusée. Il s’agit du poumon de la cité, qui sans lui battrait des records de pollution atmosphérique, avec notamment ses embouteillages. La lagune Ébrié, qui traverse la ville et gagnerait à être mieux préservée, n’est pas en reste : dans une autre vie, peut-être que j’y naviguerais en pirogue pour éviter les conducteurs de wôrô-wôrô, gbakas, et autres chauffards.
Enfin, Abidjan la gourmande, c’est cette incroyable diversité ethnique et ce mélange de cultures qui permettent d’y trouver à peu près toutes les cuisines du monde. La palme revenant à la street food : garba, poulet braisé, porc au four, maïs grillé, et autres bananes plantains sont préparés à la demande à chaque coin de rue. À peu de frais, vous aurez votre quota de matières grasses et de sucres lents pour tenir au moins 24 heures !
Qu’il soit par voie aérienne ou routière, un retour dans la cité est toujours une histoire de retrouvailles amoureuses. À chaque fois, j’ai la même sensation de retrouver « l’heureuse élue », dont aucun discours ne pourrait traduire l’incroyable charme et l’identité vibrante.
Abidjan « l’attachiante »… Tous l’auront compris, je suis atteinte d’Abidjanphilie aiguë ! ■
interview
Thierry Dia Dénicheur de talents
Grâce à Houkami Guyzagn, la galerie qu’il a ouverte il y a vingt-deux ans, ce passionné d’art a lancé sur le marché la plupart des plasticiens qui comptent parmi les plus prisés aujourd’hui. propos recueillis par Philippe Di Nacera
Ensuite : Nous sommes à la galerie Houkami Guyzagn. Pouvez-vous décrire les divers espaces de cet endroit vaste et chaleureux, qui n’est pas seulement un lieu d'exposition ?
Thierry Dia : Nous y menons en effet plusieurs activités. Avant tout, c’est une galerie où nous faisons la promotion de jeunes plasticiens. À l’extérieur, la cour, dénommée La Terre promise, sert pour les grandes expositions et les ateliers. Mais nous disposons aussi d’une salle plus petite, pour les expositions permanentes. En plus de cela, nous avons des chambres d’hôtes pour recevoir les artistes qui viennent de l’étranger ou de l’intérieur du pays. Ils séjournent ici pour travailler et exposent in situ. Autour de ces activités purement artistiques, nous possédons un bar lounge et le restaurant Houkami.
Ce lieu, vous l’avez longuement pensé. Pourquoi avoir rassemblé en un même endroit ces différentes activités ?
Vous savez, l’art est difficile à promouvoir en Afrique. Cela demande également beaucoup d’investissements. Mon expérience, mon vécu de mécène m’ont fait toucher du doigt les difficultés auxquelles les artistes et les galeristes sont confrontés. Les amateurs d’art aiment se retrouver, échanger, débattre… Et prendre l’apéro et manger ! J’ai compris qu’il fallait associer l’art à un endroit où l’on pouvait déguster de bons mets, boire du bon vin pour discuter. Justement, vous n’êtes pas un professionnel. Votre activité, c’est le café-cacao. Mais vous avez toujours été un très grand amateur d’art, au point d’ouvrir une galerie il y a plus de vingt ans. C’était au départ un tout petit endroit, chargé d’émotion, où le tout-Abidjan aimait se retrouver sans protocole le vendredi et le samedi soir…
Cet endroit est mythique… C’est la base de tout ! De toute la réflexion qui nous a amenés où nous en sommes aujourd’hui. Et de toute la générosité des gens. Notamment celle des mécènes qui ont cru à ce projet et qui nous ont accompagnés. Sans oublier ceux qui, bien que n’y croyant pas, étaient là également ! Ma passion pour l’art a commencé avant 1999. En 2000, j’ai ouvert une galerie, rue des Jardins, aux Deux Plateaux. Elle faisait 15 m2 tout au plus. C’est ainsi que tout a commencé. Un endroit magique, qui reste cher à mon cœur et à celui de nombreuses personnes qui le fréquentaient. On m’en parle encore aujourd’hui. On a connu de grands moments, comme la visite de la première dame, Dominique Ouattara, celle du grand peintre Ouattara Watts, ou d’autres personnalités incroyables ! J’ai compris, ici, que l’art pouvait intéresser beaucoup de gens et qu’investir dans ce domaine était possible. Treize ou quatorze ans plus tard, j’ai construit cette galerie, à la Riviera 2, avec tous les compartiments dont j’avais rêvé. Vous avez la réputation d’être un dénicheur de talents. Comment faites-vous ? Quel est votre regard sur l’art et quels sont les plasticiens qui sont passés par votre galerie et dont le nom résonne aujourd’hui à l’international ?
J’ai un regard qui me permet de reconnaître un futur grand. Je crois, pour paraphraser un grand mécène du football, que lorsque je vois un grand attaquant, un numéro 9, je sais que ce joueur va faire carrière. J’ai du flair. Je ne sais expliquer ce don que Dieu m’a donné. Quand je rencontre un artiste, je discute avec lui, je vois ses premiers coups de pinceau. Si je crois qu’il faut l’encadrer, c’est le signe que ce jeune-là ira très
loin. Aujourd’hui, je peux m’en vanter. La nouvelle génération qui fait honneur à la Côte d’Ivoire est passée chez Houkami Guyzagn. La plupart y ont fait leurs classes. Notamment Aboudia, Armand Boua, Yapi Roger, Lanin Saint-Étienne Yéanzi… et bien d’autres. Cette galerie était leur maison de jeunesse, et elle reste leur maison. Nous poursuivons ici ce travail de découverte de jeunes talents. Ils viennent quand ils veulent. Ils me rencontrent quand ils le souhaitent. C’est une maison qui leur est dédiée.
Ces artistes n’étaient donc pas connus avant de passer entre vos mains ?
Non, et c’est bien la spécificité de cette galerie. Houkami signifie « Aidez-moi » en baoulé. Je pense qu’il faut aider les jeunes plasticiens à grandir, à affirmer leur style. J’avais constaté qu’en Côte d’Ivoire, il fallait être un professionnel aguerri pour avoir accès aux galeries importantes sur le marché de l’art. En 2000 donc, nous avons cassé les codes ! J’ai exposé des artistes à peine sortis des Beaux-Arts parce qu’ils avaient du talent. Ainsi, peu à peu, ils ont bâti leur renommée. Comme Soro Péhouet, qui vendait ses toiles 250 000 francs CFA
et les vend aujourd’hui entre 10 et 15 millions de francs CFA. Ou Aboudia, dont certaines œuvres se sont achetées aux ÉtatsUnis jusqu’à 200 000 ou 300 000 dollars… Je vous assure, c’est une fierté ! Vous-même, quel est votre rapport à l ’art ? Vous y êtes venu par passion, mais dans votre vie, que représente-t-il ?
C’est une thérapie. Je ne peux pas passer une journée sans regarder un tableau. Chaque jour, quand je quitte mon travail, je vais me ressourcer à la galerie. Je suis toujours impatient de voir une nouvelle création, de rencontrer un artiste que je ne connais pas. Je peux faire des kilomètres pour rencontrer dans son atelier un talent que l’on m’a signalé. L’art, c’est la vie ! La création, c’est la vie ! Ça rend joyeux. Ça permet de comprendre les difficultés du quotidien. Voir un jeune homme qui part de rien, qui n’a que 500 francs CFA en poche et dans lequel bien peu de personnes croient, qui finit par peser des milliards dix ans plus tard, c’est formidable ! Les jeunes n’ont pas besoin de partir loin pour réussir. Ils n’ont qu’à aimer leur travail et le pratiquer passionnément.
La création, c’est la vie ! Ça rend joyeux. Ça permet de comprendre les difficultés du quotidien.
D’autres galeries existent à Abidjan. Certaines s’exportent à Venise, à Dakar, à Paris ou encore à Londres. Ce n’est pas votre démarche. Vous découvrez des talents, et puis vous les laissez partir. Quand ils s’envolent vers d’autres cieux, vous n’avez pas un pincement au cœur ?
Franchement, je vois cette attitude comme celle d'un parent qui aime vraiment ses enfants, qui les éduque avec sévérité et est heureux de les voir s’émanciper, se prendre en charge et réussir. Je ne signe aucun contrat d’exclusivité. Je leur transmets l’esprit de discipline dans le travail. Quand ils réussissent, s’ils sont reconnaissants, ils reviennent vers moi. Ils m’appellent « Monsieur », « le Père », « le Boss », « le Grand Frère »… Ma satisfaction, c’est de voir le chemin que nous avons parcouru ensemble.
Pourquoi ne pas vous exporter dans les grandes expositions à l’étranger ?
Je pourrais le faire, mais je ne le souhaite pas. Mon objectif est d’aider à positionner nos artistes débutants. S’ils ont du talent, ils s’imposeront à l’étranger. Aboudia a présenté ses œuvres sur Internet, et la galerie londonienne Jack Bell l’a immédiatement
invité. Ils ont tout sur place. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde globalisé. La Côte d’Ivoire est un pays international. Pourquoi aller en Europe ? Aux États-Unis ? Nous sommes vus partout !
Comment se porte l’art en Côte d ’Ivoire ? Les peintres, sculpteurs, photographes font-ils preuve de créativité ? Existe-t-il un marché pour la création artistique ?
L’art se porte très bien. La chance qu’ont nos talents, c’est de pouvoir bénéficier d’une école des beaux-arts : l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC). Il faut féliciter le ministère de la Culture pour cela. Cet établissement forme des apprentis artistes, qui se façonnent ensuite. Et ils savent se vendre. Abidjan est une plaque tournante en Afrique de l’Ouest. Elle est en passe de devenir la capitale de l’art contemporain sur le continent ! Il y a tellement de noms qui sortent de la pouponnière à la suite de Ouattara Watts. En Côte d’Ivoire même, il existe un marché important. Vous n’imaginez pas le nombre de structures qui achètent des œuvres : les banques, la présidence de la République, la primature, les entreprises… Je peux vous dire que l’art représente des milliards dans l’économie. ■
MON ABIDJAN
PAR ANNA-ALIX KOFFI
« Creative entrepreneur », militante culturelle panafricaniste et féministe, elle a créé plusieurs revues d'art, dont Something We Africans Got. Directrice artistique d'Aby, le concept store le plus pointu de la ville, elle vient de lancer Something, un centre d’art digital « non-profit » à Blockhauss.
Abidjan est grand… Même si, comme à Paris, l’espace de chacun se restreint à un carré balisé. Je suis née au Plateau, mais ce n’est que plus de trois décennies après avoir quitté la capitale économique que j’ai pu apprendre à nouveau à la pratiquer. Enfin, pour être précise, que j'ai pu apprendre à connaître Cocody et le Plateau avec, à la faveur de visites chez les artisans et les vendeurs de tissus de Treichville, quelques escapades de l’autre côté du pont.
Mon Abidjan, c’est celui des marginaux bien sapés, des créatifs riches d’idées en attente de soutien, des bien nés bohèmes et des taxis wôrô-wôrô, politologues ou philosophes lucides, qui vous raccrochent à la base.
Des lieux aux personnes que je fréquente, tout est en rapport avec l’art. Les protagonistes et les propositions sont si nombreux ici que l’absence de manifestation artistique internationale d’envergure demeure un mystère. De retour au pays, l’ikigai (« joie de vivre » en japonais) trouvé, on essaie d’appliquer les méthodes d’ailleurs, avant de vite se casser les dents sur la rudesse de l’accueil de ceux qui sont restés. Se faire une place dans la meute est plus évident lorsque l’on n'en a jamais fait partie que lorsque l’on y retourne.
L'Abidjan artsy, c’est tout d’abord la trinité de Cocody : la LouiSimone Guirandou Gallery, la Fondation Donwahi et la galerie Cécile Fakhoury. On doit aussi citer la galerie Amani, en Zone 4, et les expositions au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara (MuCAT), à Abobo. Côté institutionnel, le très dynamique Goethe Institut occupe le terrain avec des initiatives telles que le soutien de l’exposition du MuCAT sur Wolfgang Tillmans.
Artitude
Je rejoins humblement cette grande conversation avec Something, un centre d’art que j’ai officiellement ouvert à la fin de septembre 2021. C’est le premier qui est consacré à la vidéo et à l’art digital, aux artist talks également. L’acte de préouverture fut d’ailleurs d’organiser une discussion entre Tillmans et le curateur Simon Njami. Something est installé à Blockhauss, un choix axé pré-gentrification en bonne « binguiste » (Africain vivant en France) que je suis. J’ai surtout été bien avisée de m’installer à proximité de l’Ivoire Trade Center (ITC), QG de grandes entreprises, et dans le prolongement du mythique Hôtel Ivoire.
Dans l’ITC, justement, se trouve Aby, une nouvelle destination, un concept store haut de gamme, made in Africa only, imaginé par la galeriste Cécile Fakhoury, et que j’ai contribué à concrétiser en assurant la sélection des objets et la direction artistique. Aby vient poursuivre le travail du très branché Dozo, petite boutique de trend setters dirigée par Aziz Da, instigateur de la Sunday.
Dans les endroits définitivement cool, il y a le Bushman, le coin du dimanche soir pour moi, et celui de tous les jours pour les amateurs de grandes tablées, de grillades et de shots de rhum arrangé. Créé par Alain Porquet, un diplomate collectionneur d’art et désormais ardent défenseur d’un chocolat made in Côte d’Ivoire (que l’on peut déguster sur place ou réaliser chez soi), le lieu est un boutique-hôtel avec un restaurant roof top, où chaque centimètre carré est occupé par une œuvre d’art ou de design, provenant de toutes les époques et de tous les horizons.
Côté assiette, mon côté posh plébiscite le Nama, nouveau spot ultra-smart du Plateau. Et je ne peux pas terminer sans mentionner le maquis la Festina Beach, qui sert le meilleur poisson braisé de Blockhauss, et un excellent kedjenou d’escargots. Il ne faut pas avoir peur. ■
Les nouveaux sons de la cité musique
Chanteurs, musiciens, DJ, ils sont jeunes, ils font bouger la scène, en synthèse entre modernités et traditions. Si la ville est bien connue pour ses nuits endiablées, son coupé-décalé ou son zouglou, cette nouvelle génération compte bien changer le rythme !
textes et photos par Jihane Zorkot
Steven Amoikon
«Transformer le legs de nos ancêtres»
Après l’obtention de son baccalauréat, à tout juste 17 ans, Steven Amoikon décide de se lancer dans la musique. Il apprend seul à jouer de la guitare, pour laquelle il se découvre particulièrement doué. Et intègre la Music Academy International, à Nancy, en France, où il étudie pendant trois ans la performance musicale, la composition, l’ingénierie sonore. Sorti major de sa promotion, il entame, outre-Atlantique, un cursus dans le célèbre Berklee College of Music, à Boston, après avoir obtenu une bourse grâce à ses excellents résultats au test d’admission.
Le jeune guitariste est fasciné par ce qu'il apprend. Il s’imprègne de la musique jazz, du rock et du R'n'B, et commence sa carrière professionnelle dans le même temps, aux côtés de grands noms de la scène tels que Ziggy Marley, The Wailers et Mighty Mystic, qu'il accompagne en tournée aux États-Unis. Il joue devant des audiences allant jusqu’à 15 000 personnes. En 2020, à la suite de la crise liée au Covid-19, il rentre en Côte
d'Ivoire et s’y installe. Il rêve d'y moderniser la musique, de puiser dans ses racines et de la mettre au goût du jour : « Pour la connaître vraiment, il faut savoir ce qu'il s’est passé avant nous. » Ce retour aux sources prend la forme d'un voyage à travers le pays, riche de plus de 60 ethnies, à la recherche de sons, d’ambiances. Le parcours initiatique débute par sa ville natale, Abengourou, où il fait plus ample connaissance avec des instruments comme le djembé ou l’atoumblan. Étape après étape, les masques et les danses traditionnels lui font forte impression.
Avec son background musical plutôt classique et occidental, il se réinvente, se perfectionne, et passe des heures avec le percussionniste Konaté Bongo. Il fonde avec des musiciens le groupe Commando, et se produit avec eux sur scène. Il travaille également avec de grands noms, comme Paco Séry, le batteur et percussionniste de jazz, lauréat de deux Grammy Awards. Ces rencontres l’inspirent et le motivent dans son processus de création. Il est notamment contacté par la marque Vans, pour composer la bande originale d'un documentaire sur la culture surf en Côte d’Ivoire.
Steven Amoikon navigue constamment dans l'exploration musicale : il enregistre et isole, par exemple, les sons d’instruments issus de différentes régions. Et se rend même dans les pays voisins : Mali, Sénégal, Guinée, ou encore Ghana. Curieux et aventurier, il s’imprègne pleinement de ces nouvelles sonorités pour lui.
En mai dernier, il a sorti le single « L’Ombre blanche », tout premier morceau d’un album en préparation. Il souhaite faire peau neuve et s'affranchir des étiquettes attribuées à la chanson ivoirienne. « Il faut se réinventer, et pour cela, il faut moderniser la musique de nos ancêtres, qui est le pilier, la base. » C’est le travail qu’il entreprend actuellement. Également ingénieur du son, le musicien s'attache, à l’aide de samples et de rythmes qu’il crée, à donner un souffle nouveau aux instruments traditionnels. ■
Elidjha
La nouvelle pop star
L’univers d'Elidjha Mariji, tout juste 24 ans, est celui de la pop urbaine. Celle qui se qualifie comme « la plus ivoirienne des Françaises » a décidé de tenter sa chance et de lancer sa carrière en Côte d'Ivoire depuis maintenant deux ans. L'artiste baigne dans la musique depuis l’enfance. À partir de 9 ans, elle étudie le piano au conservatoire de Gex, en France. Tout au long de son cursus scolaire, elle se perfectionne, nourrit ses passions. Elle intègre à 14 ans l’Académie de comédie
musicale de Genève, en Suisse, où elle se partage entre cours de danse, théâtre et chant. Elle tente également l’aventure des émissions télé qui révèlent les jeunes talents, comme The Voice ou X Factor
À l'occasion de vacances en Côte d'Ivoire, après l'obtention de son diplôme à l’école hôtelière de Lausanne, elle tombe amoureuse du pays et s’y installe. Une renaissance pour la jeune femme, qui souhaite embrasser pleinement la culture africaine. Elle se sent immédiatement « à la maison », prête à assumer son métissage. Pour la chanteuse, « Africa is now » : tout se passe sur le continent. Souhaitant participer activement à la dynamique culturelle, elle s’intéresse à différents mouvements musicaux, tels que la naija music ou l’amapiano, venu d'Afrique du Sud. Autodidacte et indépendante, elle aime se sentir libre lorsqu'elle écrit ses chansons et y va au culot. Elle puise son inspiration dans l'univers qui l’entoure. Cela peut souvent partir d’un sentiment de révolte ou d’impuissance : pour canaliser les émotions qui la traversent, elle se met alors à composer. Essayant de faire passer des messages, elle dit clairement : « N’essaye pas de plaire à tout le monde. » Plus qu’un simple conseil, c’est l'idée d'un mode de vie qu’elle transmet à sa communauté, en prônant l'acceptation de soi.
Côté musique, la plupart du temps, c’est au piano qu'elle trouve des mélodies. Elle ressent les beats comme elle voit les couleurs : « Pour moi, la musique, c’est comme un arc-en-ciel », et en fonction de la teinte qui lui vient à l’esprit, elle se laisse guider. Elidjha veut ses sons joyeux, pétillants et pleins de vie, comme elle, son but étant de faire danser le public. Elle s'attache à soigner la qualité de ses productions et à toujours véhiculer des ondes positives. De la musique commerciale de qualité. Elle confie avoir une préférence marquée pour les performances live, où elle est livrée à elle-même, sans artifices.
À la suite d'une rupture amoureuse, elle a sorti cette année son premier single, « Faut quitter », qui comptabilise déjà plus de 33 000 vues sur YouTube. Une chanson pleinement imprégnée de culture africaine – le plus gros défi était de « casser » son background soul et jazz –, qui mixe des sonorités de saxophone venues du Ghana et des accords de guitare du Togo, accompagnée par un vidéo clip très coloré.
L'ascension de la jeune pop star ne s'est bien sûr pas faite sans les réseaux sociaux, puisqu'elle s’est fait connaître sur TikTok, qui lui a ouvert un autre public. Elle est suivie au Togo, au Cameroun, au Bénin, et son hashtag #fautquitterchallenge recense plus de 3 millions de vues. L'artiste partage largement sa production sur les réseaux sociaux et communique beaucoup avec sa communauté, qui le lui rend bien et lui donne la force et l’envie d’aller plus loin.
Elidjha a récemment fait la première partie du Français Tayc, à Abidjan, ce dont elle est très fière. Cette étoile qui monte dévoilera très prochainement un duo avec l'artiste Paulo Chakal [voir pages suivantes], qu’elle considère comme une âme sœur musicale. ■
Black Charles
«Put Abidjan on the map»
Charles Tanoh-Boutchoué est DJ, beatmaker, producteur, directeur artistique et cofondateur du collectif Bain de foule. Son mot d’ordre est « Put Abidjan on the map » : il veut pousser la scène artistique à son summum et faire parler d’elle. Black Charles est un enfant du monde, et cela se ressent dans son univers. Dès l’enfance, il est piqué par le virus de la musique et développe son oreille, piochant dans la collection de vinyles de son père, diplomate, faisant alterner galettes brésiliennes, africaines et américaines. Né au Brésil, il y vit jusqu’à l’âge de 6 ans, puis il fait son cycle primaire en Côte d’Ivoire, avant de s’envoler aux États-Unis, où il effectue ses études secondaires et une partie de sa formation supérieure.
C’est à New York que naît réellement sa passion. Au lycée, il monte un groupe de hip-hop avec des amis, puis, en parallèle de ses études de business et de marketing, apprend en autodidacte le beatmaking et la production. Il arpente l'univers underground de la nuit, et commence sa carrière de DJ dans une boîte branchée de l'East Village. L'occasion de s'imprégner de la scène alternative et d'élargir son horizon auprès des communautés hispaniques, blanches, noires. Il tombe sous le charme de la soul, du jazz, et surtout du rock. En 2008, il quitte la Big Apple et rejoint son père en Égypte, où il suit un cursus médias et communication, avec une option production audio musicale, à l’Université américaine du Caire. Se plongeant dans la scène égyptienne, il découvre le monde de l’électro. Une période de transition pendant laquelle il délaisse ses influences hip-hop.
Trois ans plus tard, il retourne en Côte d’Ivoire et s’y établit. À l'image du pays, qui sort d'une forte crise politique, c'est le moment pour le jeune homme de se réinventer et de repartir de zéro. Il commence par de petits boulots, puis obtient une première résidence de DJ dans un bar aux 2 Plateaux Vallon. Mais l'établissement ferme en 2013, ce qui est un mal pour un bien, puisqu'il devient DJ du Bao Café, très en vogue à l’époque. Ces résidences lui permettent de créer son univers musical et de tisser son réseau. En décembre 2018, avec DJ Jeune Lio, Aziz Doumbia (propriétaire du concept store Dozo), Aurore Aoussi (fondatrice d’Apéro Abidjan) et Fayçal Lazraq (à la tête des restaurants Fé Ta Crêpe et d’une salle de sport à Grand-Bassam) – qui forment à eux cinq le collectif Bain de foule –, il lance l’événement La Sunday. « L’idée était de recréer une ambiance qui existait en Occident et qu’on ne trouvait pas ici, un espace où l’on pouvait se retrouver le dimanche après-midi entre amis. » L’aventure démarre et prend de l’ampleur. Les happenings itinérants attirent chaque fois plusieurs milliers de personnes.
En parallèle, Bain de Foule Studio voit le jour à la Fondation Donwahi : un espace de rencontre pour les créateurs de tout poil, où l’on parle de ses projets, et une plate-forme pour les artistes et les marques. Pour Black Charles, « la scène créative à Abidjan est la plus intéressante, tout est à faire. » Il fait partie de cette nouvelle génération de créateurs qui ose et n’a pas peur. Aidé par ses connaissances en marketing et en networking, il utilise les réseaux sociaux pour échanger avec d’autres artistes du monde entier, espérant que les générations à venir s’en inspireront et que se développera un véritable secteur créatif dans sa ville.
Ses projets ? Le beatmaker travaille sur un premier EP de 6 titres et souhaite fonder une école de DJ, voire de production. Il aimerait également collaborer avec des artistes issus de diverses disciplines. « J’aime l’idée du mélange et du partage, on n’a pas tous la même manière de voir les choses, mais on peut s'associer pour les expliquer de façons différentes et arriver ainsi à une nouvelle interprétation. » Son projet le plus fou : développer la scène électronique ivoirienne pour aboutir à la création d’un véritable son local. ■
Paulo Chakal
Le maître du «nouchi love»
À
24 ans, il est connu pour ses chansons de « nouchi love », mais c'est en tant que boxeur thaï que Kadjo Ethyler Paul Éric Michel a commencé dans la vie active. Il effectue plusieurs compétitions à l’échelle nationale, avant de s’intéresser à la musique. Son nom de scène, qui était déjà sien sur les rings, est inspiré du chacal, son animal totem : réservé, choisissant son entourage avec soin, proche de sa famille, mais sachant frapper au bon moment. Le jeune homme, en autodidacte, apprend la guitare et endosse naturellement le rôle de manager pour ses amis du quartier. Ensemble, ils composent des chansons –Paulo en est toujours l’auteur – et enregistrent quelques titres en studio. C’est lors d’une de ces sessions qu’il fait la connaissance du producteur Alexandre Branger, qui décèle en lui un vrai potentiel. Il termine ses études et obtient une licence en administration des affaires, avant de se consacrer pleinement à son art.
En quatre ans, il a sorti 12 singles, dont le célèbre « Dior », ainsi que deux EP. « Je trouve l'inspiration dans ma vie », déclare celui qui utilise ses expériences comme point de départ pour composer ses chansons. Son morceau « Orchidée », notamment, est né de sa réflexion sur ses relations amoureuses. Il estime qu'il est de son devoir d'être authentique et de transmettre son énergie aux fans.
Souhaitant que son message soit accessible à tous, ce « grand lover » écrit ses textes en nouchi, un argot ivoirien mélangeant le français et différentes langues locales. « Le mec d’Adjamé ne comprendra pas les paroles de Tayc ou de Dadju. » Le maître du « nouchi love » se donne ainsi pour mission d’apporter de l’amour en écrivant des textes qui reprennent les codes ivoiriens. Loin de suivre la tendance, il a créé son propre univers. C'est peut-être pour cela que son public est international. En France, en Côte d’Ivoire, au Canada et même aux États-Unis, ses fans sont principalement des jeunes, comme lui, issus de cette nouvelle génération férue de « rap ivoire », qui a laissé derrière elle le zouglou et le coupé-décalé. Il adresse ses chansons aux femmes, qui l’inspirent, mais parle aussi de réalités sociales. Ses influences musicales sont Fela Kuti, Manu Dibango ou encore Burna Boy. Mais le sujet qui lui tient particulièrement à cœur est la spiritualité. L’artiste estime que l’Afrique perd ses valeurs et ses traditions, et qu’il est important de les conserver. « On idolâtre les artistes étrangers, en empêchant les nôtres de s’exprimer sur les mêmes thèmes. » Il se bat également pour la liberté d’expression artistique, et souhaite l'avènement
d'une scène musicale sans tabou, où l’on pourrait parler de tout sans entrave. Paulo Chakal ne néglige par ailleurs pas le côté business. Il est très attentif à son branding, à son image de marque. Pour cela, grâce aux réseaux sociaux, il est toujours en contact avec sa communauté. Il travaille actuellement sur un nouvel album et se produira prochainement en concert. Il projette également de se lancer dans une collaboration avec l’artiste reggae dancehall français Taïro. ■
Ici, on sait rire ! humour Oualas
Pionniers comme jeunes talents, les stars du stand-up à l’ivoirienne sont à l’affiche des clubs locaux et des festivals internationaux. Entretiens. propos recueillis par Jihane Zorkot
Les Abidjanais sont de bons vivants, ils ont toujours le sourire aux lèvres. Et pour le rire, ce sont sans doute les premiers. Si certains pionniers, tels qu’Adama Dahico ou Gohou Michel, se sont battus pour représenter l’humour à l’ivoirienne, de jeunes talents n’hésitent pas à entrer dans la danse. Il y a quelques années, le statut d’humoriste n’était pas pleinement assumé. Les artistes se présentaient comme des comédiens. Depuis, les mentalités ont évolué grâce à des émissions cultes, comme Bonjour, lancée en 2006 par la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI), première chaîne à l’époque, qui propulse l’humour au premier rang des arts les plus prisés en Côte d’Ivoire. Bon nombre de comiques se font connaître dans cette émission, tel le Magnific ou Joël. Abidjan devient alors la « capitale du rire », tant et si bien que Canal+ Afrique lance l’émission – qui va vite devenir célèbre –Le Parlement du rire. Aujourd’hui, on observe dans la ville un véritable boom des comedy clubs : le Gondwana Club, fondé par Mamane, le Dycoco Comedy Club, créé à Cocody en 2020 par le groupe Grégoire Furrer Productions (fondateur du prestigieux Montreux Comedy Festival, en Suisse), et tout récemment le Music’All Cultural Center (MAC), créé par Oualas et le metteur en scène Abass Zein. Tous affichent la même ambition : donner à de jeunes talents l’opportunité de jouer devant un public et leur permettre de trouver un tremplin pour se faire connaître. ■
Le fédérateur
TAHAR LAZRAK, dit Oualas, est ivoiro-marocain. L’aventure du théâtre démarre pour lui en 2007, avec Chawarma Story une pièce écrite par Abass Zein. Aujourd’hui, cet autodidacte qui a débuté dans sa chambre avec une petite webcam est le personnage principal de ses shows. Après avoir joué pour les plus grands festivals, tels Montreux, le Marrakech du rire ou le Juste pour rire canadien, il a été l’initiateur d’Afrique du rire, qui en est déjà à sa quatrième édition et réunit plus de 30 artistes internationaux chaque année. Également à la tête du MAC, un centre culturel en plein cœur d’Abidjan, il a pour ambition de révéler de jeunes talents et de donner à l’humour africain (et ivoirien) une envergure internationale.
ure ry,y cte ur ire e us n, er à le. e me me le vant enne Côte cœur aller cette erre, pper. quoi onne aux
Ensuite : Vous êtes francophone, anglophone mais aussi arabophone. Un atout pour pouvoir jouer partout, j’imagine ! Oualas : Je suis ivoiro-marocain. Ce n’est pas que je me considère « comme » un Ivoirien, je « suis » ivoirien. Mon père est arrivé dans le pays en 1956, avant l’indépendance, il me le répète souvent. Le drapeau et l’hymne national sont nés devant lui. En 1960, on pouvait choisir entre la nationalité ivoirienne et la française. Mon père a pris la première, car c’est la Côte d’Ivoire qui lui a ouvert les bras. Je suis ivoirien, c’est le cœur qui parle. En 2017, Jamel Debbouze m’a proposé de m’installer en France et de bosser avec lui au Comedy Club. J’ai trouvé cette proposition incroyable, mais j’ai décidé de la décliner. Ma terre, c’est l’Afrique. C’est ce continent que j’ai envie de développer. Il ne faut pas que l’aide vienne toujours des autres. Pourquoi attendre ? Nous aussi, on sait faire des choses. Quand je donne des conférences dans des universités à l’étranger, je dis aux
ils et mettre a de l’A frique. faut l’aider à avance double je ne suis pas just marocain, suis à la bu Je suis lang dans mon pays, mais j’ai la cha aussi anglophon nophone. Autodidacte, je puis et mes ressources et j’a partager tout sur scène. Pe mon publ ic ou s sketch, je assimilé et compris par tous. Comment avez-vous réussi à vous créer une place dans le cœur des Ivoiriens ? gen jour Adama D r J’ des têtes fait connaître. Ensuite, j’ai fait Bonjour e J expé guerre. montrais couleur pa l’expérience mo pas l’ en vous voyant sur scène ? re
jeunes de revenir quand ils auront fini leurs études et de mettre leurs savoirs au service de l’Afrique. Il faut l’aider à avancer. Avec ma double culture, je ne suis pas juste ivoirien ou marocain, je suis également africain, à la fois malien, sénégalais, burkinabé… Je suis francophone par la langue parlée dans mon pays, mais j’ai la chance d’être aussi arabophone, anglophone et hispanophone. Autodidacte, je puise dans ma culture et mes ressources et j’ai envie de partager tout cela sur scène. Peu importe l’origine de mon public ou sa langue. Quand je fais un sketch, je veux qu’il soit
Contrairement à ce que les gens pensent, mon premier spectacle n’était pas pour Bon, mais, en 2009, avec Adama Dahico, au Festival international du rire d’Abidjan. J’étais l’une des têtes d’affiche, et c’est comme ça que je me suis en 2014, et là, j’ai convaincu le public abidjanais. J’ai abordé un sujet très sensible, qui était mon expérience de la guerre. Ça a plu parce que je montrais que nous, les Ivoiriens de couleur blanche, n’avons pas gardé de rancune. Des deux côtés, l’expérience a été horrible, mais nous avons également vécu des moments de fraternité magnifiques, et il ne faut pas l’oublier. À quoi un spectateur doit-il s’attendre
Le plus beau compliment que j’ai reçu, c’est : « Quand on regarde ton spectacle, on voyage. » J’essaie de transporter le public dans tous les pays
« Quand on regarde ton spectacle, on tou
d’Afrique, à travers les anecdotes que j’ai pu vivre au Congo, au Burkina, au Mali, au Togo, ou encore au Bénin. Surtout lorsque je joue en Europe. Les spectateurs adorent ça. Parce que je leur offre un tour d’horizon. Ils ne savent pas quelle est la différence entre un Ivoirien et un Camerounais, par exemple. Mais grâce à mon sketch, ils apprennent les nuances, et j’envoie un message fort : l’Afrique se bat pour avancer. Mon prochain spectacle, c’est Oualas déconfiné, qui raconte après le Covid-19, et surtout après être devenu papa. Ma vie de père m’a poussé à me concentrer sur mes objectifs réels. Vous avez créé différentes scènes du rire. Quel rôle voulez-vous jouer dans l’expansion de l’humour ivoirien ?
Dès que j’ai eu l’idée du MAC, j’ai contacté Abass Zein pour que l’on monte le projet ensemble. Je ne voulais pas juste créer une scène de stand-up, mais un espace créatif où le théâtre, la chanson, l’humour puissent se rencontrer. On met en avant de jeunes talents et, une fois par mois, un artiste international. On essaie de l’implanter un peu partout sur le continent, notamment au Congo. Afrique du rire, lui, est né de la frustration d’être invité à des festivals et de comprendre que notre continent n’est jamais mis à l’honneur. Je me suis dit que personne d’autre que nous ne le ferait. Lorsque j’ai appelé des humoristes pour leur présenter mon projet, je leur ai dit : « J’ai des rêves, mais très peu de fonds, donc soit vous me faites confiance et on y va, soit on laisse tomber. » Et 80 % des gens m’ont suivi. C’était vraiment la folie : un festival énorme, avec une tournée dans 11 pays, un staff de 60 personnes… Aujourd’hui, nous en sommes déjà à la quatrième édition, mais on a été stoppé par le Covid-19. Je suis sinon en train de monter une troupe d’humoristes, « Babi comédie », avec de jeunes talents pas encore connus mais excellents. Je suis aussi intéressé par le monde anglophone. J’ai joué récemment à Accra, et je trouve que c’est un bon marché culturel. Je mets de plus en plus d’anglais dans mes one-man-shows, un anglais compris par tous, qui permet à l’Afrique anglophone de profiter de nos talents. Je relie les deux langues en faisant des tournées au Nigeria, au Liberia, au Ghana, mais aussi au Rwanda. ■
Clentélex L’intello engagé
JEUNE ÉTOILE MONTANTE, André Niamke Wandan, connu sous le nom de Clentélex, est lauréat du prix Africa Comedy by Montreux Comedy 2019 et du prix Révélation au Grand Prix Ivoire humour 2020. Il met régulièrement en avant sa commune, Abobo, dans ses « stand-up abobolais » et espère bien la représenter sur les planches internationales. L’humour est son arme, et il se sert de ses sketchs pour faire connaître les difficultés que connaît la population de ce quartier d’Abidjan.
Ensuite : Vous vous considérez comme un humoriste engagé ?
Clentélex : Je suis comédien humoriste, et je précise toujours abobolais. Chaque comique se doit d’avoir une identité qui lui est propre, et la mienne, c’est que je viens d’Abobo. C’est une commune qui collectionne les clichés négatifs, mais j’ai décidé de la mettre à l’honneur, justement. D’une certaine manière, oui, je m’engage, mais j’engage aussi tout le quartier avec moi ! Mon but est avant tout de faire rire, mais j’aime faire passer des messages par le biais de l’humour, mettre en avant les problèmes que l’on rencontre et essayer ensemble de trouver des solutions. Certes, il y a des difficultés à Abobo, mais comme partout. Je traite aussi des réalités vécues par l’ensemble des Abidjanais, comme le trafic routier aux heures de pointe, ou le non-respect du code de la route, ou encore le service à l’hôpital. Dans tout instant vécu, il y a une part d’humour. Même dans la mort, il y a un côté drôle. Il suffit de voir les choses avec un regard différent.
Quelle est la réaction du public abobolais face à vos sketchs ?
Certaines personnes ne comprennent pas le second degré et trouvent que je présente la commune sous son plus mauvais jour. Mais d’un autre côté, je suis énormément soutenu. Ça fait plaisir à plein de monde de voir un jeune du quartier réussir et mettre en avant les problèmes rencontrés. Abobo est malheureusement réputé pour sa violence et sa précarité, alors quand certains d’entre nous arrivent à s’en sortir et écrivent des textes pour dénoncer des situations vécues, cela ne peut que faire plaisir. Par ailleurs, tout cela est bénéfique pour moi, parce que ça m’a permis de me faire un nom et de me démarquer par mon style.
Parlez-nous du film J’irai faire rire les Blancs
Il a été réalisé par Jean-Charles Guichard et Noémie Mayaudon en 2019, pendant le casting du Montreux Comedy Festival. L’idée était de montrer comment un jeune humoriste africain écrit ses textes de manière qu’un public européen arrive à rire de ses blagues. À la suite de ma victoire au concours, ils m’ont donc accompagné. Mon objectif était d’être universel. Quand je me produis à l’international, je fais en sorte que mon humour puisse être compris par tous. Il suffit d’adapter ses textes dans ce sens. J’articule mon spectacle comme une carte postale, je joue le guide, et le public me suit dans le voyage. Je les transporte à Abidjan, chez moi, à Abobo. Quel est votre avis sur la scène humoristique ivoirienne ?
Je dirais que les Ivoiriens sont sur le devant de la scène africaine francophone. Nous avons de très grands artistes, comme le Magnific, DJ Ramatoulaye ou encore Oualas, qui ont mis la barre très haut. Grâce à eux, lorsque l’on se présente en tant que comique ivoirien à l’étranger, on est déjà respecté et apprécié. En ce qui concerne les planches internationales, il y a encore du chemin à parcourir. Mais nous sommes sur la bonne voie. Si nous nous en donnons la peine, si l’on travaille
« Nous nous devons d’avoir une identité qui nous est propre, et la mienne, c’est que je viens d’Abobo. »
« Tout est source d’inspiration. Je peux écouter une discussion anodine entre deux personnes et en faire une vidéo.
dur, on peut très rapidement gravir les échelons et se positionner sur le marché. La jeune génération représente un énorme potentiel. Il faut juste se donner les moyens d’y arriver. À Abidjan, une dynamique se crée, nous assistons à un boom des comedy clubs. Avant, il n’y avait que le Bao Café. Aujourd’hui, je peux vous citer plusieurs espaces artistiques, comme le MAC, le Gondwana Club, le Dycoco, et énormément d’émissions de télé, telles que Bonjour, ou de radio, comme Surtout ne riez pas, sur Fréquence 2. Tout est mis en œuvre pour la promotion du domaine. ■
MHD.SAY
L’influenceur multicasquette
LE CRÉATEUR DE CONTENU ivoiro-libanais Momo Sayegh, alias MHD.SAY, s’impose sur la scène comique. Connu pour son humour décalé, son peps et sa joie de vivre, il est courtisé par de nombreuses marques qui veulent à tout prix l’avoir comme égérie. Sa plus-value, c’est son authenticité et sa capacité d’adaptation. Cet influenceur double casquette jongle d’un média à l’autre, abordant des sujets lifestyle ou mode d’un côté, et dénonçant, avec humour, des faits de société qui lui tiennent particulièrement à cœur, de l’autre. Celui qui a su se forger un nom sur les réseaux sociaux est également suivi par un public international. Il met un point d’honneur à représenter la Côte d’Ivoire et à en chanter les atouts : sa gastronomie, son peuple ou son langage. Momo adore son pays. Issu d’un brassage culturel, il prône la fraternité et véhicule avant tout des messages d’amour.
Ensuite : Quel type d’influenceur êtes-vous ?
MHD.SAY : Les gens sont surpris lorsqu’ils passent de mon compte TikTok à mon Instagram, et vice-versa, car je suis un influenceur multicasquette. J’ai plus d’un tour dans mon sac ! Il faut savoir que je suis d’abord wedding planner et décorateur événementiel. Un métier qui demande déjà beaucoup de temps et de travail. Alors, bien souvent, on se demande comment je trouve le temps de m’adonner à ma vraie passion, l’humour. Sur Instagram, j’ai plus de 70 000 followers. Et j’y montre un côté plutôt sérieux de ma personnalité. Je poste énormément de photos. Je suis un grand fan de mode, et je porte régulièrement des habits de créateurs ivoiriens que je mets ainsi en avant. D’ailleurs, l’un de mes projets serait de créer une ligne de vêtements. Je partage aussi mon expérience lorsque je vais au restaurant, et je conseille de nouvelles adresses. C’est en gros un compte dédié au lifestyle à Abidjan. Sur TikTok, on entre dans un autre univers, loin du protocole et des étiquettes. Je suis beaucoup plus décontracté. J’ai plus de 300 000 abonnés, et c’est en partie grâce à ce compte que je suis connu des Ivoiriens.
J’essaie de faire rire autant que possible, d’apporter aux autres de la joie et de la bonne humeur. Quels sont vos sujets de prédilection pour vos vidéos ?
Pour créer du contenu, je m’inspire de mon quotidien et des situations que vivent mes proches. Tout est source d’inspiration. Je peux écouter une discussion anodine entre deux personnes et en faire une vidéo. J’aborde aussi des thèmes qui me tiennent à cœur, comme le harcèlement scolaire ou l’acceptation de soi. Pour mes followers, je suis comme un life coach. Je n’hésite pas à parler de mes complexes pour qu’ils puissent accepter les leurs. Le second aspect de mes vidéos, c’est que je mets en avant le personnage du petit Blanc qui parle le nouchi, qui mange les plats typiques et est fier de promouvoir la Côte d’Ivoire. Comment avez-vous démarré l’aventure TikTok ?
J’avais déjà ce petit côté délirant en moi, mais, pour mon travail, je me dois de toujours être sérieux et organisé. Peu de personnes connaissent cette facette de ma personnalité. Pendant la crise du Covid-19, les activités étaient à la baisse. Il a donc fallu me réinventer. J’ai décidé de télécharger TikTok. Je ne connaissais pas cette plate-forme, et j’ai posté une première vidéo, mais le succès n’a pas réellement été au rendez-vous. Alors, je me suis dit qu’il fallait que je choisisse un thème qui parle aux gens. C’est comme ça que j’ai eu l’idée de mettre en avant la différence entre le français et le nouchi. Et là, la vidéo est devenue virale. Mais il ne faut pas croire qu’après un premier post, le public est acquis. Il faut toujours créer plus de contenu pour captiver les internautes et les pousser à réagir. Je me suis fait connaître comme le Blanc qui parle nouchi et, croyez-moi, je suis plus ivoirien que les Ivoiriens ! Ils ont d’ailleurs adoré. Les gens aiment l’authenticité, alors je n’hésite pas à être moimême. Partout où je voyage, je prends le drapeau ivoirien avec moi, je me donne pour mission de hisser ses couleurs au plus haut. Je suis un amoureux inconditionnel de mon pays. Comment voyez-vous l’avenir pour les métiers du digital à Abidjan ?
Il y a encore cinq ans, le métier d’influenceur n’existait pas. Ou du moins, il était mal compris. Aujourd’hui, c’est un métier à part entière, et nous sommes pleinement pris aux sérieux. Le monde de l’influencing est vaste. Il existe différentes catégories : les foodblogueurs, les influenceurs fashion, voyage, finance, etc. Les entreprises, et même les particuliers, ont compris que pour se faire connaître, il était plus facile de passer par des influenceurs. Nous sommes très sollicités, sans cesse invités à des événements, et la plupart du temps, ceux-ci sont rémunérés. On ne peut pas tout à fait encore en vivre à 100 %, mais nous sommes sur la bonne voie. Pour réussir sur les réseaux sociaux, il faut avoir une réelle stratégie de communication digitale, choisir les bons mots de manière à toucher la bonne cible. Cela représente énormément de travail de recherche, de création de contenu, mais c’est fascinant de voir à quel point notre avis compte. On se doit donc d’être juste et authentique pour notre communauté. ■
E-visa D’une manière générale, renseignez-vous auprès de l’ambassade ivoirienne de votre pays pour les formalités d’entrée. Les ressortissants français peuvent obtenir un visa électronique à Paris, auprès de l’ambassade, ou sur Internet (snedai.com). À noter que certains pays africains ne sont pas soumis au visa : les pays de la zone Cedeao, évidemment, ou la Tunisie et le Maroc, par exemple.
COMME UN ROAD TRIP
Rouler en ville Tout est possible, mai s soyez prudent. Les ta xis orange d’Abidjan (et ceux d e couleur jaune de l a commune du Plateau) appliquent moyennement les règles du code de l a route. L’idéal : l a location d’un véhicule avec chauffeur en passant par les hôtels ou d’un VTC avec une application comme Yango, Uber, Taxijet ou Heetch.
Découvrir le territoire
Pour se faciliter la vie, il vaut mieux louer u n vé hicule privé avec chauffeur, e n p lanifiant l e trajet (e n voiture ou en avion). Grand-Bassam et Assinie, ver s l ’est, comme Yamoussoukro, ver s l e nord, sont fa cilement accessibles par l’autoroute.
Précautions santé
Soyez vigilants sur l’essentiel, en particulier sur les vaccins exigés à l’entrée (le contrôle est souvent tatillon) et les traitements antipaludéens pour les personnes à risque. Pour le reste… du bon sen s et d e la prudence. En cas d’urgence, contacter le Samu (Samu de Cocody) : +225 22 44 53 53 ou le 185 (numéro abrégé).
BONNE ARRIVÉE !
Ici, presque tout le monde parle français (ou d’autres langues européennes) et une multitude de langues africaines. Le métissage est au cœur de la société. Le pays est un carrefour de migration et de culture, et les Ivoiriens sont tournés vers le monde. Accueillants, ils ouvrent facilement leur porte et sont toujours prêts pour des festivités (« la nuit, c’est la nuit »). Mais à Abidjan, comme dans n’importe quelle grande ville, la vigilance est de mise à certaines heures et dans les endroits dits « chauds ».
Climat : à quelle saison partir ?
En règle générale, il fait chaud ! Le climat est équatorial, donc très humide. Le meilleur moment : la grande saison sèche, de décembre à avril, idéale pour voyager et profiter de la plage. La saison des pluies a lieu d’avril à novembre (entre 25 °C et 31 °C) avec un pic en mai-juin. Pour les régions sahéliennes (dans le nord et l’est), la période de juillet à septembre permet de découvrir un paysage luxuriant, loin de la sécheresse de « l’hiver ».
AIR CÔTE D’IVOIRE PASSE AU
❛LES BASIQUES
ET POUR L’ADDITION ?
La monnaie officielle est le franc CFA (1 euro = 657 francs CFA). Les euros et les dollars sont couramment acceptés. Le réseau des distributeurs de rue est en constante amélioration, et les terminaux de paiement se multiplient (surtout dans les hôtels et les restaurants). Mais ayez toujours un peu de cash sur vous, essentiel pour les opérations de la vie courante.
LONG-COURRIER
APRÈS AVOIR SOUFFERT de la période de pandémie de Covid-19, la compagnie ivoirienne redécolle. Ce sont 570 000 passagers qui ont été transportés l’année dernière, et la flotte a été renforcée par un A320neo le 18 février 2021. Elle compte à ce jour 12 avions, qui desservent une vingtaine de capitales africaines et cinq villes du pays : Bouaké, Korhogo, Man, Odienné et San Pedro. Le 25 octobre dernier, la société a signé un contrat avec Airbus pour l’acquisition de deux A330-900neo qui marquera un tournant majeur dans son activité. Dès leurs livraisons, prévues au 4e trimestre de 2024 et au 2e trimestre de 2025, les vols régionaux de 18 destinations pourront être couplés avec des vols long-courriers en correspondance à Abidjan vers l’Europe, le Moyen-Orient et les États-Unis.
Place de la République, Plateau, tél. : +225 27 20 25 10 30. reservation@aircotedivoire.com / aircotedivoire.com
SE LOGER EN MODE TECH Abidjan n’échappe pas aux nouveaux modes de voyage. N’hésitez pas à aller jeter un coup d’œil sur les sites d’Airbnb et de ses concurrents, pour trouver des locations chez l’habitant, au standing variable et à des prix souvent avantageux.
UNE (OU PLUSIEURS) NUIT(S) À BABI
❶ Sofitel Abidjan
Hôtel Ivoire
L’un des palaces historiques du continent, dans le quartier chic de Cocody, avec une vue à couper le souffle sur la lagune et le Plateau. Une véritable petite ville dans la ville, avec ses restaurants, ses bars, son spa, sa piscine géante, son casino, sa galerie marchande, son cinéma, son palais des congrès… Voulu par Houphouët-Boigny, le bâtiment central est inauguré en 1963, et la tour Ivoire en 1969. Les plus anciens auront connu la patinoire, longtemps unique en Afrique (et qui fermera à la fin des années 1980). Le palace, à la patine indéniable, a traversé les hauts et les bas de l’histoire du pays. Il a été entièrement rénové entre 2009 et 2015 par les équipes de l’architecte Pierre Fakhoury. 8 bd Hassan II, Cocody, tél. : +225 27 22 48 26 26. sofitel.accor.com
❷
Noom Hôtel
Abidjan Plateau
C’est le dernier fleuron 5 étoiles du Plateau, développé par le groupe Mangalis (de Yérim Sow). Il propose au 7e étage un bar panoramique avec vue
imprenable sur la lagune. Chambres et suites aux décors élégants, ambiance sobre et moderne. Restaurant afro-fusion panoramique, spa et espace fitness. 8XFG+9H3, bd de Gaulle, Plateau, tél. : +225 25 20 00 80 00. noomhotels.com
❸ Pullman Abidjan Entièrement rénové, le Pullman est au cœur du Plateau, d’où il surplombe la lagune. Hôtel 5 étoiles à la déco très mode, avec une piscine façon urbaine et un bar couru par la jet-set locale. À noter : il offre le meilleur brunch du dimanche de toute la ville. 1 rue Abdoulaye Fadiga, Plateau, tél. : +225 27 20 30 20 20. accorhotels.com
❹ Seen Hotel
Abidjan Plateau
Situé en plein cœur du quartier des affaires, cet hôtel 3 étoiles ne désemplit pas. Il est idéalement conçu pour les courts séjours ou les voyages d’affaires, avec un cadre contemporain et une connexion wi-fi impeccable. Rue Colomb, Plateau, tél. : +225 25 20 00 67 00. seenhotels.com
❛OVERNIGHT
❺ Mövenpick
Idéalement logé au centre du complexe Plaza Nour Al Hayat, avec ses restaurants et ses commerces. Ce bel hôtel de luxe 5 étoiles offre un confort moderne, avec un salon « executive » qui surplombe la lagune. Design contemporain, avec un bar à vin décoré d’œuvres d’artistes de la région, très prisé pour les rendez-vous du soir. Avenue Terrasson de Fougères, Plateau, tél. : +225 27 20 23 20 23 movenpick.com
❻ Novotel Plateau
Ce 4 étoiles est situé en bordure de la lagune Ébrié, proche du Palais des congrès et de la cathédrale d’Abidjan. Entièrement rénové, il dispose de 258 chambres, dont 12 suites, d’une salle de fitness et d’une piscine extérieure, de nombreuses salles de réunion et d’un espace mariage. Idéal pour les séjours business et des apéros dînatoires dans un somptueux jardin, cocktails et tapas à dispo. 10 avenue du Général de Gaulle, Plateau, tél. : +225 27 20 31 80 00. accorhotels.com
❼ Hôtel Tiama Abidjan
L’établissement 5 étoiles, fondé il y a pile cinquante
ans par les familles Khalil et Omaïs, demeure une référence au Plateau, surtout depuis sa rénovation, en 2012. Service de qualité, chambres parfaites et ambiance presque familiale. C’est le seul hôtel de standing situé au cœur du quartier des affaires qui n’appartient pas à une chaîne internationale. Idéal pour un tourisme business ou de loisirs, pour une clientèle qui aspire au calme, avec piscine, salle de sport et spa. 4 bd de la République, Plateau, tél. : +225 27 20 31 33 33. hotel.tiama.ci
ET AUSSI…
❽ Azalaï Hôtel
La célèbre ambiance Sahel, sur le « VGE ».
Bd Valéry Giscard d’Estaing, Marcory, tél. : +225 27 21 22 25 55. azalai.com
❾ Onomo Hotel
Abidjan Airport
La petite chaîne confortable qui monte, qui monte… Bd de l’Aéroport, Port-Bouët, tél. : +225 27 21 21 21 91. onomohotels.com
❿ Radisson Blu Hotel
Le chic moderne, à seulement 500 mètres de l’aéroport. Bd de l’Aéroport, Port-Bouët, tél. : +225 27 21 22 20 20. radissonhotels.com
Les boutiques hôtels
Depuis quelques années, ils fleurissent quelques dans la capitale, très prisés par capitale, prisés une clientèle aisée, qui apprécie un service personnalisé de haut standing. On peut citer standing. La Maison Palmier, une oasis verdoyante dans le quartier des Deux Plateaux, dans le quar tier des Deux Plateaux, au design très contemporain. Ou leOu le Lepic Villa Hotel Villa , ouvert en 2019, 2019, avec sa piscine à débordement sa et ses jardins luxuriants. Mais aussi aussi le tout nouveau Palais Wia : il s’agit de l’ancienne Villa Mobutu, de l’ancienne propriété du premier président du Zaïre, avec ses neuf suites suites présidentielles et sa table d’exception et aux saveurs locales revisitées.
La Maison Palmier, rue des Jardins, Cocody, tél. : +225 27 22 22 00 00. lamaisonpalmier.com
Lepic Villa Hotel, rue Lepic, BPV 230, Cocody, tél. : +225 27 22 46 34 57. hotel-lepic.com
Palais Wia, rue des Hortensias, Cocody, tél. : +225 05 44 04 38 38.
❛OVERNIGHT
ET EN SORTANT D’ABIDJAN…
Hôtel Président, Yamoussoukro Monumental, l’hôtel de la capitale a été construit sous Houphouët-Boigny par le fameux architecte tunisien Olivier-Clément Cacoub. On y va pour les affaires, cette ambiance surannée et historique, et les petits plus : piscine superbe, tennis, night-club, cinéma, bars, etc. Rue de l’Hôtel Président, Yamoussoukro, tél. : +225 27 30 64 64 64. hotelpresident.ci
Kafolo Lagoon, Bingerville Une bouffée d’air pur aux portes de Babi… Seuls les initiés connaissent
ses charmants bungalows, sa ferme animalière et son jardin botanique. Authentique, sans prétention et confortable, ce 3 étoiles offre wi-fi, soins spa et activités multiples. Route de Bingerville, à droite au grand carrefour d’Abatta, Bingerville, tél. : +225 07 47 04 44 02. kafolo.net
Maison d’Akoula, Assinie-Mafia C’est le petit palace de ce spot branché, à 1 h 30 de route d’Abidjan. Détente entre la lagune et les vagues de l’Atlantique. Route d’Assinie-Mafia, PK 5, Assinie-Mafia, tél. : +225 07 49 60 16 63. lamaisondakoula.com
❛TABLES ET GOURMANDISES
Nama Restaurant
C’est la toute dernière adresse chic du Plateau. Le Nama, ambiance moderne très épurée, est situé à côté du Noom Hôtel, face à la lagune. O n y d éguste une cuisine ambitieuse qui marie des saveurs européennes, asiatiques et africaines. Esprit fusion. Le chef ivoirien Naël Fakhry est un ancien du Pavillon Ledoyen et du Peninsula, à Paris, entre autres références. C’est nouveau, c’es t bon, c’est branché, et le Tout-Abidjan s’y précipite. Bd de Gaulle, Plateau, tél. : +225 07 02 02 07 07. Du lundi au samedi, de 12 h à 15 h, puis de 19 h à 23 h 30. namarestaurant.fr
VILLA SAVOIA
➀ Cette villa discrète et cossue accueille une clientèle aisée de décideurs autour de spécialités italiennes haut de gamme.
On y déguste des rôtis de poulpe, des pâtes savoureuses aux sauces composées avec les meilleurs produits méditerranéens.
On y célèbre aussi le terroir ivoirien revisité à la sauce du chef, avec de la purée d’igname ou des ravioles fourrées au cacao. L’une des plus belles expériences gustatives d’Abidjan et un service impeccable. Bd de Marseille, Marcory, tél. : +225 27 21 35 86 03.
Du mardi au samedi, de 11 h à 15 h, puis de 19 h à minuit.
KAJAZOMA
➁ C’est l’une des tables l es plus courues d e l a ville. Dans la fraîcheur d’un jardin ombragé ponctué d’œuvres d’art contemporain, on sert une cuisine savoureuse composée de spécialités afro-européennes, comme d e la salade de langouste au kedjenou. Une adresse prisée d e la jet-set, qui y organise volontiers ses rendez-vous business du soir.
Bd Latrille, Cocody, tél. : +225 27 22 41 78 62. Tous les jours, sauf le dimanche, de 11 h à 23 h.
FIVE ABIDJAN
THE PLACE TO BE POUR LES AFTERWORKS, où la jet-set abidjanaise vient déguster des cocktails recherchés dans un cadre chic et épuré, à la new-yorkaise. Carte branchée à suivre, avec ses salades océanes, tempura de gambas et ailerons de poulets caramélisés. L’établissement mise sur les produits sains et la healthy food. Idéal pour les apéros entre amis ou les rencontres professionnelles. Rue des Jardins, Cocody, tél. : +225 07 09 08 88 08. Du lundi au samedi, de 18 h à 1 h
TRADITION MAQUIS
LE CONCEPT EST IVOIRIEN, voire abidjanais, avant de s’être développé dans toute l’Afrique de l’Ouest. Le maquis, c’est un bar resto où l’on mange le plus souvent en plein air du poulet ou du poisson braisé, des brochettes, voire une ou deux sauces locales, avec quelques accompagnements au choix, le plus souvent pommes frites, attiéké (semoule de manioc) ou allocos (bananes plantains frites). Le terme « maquis » vient de l’idée d’aller s’y perdre, s’y cacher. Souvent, il s’agit d’un bar où l’on boit des bières par casier entre amis jusqu’au bout de la nuit, en commandant à la « braiseuse » qui tient son stand juste devant
le poulet ou le poisson de son choix qu’elle cuit devant vous. Le quartier roi, c’est Yopougon, qui en compte des milliers, pratiquement dans toutes les cours en bord de route. Sinon, trois enseignes tiennent le haut du pavé dans la capitale économique : Chez Hélène, pour son poulet, le Maquis du Val, qui propose aussi quelques plats locaux, toutes deux à Cocody, ainsi que l’institution Chez Ambroise, à Marcory. Dans chaque commune de la ville, vous trouverez également des allocodromes, souvent ouverts par les mairies. Le concept est le même : manger savoureux et simple, pas cher, en palabrant entre potes ! Incontournable.
ET EN SORTANT D’ABIDJAN
ASSOYAM BEACH, GRAND-BASSAM
Posé sur le sable, face à la mer, Assoyam Beach à l a propose 30 bungalows 3 0 bungalows rénovés, l’un des restaurants des les plus goûteux de plus Grand-Bassam, placé sous la houlette du chef Pascal Favier, un bar, une piscine, ainsi que un e p iscine, des salles et espaces pour de s salles organiser des séminaires. C’est l’escale la plus prisée par les « grands quelqu’un », pa r l es comme on dit. Et pour cause : paix totale, plage à perte de vue, végétation luxuriante. Bref, la meilleure adresse de l’ancienne capitale de Côte d’Ivoire.
Route d’Azuretti, GrandBassam, tél. : +225 27 21 30 15 57. assoyam.com
COUCOUÉ LODGE, ASSINIE-MAFIA
Un espace ouvert su r trois sites : Coucoué Lodge, Lodge by Coucoué, et, sur la plage, Le Margouillat. Au restaurant et au bar, vous êtes quasi certains de croiser de s VIP en mode relax.
Route d'Assinie-Mafia, KM 8, Assinie-Mafia, tél. : +225 07 07 07 77 69. coucoue-lodge.com
BRASSERIES ET SPOTS IN
Sélection forcément subjective… Abidjan bouge en permanence. Restez branché ! ➀ Le Comptoir Bar & Restaurant C’est the place to be, notamment pour les déjeuners d’affaires, avec une carte internationale très « brasserie parisienne ». Accueil et service parfaits, rapides, dans un cadre très chaleureux où sont servis salades, pavés de saumon, viandes et bars grillés, ou encore poulpe braisé. Avec une mention spéciale (et gourmande) pour le pain perdu et sa boule de glace vanille caramélisée. Ivoire Trade Center, bd Hassan II, Cocody, tél. : +225 27 24 30 38 90. Tous les jours, de 11 h 30 à minuit. ivoiretradecenter.com
➁
Le Bar blanc
Excellent bar pour s’encanailler gentiment en Zon e 4 , s’attabler au comptoir avec une carte courte et efficace, dans une ambiance festive et musicale. 7 rue du 7 décembre, Zone 4, tél. : +225 27 21 35 09 82. Tous les jours de 18 h à 2 h ➂ Le
Saakan
Pour déguster la fameuse queue de bœuf braisée, qui fait courir l es amateurs locaux ou de passage. Décor akan et balafon en live p our ce gastro afro, aux mets locaux revisités avec goût, dan s u ne ambiance festive et musicale. Avenue Chardy, Plateau, tél. : +225 27 20 32 13 58.
Du lundi au dimanche, de 11 h à 23 h saakan.ci ➃ Le Méchoui
Incontournable table libanaise de qualité, terrasse en bord d e p iscine, avec une grande variété de plats végétariens. Athletic Club, bd de Marseille, Zone 4, tél. : +225 27 21 24 68 93. Du mardi au dimanche, de 12 h à 15 h et 19 h à 23 h restaurantlemechoui.com ➄ La Taverne romaine
Au pied des tours du Plateau, le lieu n’est pas vraiment italien ! Pour le déjeuner, c’est la brasserie french incontournable : VIP, happy few et habitués se bousculent autour d’une carte goûtue ! Bd Lagunaire, à côté de l'hôtel Pullman, Plateau, tél. : +225 27 20 21 89 51. Du mardi au dimanche (sauf samedi), de 12 h à 14 h 30 et de 19 h à 22 h 30, et le samedi de 19 h à 22 h 30. taverne-romaine.com
❛TABLES ET GOURMANDISES
Les bars de nuit du Plateau
ON Y ACCÈDE par un petit escalier : l’endroit est presque confidentiel. Vous êtes au royaume de la famille Bictogo.
Le grand frère, Michel, accueille le Tout-Abidjan, avec des écrans diffusant des clips de musique africaine. Politiciens, businessmen, hauts fonctionnaires échangent les dernières news autour d’une bouteille de champagne ou d’un vieux rhum. On y dîne aussi. C’est le Happy Hour. Juste à côté se trouve Le Filjim, autre resto-bar de nuit, avec concert live du patron le soir, fana de Johnny Hallyday. La clientèle est plus internationale, et l’ambiance bon enfant, avec karaoké improvisé. Vous avez le choix !
Happy Hours, avenue Botreau Roussel, tél. : +225 07 07 22 31 12.
Du lundi au samedi, de 11 h 30 à minuit, et le dimanche, de 17 h 30 à minuit.
Traiteur et livraison à domicile
DANS LA PLUPART des grandes villes du monde, le service de livraison de repas à domicile s’est généralisé (davantage dopé par la période Covid !). Et en la matière, Abidjan n’est pas en reste. Il est loin le temps où l’on envoyait le chauffeur chercher un poulet braisé et des allocos au maquis du coin. Aujourd’hui, on commande un Burger King ou autre au bureau, et ses dîners à la maison. Deux sites spécialisés à recommander : Jumia Food (food.jumia.ci) et Resto Money (resto-money.com). On peut aussi organiser un dîner chic ou à thème chez soi, sans lever une spatule, la plupart des restaurants proposant
un service de livraison. On peut ainsi déguster des mets africains, asiatiques, indiens, européens ou encore japonais. C’est le cas, sur un simple coup de fil, du français La Taverne romaine, du japonais Nushi Sushi, ou encore de l’italien Regina Margherita. Et bien entendu, de nombreux restaurants ont depuis longtemps ajouté à leur carte une activité traiteur traditionnelle, pour l’organisation de cocktails d’affaires, mariages et autres cérémonies. Dans les familles aisées d’Abidjan, se faire livrer à domicile est devenu très courant et commander une food box pour sa pause déjeuner au bureau également.
Le Filjim, avenue Botreau Roussel, tél. : +225 05 05 07 83 14. Du lundi au vendredi, de 12 h à 16 h et de 18 h à 2 h, et le samedi, de 18 h à 4 h
L’
Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) a pour mission de favoriser l’accès au logement, à des coûts d’acquisitions et de locations compétitifs pour l’ensemble de la population, de veiller à l’amélioration et l’entretien du cadre de vie, et de réaliser toutes les opérations se rapportant directement ou indirectement à l’amélioration ou au développement de l’habitat urbain ou rural en République de Côte d’Ivoire.
« Être un acteur primordial dans le développement de l’habitat social en Côte d’Ivoire, afin d’être une référence africaine et internationale. »
❶ Fondation Donwahi
Dans cette immense concession, on retrouve l’état d’esprit de l’homme d’État Charles Donwahi, très ouvert aux autres. Une volonté également partagée par la propriétaire des lieux, Illa Ginette Donwahi, qui ouvre sa maison à l’art dans toute sa complexité et sa diversité. Pas de frontières, pas d’interdits : ici, peintres, sculpteurs, cinéastes, musiciens, étudiants sont les bienvenus. Derrière de hauts murs rouges, on peut boire un verre, manger un morceau, écouter de la musique ou même danser. Bd Latrille, Cocody, tél. : +225 22 41 45 49.
Tous les jours sauf dimanche, de 10 h à 19 h. facebook.com/ FondationDonwahi
❷ LouiSimone
Guirandou Gallery
C’est une grande dame de la culture, Simone Guirandou, qui a créé cette galerie d’art contemporain. Pour une historienne de l’art, quoi de plus naturel ? Elle n’en est pas à son coup d’essai. Il y a eu Arts pluriels pendant trente ans, puis cette nouvelle adresse, qui expose des artistes contemporains, ivoiriens comme d’ailleurs.
❛ART ET GALERIES
L’espace, très agréable, invite le visiteur à prendre le temps de contempler et de s’imprégner de beauté. En juillet et en août a lieu une exposition « Découvertes », qui réunit le meilleur de la jeune création. Rue C27, Cocody, tél. : +225 27 22 54 04 61. Du mardi au samedi, de 10 h à 19 h. louisimoneguirandou. gallery
❸ Galerie Cécile Fakhoury
Cécile Fakhoury s’est imposée comme l’une des actrices majeures du marché de l’art contemporain ivoirien et du continent. Elle défend l’importance de l’art dans les sociétés africaines émergentes, ainsi que l’importance d’un marché local, seul garant de la cote des artistes du cru. Sa galerie, cube de béton épuré, a accueilli des dizaines d’expositions majeures. Parmi les artistes représentés, on trouve Ouattara Watts, François-Xavier Gbré ou encore Dalila Dalléas Bouzar.
Bd Latrille, Cocody, tél. : +225 27 22 44 66 77.
Du mardi au samedi, de 10 h à 19 h. cecilefakhoury.com
❹
❹ La Rotonde des arts
Certains viennent s’y promener et admirer le bâtiment datant des années 1960, construit par Henri Chomette. Mais ce serait nier le travail de la fondation Nour Al Hayat et de Yacouba Konaté, philosophe et grande figure du monde de l’art africain. Ici sont rassemblés les plus grands, parmi lesquels Frédéric Bruly-Bouabré, Jems Robert Koko Bi ou encore Aboudia. Galerie commerciale
Nour Al Hayat, Plateau, tél. : +225 07 08 48 88 30.
Tous les jours sauf dimanche, de 10 h à 18 h. rotondedesarts.com
❺
Galerie Amani
C’est un lieu qui vaut le détour. Parce que c’est une galerie d’art contemporain qui accueille des artistes ivoiriens ou du continent, des expositions itinérantes.
Parce que l’endroit est un ravissement, qui appelle au rêve, entre les murs ocre et le plafond à ciel ouvert. Et enfin, parce que le fondateur, Léon N’Guetta, est un artiste autodidacte, designer génial, qui sculpte des colons ou
❺ ❻
des « aoulabas » (femmes opulentes) dans du bois. Angle rue Pierre et Marie Curie et rue du Dr Blanchard, Marcory, tél. : +225 07 58 40 09 20.
Du mardi au samedi, de 8 h 30 à 18 h. galerieamani.com
Guyzagn
Dans le quartier de la Riviera 2 de Cocody où bat le cœur vibrant d’Abidjan se cache un lieu hors du temps. Une galerie d’art, mais pas seulement. Ici, on quitte les bruits de la ville pour entrer dans un monde de calme et de beauté. Thierry Dia, le maître des lieux, a le nez pour détecter les futurs talents de la scène artistique locale, comme le peintre Aboudia et bien d’autres. Régulièrement, des artistes étrangers viennent en résidence pour travailler. Les habitués aiment y refaire le monde autour d’un bon verre.
Car le lieu abrite aussi un lounge bar et un restaurant. Riviera Bonoumin, Cocody, tél. : +225 07 08 13 51 13.
Du mardi au samedi, de 9 h à 19 h.
Makeda
❛SHOPPING ET BOUTIQUES
Aby
La boutique, immense, se trouve au rez-dechaussée de l’ITC. C’est une idée de la galeriste Cécile Fakhoury : réunir les créations de designers et d’artisans du continent. Avec une sélection audacieuse de pièces originales et innovantes. On y trouve des vêtements uniques pour femmes, hommes et enfants, de la maroquinerie, de la déco… Ultramoderne et ultrachic.
Ivoire Trade Center, bd Hassan II, Cocody, tél. : +225 07 03 72 62 99. Tous les jours de 10 h à 19 h, sauf le dimanche, de 14 h à 17 h.
Ettyka
MAKEDA
Depuis plus de trente ans, Aya Konan Koffi a fait de sa marque Makeda une référence en matière de bijoux et d’accessoires artisanaux. Ses parures à base de matériaux locaux, comme les cauris ou l’or baoulé, se reconnaissent au premier coup d’œil. La créatrice puise son inspiration dans l’art traditionnel du peuple akan… Avec son regard tourné sur le monde, elle a développé un sens aigu du détail et a élargi son concept en proposant des sacs, de la vaisselle et de la déco. Avenue Botreau Roussel, Plateau, tél. : +225 07 47 63 59 12. Du lundi au samedi, de 9 h à 18 h 30.
L’Appartement
Un concept store à découvrir, avec une large sélection d’accessoires, de bijoux et d'objets de déco venus de partout. Pour ne pas arriver les mains vides à un dîner, c’est la boutique pour acheter un cadeau.
Rue du Dr Blanchard, Zone 4, tél. : +225 09 59 60 00. Du mardi au vendredi, de 9 h à 12 h 30 et de 15 h à 18 h 30, le samedi de 9 h à 18 h 30, le lundi de 14 h 30 à 17 h
Yarê
C’est le nouveau concept store de luxe, où l’on trouve des capsules de créateurs ivoiriens, mais aussi des bijoux, des sacs, de la déco. Au rez-de-chaussée du Noom. Incontournable. Noom, bd de Gaulle, Plateau, tél. : +225 07 01 90 19 19. Du mardi au dimanche, de 11 h à 20 h.
C’est un espace ouvert aux créateurs ivoiriens, avec des vêtements, des cosmétiques bio, des accessoires. Une véritable caverne d’Ali Baba géniale qui fourmille d’idées et de trouvailles pour tous les goûts. Et de bon goût ! Rue du Commerce, Plateau, tél. : +225 07 09 44 72 27. Du lundi au samedi, de 9 h 30 à 18 h 30.
Magharibi
En swahili, « magharibi » signifie « ouest ». Voici la thématique de ce concept store, qui rassemble en un lieu des créateurs, un restaurant cosy et un espace beauté. Les trois amies à l’origine du lieu ont une belle sélection d’objets : on aime les bijoux de Kareem Fadika, la déco de Miss Ashanti ou encore les sacs Corotos (fabriqués au Venezuela). On peut aussi manger un morceau au petit restaurant situé dans le jardin. 39 bd Achalme, Marcory, tél. : +225 07 59 46 14 00. Du mardi au samedi, de 10 h à 18 h.
Le Mandjaro est la nouvelle adresse lancée par le sémillant communicant Fabrice Sawegnon, déjà patron de la discothèque Life Star, au Plateau.
ET APRÈS
Monak et 40/40 C’est l’ex-40/40 de l a r ue Paris Village, au Plateau. Le patron du Monak est toujours le Gros Bedel (oui, c’est son vrai surnom !).
Et la clientèle de jeunes bien nés qui veulent faire la fête est toujours là. Discothèque, soirées à thème, musiqu e i voirienne et sons internationaux. Depuis octobre dernier,
SITUÉ AU 5E ÉTAGE
de l’immeuble Ivoire Trade Center, à Cocody, le Mandjaro est un bar lounge ultra-select qui offre une vue panoramique sur Abidjan et la lagune.
le 40/40 se trouve désormais en Zon e 4 , à l ’emplacement de l’ex-Mixx Night Club, qui avait été géré un temps par D J A rafat. À c ette nouvelle adresse, le même Gros Bedel a créé un bar lounge, concept très en vogue dans la capitale économique, avec une collection de cocktails hors pair et un bar à chicha.
Et ça cartonne ! Monak, rue Paris Village, Plateau, tél. : +225 07 49 74 18 21.
Ouvert tous les jours de 18 h à 3 h. 40/40, rue du Dr Blanchard, Zone 4, tél. : +225 07 08 40 46 03. Du jeudi au samedi, de 20 h à 6 h.
Jungle Bar Ambiance bambous, cuir et lumières rouges. C’est un bar de nuit très sympa, assez cosy, qui attire pas mal de jeunes, situé dans un quartier nouvellement
❛NIGHTLIFE
Ce roof top attire une clientèle sophistiquée, d’abord abidjanaise mais aussi internationale, avec la possibilité d’adhérer au club privé, dont les membres peuvent bénéficier de services VIP personnalisés. Espace plein air au mobilier bois et blanc très épuré ou ambiance bar cosy, vous avez le choix. L’endroit est vite devenu the place to be pour les jeunes argentés et les moins jeunes fortunés.
On s’y donne rendez-vous pour un afterwork entre collègues, ou plus tard pour une soirée entre amis. Le Tout-Abidjan qui compte est là, en semaine comme les week-ends. Idem pour la clientèle étrangère du Sofitel, situé à deux pas. Ivoire Trade Center, bd Hassan II, Cocody, tél. : +225 07 78 76 04 37. Du dimanche au mercredi de 18 h à 0 h 30, et du jeudi au samedi de 18 h à 2 h.
à la mode de la commune de Cocody : Angré. O n y d îne, on y bavarde, on y boit et on y écoute de la musique. Dans une ambiance faussement décontractée, car la clientèle est plutôt huppée. Angré, 8e tranche CNPS, Cocody, tél. : +225 07 09 92 20 31. Tous les jours, de 16 h à 1 h (2 h le vendredi et le samedi, minuit le dimanche).
Churchill
Un bar aux ambiances multiples. À l’intérieur, musique à fond et ambiance métisse à mi-chemin entre Orient et Occident, fauteuils club, chandeliers et miroirs. Et à l’extérieur, u n p etit jardin tropical o ù s e retrouve une jeunesse élégante et branchée.
Rue Fleming, Zone 4, tél. : +225 07 88 40 87 31.
Tous les soirs, de 18 h à 3 h
Le Comptoir Bar & Restaurant
C’est le restaurant du rez-de-chaussée de l’Ivoire Trade Center, plein à craquer à midi, mais le soir, il fait aussi after. Avec son bar, où une clientèle happy few, métissée, se retrouve pour boire un verre dans une ambiance tonique avec DJ. O u s implement pour passer un bon moment entre amis. Ivoire Trade Center, bd Hassan II, Cocody, tél. : +225 27 24 30 38 90.
Tous les jours, de 11 h 30 à minuit.
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pour conclure
PAR EMMANUELLE PONTIÉEN MODE NOUCHI !
L’Afrique de l’Ouest le sait depuis longtemps : c’est Abidjan qui donne le ton ! Depuis les années Houphouët et l’embellie économique, le wax et les tailleurs « jolie madame » made in CI traversent les frontières, l’attiéké et les allocos s’invitent dans les assiettes de Bamako, Lomé, Dakar, voire jusqu’en Afrique centrale. Aller à Abidjan, y faire son shopping, s’inspirer des dernières tendances en matière de création, c’est chic ! Et ce qui est encore plus branché, c’est d’employer les expressions populaires locales, les jeux de mots savoureux et les inventions verbales géniales des jeunes issus des quartiers. Bref, de parler nouchi, de parler littéralement « loubard ».
Cet argot apparaît dans les années 1970, et peu à peu, le continent s’en empare. On fréquente une « go », une copine, une fille, une petite cousine. On « s’enjaille », synonyme de faire plaisir et de s’en réjouir. On peut encore « brouter », arnaquer par les sentiments en opérant sur la Toile. Ou être un « boucantier », un frimeur. Autre expression qui a fait long feu : « Y a drap ! », ce qui signifie qu’il y a un (gros) problème. On entend aussi parler de « gros taux », surnom donné aux hommes riches convoités par les jeunes femmes en mal de cadeaux. Ou, a contrario, de « gaou », pauvre type sans le sou qui se fait souvent éconduire par les belles. Un terme immortalisé par le premier tube du groupe Magic System.
Le nouchi, c’est d’abord employé par des jeunes qui maîtrisent mal le français et font une sauce foutou avec des mots empruntés de-ci de-là au baoulé, au bété, à certaines langues ouest-africaines, voire à l’anglais ou l’allemand. Il en résulte une forme
de réappropriation du français, seule langue officielle en Côte d’Ivoire malgré la soixantaine de communautés qui composent le pays. Du coup, le français s’enrichit grâce à elles et leurs parlers régionaux, grâce aux tendances rap qui reprennent les termes nouchi pour les populariser au-delà des frontières. Résultat, entre 2017 et 2020, plusieurs mots sont entrés dans les pages des panthéons du vocabulaire french, le Robert et le Petit Larousse : « boucantier », « enjailler » ou « ambianceur » (dont l’origine est disputée avec la République du Congo, où l’on utilise le terme en abondance dans les textes de ndombolo et autres rumbas locales). Et en 2023, rebelote, c’est au tour de « go » et de « brouteur » d’être sanctuarisés dans la langue de Molière. Et c’est une aubaine de la voir s’enrichir chaque année de nouveaux vocables, modernes, « djeuns », venus d’ailleurs, preuve de la vitalité du parler hexagonal.
Bien entendu, d’autres mots provenant des zones francophones du monde entier, et d’autres contrées africaines, y entrent aussi régulièrement. Mais à Abidjan, où l’on est un peuple de sacrés boucantiers, on n’est pas peu fier de faire évoluer le français en y introduisant ses propres mots inventés localement. Une manière de montrer que l’on continue à donner le ton, au-delà même des frontières du continent. Et pour info, un professeur de littérature comparée à l’université Alassane Ouattara, à Bouaké, a publié un dictionnaire du nouchi en 2018, qui comporte plus de 1 000 mots et expressions ! Que Messieurs Larousse et Robert se préparent, la déferlante nouchi ne pourrait faire que commencer ! ■