grande partie de leurs affaires.192 Sur la Seine on évacue. Le Baïse prend un chargement de 270 tonnes de tôles ondulées aux entrepôts Davum à Gennevilliers, chargement qui va sauver notre cher bateau du service armé pour Hitler.193 Quelques semaines plus tard, une vedette de la Wehrmacht aborde le « Baïse » et un jeune officier prétentieux nous annonce que notre bateau est réquisitionné et qu'il doit le conduire à Villeneuve-la-Garenne où des chantiers fluviaux vont en faire un bateau de débarquement en lui coupant le nez et en aménageant une trappe ; puis il ajoute, se raidissant imperceptiblement : « Nous allons envahir l'Angleterre ». Il parle assez bien le français, mais lorsque mon père déclare être chargé de tôles ondulées, nous lui présentons une lettre des Établissement Davum qui nous demande de ramener la cargaison à Gennevilliers. L'officier nous établit un certificat, nous mettant à la l'abri de toute réquisition jusqu'à ce que nous ayons livré la marchandise à Gennevilliers, et nous demande de rester ensuite à la disposition des services d'occupation. Un sursis en somme. On ne pouvait être mieux dans la gueule du loup, à quelques deux kilomètres de ces fameux chantiers d'aménagement. A Ivry, quai de la Chambre de commerce, on préparait les bateaux en les découpant leur avant. Les nez étaient entassés en pyramides aussi hautes que des grues équipant les ports de mer. Quel pénible spectacle pour un marinier ! Le déchargement terminé dans ce bras de Villeneuve-la-Garenne, la mort dans l'âme, nous nous nous nous nous préparons à quitter ce qui fut notre vie jusqu'alors ; nous faisons des caisses, nous remplissons des sacs d'affaires. Puis nous apprenons une surprenante nouvelle, le pourquoi de cette attente faite d'espoir et de crainte : les « réquisitionneurs » se sont aperçus que le type « gros numéro »194 ne convient pas ; la cale trop peu profonde nécessite des transformations pour le passage des chars sous les écoutilles, ouf ! Le « Baïse » ne sera pas « coupé ».195 Son beau-père, prisonnier à la ligne Maginot, a eu son bateau réquisitionné et le nez coupé. Son moteur Deutz est remplacé par un V6 Baudoin. Il est récupéré par le bon propriétaire, la chape de béton coulée pour les tanks est retirée, la cabine centrale placée à l'arrière et il est refait à neuf. Le Creuse coule à Vernon près du dépôt d'essence par des bombardements.196
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Martial Chantre - La péniche, ma vie batelier de père en fils - n° 48 - 2002
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Les voies navigables en France pendant la Grande Guerre - Les Cahiers du musée de la batellerie n° 79/80 - Stéphane Fournier - 2018 195 Martial Chantre - La péniche, ma vie batelier de père en fils - n° 48 – 2002 196 Simon Desselle, 85 ans - 2020
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